Compte-rendu du 2e Forum parlementaire franco-marocain - Matinée au Sénat

Jeudi 16 avril 2015 - Présidence de M. Gérard Larcher, Président du Sénat -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

M. Gérard Larcher, Président du Sénat.

Monsieur le Président de la Chambre des Conseillers, Monsieur le Président de la Chambre des Représentants, Madame la Vice-présidente de l’Assemblée nationale, Madame et Messieurs les Présidents des groupes parlementaires d’amitié Maroc-France et France-Maroc, Mesdames et Messieurs les parlementaires, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue au Sénat, qui accueille la session d’ouverture de la deuxième édition du Forum parlementaire franco-marocain. Je tiens à saluer de façon particulièrement amicale le Président de la Chambre des Conseillers et le Président de la Chambre des Représentants, qui nous font l’honneur d’être parmi nous.

La précédente, et première, édition du Forum a eu lieu au Maroc, à Rabat, en décembre 2013. Qui eût imaginé alors les turbulences – disons les choses – qui allaient affecter les relations entre nos deux pays au cours de l’année passée ! Mais aujourd’hui, la page est tournée. Nous avons tous, au Sénat, regretté cette année perdue dans nos relations bilatérales, même si les relations d’amitié ont perduré, notamment grâce à M. Christian Cambon : heureusement, la diplomatie parlementaire et les contacts nombreux entre nos deux assemblées n’ont pas été affectés par la crise.

Je tiens donc à rendre un hommage appuyé au travail des groupes parlementaires d’amitié, qui a démontré toute son utilité, et tout particulièrement au groupe Maroc – France de la Chambre des Conseillers, présidé par M. Atmoun, et au groupe France – Maroc du Sénat, présidé par M. Christian Cambon, très bien secondé par ses vice-présidents. Ils ont, grâce à votre confiance, continué à tisser, avec doigté et maîtrise, le fil du dialogue bilatéral. Ils ont aussi mené à bien nombre de projets de coopération, notamment dans le domaine des transports, des collectivités territoriales ou de la culture. Je les en remercie, tout comme je remercie M. Luc Chatel pour son travail à la tête du groupe d’amitié de l’Assemblée nationale.

Le travail parlementaire, qui n’a jamais cessé, a constitué un terreau propice à la reprise de la relation bilatérale : j’ai moi-même reçu, avec MM. Marseille et Gautier, le 30 janvier dernier, le ministre marocain de la Justice, M. Mustapha Ramid, au moment critique des discussions sur la convention d’entraide judiciaire : nous n’avons pas hésité à entreprendre les démarches nécessaires, en étroite coordination avec le ministre français des Affaires étrangères, M. Laurent Fabius, auprès de Mme la Garde des Sceaux, ministre de la Justice, afin de lever, dans des conditions agréées par tous, un verrou qui bloquait l’ensemble de la relation bilatérale.

Où en sommes-nous ? La convention est en cours d’examen par le Conseil d’État, étape obligatoire en France avant la transmission au pouvoir législatif. Je puis vous garantir que nous veillerons, au Sénat, à ce que le processus de ratification s’engage dans les meilleures conditions possibles.

Notre tâche désormais n’est plus de restaurer, mais d’approfondir et de renouveler les relations entre nos deux pays : telle est la vocation de ce Forum parlementaire qui intervient à un moment clef et va constituer une étape importante du processus de relance de nos relations, entamé lors de la venue de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le 9 février 2015. Il ne s’agit pas, lors de ce Forum, de traiter de façon exhaustive la relation bilatérale – une journée n’y suffirait pas – mais plutôt de nous concentrer sur les thèmes qui dominent l’agenda international et sur lesquels nous avons des intérêts communs.

D’abord, la lutte contre le terrorisme. Nos deux pays lui ont payé un lourd tribut : les attentats de Casablanca en 2003 et de Marrakech en 2011 demeurent ancrés dans nos mémoires. Les témoignages de solidarité dont vous avez fait preuve, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, à la suite des attentats – des crimes – de janvier dernier à Paris ne sont pas oubliés et nous ont touchés. C’est bien parce que nous sommes déterminés à éradiquer le terrorisme que nos deux pays en sont la cible, comme ce fut le cas, encore, de l’Ambassade du Maroc à Tripoli, ce 13 avril, il y a tout juste trois jours. Au Maroc comme en France, des personnes, parmi lesquelles beaucoup de jeunes, se radicalisent et vont rejoindre les rangs de Daech ou d’al-Qaïda, avant d’aller commettre des attentats sur le sol qui les a vus naître et où ils ont grandi.

