Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mardi 28 novembre 2006



Agriculture et pêche

Enseignements de la réunion des commissions de l'agriculture
des parlements de l'Union européenne
sur l'avenir de la politique agricole commune
(Helsinki - 12 octobre 2006)

Communication de M. Jean Bizet

Cette rencontre organisée par la présidence finlandaise était en grande partie de nature prospective, puisque son thème était « le modèle agricole européen : les défis de l'avenir ».

Je ne vais pas faire un compte rendu détaillé de cette réunion, qui a duré toute une journée, mais plutôt essayer d'en tirer les principaux enseignements.

· Tout d'abord, le financement de la politique agricole commune (PAC) prévu jusqu'en 2013 n'est pas remis en question. La commissaire européenne à l'agriculture, Mme Fischer-Boel, a été très claire sur ce sujet : le bilan intermédiaire prévu pour 2008-2009 ne pourra être utilisé pour réduire les crédits de la PAC. Et parmi les intervenants, personne n'a sérieusement contesté ce point.

De même, les concepts de base du « modèle agricole européen » continuent à recueillir un large accord. Je rappelle que ce modèle, adopté en 1997, se définit de la manière suivante : « L'agriculture européenne doit, en tant que secteur économique, être multifonctionnelle, durable, compétitive, répartie sur tout le territoire européen, y compris les régions à problèmes spécifiques ». Dans ce but, la politique agricole commune doit retenir « des solutions économiquement saines et viables, socialement acceptables et permettant d'assurer des revenus équitables ainsi qu'un juste équilibre entre secteurs de production, producteurs et régions et en évitant les distorsions de concurrence ».

Bien entendu, le « modèle agricole européen », ainsi défini, peut apparaître comme une addition des contraires. Ce n'est pas tout à fait vrai. Il est important, par exemple, que la multifonctionnalité de l'agriculture et son rôle dans l'aménagement du territoire aient été reconnus par tous. Le modèle agricole européen se définit aujourd'hui comme un équilibre entre des préoccupations dont certaines étaient peu présentes lorsque la PAC a été lancée, en particulier la protection de l'environnement et l'aménagement du territoire. Et cet équilibre permet un assez large accord autour de l'idée qu'une politique agricole commune restera nécessaire après 2013. Pour autant, et c'est également un point que Mme Fischer-Boel a fortement souligné, le modèle agricole européen ne doit pas être statique, mais au contraire tenir compte de l'évolution des besoins de la société. Elle a souligné, par exemple, que l'agriculture devait participer à la lutte contre le changement climatique par la promotion des bio-énergies.

· À côté de ces thèmes relativement consensuels, la conférence a fait apparaître des oppositions sur des points importants. Il en est ainsi, tout d'abord, de la nature du rendez-vous de 2008/2009.

Il s'agit d'un « bilan de santé », a dit Mme Fischer-Boel, mais ses propos ont montré qu'elle lui donne une portée bien plus grande. La Commission envisage ainsi d'accroître la « modulation obligatoire » des paiements directs pour financer le développement rural ; elle envisage également le plafonnement des aides, ainsi qu'une simplification juridique radicale avec le remplacement des 21 organisations communes de marché (OCM) actuelles par un dispositif unique. Mme Fischer-Boel s'est par ailleurs interrogée sur le maintien des exceptions au découplage ; elle a également mentionné la fin éventuelle du gel des terres. Certes - comme je l'ai déjà dit - le financement de la PAC n'est pas en cause, mais la Commission semble envisager des changements assez profonds dans un futur relativement proche.

Or, même si l'objectif d'une simplification n'est contesté par personne, le représentant des organisations agricoles, M. Schwarzböck, a au contraire fortement plaidé pour une période de « paix législative » sans réforme, en soulignant que l'instabilité des règles de la PAC était de plus en plus mal supportée par les exploitants.

Il y a donc, à l'évidence, un débat sur ce qu'il faut inclure dans l'exercice de « simplification » envisagé pour la période 2007-2009.

· Mais le débat a principalement porté sur l'« après 2013 ». Sur ce point, la commissaire européenne n'a donné que de grandes orientations, mais son souci est de susciter un « débat stratégique » de sorte que l'on puisse, bien avant 2013, connaître les grandes lignes de la future PAC. Tout le monde a dans l'esprit les termes du « préaccord de Hong Kong » : suppression des subventions à l'exportation après 2013, baisse du soutien interne, ouverture accrue des marchés. Considérant comme une donnée de base que, après 2013, il n'y aura plus, ou presque plus, de « restitutions » à l'exportation, Mme Fischer-Boel a estimé que la régulation reposerait normalement sur le marché et non plus sur des mécanismes d'intervention ou des quotas de production. Les aides devront être totalement découplées de la production. La politique de développement rural aura une place de plus en plus importante, avec des objectifs précis et des moyens accrus.

Le représentant de l'OCDE, M. Stefan Tangermann, a développé des vues plus radicales. Il a rappelé les tendances lourdes des négociations de l'OMC : suppression des restitutions à l'exportation, diminution des droits à l'importation, et réduction du soutien des prix. Les règles de l'OMC n'impliquent pas la suppression des politiques agricoles ; elles permettent de récompenser les services rendus par l'agriculture qui ne sont pas pris en compte par le marché. En revanche, les soutiens couplés à la production sont appelés à décroître ou à disparaître. Or, M. Tangermann a estimé que le couplage restait encore significatif dans le cas de la PAC, de même que le soutien des prix. À terme, il faudrait donc parvenir à un découplage total des aides.

