REUNION DE LA DELEGATION DU MARDI 24 OCTOBRE 2000


Energie

Communication de M. Aymeri de Montesquiou sur les réflexions de la Commission européenne pour une politique communautaire de l'approvisionnement énergétique

Justice et affaires intérieures

Communication de M. Hubert Haenel sur Eurojust

Energie

Communication de M. Lucien Lanier sur les dispositions relatives à l'heure d'été (E 1568)


Energie

Communication de M. Aymeri de Montesquiou sur les réflexions de la Commission européenne pour une politique communautaire de l'approvisionnement énergétique

En vous présentant mon rapport d'information sur l'énergie nucléaire en Europe, au mois de mai dernier, je vous avais dit que l'Union européenne, à mon avis, ne pourrait pas éluder encore très longtemps un débat de fond sur sa politique énergétique.

Le choc pétrolier que nous subissons depuis cet été a eu des répercussions immédiates sur l'économie du transport routier, et menace de relancer l'inflation en Europe. La conférence des parties à la Convention sur le changement climatique qui s'est tenue à Lyon au mois de septembre a confirmé que l'Union européenne, en l'état actuel des choses, ne tiendrait pas ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre, tels qu'ils sont inscrits dans le Protocole de Kyoto. La concentration de CO2 dans l'atmosphère terrestre a augmenté de 30 % depuis le début de l'ère industrielle, et, si la tendance actuelle n'est pas infléchie, elle pourrait encore doubler d'ici la fin du siècle prochain.

C'est dans ce contexte devenu soudain dramatique que la Commission s'apprête à adopter un Livre vert sur l'approvisionnement énergétique de l'Union européenne. Compte tenu du caractère souvent très sensible des enjeux de ce texte (avenir du nucléaire, prix du pétrole, relations avec des pays tiers comme l'Iran ou la Russie, objectifs de Kyoto, élargissement, politique des transports...), le collège des commissaires ne devrait pas l'adopter avant fin novembre.

Mais nous connaissons déjà l'opinion de Mme de Palacio sur la question de l'approvisionnement pétrolier, grâce à la communication qu'elle a présenté officiellement au Conseil européen de Biarritz. De plus, certains éléments de la réflexion relative au Livre vert sont déjà connus dans les couloirs de la Commission à Bruxelles.

I - Les inquiétudes sur l'approvisionnement énergétique de l'Union

La Commission recense au moins six sujets d'inquiétude pour l'avenir de l'approvisionnement énergétique de l'Europe.

1. L'Union européenne sera de plus en plus dépendante des importations

Dans sa communication au Conseil européen de Biarritz sur l'approvisionnement pétrolier de l'Union européenne, la Commission a déjà indiqué que la dépendance énergétique de l'Union passerait de 50 % en 2000 à environ 70 % en 2020.

Le Livre vert devrait également souligner la situation particulièrement critique au regard du pétrole, dont 80 % est importé aujourd'hui et dont 87 % le sera en 2010, et du gaz, dont 40 % est importé aujourd'hui, et dont 70 % le sera en 2020. Mais il devrait démontrer, en outre, que toutes les sources traditionnelles sont concernées.

·  Pour le pétrole, si la tendance actuelle se poursuit, la consommation intérieure brute de l'Union européenne à quinze passera de 12 millions à 13,2 millions de barils par jour. Cette augmentation des besoins tiendrait pour l'essentiel à l'évolution du transport routier.

Parallèlement, à plus ou moins long terme, on s'attend à voir décliner la production de la mer du Nord qui est, au demeurant, l'une des zones où les coûts d'extraction sont les plus élevés.

·  Pour le gaz naturel, on s'attend à une baisse de la production de gaz naturel de l'Union européenne d'ici cinq à dix ans. Or, la demande, qui a déjà considérablement augmenté au cours des dix dernières années, devrait rester dynamique, en raison notamment du souci de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

·  Pour le charbon, la production devrait continuer à chuter en Europe, à cause de son coût d'extraction. Le coût du charbon importé représente en moyenne moins d'un tiers du coût du charbon produit dans un pays comme l'Allemagne. D'où l'abandon définitif de la production, effectif comme en Belgique, ou proche comme en France. Certes, la demande européenne du charbon suit une tendance à la baisse, en raison notamment de son remplacement progressif par le gaz et des difficultés de la sidérurgie. Mais la production chute encore plus vite. L'Allemagne est un cas à part, puisqu'elle devra vraisemblablement relancer sa production de lignite, suite à sa décision d'abandonner le nucléaire.

·  Pour le nucléaire, la production de l'Union européenne devrait être réduite dans les prochaines années en raison de l'arrêt de vieilles centrales et de la décision politique de fermer des centrales opérationnelles prise par la Suède et l'Allemagne. Parallèlement, il n'y a pas lieu de s'attendre, à court et moyen terme, à une diminution de la consommation d'électricité au sein de l'Union européenne, qui est à 35 % d'origine nucléaire. Sur le long terme, la tendance serait plutôt à l'augmentation.

2. La part du pétrole dans l'approvisionnement énergétique de l'Union européenne risque de devenir insupportable

L'énergie consommée dans l'Union européenne provient à 42 % du pétrole ; à 21 % du gaz naturel ; à 16 % du charbon ou de la lignite ; à 15 % du nucléaire ; et à 6 % de sources d'énergie renouvelables. D'après les écologistes, il est possible de renoncer au nucléaire, compte tenu de sa part somme toute modique dans l'approvisionnement énergétique de l'Europe. Il me semble pourtant que l'alternative est claire : soit une catastrophe climatique assurée, soit l'acceptation d'un risque nucléaire maîtrisé. Mais la position des écologistes reste un refus de principe du nucléaire, exception faite de quelques " hyper écologistes " qui admettent que les avantages de cette forme d'énergie l'emportent sur ses inconvénients.

Même si elle diminue depuis quelques années, la part importante du pétrole posera de graves difficultés.

·  Sur le plan économique, la conséquence d'une flambée des cours du pétrole sur l'inflation est évidente.

En visant implicitement le Gouvernement français, la Commission a récemment critiqué l'" idée très répandue et d'ailleurs relayée par l'OPEP " d'atténuer la hausse des prix des produits pétroliers par une réduction de la fiscalité. En effet, elle estime que " céder sur ce point reviendrait à transférer les recettes fiscales vers les pays membres de l'OPEP et à les encourager à maintenir des cours artificiellement hauts puisque l'effet de l'augmentation du brut sur les prix à la consommation serait neutralisé par les réductions fiscales ". Cette idée est sympathique aux électeurs-contribuables, mais fallacieuse.