La coopération sécuritaire est inscrite à l’agenda de vos travaux. Il est essentiel que vous puissiez examiner les moyens, dans le domaine de la sécurité ou du renseignement, de renforcer notre coopération. Vous avez adopté au Maroc de nouvelles dispositions législatives pour lutter plus efficacement contre le terrorisme ; nous sommes en train de le faire. Vous avez réorganisé votre service de renseignement ; la Délégation parlementaire au renseignement, réunissant des députés et sénateurs, présidée par M. Jean-Pierre Raffarin, Président de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, a fait des propositions concrètes en ce sens. Le Maroc constitue, au sud de la Méditerranée, l’un des maillons forts, sûrs, de la lutte contre le terrorisme. Nous devons nous aider les uns les autres.

Ne nous voilons pas la face : le terrorisme a un nom, celui du fondamentalisme radical. Mais ne nous trompons pas de cible : il ne s’agit pas de stigmatiser telle ou telle religion, en l’occurrence l’islam. Vous avez engagé un programme de dé-radicalisation et de formation des imams à un « islam du juste milieu », ancré dans la tradition. Votre expérience nous intéresse. Nous aussi, nous souhaitons l’émergence d’un islam de France, ancré dans notre tradition, celle de la République française, avec des imams formés à nos valeurs et les partageant : j’ai remis hier matin au Président de la République un rapport en ce sens.

Nouvelle « Internationale », le terrorisme dispose de foyers où il est particulièrement actif. Nous partageons la même préoccupation concernant la situation en Libye et soutenons ensemble, de façon active, la tentative de dialogue inter-libyen menée par le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, M. Bernardino Léon. Ce dialogue, accueilli un temps près de Rabat, concerne aussi les parlementaires libyens qui sont parties prenantes aux négociations. Nous devons les inciter à œuvrer en faveur de la réconciliation nationale, dans l’intérêt de leur pays mais aussi de l’ensemble du pourtour méditerranéen. Le Président de la République de Tunisie me disait, il y a quelques jours, que des dizaines et des dizaines de milliers d’hommes sont jetés à la mer par l’avancée de Daech et du terrorisme. J’ai demandé que la Conférence des Présidents de Parlements de l’Union européenne, qui s’ouvre lundi à Rome, s’empare de ce sujet : la Méditerranée est devenue, hélas, un immense cimetière marin et la Grèce et l’Italie ne peuvent gérer seules ces afflux de migrants. Notre coopération est essentielle sur ce sujet dont la dimension humaine ne doit pas occulter l’aspect politique : le Président de la République de Tunisie me rappelait comment des femmes et des hommes en détresse sont utilisés comme une arme, pointée vers l’Union européenne.

À partir du mois de juin, la France assurera avec le Maroc, qui est déjà aux responsabilités, la co-présidence du dialogue 5 + 5, qui rassemble des pays de la rive Nord et de la rive Sud de la Méditerranée. Réfléchissons ensemble, au cours de ce Forum, à la façon la plus opportune de renforcer le dialogue parlementaire entre les deux rives de la Méditerranée. Vous en êtes un des pôles de stabilité.

Nos deux pays sont aussi engagés, à des titres divers, en Afrique sub-saharienne, avec un objectif commun : la stabilité et le renforcement de la prospérité de cette partie du continent. Je connais l’engagement de Sa Majesté sur le dossier malien, sur lequel M. Chevènement et moi-même nous étions penchés il y a deux ans, à la demande de la commission des Affaires étrangères et de la Défense. Examinons le moyen de nouer des coopérations triangulaires, notamment dans le domaine du développement. Le Forum abordera la situation au Mali, sur laquelle votre éclairage sera précieux.

Je terminerai par un mot sur la Conférence Paris Climat 2015, dite COP21. C’est votre pays qui présidera, en 2016, la COP22, ce qui témoigne de la confiance manifestée par l’ensemble de l’Afrique et de la communauté internationale à votre égard. Le Maroc, pays exemplaire en matière d’énergies renouvelables, peut susciter un effet d’entraînement à l’égard de nombre de pays africains, qui hésitent à prendre des engagements. Cette responsabilité nous incombe aussi. C’est pourquoi j’ai pris l’initiative d’encourager mes collègues à aller à la rencontre de cette Afrique qui continue d’avoir en partage ce que nous avons en commun : la langue française.

