Les réunions de la délégation du Sénat pour l'Union européenne

30 novembre 1999


Elargissement

Communication de Mme Danielle Bidard-Reydet concernant la candidature de la Slovaquie à l'adhésion à l'Union européenne

Politique de coopération

Communication de M. Serge Lagauche sur la renégociation de la convention ACP-CE de Lomé

Politique économique et financière

Communication de M. Bernard Angels sur le texte E 1293 relatif à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux

Justice et affaires intérieures

Communication de M. Pierre Fauchon sur les textes E 1270 et E 1314 relatifs à la reconnaissance et à l'exécution des décisions judiciaires en matière civile et commerciale


Elargissement

Communication de Mme Danielle Bidard-Reydet concernant la candidature de la Slovaquie à l'adhésion à l'Union européenne

Dans le cadre de ma désignation comme responsable, pour la délégation, du suivi de la candidature de la Slovaquie à l'Union européenne, je me suis rendue dans ce pays, du 6 au 12 juillet 1999, en compagnie d'une délégation du groupe sénatorial d'amitié France-Slovaquie, qui était composée de MM. Paul Girod, Président du groupe d'amitié, Patrice Gélard, Philippe Nachbar et Georges Berchet.

Je vais également profiter de cette communication pour vous résumer les principales conclusions du dernier rapport de la Commission européenne, qui date du 13 octobre 1999, sur les progrès réalisés par la Slovaquie sur la voie de l'adhésion.

I. La mission effectuée en Slovaquie

La délégation a été reçue par M. Rudolph Schuster, Président de la République de Slovaquie, par les ministres des Affaires étrangères, des Finances, de l'Economie, de l'Intégration européenne, ainsi que par le vice-président du Conseil national et les présidents des commissions des Affaires étrangères et de l'Intégration européenne du Conseil national et le président de l'Association des Villes et Communes de Slovaquie. Tous nos interlocuteurs ont insisté sur la volonté de la Slovaquie d'adhérer le plus tôt possible à l'Union européenne et à l'OTAN. Le nouveau Gouvernement, en place depuis quelques mois, en fait un axe majeur de sa politique.

Située au coeur de l'Europe centrale, la Slovaquie a des frontières communes avec l'Autriche, la Hongrie, l'Ukraine, la Pologne et la République tchèque. Sa capitale, Bratislava (450.000 habitants), est située à l'ouest du pays et à quelques kilomètres seulement de Vienne. Le pays compte 5.400.000 habitants vivant sur un territoire de 49.000 km2, soit 110 habitants au km2. La population, d'origine slovaque à 85 %, comporte une importante minorité hongroise (11 %) dont l'intégration a pu soulever certaines difficultés trouvant leur origine, pour une large part, dans l'histoire du pays et sa longue domination par les Magyars. La participation de la minorité hongroise au Gouvernement depuis octobre 1998 et l'adoption d'une loi sur les langues minoritaires en juillet 1999 pourraient contribuer à un certain apaisement.

La Constitution slovaque, adoptée le 1er septembre 1992, a établi une démocratie parlementaire. Le Président de la République nomme les membres du Gouvernement et les hauts fonctionnaires. Il est le chef des armées et dispose d'un droit de veto législatif qui peut cependant être levé par un second vote du Parlement à la majorité simple. Enfin, il dispose du droit de dissolution. La Constitution de 1992 avait prévu son élection pour cinq ans par le Parlement à la majorité des trois cinquièmes et c'est ainsi qu'a été élu, en 1993, le premier Président de la République, M. Michal Kovac.

L'impossibilité de dégager la majorité requise pour l'élection de son successeur a conduit le Premier ministre, M. Vladimir Meciar puis M. Mikulas Dzurinda, à exercer les fonctions de Président de la République par intérim. La vacance de la présidence de la République, qui a duré seize mois, traduisait la crise politique majeure entre le Président Kovac, d'une part, et l'ancien Premier ministre Meciar et sa majorité parlementaire de l'époque, d'autre part.

Les élections législatives des 25 et 26 septembre 1998 ont débouché sur un changement de majorité parlementaire. Les formations politiques de l'ancienne majorité ont recueilli près de 42 % des voix et 57 sièges. La nouvelle majorité, avec 58 % des suffrages et 93 sièges, dispose de la majorité constitutionnelle des trois cinquièmes qui lui a permis de réviser la Constitution.

Cette majorité est constituée d'une large coalition allant du centre-droit à la gauche, et comprenant également le Parti de la Minorité hongroise. Elle a axé son programme sur un progrès de l'Etat de droit, de meilleures garanties pour les minorités, et l'intégration dans l'Union européenne et dans l'OTAN, la satisfaction des conditions requises impliquant des réformes législatives importantes et des réformes économiques.

La nouvelle majorité parlementaire a adopté à la majorité des trois cinquièmes une révision de la Constitution établissant l'élection du Président de la République au suffrage universel direct. L'élection présidentielle comporte deux tours de scrutin, la majorité absolue étant requise au premier tour et, à défaut, les deux candidats arrivés en tête étant admis au deuxième tour éventuel. La première élection présidentielle au suffrage universel direct s'est déroulée les 15 et 29 mai 1999, le candidat de la coalition au pouvoir, M. Rudolph Schuster, ayant été élu au deuxième tour avec 57 % des voix (47 % au premier tour) contre 43 % à M. Vladimir Meciar (37 % au premier tour).

Le Parlement est constitué d'une seule assemblée, le Conseil national, composé de 150 membres élus pour 4 ans au scrutin proportionnel, avec vote préférentiel dans le cadre de districts. Le Gouvernement est responsable devant le Conseil national qui vote les lois sous le contrôle de constitutionnalité d'un Tribunal constitutionnel dont les membres sont désignés par le Président de la République sur présentation du Conseil national en nombre supérieur à celui des sièges à pourvoir.

Dans la volonté de construire un Etat de droit, on nous a signalé le choix d'associer largement toutes les composantes du personnel politique. Ainsi sur dix-sept commissions parlementaires, cinq présidences ont été proposées à l'opposition qui les a refusées. Une commission, constituée pour réfléchir sur les chapitres de la Constitution à amender avant l'adhésion à l'Union européenne, est composée de spécialistes de la majorité et de l'opposition.

Dans le cadre de l'adhésion à l'Union européenne, les responsables slovaques souhaitent développer les contacts et les coopérations entre les parlements nationaux. Ils se situent dans la perspective de l'Europe des Etats et non des Régions, mais semblent soucieux de l'équilibre entre ce que l'on peut appeler les " grands pays " et les " petits pays ". Le schéma " un ou plusieurs professeurs, face à une classe d'élèves obéissants ", est réfuté. Les " petits pays " veulent être entendus.

Les forts liens d'amitié avec la France ont été souvent évoqués en rappelant notamment la présence de Français dans les maquis slovaques.

Une réflexion est en cours sur la création d'une deuxième chambre, selon un modèle qui se trouve déjà en Hongrie, en Slovénie et en Autriche, mais l'opportunité de sa création est aujourd'hui repoussée à plus tard.

Par rapport à leurs voisins, les Slovaques souhaitent le développement de rapports de bon voisinage tournés vers l'avenir et non vers le passé. Certains pays ont une place privilégiée, notamment la Tchéquie et la Hongrie, mais des liens étroits souhaitent être tissés avec la Pologne, l'Autriche et l'Ukraine.

Le nouveau Premier ministre, M. Mikulas Dzurinda, dispose, après quelques mois d'exercice de ses fonctions et en dépit d'une conjoncture économique difficile, d'une bonne image de marque, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays.