·  Sur le plan géopolitique, plus de 70 % des réserves mondiales de pétrole sont localisées dans les pays membres de l'OPEP. Certes, cette organisation se révèle souvent peu homogène, tiraillée entre les pays partisans d'une maximisation des prix à court terme parce qu'ils ont peu de réserves ou un PIB relativement bas, comme le Venezuela ou l'Algérie, et ceux désireux de maintenir des prix modérés, afin d'éviter notamment d'encourager les énergies de substitution, comme l'Arabie saoudite. Mais, sur le long terme, la production se concentrera au profit des pays du golfe persique, qui devraient assurer 40 % de la production mondiale en 2040. Cette concentration géographique devrait renforcer la cohésion de l'OPEP.

Personnellement, je suis favorable à un cours de 28 dollars le baril à long terme. Un prix trop bas n'incite pas aux économies d'énergie nécessaires, et prive les pays producteurs du pouvoir d'achat qui leur permet de participer aux échanges mondiaux.

Par ailleurs, les turbulences politiques qui agitent régulièrement la région du golfe se répercuteront sur le fonctionnement du marché pétrolier. Un événement politique ou militaire peut à tout moment provoquer une rupture d'approvisionnement en provenance de cette zone, comme la dégradation récente des relations entre les Israéliens et les Palestiniens est venue nous le rappeler. C'est pourquoi j'estime très importante la course de vitesse qui s'est engagée entre l'Europe et les Etats-Unis pour l'accès aux hydrocarbures d'Asie centrale et d'Iran. L'Union européenne a ici des positions à prendre.

·  Sur le plan écologique, les émissions de CO2 dues à la consommation de produits pétroliers représenteront en 2010 plus de 50 % des émissions totales. Par ailleurs, le transport de produits pétroliers, pour l'essentiel par voie maritime, est régulièrement à l'origine de catastrophes environnementales.

3. L'élargissement posera à l'Union de nouveaux problèmes pour son approvisionnement énergétique

La situation énergétique de certains pays candidats présente des spécificités qui sont plutôt défavorables :

- dans les pays qui dépendent largement du nucléaire, l'état de vétusté de certaines centrales pose, outre des questions de sécurité qu'il convient de régler que l'Europe s'élargisse ou non, des problèmes d'approvisionnement liés aux risques d'arrêts momentanés ;

- les pays candidats conduisent traditionnellement une politique de l'énergie incompatible avec les exigences du droit communautaire, car elle ne repose pas sur la concurrence et recourt très largement aux subventions ;

- les pays candidats dépendent dans une large mesure du gaz et cette dépendance devrait croître plus rapidement dans le futur que pour les actuels Etats membres. Cette évolution contribuera à augmenter la dépendance énergétique de l'Europe, particulièrement vis-à-vis des pays de l'ancienne URSS ;

- enfin, l'élargissement devrait aggraver la dépendance de l'Union européenne pour le charbon, car plusieurs candidats réduisent leur production pour des raisons environnementales. Le principal d'entre eux, la Pologne, devrait ainsi perdre bientôt son auto-dépendance pour le charbon.

4. Les conséquences économiques

Indépendamment du problème déjà évoqué des prix du pétrole, le Livre vert devrait aborder d'autres sujets d'inquiétude :

- le renchérissement des coûts de production, car la nécessité de se fournir en gaz naturel dans des pays plus éloignés augmentera les coûts d'approvisionnement ;

- les risques de distorsion de concurrence liés à l'incohérence de la fiscalité de l'énergie. Il existe des différences non seulement entre les Etats membres, mais aussi de taxation selon les produits énergétiques, voire, pour un même produit et un même Etat, selon l'usage qui en est fait. Or, le maintien de l'unanimité au Conseil pour les décisions en matière fiscale ne laisse pas espérer d'harmonisation rapide.

5. Les risques de rupture de stocks

Le Livre vert devrait évoquer les risques d'une interruption de l'approvisionnement énergétique de l'Europe.

La dépendance croissante de l'Union à l'égard des importations énergétiques la rendra plus sensible aux événements extérieurs. Ce que j'ai dit plus haut pour le pétrole est aussi vrai, quoique le risque soit moins élevé, pour le gaz ou l'uranium.

II - Les solutions susceptibles d'être avancées par la Commission

Dans sa communication au Conseil européen de Biarritz sur l'approvisionnement pétrolier de l'Union européenne, la Commission a annoncé son intention de présenter, lors du Conseil européen de Göteborg de juin 2001, " un plan d'économies et de diversification d'énergie abordant tant l'amélioration de l'efficacité énergétique - notamment dans les bâtiments - que le soutien au développement d'une nouvelle génération de véhicules ". C'est donc par une politique essentiellement axée sur la demande que la Commission compte agir, même si des efforts sont prévus sur l'offre, notamment par la promotion de techniques plus respectueuses de l'environnement.

1. Le souhait de réduire la demande globale d'énergie

·  La Commission a d'ores et déjà annoncé son intention de proposer une réglementation sur les économies d'énergie dans les bâtiments " qui remplacera les mesures simplement indicatives et relativement inefficaces prises jusqu'à présent sur le plan communautaire ".

·  La Commission évoque aussi la possibilité de recourir à la fiscalité pour réduire la demande d'énergie. Elle suggère en particulier qu'un effort soutenu soit entrepris dans le sens d'un rapprochement des droits d'accises sur les carburants, notamment en relevant les taux minima.

·  Une action pourrait aussi être entreprise pour améliorer la productivité de l'énergie. Le Livre vert devrait notamment plaider pour un recours accru aux nouvelles technologies afin de fabriquer des produits, par exemple des voitures, qui consommeraient moins d'énergie qu'avec les techniques traditionnelles.

2. La recherche d'une nouvelle répartition de la demande entre les sources d'énergie traditionnelles

·  Cette nouvelle répartition passe d'abord par ce que la Commission appelle la " réduction de l'intensité pétrolière de l'économie européenne ". Même si cette intensité s'est sensiblement réduite depuis 1973, la Commission souhaite poursuivre dans la voie d'un remplacement progressif du pétrole par d'autres sources d'énergie. Cela passe notamment à ses yeux par un " rééquilibrage des modes de transport, en particulier pour le fret, au profit notamment du rail et du transport maritime à courte distance, par la rationalisation de l'utilisation de la voiture individuelle dans les centres urbains et la promotion de transports urbains propres ".

·  Par ailleurs, le Livre vert pourrait plaider pour une réhabilitation du charbon, qui présente le double avantage d'avoir des prix stables, au demeurant six fois moins élevés que ceux du pétrole, et d'être abondant en Europe. Dans cette perspective, compte tenu des coûts d'extraction du charbon, la possibilité d'aides d'Etat pourrait être admise. Quant aux inconvénients du charbon pour l'environnement, ils pourraient être sensiblement réduits grâce aux nouvelles technologies : chaudières " propres " pour le chauffage domestique, centrales à lit fluidisé pour la production d'électricité.