Cependant, et c'est là que M. Tangermann a développé des vues originales, les aides découplées ne lui paraissent pas non plus satisfaisantes. Elles sont compatibles avec l'OMC, mais elles ne sont pas équitables, parce qu'elles sont à l'avantage du propriétaire, non de l'exploitant, et qu'elles sont fondées sur des références historiques qui créent une rente de situation non justifiée. Je voudrais souligner toutefois que si les droits à paiement sont commercialisés, cela gommera peu à peu les différences.

Le représentant de l'OCDE s'est plus généralement livré à une attaque en règle contre les aides découplées, estimant qu'elles étaient inadaptées aux objectifs d'une PAC rénovée :

- s'il s'agit de rendre l'agriculture européenne plus compétitive, les aides directes sont contre-productives, puisqu'elles font monter le prix des terres et donc les coûts de production ;

- s'il s'agit de rendre les sociétés rurales viables, il faut avant tout créer des emplois sur place, et les aides directes n'y contribuent pas ;

- s'il s'agit d'entretenir les paysages, une aide spécifique serait mieux adaptée ; de même, des paiements liés à des résultats seraient plus efficaces pour préserver l'environnement et la bio-diversité ;

- enfin, s'il s'agit d'assurer la sécurité de l'approvisionnement ou la sécurité alimentaire, les aides directes ne sont pas une garantie.

M. Tangermann a donc proposé de passer « du découplage au ciblage » (from decoupling to targeting), estimant que des paiements ciblés et limités dans la durée seraient le meilleur moyen de réaliser les objectifs assignés à la PAC.

L'ampleur du débat sur l'« après-2013 »est apparue d'autant plus clairement que l'exposé suivant était celui de M. Raphaël Alomar, conseiller du président Chirac pour les questions agricoles.

M. Alomar est revenu sur les objectifs de la PAC. L'agriculture n'est pas seulement une activité économique ; elle doit également assurer l'occupation des territoires et la préservation de l'environnement, la qualité et la traçabilité des produits, le bien-être animal. Par ailleurs, il est nécessaire d'assurer l'indépendance alimentaire de l'Union. Dans cette optique, les principes fondateurs de la PAC - unicité du marché, solidarité financière et préférence communautaire - restent valables. La PAC, toujours selon M. Alomar, n'est pas trop coûteuse pour le contribuable. Elle ne représente plus qu'un tiers du budget communautaire, et les dépenses agricoles cumulées de l'Union et des États membres ne représentent que 0,5 % du PIB européen. La PAC n'est pas non plus trop coûteuse pour le consommateur, puisque, par exemple, les dépenses alimentaires représentent en France 14 % du budget des ménages, et que les produits agricoles proprement dits n'entrent que pour un sixième dans les dépenses alimentaires. M. Alomar a cependant souligné que la PAC n'était pas figée à son stade actuel, qu'elle devait être simplifiée et davantage orientée vers la création de valeur ajoutée. L'agriculture européenne a des avantages comparatifs à faire valoir : des agriculteurs bien formés et des conditions naturelles favorables ; elle doit chercher à être davantage présente sur les marchés émergents.

Ce dernier point a été corroboré par M. Alexander Müller qui intervenait au nom de la FAO, et dont l'exposé a porté sur la démographie mondiale et l'évolution économique des grandes zones. Il en ressortait que, à moyen terme, la malnutrition - qui touche encore aujourd'hui un sixième de la population mondiale - ne touchera pratiquement plus que l'Afrique sub-saharienne. L'Europe aura à ses portes une assez vaste zone - l'Afrique du Nord et le Proche-Orient - qui restera en expansion démographique et constituera un marché solvable en raison notamment du prix durablement élevé du pétrole. L'ensemble de l'Asie poursuivra son rattrapage économique et certaines parties de cette zone resteront en croissance démographique. La population mondiale va augmenter probablement de deux milliards d'ici à 2050 avant d'entamer sa décroissance ; l'augmentation concernera uniquement les zones urbaines. Donc, de manière très frappante, on voit qu'il existera une demande solvable en expansion pour les produits agricoles : il n'y a pas de raison que l'agriculture européenne s'interdise d'en tirer profit, d'autant que l'Europe connaîtra au contraire une régression démographique.

 Les débats sur l'« après-2013 » ont également fait apparaître des convergences et des divergences significatives sur d'autres points. Parmi les convergences, je citerai tout d'abord le problème de l'installation des jeunes (par exemple, un parlementaire finlandais a précisé que le nombre d'exploitations avait diminué de moitié depuis l'adhésion de son pays).

Le développement des bio-énergies a été mentionné par de nombreux intervenants. Il y a manifestement un large accord pour y voir un débouché prometteur ; toutefois, un parlementaire néerlandais a estimé que les cultures énergétiques ne convenaient pas aux exploitations familiales que la Communauté prétend promouvoir. Par ailleurs, la nécessité d'encourager la recherche-développement apparaît également comme un thème fédérateur.