Après plusieurs années de croissance, encouragée par des investissements publics importants (barrages, centrales nucléaires, autoroutes en particulier), le pays, lourdement endetté, a vu son taux de croissance passer de 6,5 % en 1997 à 5,2 % en 1998, les prévisions étant à la baisse pour 1999. Une politique d'austérité pour réduire les déficits budgétaire et commercial et la rationalisation des conditions d'accès au crédit ont conduit à une relance de l'inflation (prévision de 11 % en 1999 au lieu de 6,7 % en 1998) résultant d'une hausse de tarifs publics et de la dérégulation des loyers, à une série de faillites d'entreprises et à une progression du chômage (de 14 % en 1998 à 17 % au cours du premier semestre de 1999), la moitié des personnes privées d'emploi l'étant depuis plus d'un an.

Le produit intérieur brut par habitant s'élevait à 3.710 dollars en 1998, dont 28 % issus de l'industrie, 59 % des services, 5 % de la construction et 4 % de l'agriculture. Les sociétés privées représentent désormais 96 % de l'ensemble des sociétés slovaques et participent au PIB à hauteur de plus de 80 %. Les principaux clients de la Slovaquie sont l'Allemagne (29 %) et la République tchèque (20 %), la France arrivant en septième position avec 3,50 %.

Les principaux fournisseurs sont l'Allemagne (26 %), la République tchèque (18 %) et la Russie (10 %), la France se situant au sixième rang avec 4 %. La balance commerciale de la Slovaquie est déficitaire, y compris avec les pays membres de l'Union européenne. Parmi les principaux secteurs du commerce extérieur de la Slovaquie, on citera les équipements automobiles, les produits intermédiaires, les produits manufacturés, l'énergie et la chimie.

Bien que se situant à un rang modeste, les échanges franco-slovaques, en lente progression, sont approximativement équilibrés depuis 1998. Ces échanges mériteraient évidemment d'être pleinement développés, ce qui supposerait, d'une part, une meilleure connaissance mutuelle et, d'autre part, un renforcement de la souplesse de l'administration slovaque. Les investissements étrangers proviennent de l'Allemagne (21 %), de l'Autriche (19 %), des Etats-Unis (12 %), du Royaume-Uni (12 %), des Pays-Bas (12 %), de la République tchèque (9 %) et de la France (6 %).

Dans leur volonté de se trouver sélectionnés dans les premiers, les autorités slovaques travaillent les critères économiques leur permettant de se rapprocher rapidement des acquis communautaires. Un certain nombre de lois, sur les marchés publics et les aides de l'Etat, ont été promulguées, des restructurations et des privatisations du secteur bancaire sont en cours. La volonté est d'attirer des investissements étrangers, le capital étranger ayant le même statut que le capital slovaque. L'idée étant que le besoin important d'argent ne sera satisfait que si celui-ci vient en grande partie de l'étranger. La volonté d'assurer une stabilité économique incite le Gouvernement à accroître les recettes du budget, en augmentant les taxes sur la consommation et en diminuant les dépenses publiques. Le gel des salaires dans l'Education nationale, et les réformes à introduire dans la Santé publique ne seront pas sans conséquence sur l'opinion publique car la mise en place de mesures compensatoires, en direction des populations les plus défavorisées, sont relativement faibles.

Le poids des collectivités locales dans l'économie est encore limité, car le processus de décentralisation de l'administration et des finances en est à son début. L'Etat envisage toutefois des transferts de compétence en direction des collectivités. Le Président de l'Association des Villes et des Communes a souligné le rôle très important des collectivités locales pour la vie démocratique du pays.

II. Le rapport de la Commission européenne sur les progrès réalisés par la Slovaquie sur la voie de l'adhésion

Le dernier rapport de la Commission européenne, du 13 octobre 1999, apporte des informations complémentaires très intéressantes sur l'état de préparation de la Slovaquie à l'Union européenne.

1. L'aide de l'Union européenne

Le rapport indique que les échanges entre la Slovaquie et l'Union européenne ont continué à augmenter tant en 1998 qu'au cours des six premiers mois de 1999. L'Union européenne a encore vu croître sa part du commerce extérieur total de la Slovaquie, ce qui traduit l'intégration continue de cette économie dans celle de l'Union. Au cours des six premiers mois de 1999, les exportations slovaques à destination de l'Union européenne représentaient 60,8 % des exportations totales, ce qui équivaut à une augmentation de 23,7 % par rapport au premier semestre de 1998. Au cours des six premiers mois de l'année, les importations en provenance de l'Union européenne représentaient 52 % des importations totales de la Slovaquie.

En 1999, le programme Phare a été le principal instrument d'assistance financière axé sur l'aide à la mise en oeuvre de la stratégie de pré-adhésion de la Slovaquie. Le programme Phare a fourni quelque 415 millions d'euros à la Slovaquie au cours de la période 1990-1999. Un complément de 4 millions d'euros a été prévu pour un programme de coopération transfrontalière avec l'Autriche, et un montant de deux fois 2 millions d'euros a été dégagé pour la coopération avec la République tchèque et avec la Hongrie, respectivement. Dans le cadre de la facilité de rattrapage 1999, la Slovaquie a reçu 2 millions d'euros pour soutenir des activités en faveur de la minorité tsigane et quelque 1,7 million d'euros pour financer sa participation à des programmes communautaires.

L'impact de Phare a été globalement positif. Un transfert effectif de savoir-faire, d'équipements et de ressources financières a eu lieu dans un certain nombre de domaines importants tels que la restructuration et la privatisation industrielles, le développement des PME, la promotion des échanges et des investissements, l'agriculture et l'enregistrement foncier. L'aide Phare au développement des PME a permis l'élaboration de stratégies sectorielles et la mise en place de mécanismes institutionnels et financiers destinés aux entreprises de ces secteurs.

Selon la Commission, les structures de mise en oeuvre de Phare en Slovaquie ont été rationalisées pour augmenter la transparence et éviter la dispersion des fonds. Ce processus accroît la responsabilité des pays candidats en recourant, dans la mesure du possible, à des institutions et à des agences de mise en oeuvre pérennes, qui seront chargées après l'adhésion de la gestion et de l'exécution des programmes financés par des fonds communautaires.

Depuis décembre 1998, un fonds national a été institué au sein du Ministère des Finances. Ce fonds national est globalement responsable de la gestion financière des fonds et du respect des règles Phare régissant la passation des marchés, leur suivi et la gestion financière ainsi qu'à l'existence d'un système approprié d'information sur les projets. Toutefois, il continue à manquer de personnel et doit être renforcé.

Quatorze projets de jumelage ont été lancés jusqu'à présent en Slovaquie dans le cadre de Phare. L'Allemagne dirige deux projets dans le secteur agricole visant à préparer la Slovaquie à la politique agricole commune et renforcer ses institutions compétentes. Les Pays-Bas, l'Allemagne et l'Autriche ont été choisis pour s'occuper de trois projets dans le domaine de l'environnement portant respectivement sur le rapprochement législatif, l'harmonisation de la politique sectorielle et la capacité de mettre en oeuvre des mesures en matière de pollution atmosphérique. Deux projets dans le domaine financier concernent l'efficacité des mécanismes de contrôle et la fourniture de conseils juridiques sur la banque, l'assurance, la fiscalité et la bourse.

La France dirige un groupe d'administrations d'Etats membres qui doit aider ses partenaires slovaques à se préparer aux fonds structurels.