·  En ce qui concerne le gaz, le Livre vert devrait moins axer sa réflexion sur des considérations quantitatives, consistant à essayer de déterminer s'il faut augmenter ou réduire la demande, que sur des considérations qualitatives. En effet, l'Europe pourrait recourir davantage au gaz liquéfié pour diminuer ses coûts d'approvisionnement par rapport aux gazoducs et, surtout, permettre une diversification géographique de l'approvisionnement car le gaz liquéfié peut être importé de pays fort lointains.

·  Enfin, et j'ai gardé le meilleur pour la fin, le Livre vert abordera la question de l'énergie nucléaire. La Commission, tout en soulignant prudemment le caractère éminemment politique de l'option nucléaire, devrait adopter une approche plutôt bienveillante, en récapitulant les multiples arguments avancés en faveur du développement, ou au moins du maintien à son niveau actuel, de cette source d'énergie :

- l'importance des réserves d'uranium en Europe qui, avec la filière des surgénérateurs, suffiraient à produire de l'électricité au niveau actuel pour une durée bien supérieure à 2 500 années ; quant aux réserves extérieures à l'Union européenne, elles sont situées dans des zones beaucoup plus diversifiées et politiquement stables que les réserves de pétrole ou de gaz ;

- l'intérêt du nucléaire pour l'environnement, car l'abandon progressif des centrales existantes rendrait l'objectif de Kyoto beaucoup plus difficile à atteindre, puisqu'il équivaudrait à une augmentation mécanique de 12 % des émissions de CO2 par rapport à leur niveau de 1990. Le Livre vert pourrait donc s'avancer jusqu'à proposer, pour les Etats membres qui ont décidé de ne plus construire de centrales, de réfléchir à étendre la durée de vie du parc existant, comme le font les Etats-Unis ;

- enfin, le Livre vert devrait attirer l'attention sur la durée, fort longue, nécessaire au lancement d'une centrale nucléaire. Cette observation serait un discret avertissement à destination des Etats membres qui ont décidé un moratoire sur la construction de nouvelles centrales, comme l'Espagne et la Belgique, ou qui tardent à prendre les décisions nécessaires au renouvellement de leur parc actuel de centrales, comme la France.

3. Mettre les technologies nouvelles au service d'une énergie plus propre

Bien sûr, le Livre vert évoquera les perspectives ouvertes par les progrès technologiques, que se soit pour rendre plus " propres " les formes traditionnelles d'énergie, ou que se soit pour développer de nouvelles sources d'énergie peu ou pas utilisées jusqu'à présent.

La Commission a déjà pris des initiatives pour développer les énergies renouvelables, que j'ai récemment évoquées dans mon rapport d'information sur l'énergie nucléaire en Europe.

Le Livre vert devrait insister notamment sur les potentialités offertes par l'hydrogène, qui pourrait être l'énergie du XXIe siècle si les potentialités de la pile à combustible se concrétisent.

Ainsi que vous pouvez le voir, les réflexions de la Commission européenne sur ce que pourrait être une politique communautaire de l'approvisionnement énergétique rejoignent sur de nombreux points les préoccupations de notre délégation.

Lorsque le Livre vert sera officiellement adopté, la Commission, selon son habitude, sollicitera très largement les commentaires et les observations. Je vous propose donc de revenir devant vous à ce moment là, pour que nous prenions position sur ce sujet, tout en ménageant au mieux la chèvre écologiste et le chou nucléaire.

Compte rendu sommaire du débat

M. Lucien Lanier :

Je partage entièrement le point de vue du rapporteur et trouve particulièrement intéressants les chiffres qu'il avance. Il faut toujours partir des faits pour répondre aux objections idéologiques faites au nucléaire. Je m'étonne qu'aucune voix, lors de la crise pétrolière qui s'est dernièrement déclenchée, ne se soit élevée pour rappeler ce genre d'évidences. Le pétrole peut déstabiliser l'Europe entière en un jour, et servir d'arme politique.

Que peut-on faire pour sortir de son apathie le débat actuel sur les choix énergétiques ?

Il faut prouver par A + B la pertinence du nucléaire, énergie propre et dont les risques restent infimes. Tchernobyl a été une catastrophe majeure, certes, mais qui s'explique par l'impéritie des responsables de la centrale. Il faut également que la France s'explique franchement avec l'Allemagne. Je ne comprends pas qu'un homme intelligent comme le chancelier Schroeder, pour des raisons politiques, condamne l'énergie des années à venir. Il faut enfin être clair sur les faiblesses des solutions alternatives. Si l'on prend l'exemple des éoliennes, cette technologie est encore pour l'instant peu fiable et d'un coût prohibitif. J'ai également entendu dire que les investissements considérables faits par l'Allemagne en faveur des plaques photovoltaïques incluses dans les bâtiments seraient un fiasco. C'est un point qui mérite d'être vérifié.

Enfin, sur le prix du pétrole, je relève que le rapporteur rejoint le point de vue de Raymond Barre, qui s'est prononcé en faveur d'un baril à 25 dollars.

M. Aymeri de Montesquiou :

Effectivement, j'estime légitime de ne pas trop réduire les revenus des Etats exportateurs de pétrole, qui contribuent à l'accroissement général des flux commerciaux.

M. Jean-Pierre Emin :

L'approche de notre rapporteur sera un jour admise par tous. Je suis convaincu que son " prosélytisme " en faveur du nucléaire finira par être reconnu ; c'est même l'un des rares domaines où je me permettrais d'avoir des certitudes.

J'attire votre attention sur le projet d'extension de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), qui est actuellement en discussion au Parlement. Cette taxe a été créée en l'absence d'un cadre européen commun. La France agit ainsi " en cavalier seul " dans un domaine très sensible pour son industrie, qui se trouvera pénalisée même si l'énergie qu'elle consomme n'est pas polluante. En effet, l'assiette de la TGAP est la valeur ajoutée, c'est-à-dire qu'elle ne fait pas de différence selon que l'électricité est d'origine nucléaire ou thermique. Dans certains secteurs, elle pourrait être d'un niveau supérieur au taux moyen de bénéfice.

M. Hubert Haenel :

M. de Montesquiou, n'hésitez pas à aborder ce sujet aussi souvent que nécessaire devant notre délégation, ni à intervenir en temps et en heure dans d'autres enceintes à l'intérieur comme à l'extérieur du Sénat.

M. Aymeri de Montesquiou :

Il est effectivement essentiel d'agir à temps en matière de choix énergétiques. Ainsi, dans le cas du projet de réacteur nucléaire de la prochaine génération, l'European Pressurized Reactor (EPR), si l'on veut être opérationnel en 2020, il faut décider au plus tard en 2002 de lancer une tête de série. Mais je crains que la perspective des élections présidentielles ne bloque toute décision, au moins jusqu'à cette date.


Justice et affaires intérieures

Communication de M. Hubert Haenel sur Eurojust

Le Conseil européen de Tampere, des 15 et 16 octobre 1999, a décidé la création d'Eurojust, afin de renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité organisée.