Plusieurs intervenants se sont inquiétés de la perte de légitimité de la PAC depuis que le soutien passe essentiellement par des aides directes, et ont souligné la nécessité de la rendre plus compréhensible par le citoyen. La nécessité d'avoir une stratégie de long terme, une PAC plus prévisible et plus stable est également une préoccupation largement partagée.

Enfin, j'ai déjà indiqué que les garanties de financement courant jusqu'en 2013 n'avaient pas été remises en question, si ce n'est indirectement par un parlementaire britannique. Au contraire, certains intervenants ont déploré que l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie se fasse à budget constant.

J'en viens aux divergences.

L'idée d'une PAC entièrement fondée sur des aides découplées a suscité certaines critiques. Les aides directes sont concentrées sur une minorité des exploitations, elles sont mal acceptées socialement et les références historiques ne pourront être durablement conservées.

Par ailleurs, des parlementaires britanniques et néerlandais ont estimé que la PAC manquait de capacité d'adaptation, et que certains objectifs seraient mieux atteints en s'en remettant aux forces du marché.

Au contraire, l'idée de supprimer tout instrument de gestion des crises a été repoussée par certains intervenants.

J'ai pour ma part souligné l'intérêt d'envisager des formules alternatives comme l'assurance-récolte qui permet une garantie de revenus.

Sans surprise, plusieurs parlementaires des nouveaux États membres ont critiqué l'inégalité dans les soutiens accordés aux agriculteurs selon qu'ils sont ressortissants des anciens ou des nouveaux États membres.

Un autre point de divergence est la place respective des deux « piliers » de la PAC. Les plus « libéraux » verraient bien l'essentiel des crédits de la PAC être affecté au développement rural, ce qui est naturellement inacceptable pour ceux qui souhaitent que l'Europe garde une ambition agricole.

 Enfin, quelques mots pour terminer sur l'importance des négociations commerciales en cours. Elles sont au centre du débat, puisqu'elles constituent l'argument le plus fort de ceux qui souhaitent une nouvelle transformation de la PAC. Mme Fischer-Boel a insisté sur le fait que la Commission n'accepterait qu'un accord « équilibré ». Mais que faut-il entendre par un accord « équilibré » ?

J'ai pour ma part mis l'accent sur les distorsions de concurrence qui naissent de l'insuffisance ou de l'absence de normes internationales en matière sanitaire et environnementale. Est-il acceptable que nous ayons en Europe des normes strictes de traçabilité, de qualité sanitaire, de bien-être animal, et que parallèlement des productions qui ne répondent pas du tout aux mêmes exigences entrent sur le marché communautaire en étant soumises à des droits de plus en plus faibles ?

Nos collègues députés ont également évoqué les perspectives d'accord : Yves Simon a posé la question des normes sociales minimales, et Jean Gaubert a souligné qu'une nouvelle baisse des soutiens et des protections tarifaires se traduira inévitablement par une diminution du revenu agricole, qui ne pourra être compensée que par une forte diminution du nombre des agriculteurs, venant contredire l'objectif d'occupation et d'entretien du territoire.

On ne peut dire que Mme Fischer-Boel ait répondu à ces questions. Le représentant de l'OCDE a été plus clair, en estimant qu'on ne pouvait espérer de grands progrès sur les normes sociales et environnementales. Le débat reste cependant ouvert. Le résultat des élections américaines fait douter de l'existence d'une « fenêtre » pour conclure un accord au début de l'année 2007. De toute manière, si nous devions attendre 2009, cela ne devrait pas, à mon avis, être considéré comme un drame. Une absence d'accord est préférable à un mauvais accord, à un accord déséquilibré. J'observe d'ailleurs que le contexte a changé : les pays émergents qui faisaient de l'Europe la cause de tous les maux ont pris conscience que le blocage venait des États-Unis.

* *

*

Quels enseignements tirer de cette Conférence ? D'abord, je viens de le dire, les négociations de l'OMC seront cruciales. C'est la nature de l'accord qui sera obtenu qui déterminera notre marge de manoeuvre - ou notre absence de marge de manoeuvre. Dans ce contexte, il faut aborder la question du « bilan de santé » de 2008 avec prudence. Cette échéance ne devrait pas être utilisée pour de nouvelles réformes si, comme il est probable, le cycle de Doha ne devait se conclure qu'en 2009. Il faut au contraire que l'Europe ait une démarche cohérente. Nous ne devons pas avoir une politique agricole d'un côté, une politique commerciale de l'autre, qui soient en contradiction tendancielle. Cela ne veut pas dire, naturellement, qu'il ne faut rien faire : nous pouvons certainement simplifier et rationaliser le dispositif mis en place en 2003. Mais il ne faut pas précipiter les échéances.

Le deuxième enseignement que je tirerai est que, en revanche, nous ne devons pas avoir peur du grand débat sur l'« après-2013 ». Ce débat, vous l'avez constaté, est déjà ouvert. 2013, cela paraît très loin, mais en réalité le régime qui s'appliquera à partir de 2013 sera décidé bien avant. Si nous adoptons une attitude dilatoire, conservatrice, nous serons perdants. Il est clair que certains ont d'ores et déjà des scénarios dans la tête. Si nous ne sommes pas capables de proposer une alternative crédible, si nous nous en tenons à une défense des acquis, la réforme se fera sans nous.