Six projets de jumelage ont été lancés dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, notamment un projet, dirigé par le Royaume-Uni, visant à renforcer les institutions policières slovaques et un autre, sous la direction de l'Allemagne et en collaboration avec la Grèce, destiné à former les juges. Parmi les autres secteurs d'activité, il faut citer la formation en matière d'asile et d'immigration, la fourniture de conseils juridiques sur le droit d'asile, le pouvoir judiciaire, les affaires pénales, la législation sur les faillites et le droit commercial, et la modernisation des tribunaux.

Dix-huit projets de jumelage sont prévus dans le cadre du programme de 1999 ; ils couvriront des domaines tels que la normalisation et la certification des produits, la création d'une agence des marchés publics, la santé et la sécurité sur le lieu de travail, la mise en place d'une autorité nationale de régulation dans le secteur des télécommunications, la réforme de l'administration publique et la fourniture de conseils juridiques sur la mise en oeuvre de la politique énergétique.

2. Les progrès de la Slovaquie

La Slovaquie est en passe de disposer d'une économie de marché grâce aux décisions politiques et au calendrier de réformes du nouveau gouvernement. La mise en oeuvre de ces décisions dans l'année qui vient devrait faire avancer le processus et achever de mettre en place les conditions juridiques et économiques nécessaires à une économie de marché. La poursuite des progrès sur la voie d'une stabilité macro-économique durable et la mise en oeuvre du programme de réforme structurelle devraient permettre à la Slovaquie, selon la Commission, de faire face à moyen terme à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union.

La Commission souligne que, en ce qui concerne les autres volets de l'acquis, " bien que le rythme s'accélère et que les décisions politiques prises fassent évoluer le processus d'alignement dans la bonne direction, concrètement, peu de progrès ont été accomplis en terme de législation adoptée ". A titre d'exemple, en dépit du fait que le processus de transposition dans le domaine de l'environnement a été relancé grâce à l'adoption de plusieurs réglementations dans les secteurs de l'air et de la protection de la nature, la majeure partie du travail de transposition de l'acquis dans ce domaine reste à faire.

Dans le domaine des transports, l'alignement a pris du retard. Les intentions affichées par le Gouvernement en matière de développement régional doivent se traduire par des mesures concrètes. Peu de progrès ont été enregistrés dans les domaines agricole, vétérinaire et phytosanitaire, de même que dans le secteur de la santé et de la sécurité au travail. Il importe que le même effort que celui qui a permis l'adoption de lois cruciales dans le domaine du marché intérieur soit à présent consenti dans les autres secteurs de l'acquis, afin de rattraper le retard accumulé après l'inertie législative de ces deux dernières années.

La Commission estime également que " l'indépendance du pouvoir judiciaire, si elle a été renforcée de facto, doit maintenant être consolidée de jure, notamment par un amendement à la constitution supprimant la période d'essai des juges et modifiant les procédures de nomination et de révocation. Les efforts doivent être poursuivis afin de pérenniser la stabilité des institutions démocratiques, de renforcer la lutte contre la criminalité et la corruption et de protéger les droits des minorités. Une attention particulière doit être accordée à l'amélioration de la situation des tziganes et à la lutte contre les comportements discriminatoires dans la société ".

De même, en ce qui concerne la justice et les affaires intérieures, bien que certains progrès aient été enregistrés, notamment l'introduction de nouvelles formes de criminalité dans le code pénal et la ratification de conventions internationales importantes, il reste encore beaucoup à faire pour modifier la législation sur les étrangers et le droit d'asile et intensifier les efforts de lutte contre le crime organisé et la corruption. La loi sur la réforme de la fonction publique, préalable indispensable au futur renforcement des capacités administratives dans certains secteurs spécifiques de l'acquis, n'a pas été adoptée.

La Commission insiste en définitive sur le fait que, dans des domaines importants, " tels que le développement régional, le contrôle financier ou la justice et les affaires intérieures, la mise en place des institutions adéquates a pris du retard.". La Slovaquie devra ainsi considérablement intensifier ses efforts en matière d'élaboration de lois, de mise en oeuvre et de renforcement des capacités d'exécution. L'adhésion à l'Union européenne reste pour la Slovaquie un défi important.

Cette première communication vous présente un état des lieux des conditions de préparation de la Slovaquie à l'adhésion ; elle devra naturellement être complétée ultérieurement par d'autres communications.

Compte rendu sommaire du débat consécutif à la communication

M. Philippe François :

J'aimerais savoir si la séparation récente de la Slovaquie et de la Tchéquie peut conduire à un schisme entre ces deux pays. La Tchéquie est un pays industrialisé avec une forte présence des industriels allemands, comme par exemple Volkswagen qui a racheté Skoda. La Slovaquie est en revanche un pays plutôt agricole. Ces spécificités ne risquent-elles pas de conduire à des oppositions sérieuses entre les deux pays ? J'aimerais également connaître la structure de l'agriculture en Slovaquie, en particulier pour savoir si, comme pour la Pologne, l'émiettement des exploitations agricoles ne place pas ce pays dans un état de faiblesse pour affronter les contraintes de la politique agricole commune.

Mme Danielle Bidard-Reydet :

Avant de me prononcer sur la question d'un possible schisme entre les deux pays, je dois rappeler un point d'histoire. Les Slovaques ont, dans le passé, subi une situation où les Tchèques étaient considérés comme les meilleurs et où on ne leur demandait pas leur avis. Depuis la séparation entre les deux pays, les Slovaques veulent certes développer une véritable identité nationale, mais dans le cadre de relations ouvertes et confiantes avec leurs voisins, tchèques, hongrois et autrichiens. M. Schuster, le Président de la République, qui rentrait de Prague lorsqu'il a reçu la mission du Sénat, nous a indiqué que les relations entre les deux pays allaient dans un sens positif. La Slovaquie exprime sans ambiguïté sa volonté de travailler étroitement avec la Tchéquie.

Concernant l'agriculture, la Slovaquie a toujours été présentée comme un pays à caractère rural par rapport à la Tchéquie. Mais, déjà du temps de la Tchécoslovaquie, à la fois pour des raisons d'équilibre et de stratégie, des industries avaient été installées en Slovaquie, notamment des industries d'armement. Malgré les réorientations devenues indispensables, il n'en reste pas moins que la Slovaquie dispose d'un réel potentiel industriel qui explique certainement les investissements d'entreprises françaises dans ce pays, comme EDF ou Rhône-Poulenc. Ce pays cherche également à se diversifier, par exemple avec le tourisme et il attend naturellement des encouragements de la part de la France avec laquelle il ressent des affinités certaines.

M. Hubert Durand-Chastel :

Quel est le rapport en termes de niveau de vie entre la Tchéquie et la Slovaquie ?

Mme Danielle Bidard-Reydet :

J'ai indiqué dans ma communication que le revenu annuel par habitant en Slovaquie est de l'ordre de 3.000 dollars. Il est effectivement sensiblement inférieur à celui de la Tchéquie.


Politique de coopération

Communication de M. Serge Lagauche sur la renégociation de la convention ACP-CE de Lomé

Née en 1957 avec le Traité de Rome, la coopération avec les pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) a joué un rôle pionnier dans l'action extérieure de l'Union européenne. Depuis 1997, 71 pays sont inclus dans ce dispositif encore que l'Afrique du Sud, dernière arrivée, ne soit pas dans une situation tout à fait semblable aux précédents partenaires.