La succession de nos présidences incite à mettre en place un continuum qui capitalise les acquis et permette de progresser. C’est dans l’hémicycle du Sénat que devrait être adoptée le 6 décembre 2015, sous l’égide de l’Union interparlementaire, une déclaration des Parlements du monde entier sur la lutte contre les dérèglements climatiques. Nous comptons naturellement sur la présence de la délégation marocaine. Je souhaiterais aussi que vous soyez nos partenaires dans la préparation du volet parlementaire de la COP21, afin que le texte qui en résultera porte l’empreinte d’un continuum entre Lima, Paris et le Maroc.

Un programme de travail ambitieux vous attend. Dans le contexte du renforcement de nos relations bilatérales, la Chambre des Conseillers et le Sénat vont renouveler leur accord de coopération, qui datait de 1999 : il était trop général pour être adapté aux enjeux présents. M. Mohamed Cheikh Biadillah et moi-même aurons le plaisir de le parapher de façon solennelle, à l’occasion du déjeuner à la Présidence du Sénat. Je sais par ailleurs qu’un projet de déclaration est en train d’être achevé, qui conclura vos travaux. Je suis convaincu qu’il sera à la hauteur des ambitions que nous nourrissons tous.

Vous irez demain en Normandie : j’y suis né, dans une ville entièrement détruite avant ma naissance, dans la nuit du 5 au 6 juin. C’est là que Sa Majesté le Roi Mohammed V a été fait compagnon de la Libération par le Général de Gaulle. Sur ces plages, il y a soixante-dix ans, l’espérance de la liberté est revenue et a permis la victoire de la démocratie sur le totalitarisme le plus obscur et le plus insupportable de toute l’Histoire. Des hommes sont venus y mourir, qui parfois ne connaissaient pas la France, pour défendre la liberté.

M. Mohamed Cheikh Biadillah, Président  de la Chambre des Conseillers.

– Merci pour votre accueil. Nos deux pays sont amis et ont de forts liens historiques. Aujourd’hui, nous luttons ensemble contre l’obscurantisme, le terrorisme et la violence. Sur cette terre de la liberté, des Lumières qu’est la France, le sang pur des Marocains a coulé. Cela nous lie à cette France qui a donné au monde des leçons de démocratie et de valeurs citoyennes, la France de Molière et de Baudelaire.

Le Royaume du Maroc est confronté aux expériences issues du Printemps arabe en Libye ou au Yémen, sans parler de la situation en Irak. Les fragments des explosions survenues dans ces pays nous atteignent. Chaque jour, nos enfants partent mourir dans ces terres lointaines. Le terrorisme nous menace au Sahara, et tisse son réseau entre organisations, notamment Boko Haram, Daech et al-Qaeda. Nous payons le prix du morcellement régional, qu’avait déjà dénoncé Bismarck. La force ne suffira pas à résoudre le problème. Les victoires tactiques, comme celles remportées au Mali, ne résolvent rien. Nous sommes traversés par l’écho de crises durables, comme celle qui sévit en Palestine, où des innocents sont tués chaque jour. Des images horribles frappent les imaginations, et nous ne savons même pas de quelle religion se réclament leurs auteurs.

Sur le plan économique, les mutations ne sont pas moins terrifiantes : en 2008, la crise ouverte par la faillite de Lehmann Brothers nous a touchés de plein fouet, en raison de nos liens avec l’Amérique et l’Europe. Les évolutions de la politique étrangère américaine, et notamment son pivot vers l’Asie, nous concernent au premier chef. Nous devrons travailler de concert pour traverser au mieux cette période troublée : nous regardons tous à travers la même fenêtre vers un avenir plus prospère.

Sa Majesté le Roi Mohammed VI est attachée à nos relations avec l’Afrique. Une étude américaine de 2006 y a montré un recul graduel de la langue française – alors que celle-ci gagne des locuteurs au Vietnam ! Nous sommes fiers d’avoir connu le monde à travers cette langue, qui nous lie à la France et à d’autres pays africains. Géographiquement, le Maroc fait le lien entre deux continents, entre deux religions. Dans les turbulences économiques, sécuritaires et écologiques que nous  traversons, nous considérons que nos rapports avec la France doivent reposer sur la franchise et le respect mutuel de nos aspirations à une meilleure vie, plus démocratique et plus prospère.