Selon les termes des conclusions adoptées par les chefs d'Etat et de gouvernement, " Eurojust sera une unité composée de procureurs, de magistrats ou d'officiers de police ayant des compétences équivalentes détachés par chaque Etat membre (...). Eurojust aura pour mission de contribuer à une bonne coordination entre les autorités nationales chargées des poursuites et d'apporter son concours dans les enquêtes relatives aux affaires de criminalité organisée, notamment sur la base de l'analyse effectuée par Europol. Cette unité devra aussi coopérer étroitement avec le Réseau judiciaire européen, afin, notamment de simplifier l'exécution des commissions rogatoires ". Le Conseil européen demandait au Conseil des ministres de l'Union européenne d'adopter cet instrument juridique avant la fin de l'année 2001.

Le Parlement français est donc saisi, en application de l'article 88-4 de la Constitution, de deux propositions de décision qui ont le même objet puisqu'elles visent toutes les deux à la création d'Eurojust. L'une est une initiative de la République fédérale d'Allemagne, l'autre est une initiative conjointe des quatre Etats appelés à assurer la présidence de l'Union européenne en 2000 et 2001. Il s'agit du Portugal, de la France, de la Suède et de la Belgique.

Je vais donc commencer par vous présenter brièvement le contenu de ces deux propositions, avant de vous donner mon sentiment.

I - LA PROPOSITION PRESENTÉE PAR LES QUATRE ETATS DONT LA FRANCE

Cette proposition fixe les objectifs d'Eurojust, son mode de fonctionnement et prévoit des garanties pour la protection des droits des citoyens.

1. Les objectifs d'Eurojust

·  La proposition prévoit qu'Eurojust a pour mission d'améliorer et de faciliter la coopération des organes d'enquête et de poursuites des Etats membres, en ce qui concerne la lutte contre les formes graves de criminalité organisée et transnationale.

Elle subordonne l'intervention d'Eurojust à une double condition.

- d'une part, qu'au moins deux Etats membres soient affectés par ces formes de criminalité ;

- d'autre part, qu'une coordination soit utile en terme d'efficacité.

·  Le champ de compétence d'Eurojust est déterminé par référence aux " formes graves de criminalité organisée et transnationale ", et par référence aux compétences d'Europol.

Ainsi, la proposition prévoit que le champ de compétence d'Eurojust recouvre : les types de criminalité et les infractions pour lesquelles Europol est compétent, principalement la traite des êtres humains, les actes de terrorisme, la protection de l'euro, la criminalité informatique, la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, le blanchiment de l'argent du crime, et les autres formes de criminalité en lien avec ces infractions.

Cette dernière compétence vise à prendre en compte la nature complexe des investigations à l'occasion desquelles il peut être nécessaire d'étendre les recherches à des infractions de moindre importance (comme l'usage ou la falsification de documents administratifs) mais ayant un lien avec les faits principaux les plus graves.

·  Les attributions d'Eurojust recouvrent quatre domaines :

- Eurojust pourrait demander à un Etat membre de lancer des investigations et des poursuites ou d'éviter les doubles poursuites. Cette demande n'aurait pas un caractère contraignant, mais l'Etat membre qui la refuse devrait en informer Eurojust par une décision motivée ;

- Eurojust pourrait également apprécier l'opportunité d'une coordination et assister matériellement les Etats membres par des réunions ;

- Eurojust contribuerait aussi à simplifier l'exécution des commissions rogatoires ;

- enfin, Eurojust aurait pour mission d'assurer l'information réciproque des Etats membres, leur apporter les informations juridiques et pratiques dont ils pourraient avoir besoin, ainsi que de rendre des avis juridiques à la demande d'Europol.

On peut déjà constater la modestie de ces attributions, qui pourtant sont plus ambitieuses que celles contenues dans la proposition allemande.

2. Le fonctionnement d'Eurojust

·  Eurojust serait composé d'un membre national par Etat membre ayant la qualité de procureur, de magistrat ou d'officier de police, ayant des prérogatives équivalentes.

Chaque Etat membre pourrait également désigner un correspondant national d'Eurojust.

Chaque Etat membre définirait la nature et l'étendue des pouvoirs qu'il accorde au membre d'Eurojust qu'il désigne, mais celui-ci devrait, en tout état de cause, être habilité à consulter les casiers judiciaires établis dans son Etat d'origine et le système d'information Schengen.

·  Eurojust serait doté de la personnalité juridique afin de lui assurer l'autonomie nécessaire à l'accomplissement de son mandat. Il adopterait son propre règlement intérieur.

Il serait appelé à fonctionner de manière collégiale sous la conduite d'un président et de deux vice-présidents, désignés pour un mandat de quatre ans par le Conseil.

Outre les membres nationaux, d'autres agents seraient affectés par le Conseil à Eurojust, en respectant un certain équilibre pour la représentation de chaque Etat membre.

·  Le financement d'Eurojust serait assuré à la fois par les Etats membres et par le budget de la Communauté européenne. Ce dernier pourrait prendre en charge les dépenses à caractère opérationnel alors que les salaires et émoluments des membres nationaux seraient à la charge des Etats membres d'origine.

La proposition n'évoque toutefois ni le siège d'Eurojust, ni son régime linguistique.

·  Eurojust entretiendrait des " relations étroites " avec Europol, d'une part, et avec le Réseau judiciaire européen, d'autre part. Mais la proposition apporte peu de précisions sur ces points.

Quant aux relations avec l'Office de lutte anti-fraude (OLAF) et les magistrats de liaison, elles ne sont envisagées que comme des possibilités devant être examinées au cas par cas.

Le Réseau judiciaire européen, créé en 1998, vise à faciliter les demandes d'entraide judiciaire relatives aux formes graves de criminalité. Il prévoit la désignation, au niveau de chaque Etat, de points de contact et la création d'un système de télécommunications par lequel circuleront toutes les informations destinées aux magistrats. Les magistrats de liaison sont, eux, des magistrats détachés auprès des autorités judiciaires centrales d'autres Etats pour faciliter la coopération pénale.

3. Les garanties pour la protection des droits fondamentaux des citoyens

La proposition prévoit deux sortes de garanties :

- d'une part, les membres nationaux d'Eurojust resteraient soumis au droit national de leur Etat d'origine, de même que les correspondants nationaux ;

- d'autre part, la proposition institue une protection des informations à caractère personnel.

En effet, les affaires sur lesquelles Eurojust serait amené à intervenir seraient traitées avec des indications permettant d'identifier les faits et les personnes. Ces informations devraient être adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités d'Eurojust. Elles seraient protégées et ne seraient accessibles qu'aux membres nationaux et aux personnes habilitées. Ces personnes seraient soumises à une obligation générale de confidentialité, de même que tous les organismes appelés à travailler avec Eurojust.