L'engagement de l'Europe en faveur de certains pays en développement liés historiquement aux Etats membres s'est d'abord affirmé avec les conventions de Yaoundé. A partir de 1975, celui-ci s'est exprimé avec les différentes conventions de Lomé, régulièrement adaptées et actualisées. Le quatrième volet arrive à échéance en février 2000 ; c'est donc le cinquième volet de cette convention qui est aujourd'hui en négociation.

La contribution de l'Union se traduit par un engagement financier qui la place au premier rang mondial de l'aide au développement : les financements communautaires représentent le quart de l'aide multilatérale au développement. Les deux-tiers de l'assistance reçue par les pays ACP proviennent de l'Union européenne et de ses Etats membres, la contribution française s'élevant à 3,5 milliards de francs par an. La majeure partie de l'aide va à l'Afrique subsaharienne (78 %), notamment l'Ethiopie, la Côte d'Ivoire, le Mozambique, le Cameroun et le Nigéria.

Le volet commercial de Lomé apporte aux pays ACP des avantages commerciaux parmi les plus avantageux des systèmes de préférence commerciale.

Enfin, le dialogue politique est en passe de devenir le troisième volet des accords de Lomé. La tenue du premier sommet des pays ACP en novembre 1997 à Libreville pour préparer la renégociation de la Convention montre l'émergence d'une solidarité régionale et économique entre les partenaires.

*

L'un des mérites historiques de la Convention de Lomé est d'avoir tenté de conjuguer aide et commerce. Malgré cela, pour la majorité des pays ACP, le commerce n'a pas fonctionné comme un moteur du développement.

Le système de Lomé a certes évité la faillite de certains Etats, mais il n'a pas atteint la mission qui lui était assignée : assurer leur décollage économique. Bien sûr, les pays partenaires ont en général augmenté leur niveau d'exportation. Mais, du fait de la mondialisation et de l'accroissement des volumes d'échanges, leur part dans le commerce mondial a baissé : ainsi, la part des pays ACP dans les importations de l'Union européenne est passée de 6,7 % en 1976 à 3,4 % en 1997.

Cette faiblesse économique s'est en outre accompagnée souvent d'instabilité politique, de guerres civiles et de conflits internationaux entraînant atteintes aux droits de l'homme et violations de l'état de droit.

Il est donc nécessaire de trouver, aujourd'hui, un nouvel élan. Dans son travail préparatoire à la renégociation des accords de Lomé, la Commission européenne a insisté sur la nécessité de prendre en considération la nouvelle donne dans les relations Nord-Sud, et notamment les éléments suivants :

- l'effondrement du bloc communiste, qui a fait perdre aux pays en voie de développement leur statut d'enjeu géopolitique entre les deux blocs et a entamé l'intérêt que certains pays industrialisés trouvaient à aider financièrement les pays les plus pauvres ;

- parallèlement, la mondialisation de l'économie, qui semble plutôt avoir nui aux pays en développement. Ceux-ci n'ont pas eu les moyens d'en profiter -faute notamment de disposer d'un bon accès aux nouvelles technologies et de personnel qualifié- et ils se considèrent comme victimes de la libéralisation du commerce, qui conduit, de fait, à une érosion des préférences dont ils bénéficiaient ;

- enfin, le fait que l'aide publique au développement ait perdu de sa crédibilité après la mise au jour d'affaires de corruption ou, plus fréquemment, de mauvaise utilisation des fonds. Pour la plupart des pays industrialisés, l'aide publique au développement, qui ne représente plus que 0,23 % de leur PNB, doit s'effacer devant de nouveaux instruments qui restent à déterminer.

Dans ce contexte international en profonde mutation, l'Union a considéré qu'une adaptation substantielle du partenariat UE-ACP aux nouveaux enjeux du développement durable était nécessaire. Pour autant, la pertinence du cadre unique de coopération Nord-Sud que constitue la Convention de Lomé -et auquel la France est très attachée- n'a pas été remise en cause.

*

Quel est le nouveau projet soutenu par l'Union ? Les axes essentiels de réflexion sont les suivants :

- le renforcement de la dimension politique du futur partenariat, afin d'y intégrer notamment le nouveau thème de la prévention des conflits ;

- le passage d'un système de préférences commerciales non réciproques, dont les ACP n'ont pas été en mesure de tirer un plein parti, à des accords de partenariat économique régionalisés (APER) liant l'Union européenne avec des régions et sous-régions ACP ; ceux-ci organiseraient la libéralisation progressive des échanges, à l'issue d'une période de transition pendant laquelle serait encouragée l'intégration régionale au sein du groupe ACP ;

- la simplification et le renforcement de l'efficacité de l'aide au développement, par un rôle accru donné à la programmation par pays et par la prise en compte de critères de performances dans l'allocation des ressources.

Par ce biais, l'Union européenne pense pouvoir contribuer à la lutte contre la pauvreté, en s'attaquant à la dynamique de l'exclusion et non à ses symptômes, et permettre une meilleure insertion des ACP dans l'économie mondiale. Pour ma part, si je ne suis pas hostile à l'élaboration de critères de performance, dans la recherche d'une plus grande efficacité, je crois important de n'être pas d'un trop haut niveau d'exigence, incompatible avec les capacités réelles des pays ACP.

*

Sachant que le volet IV de la Convention de Lomé expire le 29 février 2000, comment s'est déroulée, jusqu'à présent, la négociation ?

Le 29 juin 1998, le Conseil a donné mandat à la Commission l'autorisant à engager des négociations avec les Etats ACP en vue de conclure un accord de partenariat pour le développement. L'ouverture formelle des négociations s'est effectuée le 30 septembre suivant.

Mais, depuis les 8 et 9 février 1999, date du lancement de la première Conférence ministérielle de négociations à Dakar, celles-ci ont subi d'importants retards et sont restées longtemps au " point mort ".

La deuxième Conférence interministérielle de Bruxelles des 29-30 juillet 1999 n'a pas permis de faire évoluer les choses de manière constructive et il faut rappeler que les ministres sont censés conclure lors de la prochaine et dernière conférence ministérielle de décembre 1999.

Or, si certains points sont désormais acquis, il demeure encore d'importantes sources de blocage des négociations, parmi lesquelles :

·  La reconnaissance de la " bonne gouvernance " ou bonne gestion des affaires publiques.

Sur le fait même d'inscrire ce principe dans l'accord, les partenaires s'étaient rapidement entendus, sous réserve d'obtenir préalablement une définition commune du concept.

Mais l'Union européenne souhaite en outre qu'elle figure comme " clause essentielle " de la nouvelle convention, conditionnant l'adhésion de nouveaux membres au même titre que le respect des droits de l'homme, des principes démocratiques et de l'état de droit déjà écrits dans Lomé IV. Or, le non respect des clauses essentielles n'est pas exempt de graves conséquences puisqu'il entraîne la suspension automatique de l'aide européenne.

Pour leur part, les pays ACP craignent que l'Union européenne n'utilise cet argument pour ajouter un nouvel élément qui conditionnerait son aide et ne retienne dans cette notion que la lutte contre la corruption.

·  L'adaptation des économies ACP aux règles de l'OMC.

L'Union européenne a affirmé sa volonté d'accélérer l'adaptation des économies des pays ACP à l'économie mondiale dans le respect des règles de l'OMC. Ceci suppose l'arrêt progressif des préférences commerciales dont ils bénéficient de la part de l'Union européenne.

Elle propose de les remplacer, à terme, par des zones de libre échange entre l'Union européenne et des unions douanières sous-régionales formées au sein de la zone ACP. Avant de négocier ces nouveaux accords, une période transitoire de cinq ans serait accordée aux pays ACP.