Enfin, troisième enseignement : la cause d'une politique agricole ambitieuse est plaidable. Elle a plus de partisans qu'on ne pourrait le penser en entendant ici et là certains plaidoyers pour une agriculture « virgilienne » qui ne serait plus véritablement une activité économique. Et elle peut s'appuyer sur des arguments solides comme l'augmentation de la demande mondiale de produits agricoles et l'apparition de nouveaux débouchés comme la bio-énergie ou la bio-industrie. Je crois que nous devons et pouvons garder une conception ambitieuse de la PAC.

ANNEXE : Compte rendu de la réunion en format PDF (Version française p.18)

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Votre communication nous montre que la préparation de l'« après-2013 » a déjà commencé. Nous serons perdants dans ce débat si nous restons défensifs au lieu d'être une force de proposition. Il est important par ailleurs de souligner que l'Europe doit garder sa vocation exportatrice. Je voudrais enfin souligner l'intérêt de ces réunions entre parlementaires nationaux sous l'égide du pays qui exerce la présidence. Elles nous apportent des indications précieuses sur l'état d'esprit de nos partenaires.

M. Simon Sutour :

Il est vrai que la PAC a évolué, mais un déséquilibre majeur subsiste entre les aides à la grande agriculture du Nord et celles - très modestes - qui vont aux productions méditerranéennes. Est-ce qu'un rééquilibrage a été évoqué ?

M. Jacques Blanc :

Je note que le total des dépenses publiques pour l'agriculture représente 0,5 % du PIB européen : ce n'est pas excessif. Il y a un effet d'optique qui naît du fait que l'essentiel des dépenses figurent au budget européen. Il n'y a pas de sens à dire qu'il faut choisir entre dépenses agricoles et dépenses de recherche, car la part des dépenses de recherche passant par le budget européen est minime.

Il y a un clivage Nord/Sud, mais la situation des zones subissant un handicap naturel est aussi à prendre en compte. Sans la PAC, aurions-nous encore une agriculture de montagne ? Nous devons tenir compte de la contribution qu'apporte l'agriculture à la protection de l'environnement en occupant et en entretenant le territoire. Il faut donc continuer à promouvoir l'idée d'une agriculture multifonctionnelle.

M. Gérard César :

Je partage l'idée qu'il vaut mieux ne pas avoir d'accord à l'OMC que d'accepter un mauvais accord. Mais qu'est-ce que la Commission entend par « accord équilibré » ? S'il s'agit de céder à toutes les exigences du groupe de Cairns, je ne vois pas où est l'équilibre ! La réforme de l'OCM vitivinicole a-t-elle été évoquée ? Je rappelle que la Commission envisage l'arrachage de 400 000 hectares de vigne, alors que certains pays membres ont fermé les yeux sur des plantations illégales : c'est d'autant moins défendable que la Commission propose, ensuite, de supprimer toutes les restrictions au droit de planter !

M. Yann Gaillard :

Cette communication était très instructive. Je crois que nous devons essayer de centrer la réflexion sur la PAC autour des points essentiels. On ne peut aborder tous les sujets. Sinon, je vais évoquer aussi le cas des forêts, dont l'exploitation est trop peu encouragée ! Je voudrais savoir si les débouchés non alimentaires sont suffisamment pris en compte dans le débat sur l'« après 2013 ».

M. Pierre Fauchon :

Je trouve plutôt choquant le système des aides directes découplées. C'est une approche technocratique qui paraît contraire à l'équité. À qui la PAC profite-t-elle ?

M. Simon Sutour :

À ceux qui n'en ont pas besoin !

M. Pierre Fauchon :

Sans aller jusque-là, je dirai que les petits et moyens exploitants reçoivent peu d'aides directes, et que ceux qui en perçoivent le plus ne passent pas leurs journées sur un tracteur. J'ai le sentiment que l'aspect humain n'est pas la préoccupation principale.

M. Gérard Le Cam :

Je crois que la politique agricole est engagée dans une voie qui la rend de plus en plus aberrante. Au lieu de chercher à tout prix le libre-échange, nous devrions privilégier la coopération, notamment avec les pays africains, avec pour objectif d'assurer l'indépendance alimentaire des pays en développement.

Le volet énergétique n'est pas négligeable, mais l'agriculture doit rester d'abord vouée à l'alimentation humaine et animale. Je suis favorable au renforcement du deuxième pilier de la PAC, mais nous devons être conscients qu'il serait destructeur de revenir sur les aides directes sans assurer en même temps des prix rémunérateurs et sans régler le problème de la commercialisation des produits agricoles ; je pense bien sûr aux pratiques de la grande distribution. Je crains que les négociations de l'OMC, en réduisant toujours plus les tarifs, ne rendent impossible toute politique agricole digne de ce nom. Nous sommes partis dans le mauvais sens !

M. Jean Bizet :

Je vais essayer de répondre aux nombreuses questions qui ont été évoquées.