II - LA PROPOSITION ALLEMANDE

La proposition allemande se veut une contribution au débat relatif à la création d'Eurojust. Elle présente cependant une grande différence avec la proposition précédente.

Selon la proposition allemande, le rôle principal d'Eurojust serait de permettre aux autorités nationales chargées des enquêtes d'obtenir, dans leur langue, des renseignements pour leurs enquêtes. Le projet de décision ne confère donc pas à Eurojust de compétences propres en matière d'enquêtes ou de décisions. Eurojust a plutôt vocation à devenir une " table ronde " européenne des poursuites pénales permettant de faire connaître et de transposer les expériences des uns et des autres.

Tout d'abord, Eurojust ne serait composé que de fonctionnaires de liaison. Son champ de compétence serait ensuite réduit à deux types d'infractions : celles particulièrement graves dont la répression peut nécessiter le recours à l'entraide judiciaire et celles qui portent atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne.

En ce qui concerne les attributions d'Eurojust, elles seraient limitées à quatre fonctions :

- une fonction de transmission d'information entre Etats membres, ainsi qu'à la Commission européenne et à Europol ;

- un rôle de conseil juridique destiné à Europol ;

- un pôle d'échange d'expériences entre Etats pour la lutte transfrontalière contre les infractions ;

- un rôle de documentation et de traduction.

En ce qui concerne le fonctionnement et le financement de cette unité, la proposition est pour le moins succincte. En effet, elle ne précise ni le budget, ni le siège de cette structure, ni même son mode de fonctionnement. Elle prévoit seulement que le secrétariat général du Conseil met à la disposition de celle-ci les moyens humains et matériels nécessaires et que les dépenses seront à la charge des Etats membres.

Par ailleurs, la proposition n'évoque pas les garanties pour les citoyens en matière de protection des droits fondamentaux.

Mais surtout, la simplification de l'exécution des commissions rogatoires, qu'appelait de ses voeux le point 46 des conclusions du Conseil européen de Tampere, et qui constitue un des éléments essentiels de la coopération judiciaire pénale européenne, ne figure pas dans la proposition allemande.

Ainsi, on ne peut que constater que cette initiative est beaucoup plus modeste que la précédente.

III -  MON SENTIMENT : LES PRÉSENTES PROPOSITIONS CONSTITUENT UN PREMIER PAS, MAIS IL FAUDRAIT ALLER BEAUCOUP PLUS LOIN

Je voudrais, tout d'abord, préciser que l'on se situe dans la toute première étape de la création d'Eurojust. Ce n'est qu'à l'horizon de l'année 2002 que celui-ci doit entrer en fonction, et, d'ici là, ces deux propositions seront amenées à évoluer, voire à fusionner, en fonction des négociations entre Etats.

Pour l'instant, les négociations ont principalement porté sur la création d'une unité provisoire " Eurojust " résultant d'une troisième proposition. Cette dernière, également déposée par le Portugal, la France, la Suède et la Belgique, n'a pas été considérée comme ayant un caractère législatif par le Conseil d'Etat, et n'a donc pas été transmise par le Gouvernement français aux assemblées dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution.

Pour autant, il me semble important qu'à ce stade préliminaire le Sénat prenne position sur ce sujet important.

Je me détacherai donc, quelque peu, du contenu des deux propositions, pour vous présenter mon opinion sur ce que ne doit pas être Eurojust, sur ce qu'il devrait être lors de sa création, et ce qu'il pourrait devenir à terme.

1. Ce que ne doit pas être Eurojust : une simple " boîte aux lettres "

Le scénario minimal consisterait à voir dans Eurojust uniquement un centre de documentation et d'échange d'informations.

Ce scénario correspond, à peu de choses près, à la proposition allemande. Ceci pour une raison simple : le Gouvernement allemand est soumis à la pression des länders, jaloux de leurs prérogatives en général et de leurs compétences judiciaires en particulier.

Je pense cependant que cette vision ne correspond ni aux attentes des citoyens, ni aux nécessités ressenties par les juges nationaux.

De plus, l'utilité même d'Eurojust serait alors discutable, puisqu'il existe déjà des magistrats de liaison et un Réseau judiciaire européen.

Il faut donc aller au-delà et respecter l'ambition affichée lors du Conseil européen de Tampere.

Il est nécessaire, en particulier, de conférer à Eurojust des compétences en matière de coordination des enquêtes et de simplification des commissions rogatoires.

2. Ce qu'Eurojust doit être dès l'origine

·  Au moment où l'Union européenne se dote, enfin, d'une Charte des droits fondamentaux, il convient, tout d'abord, d'affirmer clairement que l'Europe de la sécurité doit se fonder sur le respect des valeurs et des droits proclamés.

C'est la raison pour laquelle des garanties pour la protection des droits fondamentaux des citoyens, en particulier dans le domaine des fichiers informatisés, me semblent indispensables.

·  Par ailleurs, il me semble nécessaire qu'Eurojust puisse faire des propositions pour améliorer la coopération en matière de lutte contre la criminalité organisée transfrontalière.

·  Il convient également de clarifier les relations entre Eurojust et les différents instruments déjà existants dans le domaine de la coopération judiciaire, pour éviter le risque de doublons. Ainsi, en ce qui concerne les relations avec le Réseau judiciaire européen en matière de simplification des commissions rogatoires, on peut considérer qu'Eurojust devrait s'occuper de la partie directement opérationnelle des investigations transfrontalières, alors que la partie non opérationnelle (information, formalités) devrait revenir au Réseau judiciaire européen.

·  Enfin, je voudrais souligner un point important. Il convient, d'après moi, de veiller à ce que tous les membres nationaux d'Eurojust se voient accorder des compétences équivalentes, aussi importantes que possible, par les Etats qui les désignent, pour éviter tout risque d'asymétrie et de paralysie.

3. Ce que pourrait devenir Eurojust à terme

L'idée qui sous-tendait la création d'Eurojust a été, dès l'origine, étroitement liée à Europol. Le terme " Eurojust " en constitue, d'ailleurs, la meilleure preuve.

Cependant, les deux propositions restent très ambiguës sur les relations qu'entretiendront les deux organes. Ainsi, si le champ de compétence d'Eurojust est fixé par référence à celui d'Europol, elles semblent néanmoins exclure tout lien fonctionnel ou organique, et, en particulier, toute relation hiérarchique de l'un sur l'autre.

Or, il me semble important que les autorités répressives soient responsables devant les autorités judiciaires et la situation d'Europol me semble préoccupante, en raison de l'absence de tout contrôle sur cet organisme, alors même qu'il joue un rôle de plus en plus étendu et se voit accorder des pouvoirs accrus, par exemple en matière de lutte contre le blanchiment d'argent.