Ceux-ci plaident pour une période temporaire plus longue, de dix ans, leur permettant de s'adapter à une organisation qui est, à leurs yeux, essentiellement conçue pour les pays riches. Ils demandent que les négociations ne s'ouvrent qu'en 2006 pour s'achever en 2010, avant de lancer la mise en oeuvre des accords libre-échangistes.

Il faut savoir que les relations non réciproques entre les ACP et l'Union européenne font actuellement l'objet d'une dérogation de l'OMC. En effet, accorder un traitement préférentiel, sous la forme de tarifs douaniers plus favorables, à un nombre limité de pays est contraire au principe de la nation la plus favorisée qui fonde l'OMC. Le système actuel est largement plus favorable puisque, actuellement, 99 % des exportations des ACP entrent dans l'Union européenne sans droits de douane contre 68 % pour les pays non ACP bénéficiant de l'actuel schéma de préférences généralisées.

La dérogation actuelle expire en février 2000. L'Union européenne et les pays ACP devront obtenir une nouvelle exception pour couvrir la période de transition préalable à la mise en place d'arrangements compatibles avec les règles de l'OMC.

·  L'avenir des instruments de stabilisation Stabex et Sysmin.

Instruments de protection des recettes d'exportations des pays ACP contre les fluctuations de marché ou de production, le Stabex et le Sysmin n'exercent aucune influence sur les prix mais veillent à une compensation en cas de diminution des recettes.

Le Stabex concerne cinquante produits de base agricoles. le Sysmin se rapporte à certains produits miniers de base. Le premier est doté de 1,8 milliard d'euros pour la période 1995-2000 ; le second dispose de 0,575 milliard d'euros sur la même période. Ils sont financés par des contributions du Fed (fonds européen de développement).

Les pays ACP sont très attachés à la préservation de ces instruments financiers, tandis que l'Union européenne souhaite leur suppression, dans le souci de rationaliser et de simplifier ces mécanismes. Ils seraient alors remplacés par deux enveloppes distinctes :

- la première, de long terme, pour financer des actions structurelles, des projets de développement durable...

- la deuxième, pour faire face à des besoins immédiats et non prévus.

*

En guise de conclusion, j'aimerais évoquer les perspectives de voir conclues ces négociations.

Après des mois d'impasse, le Conseil développement du 11 novembre dernier a approuvé certaines solutions qui pourraient constituer un compromis pour sortir du blocage des négociations, lors du Conseil ACP-UE des 7 et 8 décembre prochains.

Le compromis définitif pourrait être le suivant :

·  Questions commerciales : le régime des préférences commerciales unilatérales actuellement garanti aux pays ACP au titre de la Convention de Lomé (accès à droit nul de leurs produits au marché européen, sans réciprocité) serait maintenu pendant une période de huit ans, soit jusqu'en 2008. Cette période de statu quo serait mise à profit pour préparer les accords de partenariat économiques régionaux qui déboucheraient sur l'instauration de zones de libre-échange dans les quinze ans.

Il conviendrait donc de négocier à l'OMC une dérogation de huit ans aux règles du commerce multilatéral et l'extension à quinze ans de la période transitoire prévue avant la mise en place de véritables zones de libre-échange.

L'aspect commercial est probablement le plus " mûr " pour faire l'objet d'un accord.

·  Bonne gestion des affaires publiques : le compromis consisterait à ne pas faire de ce concept un " élément essentiel " dont le non-respect entraînerait la mise en oeuvre automatique de la clause de non-exécution de l'accord, tout en lui accordant la place d'un élément fondamental du futur accord.

Seule la lutte contre la corruption ferait l'objet d'une disposition spécifique de l'accord qui pourrait entraîner la suspension de la coopération en cas de violation flagrante de ce principe. On viserait alors la corruption organisée, érigée en système, et non la corruption occasionnelle imputable à un individu ou découlant des faiblesses dans les capacités des pays ACP. Sur cette base, il conviendra donc de dégager un libellé qui soit acceptable pour les deux parties et cet aspect des négociations est encore difficile.

·  Enveloppe financière : bien qu'en marge de la présente négociation, la question du montant de l'enveloppe financière à allouer par les Etats membres de l'Union pour la période 2000-2006 (9ème Fonds européen de développement) est essentielle.

Le chiffre proposé par la Commission s'élève à 14,33 milliards d'euros contre 13,1 milliards pour le 8ème Fed, soit une augmentation de 9 % en termes nominaux, mais un maintien en termes réels du volume précédent. S'il est accepté par certains Etats membres, il est aussi contesté par plusieurs participants.

La France, qui avait fourni la plus forte contribution au 8ème Fed " à titre exceptionnel ", a exprimé le souhait que soit alignée la clé de répartition entre les Etats membres sur la contribution de chacun au budget communautaire. L'Espagne a estimé qu'il n'y avait pas lieu de discuter de l'enveloppe globale tant que cette question ne serait pas revue. Compte tenu de la faible capacité d'absorption des fonds par les ACP, dont témoignent les reliquats des Fed précédents, d'autres délégations (Allemagne et Autriche) ont douté de la capacité d'engager et de dépenser la somme proposée par la Commission. Cet aspect est donc encore à négocier.

·  Enfin en ce qui concerne le Stabex et le Sysmin, il semble désormais acquis que l'Union ne reviendra pas sur sa proposition, ce qui signifie que ces instruments ne peuvent être conservés sous leur forme actuelle.

M. Poul Nielson, nouveau Commissaire danois en charge du dossier, estime toutefois que la proposition de l'Union européenne prévoit une marge de manoeuvre suffisante sur les aspects techniques de sorte qu'elle devrait finir par convaincre les pays ACP du bien-fondé d'un système permettant d'élargir à un plus grand nombre de pays bénéficiaires l'accès à des ressources additionnelles. La négociation reste toutefois encore difficile sur ce point.

*

A ce stade, on peut donc légitimement supposer qu'un accord partiel sera trouvé les 7 et 8 décembre prochains, afin d'éviter tout vide juridique dans le système de coopération, mais que l'ensemble des points en discussion ne sera pas réglé pour autant. Je ne manquerai pas de vous tenir au courant de l'évolution de ce dossier.

Enfin, je voudrais finir sur un petit point d'actualité : la tenue de la Conférence des pays ACP à Saint-Domingue, voici quelques jours, durant lesquels ils se sont notamment prononcés pour l'intégration de Cuba dans le régime de Lomé.

Compte rendu sommaire du débat consécutif à la communication

M. Hubert Durand-Chastel :

Vous nous avez précisé que le dispositif de la Convention de Lomé reposait sur l'octroi d'importations à droits nuls, sans contrepartie de la part des pays ACP. Pour ma part, je ne trouverais pas inéquitable que l'Union se voit consentir un avantage financier, même symbolique, en contrepartie de l'effort important qu'elle produit elle-même.

Par ailleurs, concernant la négociation de l'OMC qui s'ouvre aujourd'hui même à Seattle, mon sentiment est que les exigences de respect de normes sociales sont totalement inadaptées aux situations des économies émergentes.

M. Serge Lagauche :

Et même si l'on aboutissait à un accord sur ce point, la réalité resterait totalement incontrôlable. La priorité est d'abord de sortir de l'état de guerre, qui concerne un certain nombre des pays partenaires, et, probablement, de réorienter les aides financières vers la société civile et les ONG afin de s'assurer qu'elles ne seront pas utilisées pour l'achat d'armement. Ce faisant, j'ai bien conscience de me trouver alors sur la frontière qui permet de distinguer l'aide humanitaire et les relations commerciales.