C'est vrai qu'il y a - pour simplifier - un déséquilibre Nord/Sud au sein de la PAC. Il y a actuellement en cours une réforme des organisations communes de marché pour des productions davantage présentes dans le Sud de l'Europe ; souhaitons qu'elle contribue à un rééquilibrage. D'ores et déjà, le renforcement du deuxième pilier a constitué un facteur de rééquilibrage.

La réforme de l'OCM vitivinicole n'a pas été abordée. À titre personnel, je dirai que les mesures concernant l'arrachage paraissent quelque peu provocatrices, mais que la libéralisation des pratiques œnologiques et la simplification de l'étiquetage vont dans le bon sens, car le consommateur est perdu. Il faut également réfléchir aux mesures d'accompagnement.

L'environnement est une justification importante pour les aides à l'agriculture, mais celle-ci a également à prendre des responsabilités, car 19 % des gaz à effet de serre sont produits par l'agriculture. Nous sommes devant un problème de gouvernance mondiale. Le lancement de l'Organisation des Nations unies pour l'environnement à Nairobi est un premier pas, mais nous aurions besoin d'une organisation mondiale de l'environnement sur le modèle de l'OMC, avec un organe de règlement des différends permettant d'avoir des règles communes.

La structure des dépenses agricoles a évolué. Le deuxième pilier en représente aujourd'hui un quart, et sa part va aller en augmentant.

Les aides directes découplées peuvent certes avoir des effets pervers : elles créent une rente du sol qui rend moins intéressant l'acte de produire. Entretenir le sol suffit pour percevoir les aides. L'industrie de transformation risque de manquer de matières premières.

Nous devons avoir une PAC à la fois plus prospective et plus réactive. La hausse actuelle des céréales à cause des sécheresses montre bien que, avec peu de stocks, les équilibres sont fragiles et vite rompus.

Qu'est-ce qu'un « accord équilibré » à l'OMC ? Je citerai à titre d'exemple la prise en compte de l'ensemble des soutiens ayant des effets distorsifs, y compris les « marketing loans » et l'aide alimentaire dans le cas des États-Unis, ainsi que l'ouverture aux productions des pays en développement.

Pour les cultures non alimentaires, la fin envisagée du gel des terres peut être un encouragement. Il faudra cependant faire un bilan : l'Europe n'est pas le Brésil. Aujourd'hui, l'énergie utilisée est dans un rapport de un à trois avec l'énergie obtenue : il faudrait améliorer ce ratio.

Quels que soient les inconvénients des aides directes découplées, l'ancien système n'était pas compatible avec les règles de l'OMC : c'est le découplage qui a permis le maintien d'une aide. Aujourd'hui, il faut simplifier le système et mieux cibler les aides. À qui profite la PAC ? À ceux qui ont su obtenir des droits à paiement...

M. Yann Gaillard :

« L'avenir appartient à ceux qui l'ont déjà et qui ne s'en dessaisiront à aucun prix ! ».

M. Jean Bizet :

... et nous devons éviter de dénigrer notre agriculture, alors qu'un agriculteur sur trois travaille pour l'exportation en dégageant un important excédent. La dimension humaine n'est pas oubliée, avec la reconnaissance de la multifonctionnalité et l'affectation d'un quart des crédits du développement rural. Il ne faut pas d'ailleurs tout miser sur ce dernier, si nous ne voulons pas fragiliser l'industrie agroalimentaire, qui a besoin de matières premières !

La coopération, notamment avec l'Afrique, est déjà une réalité, qui n'est pas assez mise en valeur. Nous devons également favoriser la coopération et les échanges Sud/Sud. Des accords par grandes régions peuvent être utiles pour mieux organiser le commerce mondial.

M. Hubert Haenel :

Je crois pouvoir me faire l'interprète de beaucoup en souhaitant une PAC plus « lisible ». Avec un système plus simple, on n'aurait pas entendu tout et n'importe quoi durant la campagne référendaire.

M. Gérard César :

Malheureusement, chaque fois qu'on parle de simplifier, c'est pour compliquer encore. Au sujet de l'OMC, je voudrais rappeler l'importance essentielle d'une harmonisation des règles de sécurité sanitaire.

Subsidiarité

Achèvement du marché intérieur des services postaux (E 3285)

Examen au regard de la subsidiarité et de la proportionnalité
par M. Pierre Fauchon

En février dernier, la COSAC a décidé d'organiser une première expérimentation dans la perspective de la mise en place d'un contrôle de la subsidiarité par les parlements nationaux. Dans ce cadre, deux textes ont été retenus :

- le premier est la proposition de règlement sur la compétence et les règles relatives à la loi applicable en matière matrimoniale, qu'a analysée notre collègue Monique Papon le 19 septembre dernier ;

- le second est la nouvelle directive postale qu'a présentée la Commission le 18 octobre dernier.

C'est sur ce second texte que porte ma communication. Elle n'a pas vocation à traiter du fond. Elle se bornera à un examen de la proposition au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité, conformément à l'expérience menée par la COSAC. À cet égard, je vous indique que la commission des affaires économiques, dont les travaux passés sur les services postaux font autorité, devrait se saisir de ce texte, cette fois sur le fond, dans les prochaines semaines, comme elle l'avait fait par le passé à l'occasion de la deuxième directive postale. Pour notre part, nous devons respecter le délai limite fixé par la COSAC, c'est-à-dire le 11 décembre prochain, pour répondre sur le seul plan de la subsidiarité.