Face à ce problème, on peut donc s'interroger sur l'instrument de contrôle d'Europol qui serait le plus adapté. L'idée d'un prolongement judicaire d'Europol par Eurojust, inspirée du modèle français du parquet, se heurte toutefois aux fortes réticences des Etats qui ne connaissent pas ce modèle.

Mais je voudrais, sur ce point, souligner une première avancée, puisque Eurojust jouera le rôle d'un conseil juridique vis-à-vis d'Europol.

Certes, il importe qu'Eurojust entre, d'abord, dans une phase de rodage, avant de lui voir attribuer des compétences plus importantes. En un mot, qu'il fasse ses preuves. Mais, pour cela, il faut, dès le départ, afficher plus d'ambition que les présentes propositions.

Comme le soulignait l'excellent rapport de notre collègue Pierre Fauchon, sur l'espace judiciaire européen, une certaine unification des règles et des procédures pénales, notamment ce qui concerne la criminalité transfrontalière, serait une réponse efficace au défi que représente la criminalité organisée, dans l'Union européenne et, surtout, dans son antichambre et à ses frontières.

A cet égard, je voudrais souligner la contribution que pourrait apporter la Conférence des Organes Spécialisés dans les Affaires communautaires (COSAC) dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Plusieurs délégations de parlements nationaux ont, d'ailleurs, proposé lors de la réunion de la COSAC le 17 octobre dernier, la constitution d'un groupe de travail sur l'espace judiciaire européen.

A supposer qu'un tel objectif ne fasse pas l'unanimité au sein des Etats membres, on peut souligner l'intérêt d'un dispositif de " coopération renforcée " en la matière.

Par ailleurs, la Commission européenne vient de proposer la création d'un procureur européen indépendant chargé de la protection des intérêts financiers de la Communautés.

Cette proposition, toute séduisante qu'elle puisse être, me paraît soulever davantage de problèmes qu'elle n'en résout. Faut-il créer un nouvel organe communautaire qui ne serait responsable devant aucune autorité ? Comment pourrait-on lui assurer une légitimité incontestable ? Ne risquerait-on pas de compliquer encore plus la séparation des pouvoirs au niveau de l'Union européenne en mêlant le judiciaire à l'exécutif et à l'administratif représentés par la Commission ?

Il serait souhaitable que, dans le cadre d'un débat devant le Parlement, le Gouvernement explique le rôle et la place qu'il souhaite voir reconnaître dans l'avenir à Eurojust et présente les dispositions juridiques qui seraient susceptibles d'assurer sa légitimité et sa responsabilité.

Compte rendu sommaire du débat
consécutif à la communication

M. Lucien Lanier :

La question majeure que soulèvent, selon moi, ces propositions est celle qui concerne la manière d'organiser les relations entre Eurojust et Europol.

M. Pierre Fauchon :

Eurojust constitue un sujet très important. Or, je considère que les présentes propositions ne sont que de la " poudre aux yeux ". Elles sont une façon commode, pour les gouvernements, de dissimuler leur passivité volontaire. Certes, ces propositions donneront l'occasion à certains magistrats de se rencontrer. Mais cela présentera un intérêt uniquement touristique et ne résoudra en rien le problème de la criminalité organisée.

Comme l'ont souligné, à de nombreuses reprises, tant des magistrats, que des personnalités, comme Mme le Professeur Delmas Marty, il faut parvenir, dans le domaine de la criminalité transfrontalière, à des règles pénales identiques, à une procédure pénale unifiée, ainsi qu'à la mise en place d'une autorité responsable des poursuites pénales qui soit rattachée à une autorité légitime.

Cette autorité légitime pourrait être une sorte de " Conseil supérieur de la magistrature " par exemple.

Quant à l'autorité responsable des poursuites, elle ne se substituerait pas aux parquets nationaux, mais aurait pour fonction d'impulser, d'animer et de coordonner les poursuites.

Face à l'absence de réelle avancée contenue dans ces propositions, je crois donc que la délégation devrait s'abstenir de s'y associer, en refusant d'examiner les présentes propositions. La délégation pourrait adopter une résolution pour expliquer ce choix et faire des propositions.

On pourrait également suggérer au Gouvernement de recourir à la méthode interparlementaire qui a fait ses preuves pour l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux. Je compte d'ailleurs évoquer cette idée d'une convention pour aboutir à un " corpus juris ", lors de la réunion de la prochaine COSAC.

Je pense qu'il est dans l'intérêt de la Haute assemblée qu'elle se manifeste avec vigueur sur cette affaire. Le Sénat devrait demander au Gouvernement de prendre les mesures appropriées pour lutter contre des phénomènes comme la criminalité organisée, la drogue, le blanchiment d'argent ou la traite des êtres humains, auxquels l'opinion publique est très sensible.

Je suis prêt, néanmoins, à souscrire à la proposition de résolution proposée par le Président. Je proposerai seulement deux modifications :

- tout d'abord, pour dire que les propositions présentées ne répondent pas au défi de la criminalité organisée ;

- ensuite, j'insérerai une référence " à la constitution d'une autorité responsable des poursuites ", soit à l'idée d'un ministère public européen.

M. Hubert Haenel :

J'observe que la délégation est d'accord pour intégrer ces modifications dans la proposition de résolution.

A l'issue du débat, la délégation a conclu, à l'unanimité, au dépôt d'une proposition de résolution dans les termes suivants :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision du Conseil relative à la création d'une unité Eurojust, à l'initiative de la République fédérale d'Allemagne (E 1479),

Vu la proposition des gouvernements de la République portugaise, de la République française, du Royaume de Suède et du Royaume de Belgique, visant à faire adopter par le Conseil une décision instituant Eurojust (E 1509),

1. Considère que la conception d'Eurojust qui sous-tend les propositions E 1479 et E 1509 est très en deçà du texte et de l'esprit des conclusions du Conseil européen de Tampere, et, a fortiori, des exigences d'une prise en compte réaliste des nécessités d'une lutte efficace contre la criminalité organisée transfrontalière ;

Demande donc au gouvernement :

2.  de définir le domaine d'intervention d'Eurojust en fonction des champs d'investigation offerts à la coopération policière dans le cadre d'Europol et à la protection des intérêts financiers dans le cadre de l'OLAF ;

3. d'affirmer le rôle d'Eurojust en tant qu'unité juridique autonome et collégiale ;

4. de veiller à ce que tous les membres nationaux d'Eurojust se voient accorder des compétences équivalentes par les Etats qui les désignent  ;

5. de voir reconnaître à Eurojust un rôle opérationnel pour les investigations transfrontalières entrant dans son champ de compétences ;

6. de faire d'Eurojust, une instance de proposition pour l'amélioration de la lutte contre la criminalité organisée transfrontalière ;

7. de prendre des initiatives en vue de parvenir, pour les formes graves de criminalité transfrontalière, à la constitution d'une autorité responsable des poursuites et à la définition commune des règles et procédures pénales nécessaires à la mise en oeuvre efficace des poursuites et des enquêtes ;

8. d'expliquer au Parlement le rôle et la place qu'il souhaite voir reconnaître dans l'avenir à Eurojust et de préciser la construction juridique qui serait susceptible de lui assurer légitimité et responsabilité.