Mme Danielle Bidard-Reydet :

Vous avez insisté, et à juste titre, sur la lutte contre la corruption. J'ai évoqué cette même question lors de mon récent séjour en Slovaquie où l'on m'a répondu, avec une pointe d'ironie, que ce problème se rencontrait dans tous les pays du monde.

Pour ce qui concerne le travail des enfants, c'est une grave question. Je suis de ceux qui considèrent que l'enfance ne doit pas être volée et que l'enfant doit être à l'école, plutôt qu'au travail, afin de préparer les forces vives de son pays lorsqu'il atteindra l'âge adulte. Moyennant quoi, je suis consciente de la difficulté de cette question et de la nécessité de tenir compte des spécificités de nos partenaires.

M. Serge Lagauche :

Vous parlez des enfants, mais il faut aussi parler des femmes qui jouent un rôle essentiel dans l'équilibre social des pays en développement. Si l'on veut scolariser les enfants, et notamment les petites filles, il faut imaginer des dispositifs originaux associant enseignement et agriculture afin que les moyens de subsistance quotidienne soient assurés.

M. Hubert Haenel :

Je remercie le rapporteur de l'exposé très complet qu'il nous a présenté et je l'engage à poursuivre l'examen de ce dernier afin de nous rendre compte de l'évolution de cette importante négociation.


Politique économique et financière

Communication de M. Bernard Angels sur le texte E 1293 relatif à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux

La lutte contre le blanchiment des capitaux traduit une prise de conscience des gouvernements sur les risques que font courir à l'économie des transactions suspectes financières liées à l'activité du crime organisé.

Selon le Fonds monétaire international (FMI), le montant des capitaux issus d'activités criminelles qui s'investissent chaque année sur les marchés financiers serait de l'ordre de 1 000 milliards de dollars, soit l'équivalent du budget des Etats-Unis. Le FMI a souligné les graves conséquences macro-économiques de l'activité du blanchiment. Car les blanchisseurs ne se déterminent pas en fonction du taux de rendement le plus élevé, mais recherchent avant tout le lieu ou le placement qui leur permettra de recycler le plus facilement leur argent, même s'ils doivent pour cela se contenter d'un rendement plus faible.

Les capitaux peuvent ainsi quitter des pays économiquement performants -mais exerçant un fort contrôle sur la criminalité- pour des pays moins compétitifs mais plus arrangeants. Les investissements s'orientent alors dans des opérations sans rationalité apparente, affectant ainsi la stabilité des taux d'intérêt et des taux de change et perturbant les choix des responsables politiques.

I - Le contexte de la nouvelle directive

La convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, adoptée le 19 décembre 1988 à Vienne, a été le premier élément de cette lutte. Cette convention mentionnait pour la première fois la nécessité de lutter internationalement contre le blanchiment. Le G7 a ensuite mis en place en 1989, lors du sommet de l'Arche, un Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI), auquel participe la Commission européenne et vingt-six pays, dont tous les Etats membres de l'Union européenne, qui a pour mission d'identifier les pays et territoires qui peuvent être considérés comme " non-coopératifs " dans la lutte contre le blanchiment des capitaux. Le groupe a publié en 1990 quarante recommandations qui ont été actualisées en 1996. Le Conseil de l'Europe a élaboré de son côté en 1990 une convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime.

La première directive européenne relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment des capitaux a été adoptée le 10 juin 1991. Elle exige des établissements financiers qu'ils s'informent sur leurs clients et qu'ils adoptent des programmes de lutte contre le blanchiment. Ils doivent passer outre le secret bancaire pour l'information des autorités en cas de soupçon.

La Commission européenne a présenté en mars 1995 un premier rapport sur l'application de cette directive, sur la base duquel le Parlement européen a demandé que le délit de blanchiment de capitaux recouvre le blanchiment des produits de tous les crimes organisés et souhaité que la directive couvre directement toutes les professions et tous les types d'entreprises impliquées dans ces agissements ou susceptibles de le devenir. L'ensemble des Etats membres ont transposé cette première directive. Une seule procédure d'infraction est actuellement en cours pour non-application ou application incorrecte de la directive. Elle concerne l'Autriche, qui maintient l'anonymat sur les comptes d'épargne. La Commission a décidé en octobre 1997 de saisir la Cour de Justice.

Le Conseil européen, réuni à Dublin les 13 et 14 décembre 1996, a par ailleurs créé un groupe de haut niveau chargé d'établir un programme d'action global relatif à la criminalité organisée. Ce programme a été adopté par le Conseil, le 28 avril 1997, et approuvé par le Conseil européen à Amsterdam, en juin 1997. Ce programme contient notamment une recommandation n° 26 qui traite du blanchiment de l'argent et de la confiscation des produits du crime. La recommandation comporte plusieurs " orientations politiques " :

- extension des compétences d'Europol au blanchiment des capitaux ;

- élargissement de l'incrimination de blanchiment des produits du crime et renforcement de la saisie des avoirs illicites ;

- extension de l'obligation de déclaration à toutes les infractions liées à des faits criminels graves et à des professions autres que les établissements financiers ;

- limitation de l'usage de paiements en liquide et d'opérations de change en billets servant à camoufler la conversion des produits du crime en d'autres biens.

Le 21 décembre 1998, le Conseil a en outre adopté, sur la base de l'article K3 du traité sur l'Union européenne, une action commune relative à l'incrimination de la participation à une organisation criminelle dans les Etats membres de l'Union. Elle concerne également l'identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime. Cette action commune avait comme conséquence de conduire les Etats membres à ne formuler aucune réserve sur l'article 6 de la convention du Conseil de l'Europe de 1990 portant sur les infractions liées au blanchiment.

Le Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999 a souligné qu'il convient aussi d'améliorer la transparence des transactions financières et de la provenance du capital des sociétés. Il a demandé que les autorités judiciaires et les cellules de renseignements financiers soient mises en mesure de recevoir les informations nécessaires dans le cadre d'enquêtes sur le blanchiment d'argent, quelles que soient les dispositions en matière de confidentialité applicables aux activités bancaires et aux autres activités commerciales.

Le Conseil a également recommandé le rapprochement des législations pénales relatives au blanchiment. En particulier, le champ des activités criminelles constitutives d'infractions doit devenir uniforme et suffisamment large dans tous les Etats membres. Le Conseil européen a demandé l'extension des compétences de l'Office européen de police (Europol) au blanchiment, quel que soit le type d'infraction à l'origine des produits blanchis. Il a demandé que des normes soient élaborées pour empêcher le recours à des sociétés écrans susceptibles de dissimuler et de blanchir le produit d'activités criminelles. Il a encore demandé que des actions soient engagées en direction des pays tiers abritant des centres " off shore ".

Ces recommandations du Conseil ne sont pas superflues. Le deuxième rapport de 1998 de la Commission sur l'application de la directive relative au blanchiment de capitaux montre l'extrême hétérogénéité des systèmes de déclaration dans les Etats membres. A titre d'exemple, le Luxembourg, dont l'activité bancaire est bien connue, a indiqué deux actions intentées au niveau national et qui sont en instance. L'Irlande a déclaré une condamnation. En Autriche, quatre procès sur treize actions publiques se sont terminés par un acquittement.