1. L'objet du texte

Je vous rappellerai brièvement l'objet du texte, avant de l'analyser au regard de la subsidiarité et de la proportionnalité.

L'Union européenne s'est engagée, depuis 1989, dans une politique de libéralisation et d'harmonisation des services postaux. Cette démarche a été marquée par deux directives (celle de 1997 et celle de 2002), la proposition de directive de la Commission devant constituer la troisième et dernière étape de l'ouverture des services postaux.

Les deux premières directives ont établi un cadre réglementaire visant à concilier l'ouverture progressive à la concurrence et la prise en compte de la mission d'intérêt général fournie par les opérateurs postaux. Pour cela, la réglementation européenne a agi dans une double direction :

- d'une part, elle garantit aux citoyens européens un « service universel » comprenant au moins une distribution et une levée de courrier par jour, cinq jours par semaine, en tout point du territoire de l'Union ;

- d'autre part, elle limite progressivement la portée du monopole des opérateurs nationaux. Ainsi, le champ du « secteur réservé », qui concernait les envois de moins de 350 grammes en 1997, n'a plus concerné que ceux de moins de 100 grammes après 2002, puis ceux de moins de 50 grammes depuis le premier janvier 2006.

La directive, telle que modifiée en 2002, retient l'échéance de 2009 pour une ouverture totale à la concurrence. Mais elle prévoit une « clause de rendez-vous », la Commission devant confirmer avant fin 2006 cette échéance et en préciser les modalités sur la base d'une étude prospective.

C'est là l'objet de la présente proposition de directive qui s'accompagne d'une étude d'impact, d'un rapport sur l'application de la directive précédente et d'une étude prospective. La proposition, qui ne comprend en définitive qu'un nombre relativement limité de modifications à la directive actuelle, s'articule principalement, au-delà de certaines mesures techniques, autour de trois points principaux.

Premièrement, elle supprime le « secteur réservé » et consacre l'ouverture du marché postal à la concurrence pour 2009, y compris pour les plis de moins de 50 grammes. On notera que plusieurs États, d'Europe du Nord principalement, ont d'ores et déjà libéralisé leur secteur postal ou sont sur le point de le faire : c'est le cas de l'Allemagne, du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Suède ou du Danemark.

Deuxièmement, elle maintient les obligations qui incombent aux États membres d'assurer un service universel - dont le contenu n'est pas modifié - et permet aux États membres de maintenir des tarifs uniques pour les particuliers ou des raisons d'intérêt général (envoi de presse par exemple).

Troisièmement, elle détermine les possibilités offertes aux États membres pour assurer le financement des prestations de service universel dans ce nouveau contexte.

Jusqu'à présent, c'est en effet l'existence d'un « secteur réservé » qui permet bien souvent le financement du service universel par l'opérateur public. Demain, selon la Commission, les États membres auront à choisir entre différentes options qu'il serait d'ailleurs possible de combiner : aides d'État, passation de marchés publics, fonds de compensation, partage des coûts entre opérateurs. Cette liste n'est pas limitative, la proposition de directive se limitant à interdire le financement par le secteur réservé et à proscrire toute solution pouvant constituer une « distorsion disproportionnée du fonctionnement du marché ».

Ainsi, au gré des différentes options, il serait possible de maintenir un régime d'autorisation, au travers de marchés publics, en liant l'octroi de l'autorisation à une obligation de participation à un fonds de compensation ou au respect des obligations de service universel. De son côté, le fonds de compensation, destiné à financer le coût net du service universel, pourrait être alimenté par des contributions budgétaires, des taxes sur l'usager ou des contributions des différents opérateurs. A ce propos, je vous rappelle que, en France, la loi postale du 20 mai 2005 a d'ores et déjà prévu le principe d'un tel fonds de compensation, destiné à assurer le financement du service universel dans l'hypothèse où la disparition du monopole ne le permettrait plus. Pour sa part, le partage des coûts relèverait d'un mécanisme dit de « pay or play », exigeant de tous les opérateurs soit l'exercice du service universel (« play »), soit l'acquittement d'une contribution (« pay »).

2. L'appréciation au regard de la subsidiarité et de la proportionnalité

· Pour ce qui concerne la subsidiarité, il faut relever que la Commission ne fait guère d'effort pour justifier sa proposition au regard de ce principe. Que ce soit dans l'exposé des motifs de la directive, ou dans ses considérants, elle se contente de formules « passe-partout ». Sans doute considère-t-elle qu'en l'occurrence, la légitimité d'une intervention communautaire est évidente. Nous en sommes en effet à la troisième directive postale, et il s'agit de gérer le marché intérieur unique dans un domaine comportant une dimension transfrontalière.