Energie

Communication de M. Lucien Lanier
sur les dispositions relatives à l'heure d'été (E 1568)

En octobre 1996, voici quatre ans déjà, notre collègue Philippe François nous avait présenté un rapport d'information concernant l'heure d'été. En effet, le Gouvernement d'alors envisageait de modifier, voire de supprimer un système consistant, deux fois l'an, à retarder ou à avancer nos pendules d'une heure, et qui nous conduit à être en avance d'une heure en hiver sur l'heure solaire et de deux heures en été.

L'Assemblée nationale avait également reçu, dans le même temps, le rapport de M. François-Michel Gonnot, parlementaire en mission, sur le sujet.

Il s'est trouvé alors que, par ces deux rapports, le Sénat et l'Assemblée concluaient dans un sens identique au peu de nécessité qu'il y avait à laisser se perpétuer un dispositif perturbant pour la continuité de rythme des êtres et des choses, et dont l'argument clef, à savoir l'économie d'énergie, avait en grande partie perdu de son intérêt et de sa valeur.

Bref, notre collègue Philippe François nous avait démontré qu'à l'évidence, la question du choix de l'heure nationale relevait de la compétence de chacun des Etats membres, et qu'en l'occurrence s'appliquerait le principe de subsidiarité, fort débattu à l'époque.

Tout en l'admettant, la Commission européenne souhaitait, non sans raison également, à tout le moins, harmoniser l'action des pays membres adhérant au système de l'heure d'été.

C'est en ce sens que, dès juillet 1997, une directive (la huitième sur ce thème) du Parlement européen et du Conseil reconduisait pour une période de quatre ans - de 1998 à 2001 - les dispositions par lesquelles l'heure d'été commence le dernier dimanche de mars pour se terminer le dernier dimanche d'octobre dans tous les pays membres, sans exception.

Ajoutons que, pour mieux affirmer cette décision, les Etats membres refusaient à très large majorité d'insérer dans la directive toute possibilité de dérogation pouvant permettre à un Etat membre de ne pas appliquer le régime d'heure d'été, ainsi caporalisé. C'est-à-dire que les Etats membres étaient, selon l'interprétation de la directive, dans l'obligation d'appliquer à la fois un régime d'heure d'été, et un calendrier commun pour la fixation des périodes de l'heure d'été.

Tout cela aurait été fort clair, répondant au voeu, au demeurant louable, de la Commission d'unifier dans l'Union le système de l'heure d'été, si ce n'est que la directive, subissant le penchant des textes internationaux pour ménager la chèvre et le chou, reconnaissait " qu'en vertu du principe de subsidiarité, la fixation de l'heure en vigueur dans chacun des Etats membres relève d'une décision purement nationale ".Mais qu'en s'opposant à toute dérogation, les Etats avaient, a contrario, imposé le système de l'heure d'été dans sa totalité, effaçant ainsi en l'occurrence tout appel à la subsidiarité. Considération pour le moins spécieuse, reconnaissons-le.

Et pour mieux étayer le bien-fondé de sa thèse, la Commission commanditait l'élaboration d'un rapport d'information sur les avantages et les inconvénients du système de l'heure d'été.

*

Nous voici maintenant à l'heure de vérité, à la fin de la période prorogeant le système pour quatre ans jusqu'en 2001.

Cela conduit aujourd'hui la Commission à proposer la prolongation du système - sans désormais le limiter dans le temps à une seule période probatoire - de l'heure d'été, espérant ainsi le rendre définitif, autant que cohérent, au sein de l'Union.

Pour ce faire, la Commission s'appuie sur le fameux rapport d'information déposé en mars 1999, après appel d'offres, par un consultant indépendant. Ce rapport, très dense, s'est voulu complet dans son étude des impacts de l'heure d'été sur l'ensemble des questions économiques et sociales.

Malheureusement, ledit rapport apparaît fort scolastique et, pourquoi ne pas le dire, passablement " diafoirique ". A force d'analyses très techniques, le pour et le contre s'annihilent dans des conclusions incertaines.

A titre d'exemple, concernant l'agriculture, le rapport conclut - je me contente d'en extraire quelques citations - " Malheureusement, l'absence de données détaillées, le faible taux de réponse au questionnaire, ne permet pas de conclure avec certitude sur une prédominance d'effets négatifs ou positifs sur ce secteur. " Ce qui signifie en clair que l'heure d'été agit différemment entre le nord et le sud, l'est et l'ouest, et que les vaches, même bien gardées, ne réagissent pas de la même façon selon qu'elles sont autrichiennes, allemandes ou écossaises.

Autre exemple concernant l'environnement : le rapport d'information s'engage à fond dans l'étude de la pollution et de la formation d'ozone, pour conclure " qu'une diminution de la quantité d'hydrocarbures entraînera une diminution du taux d'ozone, et que pendant la nuit les concentrations d'ozone sont à leur minimum ". Que n'a-t-on confié le rapport à M. de La Palice ?

Il est vrai, ajoute prudemment le rapporteur, " qu'il existe peu d'études scientifiques détaillées sur le sujet et que les conclusions divergent largement d'une école l'autre ".

On ne saurait être plus précis dans le flou, ce qui permet d'écrire encore que " les mécanismes sous-jacents aux effets produits par la pollution ne sont pas encore bien compris... il semble bien difficile, voire impossible, de tirer des conclusions concernant un impact direct de l'heure d'été sur l'environnement... ".

Mais, trêve d'ironie et de critique, pour ne retenir que l'honnêteté du rapporteur quant à ses conclusions. Car tout n'est pas médiocre dans cet illustre rapport. Nous apprenons en effet que, concernant le problème crucial des économies d'énergie qui est à l'origine du système heure d'été, les économies sont en réalité très limitées, quoique variables selon les Etats et, bien sûr, leur situation géographique. L'énergie économisée serait en moyenne de 0,3 %, et en termes financiers évaluée entre 2 à 2,7 milliards d'euros. Faut-il, là encore, citer le rapporteur : " ... il ne semble pas possible d'aboutir à des résultats offrant une réelle fiabilité et précision ".

Les résultats de l'enquête sont tout aussi flous concernant la santé et la sécurité routière, même s'ils donnent lieu à une étude poussée sur l'influence de la mélatonine dans la fonction du sommeil.

En définitive, le rapport d'information n'est vraiment favorable à l'heure d'été que concernant les loisirs.

Pour ce qui est du tourisme et des transports, le système heure d'été inclut des modifications fréquentes d'horaires suivant les changements de calendrier qui se traduisent souvent par un véritable casse-tête. La Commission en tire la conclusion qu'il est impératif d'harmoniser les créneaux horaires. L'exemple des compagnies d'aviation est à cet égard patent.