II - Le contenu de la nouvelle directive

La nouvelle proposition de directive, pour laquelle nous sommes saisis dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, a pour objet de mettre à jour et d'étendre la directive de 1991.

En premier lieu, elle apporte un certain nombre de modifications des définitions afin :

- d'inclure les succursales des établissements de crédit et des institutions financières communautaires dans les définitions des " établissements de crédit " et des " institutions financières ", de sorte qu'il soit clair que ces succursales sont tenues de divulguer leurs soupçons éventuels aux autorités de l'Etat d'accueil et que ces dernières ont l'obligation de veiller à ce que des mesures anti-blanchiment sont bien mises en place ;

- de préciser clairement que les bureaux de change et les sociétés de transfert de fonds sont bien couverts par la directive ;

- d'inclure les entreprises d'investissement ;

- de modifier la définition de l'" activité criminelle ", de sorte que toutes les formes de criminalité organisée et les activités illicites portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés, et non le seul trafic de drogues, soient couvertes par l'interdiction du blanchiment des capitaux.

La proposition élargit le champ des activités et professions soumises aux obligations de la directive qui concerne dorénavant, outre les établissements de crédit et les institutions financières, les commissaires aux comptes et les comptables, les agents immobiliers, les notaires et les professions juridiques indépendantes (pour certaines activités relevant du domaine financier ou du droit des sociétés), les marchands d'articles de grande valeur, tels que pierres et métaux précieux, les transporteurs de fonds, les gérants, les propriétaires et les directeurs de casinos.

Un nouvel article traite également des obligations en matière d'identification des clients. Une disposition concernant les transactions à distance a été insérée, de même qu'un seuil à partir duquel les achats de jetons par les clients de casinos doivent être déclarés.

La proposition traite encore de l'obligation de signaler les transactions suspectes aux autorités anti-blanchiment. Cette obligation s'appliquera à tous les établissements et personnes couverts par la directive. Les Etats membres auront la possibilité d'autoriser les professions juridiques indépendantes à signaler leurs soupçons à leur ordre professionnel ou à toute autre association professionnelle. Il est prévu que ces professionnels pourront être dispensés de cette obligation de déclaration lorsqu'ils représentent le même client dans une procédure judiciaire formelle. Cette dérogation à l'obligation de déclaration ne peut s'appliquer aux cas dans lesquels ils sont sollicités, directement ou indirectement, en vue de fournir des conseils visant à faciliter le blanchiment de capitaux.

La proposition prévoit enfin :

- la mise en place d'une coopération entre autorités anti-blanchiment des Etats membres et, dans la limite de ses compétences, la Commission ;

- l'examen régulier par la Commission de certains aspects de la directive, comme par exemple le régime spécial pour les avocats et l'impact possible sur le commerce électronique des procédures d'identification des clients.

Le contenu de cette nouvelle proposition de directive ne peut que satisfaire notre délégation. En effet, lors de l'examen de proposition de directive sur la fiscalité de l'épargne, j'avais eu l'occasion de mentionner la question des paradis bancaires qui portent atteintes au bon fonctionnement des systèmes d'épargne en Europe. Un renforcement de la lutte contre le blanchiment permettra ainsi aux Etats membres de se prémunir, en partie, contre les conséquences négatives de l'existence de ces paradis fiscaux.

Nous ne pouvons qu'être favorables au texte qui nous est soumis. Mais cette question mérite à l'évidence une étude plus approfondie. Je vous propose donc de lever la réserve parlementaire puisque nous ne pouvons que souhaiter l'adoption rapide de cette directive, mais de revenir sur ce sujet ultérieurement après avoir procédé à des auditions avec l'ensemble des parties concernées.

*

Cette communication a été adressée par voie écrite aux membres de la délégation qui avaient la possibilité d'intervenir sur ce texte lors de la réunion du 30 novembre. Aucun sénateur n'ayant souhaité formuler d'observations sur le sujet, la délégation a approuvé la communication de M. Bernard Angels.


Justice et affaires intérieures

Communication de M. Pierre Fauchon sur les textes E 1270 et E 1314 relatifs à la reconnaissance et à l'exécution des décisions judiciaires en matière civile et commerciale

En lisant l'intitulé de cette communication, certains d'entre vous éprouveront peut-être une impression de déjà vu, déjà entendu. Il est exact en effet que je vous ai déjà présenté au mois de juin dernier une communication sur le document E 1225 rectifié, lequel portait sur la révision des conventions de Bruxelles et de Lugano, c'est-à-dire précisément sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Sur un plan plus général, nous avons déjà à plusieurs reprises discuté de la question de la réalisation d'un espace judiciaire européen. Si j'ai tenu à faire devant vous une nouvelle intervention sur ce sujet, c'est pour trois raisons essentielles :

- d'abord parce que la création d'un espace judiciaire européen constitue l'un des défis auxquels l'Union européenne doit aujourd'hui répondre. Je sais d'ailleurs que beaucoup d'entre vous, à commencer par le président de notre délégation, y attachent à juste titre une particulière attention. Aussi, me paraît-il utile de vous informer régulièrement des initiatives prises en ce domaine par la Commission ;

- la deuxième raison tient à l'objet du texte E 1270, qui s'applique aux décisions en matière matrimoniale. Il vise à répondre à des situations douloureuses qui ne laissent aucun de nous indifférent. Je crois qu'il est bon que vous sachiez ce qui est envisagé par l'Union européenne en la matière ;

- enfin, je vous avais fait part au mois de juin de certaines difficultés rencontrées pour l'adoption d'actes communautaires dans le domaine de la coopération judiciaire civile. L'avis que notre délégation doit émettre sur les textes E 1270 et E 1314 me fournit l'occasion de vous présenter l'évolution des choses depuis près de six mois.

Pour répondre à ce triple souci, j'articulerai ma communication en deux points : l'un, pour présenter ou rappeler le contenu des documents E 1270 et E 1314 ; l'autre, pour faire le point sur la communautarisation des conventions conclues dans le domaine de la coopération judiciaire.

1 - Le contenu des textes E 1270 et E 1314

Le texte E 1314 est une proposition de règlement qui vise à " communautariser " la convention de Bruxelles I, dont l'objet est de déterminer, lorsqu'un procès civil ou commercial présente un caractère transfrontalier, les règles de compétence judiciaire et d'exécution des décisions. Cette communautarisation ne se ferait pas à droit constant : elle prendrait notamment en compte des modifications sur lesquelles les Quinze s'étaient déjà mis d'accord et que reprenait le document E 1225 rectifié. Je vous renvoie donc, pour le texte E 1314, à ce que je vous avais indiqué au mois de juin.

En ce qui concerne le texte E 1270, il s'agit également d'une proposition de règlement visant à communautariser une convention, en l'occurrence celle dite de Bruxelles II, relative à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale, que les Quinze ont signé le 28 mai 1998. Avec cette nouvelle convention les Etats ont voulu combler une lacune de la convention de Bruxelles I, puisque les questions relatives à l'état des personnes sont exclues du champ d'application de cette dernière. La convention de Bruxelles II, et donc la proposition de règlement E 1270, posent les règles permettant notamment de déterminer la juridiction compétente en matière matrimoniale et de faciliter l'exécution des décisions.

Quand je parle de question matrimoniale, je fais référence aux procédures relatives au divorce, à la séparation de corps ou à l'annulation du mariage, ainsi qu'aux procédures relatives à la responsabilité parentale à l'égard des enfants que ces actions peuvent entraîner. Il importe en outre de préciser que seules les procédures civiles sont concernées, ce qui exclut par exemple les affaires pénales pour non-représentation d'enfant.