C'est dans un document de travail qui nous a été transmis par ailleurs par la Commission qu'on trouve un réel examen du problème de la subsidiarité. Dans ce document, intitulé « résumé de l'analyse d'impact », la Commission se pose la bonne question : un nouveau texte est-il nécessaire ? Que se passerait-il en l'absence d'une nouvelle directive ? Or, en l'occurrence, un nouveau texte paraît indispensable. En effet, la directive postale actuelle contient une clause de caducité : sa validité expire au 31 décembre 2008. En l'absence d'un nouveau texte, les services postaux rentreraient dans le droit commun de la libre prestation de services ; par exception, chaque État membre pourrait fixer les conditions d'un service universel sur son territoire, sous le contrôle de la Commission européenne. On se retrouverait ainsi dans une situation de grande insécurité juridique, et finalement c'est la Cour de justice qui serait amenée à trancher. Le résultat serait donc un cadre juridique moins stable, moins homogène, et vraisemblablement moins protecteur pour les services postaux.

J'ajouterai que, lors de la discussion de la directive « services », nous avons plaidé pour que des directives sectorielles s'appliquent dans les domaines présentant des caractères spécifiques, ce qui est manifestement le cas des services postaux avec la problématique du service universel.

Donc, du strict point de vue de la subsidiarité, la proposition de directive ne me paraît pas critiquable.

· J'en viens à la proportionnalité. Le point peut paraître plus délicat. À première vue, la directive respecte parfaitement ce principe : elle ne contraint pas les États membres plus que nécessaire, puisque - comme je l'ai indiqué tout à l'heure - elle leur laisse un large choix quant à la manière de financer le service universel.

Nos collègues de l'Assemblée nationale ont cependant estimé que la liberté laissée aux États membres n'était pas suffisante. Selon eux, en supprimant la possibilité de financer le service universel grâce à l'existence d'un secteur réservé, la proposition de directive excède ce qui est nécessaire pour atteindre ses objectifs.

L'argumentation de nos collègues ne me paraît guère convaincante. On peut naturellement sur le fond être favorable au maintien d'un secteur réservé. Mais vouloir justifier ce maintien en invoquant le principe de proportionnalité me paraît quelque peu tiré par les cheveux. J'observe d'ailleurs que nos collègues évitent d'être trop catégoriques en formulant leurs conclusions.

Comment se pose en réalité le problème ? Nous devons considérer que la proposition de directive poursuit deux objectifs :

- d'une part, parachever la réalisation du marché intérieur des services postaux ;

- d'autre part, garantir le service universel à un prix abordable.

Les mesures proposées doivent être proportionnées à ces deux objectifs. Elles doivent assurer un équilibre.

Si nous maintenons la possibilité d'avoir un secteur réservé - c'est-à-dire en clair un monopole sur une partie des services postaux -, nous améliorons certes la palette des solutions pour financer le service universel ; mais nous ne réalisons plus vraiment un marché unique des services postaux : dans certains pays, un monopole subsistera pour certains services postaux, tandis que, dans d'autres pays, tout sera ouvert.

Donc, il me semble que, si nous tenons compte à la fois des deux grands objectifs de la directive, la solution retenue apparaît proportionnée à ces deux objectifs.

Si on regarde de plus près l'argumentation de nos collègues, on voit d'ailleurs que leur souci principal porte sur la crédibilité des différents modes de financement du service universel qui sont autorisés par le texte. Ils craignent que ces nouveaux modes de financement ne soient pas aussi sûrs que l'existence d'un secteur réservé. C'est une interrogation légitime, mais nous entrons alors, me semble-t-il, dans la discussion du fond même du texte : nous sommes dans des questions de faisabilité et d'opportunité. Nous ne sommes plus dans la problématique de la subsidiarité et de la proportionnalité, qui seule doit nous occuper aujourd'hui.

La commission des Affaires économiques examinera le moment venu le fond du texte. Rien ne nous empêchera à ce moment-là d'examiner de plus près la question du financement du service universel, pour nous assurer que les différentes solutions proposées sont une réponse suffisante. Si ce n'est pas le cas, il faudra demander que la proposition de directive soit revue sur le fond.

Mais, pour s'en tenir à la seule question à laquelle nous devons répondre aujourd'hui, ma conclusion sera que le texte ne porte pas atteinte aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Compte rendu sommaire du débat

M. Jacques Blanc :

Je ne peux m'associer à cette conclusion. Le principe de proportionnalité suppose que les moyens soient adaptés à la fin poursuivie. Or, pour financer le service universel, il n'y a pas aujourd'hui d'autre formule crédible que le maintien du secteur réservé. Les solutions alternatives proposées ne sont pas suffisantes, les expériences étrangères le montrent. Sans confondre le fond et la proportionnalité, nous devons dire qu'il ne sert à rien de permettre aux États membres de maintenir un service universel si, parallèlement, on leur interdit de maintenir le secteur réservé, qui est le moyen le plus sûr de le financer. Nous devons donc demander que l'on puisse maintenir le secteur réservé aussi longtemps qu'une solution de rechange crédible pour le financement du service universel ne sera pas apportée.