Disons en conclusion que le fameux rapport sur lequel s'appuient les convictions de la Commission ne peut vraiment servir car il n'emporte notre conviction ni dans un sens ni dans l'autre.

Toutefois, la Commission propose la prolongation du système de changement d'heures deux fois par an - sans le limiter par une nouvelle période probatoire - et le rend définitif et surtout imposable sans dérogation, aux Etats membres autant qu'aux Etats candidats. Ainsi la période de l'heure d'été commencera le dernier dimanche de mars pour s'achever le dernier dimanche d'octobre.

Pour mettre un bémol, la Commission propose d'élaborer tous les cinq ans un calendrier daté, et surtout la présentation d'ici à 2008 d'un nouveau rapport d'information... De quoi rouvrir éternellement le débat.

Ces dernières propositions sont, semble-t-il, sans cohérence avec le souci, compréhensible en soi, de la Commission d'en finir une bonne fois avec ce sujet de l'heure d'été, en créant le pouvoir de l'imposer uniformément aux nouveaux membres nés de l'élargissement à venir. Sans dénigrer les motivations très administratives de la Commission, ne peut-on penser qu'un soin plus attentif devrait être porté à la différence des situations géographiques et des fuseaux horaires ?

C'est pourquoi la position pérenne du Sénat à cet égard a toujours été beaucoup plus nuancée afin de serrer au maximum le bon sens ; c'est aussi ce que conclut la proposition de résolution qui vous est soumise.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Avant d'ouvrir le débat, je vous précise que, selon une appréciation constante du Conseil d'Etat, la fixation de l'heure ne relève pas du domaine législatif. C'est pourquoi il ne nous avait pas été possible de déposer, ni a fortiori d'adopter, une résolution sur la proposition de directive de 1996. Toutefois, la révision constitutionnelle de janvier 1999 a introduit, dans l'article 88-4 de la Constitution, la clause qui permet au Gouvernement de soumettre à l'Assemblée nationale et au Sénat les textes européens qui ne comportent pas de dispositions de nature législative. Sachant l'intérêt que le Sénat avait porté à cette question par le passé, j'ai fait part au Gouvernement de notre souhait que cette nouvelle proposition de directive nous soit soumise dans le cadre de l'article 88-4. Le Gouvernement a bien voulu répondre favorablement à cette demande, ce qui nous permet aujourd'hui d'examiner une proposition de résolution.

M. Pierre Fauchon :

A titre personnel, je suis favorable au système horaire actuel qui permet de bénéficier de longues soirées durant la période estivale.

M. Aymeri de Montesquiou :

Je comprend parfaitement cette considération hédoniste, mais il faut bien dire que le monde rural, comme d'autres populations sensibles, est très sensible à ce problème d'heure d'été et aux difficultés de vie quotidienne résultant de ce changement horaire semestriel.

M. Jean-Paul Emin :

D'après le rapport technique présenté à l'appui de la proposition de directive, il semble que seul le domaine des loisirs tire avantage de ce système horaire. Suivant l'opinion des sociologues, nous irions vers une civilisation des loisirs. C'est pourquoi j'approuve votre proposition finale consistant à réintégrer notre fuseau horaire naturel, ce qui permettra tout à la fois d'allonger les soirées d'été et de limiter le décalage de notre heure légale avec l'heure solaire.

M. Aymeri de Montesquiou :

J'ai été surpris par le chiffre évoqué dans le rapport technique en matière d'économies d'énergie permises par ce dispositif horaire : 0,3 % de la consommation énergétique annuelle, soit 2,1 à 2,7 milliards d'euros par an. C'est une somme considérable.

M. Lucien Lanier :

En réalité, il faut relativiser largement ce chiffre qui n'est qu'une hypothèse de départ. Le rapport précise ensuite, je vous le lis, que " compte tenu de la nécessité de déduire le coût supplémentaire lié à la consommation accrue d'énergie due au chauffage le matin au moment du changement horaire et la consommation de carburant supplémentaire engendrée par l'augmentation du trafic à des fins de loisirs, la valeur des économies se réduirait à 0,8 milliard d'euros par an. De plus, déduction faite du coût lié à la surconsommation de carburant par les voitures, on aboutirait à une économie estimée aux alentours de 200 millions d'euros par an pour l'ensemble de l'Union. Bien évidemment, compte tenu du nombre d'hypothèses considérées sur lesquelles se fondent les estimations, il ne semble pas possible d'aboutir à des résultats offrant une réelle fiabilité et précision. Par conséquent, ce chiffre n'a été fourni qu'à titre d'indication. " On peut donc considérer que l'économie d'énergie permise par l'heure d'été confine au symbolique.

M. Aymeri de Montesquiou :

Effectivement, seule la considération des loisirs semble désormais pertinente pour la poursuite de ce système horaire. N'y a-t-il toutefois pas de complication particulière liée au fait de ne pas avoir une heure unique en Europe ?

M. Hubert Haenel :

Pour des raisons évidentes, liées à sa géographie, l'Union affiche déjà trois heures différentes : celle en vigueur au Royaume-Uni, en Irlande et au Portugal ; celle applicable à l'Europe continentale, et celle particulière à la Grèce.

A l'issue de ce débat, la délégation a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les dispositions relatives à l'heure d'été (E 1568),

Demande au Gouvernement de s'opposer à l'adoption de ce texte, tendant à prolonger le dispositif de l'heure d'été au-delà de 2001 et ce, sans limitation de durée, pour les motifs suivants :

- le rapport scientifique sur lequel il fonde sa position n'apporte pas d'élément convaincant, notamment pour ce qui concerne les économies d'énergie induites par ce mécanisme ; l'utilité du changement d'heure n'est donc pas patente, compte tenu des inconvénients qu'il comporte par ailleurs en termes de pollution de l'air et de confort de vie ;

- le choix de l'heure en vigueur dans chacun des Etats membres relève, selon la Commission européenne elle-même, d'une décision purement nationale, en vertu du principe de subsidiarité ; il est donc inexact d'affirmer l'impossibilité pour un Etat membre de déroger au dispositif sans l'accord du Conseil ;

- l'intégration du dispositif de l'heure d'été à l'acquis communautaire imposable aux Etats candidats à l'entrée dans l'Union ne tient pas suffisamment compte de leurs spécificités géographiques.

Invite en conséquence le Gouvernement à rechercher une solution durable à ce problème récurrent de la fixation de l'heure légale :

- en renonçant au dispositif de changement d'heure et en maintenant, sur l'année, l'horaire GMT plus une heure ;

- à défaut, en conservant le système actuel, mais en réintégrant la France dans son fuseau horaire naturel conduisant à l'application de l'heure GMT en hiver et GMT plus une heure en été.