En ce qui concerne la compétence judiciaire, la proposition de règlement énumère les critères qui permettront de déterminer si une affaire relève des juridictions de tel Etat plutôt que de tel autre. Ces critères sont la nationalité des époux et, avec des variantes, le lieu de leur résidence habituelle. Ces critères ont un caractère exclusif, ce qui signifie qu'ils sont les seuls permettant de déroger à la règle selon laquelle un époux qui réside habituellement sur le territoire d'un Etat membre ou qui en est ressortissant ne peut pas être attrait devant les juridictions d'un autre Etat membre.

Il est possible que, malgré cette clarification des règles de compétence, l'affaire soit portée devant des juridictions d'Etats différents. En ce cas, la juridiction saisie en second lieu devra d'office surseoir à statuer jusqu'à ce que la première juridiction saisie ait statué sur sa compétence ; si la compétence de celle-ci est établie, la juridiction saisie en second lieu devra se dessaisir en sa faveur.

En ce qui concerne la reconnaissance des décisions, le texte de la proposition de règlement est on ne peut plus clair : " les décisions rendues dans un Etat membre sont reconnues dans les autres Etats membres sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure ". Je précise que ce principe s'applique aux décisions devenues définitives. Cela étant, toute règle connaît des exceptions. C'est ainsi que la proposition de règlement énumère des motifs dits " de non-reconnaissance ", parmi lesquels on peut citer : le cas où la reconnaissance serait manifestement contraire à l'ordre public de l'Etat requis ; le cas où elle serait inconciliable avec une décision rendue dans une instance opposant les mêmes parties dans l'Etat membre requis...

Il est intéressant de noter que, selon l'article 17, la reconnaissance d'une décision rendue en matière de divorce, de séparation de corps ou d'annulation du mariage ne peut être refusée au motif que la loi de l'Etat requis ne permettrait pas, pour les faits en question, le divorce, la séparation de corps ou l'annulation du mariage.

Enfin, au-delà de la reconnaissance d'une décision de justice prise dans un Etat membre, se pose la question de son exécution, c'est-à-dire, en l'espèce, de la mise en oeuvre de la responsabilité parentale. Dans ce cas, il y aura lieu d'obtenir ce que l'on appelle l'exequatur, c'est-à-dire une décision dans l'Etat requis déclarant un jugement ou un arrêt exécutoire sur son territoire. En France, cette requête devrait être présentée devant le président du tribunal de grande instance. La requête ne pourra être rejetée que pour des motifs strictement énumérés par la proposition de règlement (ce sont les mêmes que ceux empêchant la reconnaissance d'une décision de justice : contrariété manifeste à l'ordre public, etc).

2 - Les problèmes touchant à la communautarisation de la coopération judiciaire civile

Au mois de juin, je vous avais indiqué que la " communautarisation " des conventions de Bruxelles se heurtait à certaines difficultés, juridiques et philosophiques.

Le fondement juridique de cette " communautarisation " est l'article 65 du traité, tel qu'issu du traité d'Amsterdam. Cet article autorise la Communauté européenne à prendre des mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, " dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur ".

Les difficultés juridiques auxquelles je faisais précédemment allusion tiennent au statut privilégié de trois Etats membres au regard de cette disposition : le Royaume-Uni et l'Irlande, d'une part, qui, sauf s'ils en font la requête, ne participent pas aux actes communautaires pris sur le fondement de l'article 65 ; le Danemark, d'autre part, qui lui, est purement et simplement exclu de l'article 65 et ne peut donc même pas demander, au cas par cas, à ce que les actes pris sur cette base lui soient applicables. Seule une renonciation par ce pays à son statut spécifique, qui résulte d'un protocole annexé au traité, permettrait de revenir sur ce fait ce qui, à ma connaissance, n'est pas à l'ordre du jour.

En fait, ces difficultés d'ordre juridique ont été ou sont sur le point d'être surmontées, tant pour Bruxelles I que pour Bruxelles II : le Royaume-Uni et l'Irlande ont demandé à être intégrés dans le champ des futurs règlements ; quant au Danemark, il participe activement aux travaux et souhaite que les dispositions des règlements lui soient applicables par la voie conventionnelle. Il reste cependant à savoir si la ou les conventions seront signées entre le Danemark et les quatorze autres Etats ou entre le Danemark et la Communauté. A mon avis, dès lors qu'il y aurait eu communautarisation et conformément à la jurisprudence de la Cour de justice, le pouvoir de contracter relèverait de la Communauté.

Sous cette réserve, tout irait pour le mieux si, aux difficultés juridiques n'étaient pas venues s'ajouter des difficultés que j'ai qualifiées de philosophiques car elles sont liées à la conception que le Royaume-Uni se fait de la construction européenne. Ce pays préférerait en effet une harmonisation par voie de convention plutôt que par un acte communautaire car la première solution laisse intactes les compétences externes des Etats, alors que la communautarisation transfère à la communauté le pouvoir de conclure des conventions avec des Etats tiers. C'est pour cette raison que le Royaume-Uni avait défendu la thèse selon laquelle l'article 65 n'autoriserait pas la communautarisation des conventions de Bruxelles, tout au moins de Bruxelles II, car les questions matrimoniales n'auraient selon lui rien à voir avec la réalisation du marché intérieur.

En fait, les britanniques se sont trouvés dès le début très isolés. Ils le sont encore plus aujourd'hui puisque le service juridique du Conseil de l'Union européenne vient de leur donner tort en considérant que l'article 65 fournissait bel et bien une base juridique à la communautarisation de Bruxelles I et de Bruxelles II.

Dans ces circonstances, on peut espérer que le Royaume-Uni, tout au moins dans un premier temps, cédera et donnera son accord à l'adoption des règlements. Dans ce cas, les choses pourraient se précipiter, tout au moins pour Bruxelles II et, pourquoi pas, donner lieu à un accord politique au sein du Conseil Justice et affaires intérieures de décembre. Pour Bruxelles I, il faudra un peu plus de temps, ne serait-ce que parce que le Parlement européen ne se prononcera pas avant le début de l'année 2000. Par ailleurs, l'article 15, en ce qu'il concerne le commerce électronique, pourrait donner lieu à discussion. Je ne manquerai pas d'attirer sur ce point l'attention de notre collègue qui, au sein de la commission des Lois, sera le rapporteur de la proposition de résolution que nous avons déposée sur le commerce électronique.

Bien entendu, on ne saurait exclure que le Royaume-Uni saisisse la Cour de justice des règlements dès leur adoption définitive. Au mois de juin, je vous avais dit que cette perspective ne devait pas décourager les partisans -dont je suis- de la communautarisation. L'avis du Service juridique du Conseil n'a fait que me renforcer dans ma conviction. J'ajoute que, tant que la proposition de règlement " Bruxelles II " n'aura pas été adoptée, les Quinze ne disposeront pas d'un instrument pour ces douloureuses questions matrimoniales -alors que, à défaut d'un règlement " Bruxelles I ", ils disposeront toujours de la Convention de 1968. Voilà pourquoi je pense que nous devons non seulement approuver l'initiative de la Commission, mais aussi appeler de nos voeux une adoption rapide de ses propositions.

*

Cette communication a été adressée par voie écrite aux membres de la délégation qui avaient la possibilité d'intervenir sur ce texte lors de la réunion du 30 novembre. Aucun sénateur n'ayant souhaité formuler d'observations sur le sujet, la délégation a approuvé la communication de M. Pierre Fauchon.