M. Robert Bret :

J'ai du mal, dans cette affaire, à séparer le fond de la subsidiarité et de la proportionnalité. La poste est le service public par excellence, qui concerne peu ou prou toute la population. L'affaiblir, c'est fragiliser la partie la moins favorisée de la population, et donc accroître les inégalités. Dans les quartiers populaires, le service public n'est déjà plus assuré comme il devrait l'être. Par exemple, dans le 13ème secteur de Marseille, faute de moyens, 1 000 habitants sur 70 000 ne sont plus desservis, chaque jour, à tour de rôle. Ce manque de moyens s'accompagne d'une précarisation, avec des emplois moins stables. Les postiers connaissent moins bien la population. Cette directive fait passer la rentabilité avant les personnes, avant l'humain.

Je n'accepte pas qu'on dise que, après deux directives, on ne peut pas s'arrêter, qu'il faut terminer la libéralisation. Il n'est pas trop tard. Rien n'oblige à aller plus loin. Soyons clairs : dans une optique de concurrence généralisée, les États ne pourront agir efficacement pour maintenir le service universel. Il faut savoir que, à chaque recul des services publics, il y a des drames. Le tissu social est atteint, et ce sont les élus qui doivent faire face aux conséquences.

M. Christian Cointat :

L'évolution des technologies est telle que si la poste n'évolue pas, elle est condamnée. Les échanges se font de plus en plus par e-mail, par SMS, par messagerie. Le service public, qui est nécessaire, ne doit pas être un argument pour refuser de s'adapter. Aujourd'hui, nous n'avons pas un service satisfaisant pour les envois transfrontaliers, qu'il s'agisse de lettres ou d'abonnements. La seule exigence d'équité justifierait une intervention européenne. Il faut une Europe postale, et j'estime à cet égard que la directive devrait même aller plus loin. Dans cet esprit, j'accepte la conclusion proposée par Pierre Fauchon : l'intervention de la Communauté est parfaitement légitime.

M. Yann Gaillard :

Je souscris au constat d'une certaine dégradation du service postal. Les colis ne sont plus apportés au domicile : on reçoit un papier, il faut se déplacer à la poste pour retirer le colis.

M. Bernard Frimat :

Il est difficile de séparer les différentes questions. Le problème essentiel est de préserver, voire de rétablir un service universel de qualité. Est-ce que les modalités proposées le permettent ? Je suis d'accord pour considérer qu'une intervention européenne est justifiée, et qu'il n'y a donc pas de problème de subsidiarité. Mais, pour ce qui est de la proportionnalité, je vois mal comment l'apprécier, en l'espèce, sans considérer attentivement le fond du texte, c'est-à-dire la valeur des modalités de financement qui restent autorisées.

Cette directive me paraît inspirée par l'idéologie du « tout libéral » : le service universel demeure, mais plutôt comme un voeu pieux, car en réalité, les opérateurs viendront capter les îlots de profit, et le reste sera dédaigné. Il faudrait au contraire une cohérence d'ensemble autour d'un service universel de qualité.

En l'état, nous n'avons pas les précisions et les garanties indispensables, et les interrogations de nos collègues députés me paraissent le minimum à exiger. La Commission me paraît avoir aujourd'hui une attitude de plus en plus arrogante : le monde doit se plier à sa vision, sinon le monde a tort. Au lieu de s'en tenir au dogme libéral, qui finira par détourner les gens de la construction européenne, la Commission devrait justifier son action dans chaque cas, prouver qu'elle va être utile au citoyen. Nous devons donc lui demander de prouver que le principe de proportionnalité est effectivement respecté par les solutions qu'elle avance.

M. Jacques Blanc :

Je constate qu'il y a une étude d'impact sur les bienfaits de la libéralisation, mais pas sur l'efficacité des modes de financement alternatifs du service universel. En tout état de cause, il faut que l'Europe se donne des délais supplémentaires, au lieu d'imposer ce changement dans la précipitation.

M. Pierre Fauchon :

Ce débat est intéressant, mais à mon avis nous parlons du fond, et non pas de la subsidiarité et de la proportionnalité proprement dites. Peut-on parachever la libéralisation sans porter atteinte au service universel ? C'est un vrai problème, mais ce n'est pas celui que nous avons à traiter aujourd'hui. La commission des Affaires économiques l'abordera le moment venu. Sur le fond, je ne suis pas en désaccord avec qui a été dit, mais je crois que nous perdrons notre crédibilité dans notre mission de vigilance sur la subsidiarité et la proportionnalité, si nous nous laissons guider par des considérations de fond.

M. Hubert Haenel :

Compte tenu de nos débats, je crois pouvoir proposer que nous adoptions les observations suivantes, qui me paraissent constituer le point d'équilibre :


Observations

La délégation pour l'Union européenne estime que la proposition de directive sur l'achèvement du marché intérieur des services postaux respecte le principe de subsidiarité, mais qu'elle ne satisfera au principe de proportionnalité que dans la mesure où elle permettra de manière effective de garantir un financement approprié du service universel.

La délégation invite en conséquence la Commission à apporter la démonstration qu'un tel financement pourra être assuré dans le cadre des formules autorisées par la proposition de directive.

M. Pierre Fauchon :

Je ne peux m'associer à ces observations, qui me paraissent reposer sur une interprétation erronée du principe de proportionnalité. La question de l'opportunité de la directive est une autre question que le respect de la subsidiarité et de la proportionnalité.

*

À l'issue du débat, la délégation a adopté les observations proposées par M. Hubert Haenel.