La télévision nous bombarde de nouvelles alarmantes sur le changement climatique : sécheresses, inondations, fonte des glaces… Nous devons réagir. En 2020, le Maroc tirera 42% de sa consommation d’énergie de trois sources d’énergie renouvelables : le solaire, l’éolien et l’hydroélectrique, qui contribueront chacune à hauteur de 14%. Plusieurs textes appelant à préserver l’environnement ont été inscrits dans notre Constitution. Cela doit être pris en considération. Sa Majesté Mohammed VI, dans sa grande sagesse, a décidé de la construction de la plus grande station solaire thermique mondiale, qui produira plus de 250 mégawatts cette année. Un projet d’éoliennes est aussi en cours, et nous travaillons sur l’efficacité énergétique. Il s’agit d’enjeux fondamentaux, qui appellent une coopération intense. Nos Parlements peuvent y contribuer.

Je voudrais donc saluer le travail de nos groupes d’amitié, et notamment de celui que préside M. Cambon : les relations qu’ils tissent survivent à toutes les perturbations, scellées qu’elles sont par le sang de nos martyrs. Le Maroc entend promouvoir son modèle démocratique de développement, édifié avec le concours de toutes les forces du pays. Nous serons un partenaire fort et crédible.

Nous aborderons les thèmes de la sécurité et de l’immigration. Nous avons accueilli des milliers de nos frères africains : sur plus de 40 000 demandes de naturalisation, 18 000 sont déjà traitées. L’éducation est notre priorité en ces circonstances difficiles. En matière de terrorisme, nous avons arrêté en novembre trois ressortissants français : c’est effrayant ! Le secrétaire général des Nations Unies a demandé le recensement des populations qui vivent dans des camps. Nous arrêtons des camions qui transportent des explosifs. Nous cherchons une solution à ce problème.

Le grand Maghreb reste un rêve, mais c’est devenu un besoin impérieux : il s’agit de réunir les cinq pays du Sud de la Méditerranée, ce qui créerait un marché de plus de 100 millions de consommateurs et un partenaire fort pour l’Europe. Pour l’heure, l’Algérie est notre premier partenaire : lorsque l’électricité y est coupée, nous lui ouvrons nos réseaux.

M. Rachid Talbi el Alami, Président de la Chambre des Représentants.

– Au nom de Dieu le miséricordieux, nous nous retrouvons de nouveau dans un esprit d’amitié parlementaire afin de favoriser le dialogue entre nos peuples sur les questions d’intérêt commun. Notre relation, ancienne, s’enrichit chaque jour, y compris au plus haut niveau grâce aux rencontres entre Sa Majesté Mohammed VI et M. Hollande.

Le Maroc a entrepris des réformes courageuses pour être à même de tenir sa place dans le monde. Nous avons notamment renforcé notre arsenal juridique – et éducatif – pour lutter contre le terrorisme. Nous luttons également contre la marginalisation des populations les plus pauvres. Par exemple, l’initiative pour le développement social a réussi grâce à une gouvernance de proximité. La réforme constitutionnelle de 2011 fait du Maroc une société démocratique respectant les droits de l’homme, comme l’a reconnu la communauté internationale.

Notre amitié doit se renouveler chaque jour : elle nous oblige au respect et à l’écoute mutuels. Nous devons coordonner nos politiques dans l’intérêt de nos deux peuples, en matière de sécurité, de protection de l’environnement, de développement de l’Afrique et du Sahel… L’Union interparlementaire mondiale peut nous y aider. Ainsi, nous lutterons contre la multiplication des catastrophes naturelles. La force sans la sagesse est faible : nous devons écouter les peuples et mettre fin à la haine et à la violence, qui les divisent. Les groupes terroristes qui ont pris le masque de la religion commencent à être actifs dans les grands pays. Il est donc temps de créer un environnement de sécurité qui favorise l’épanouissement social et économique, car c’est dans les régions les plus pauvres que se développent terrorisme et trafics de tous ordres.

Nous avons condamné tous les récents attentats, au Maroc, en France ou au Tunisie : jamais l’islam n’a prescrit de prendre des vies. Nous devons renforcer la coopération internationale en matière de sécurité pour empêcher le retour à la barbarie dont nous menacent ces groupes. Ainsi, la paix et la sagesse reviendront parmi nous. Tous doivent contribuer à notre sécurité : ce n’est pas l’affaire des seuls gouvernements. L’école, les institutions religieuses, la société civile, les créateurs, tous sont concernés.

M. Gérard Larcher, Président du Sénat. – Merci pour ces paroles fortes, sur un thème qui fera l’objet de notre première table ronde.

Mme Laurence Dumont, Vice-présidente de l’Assemblée nationale.

– Je me réjouis de vous retrouver pour cette deuxième session du Forum parlementaire franco-marocain, qui se tient pour la première fois en France – après l’accueil extraordinaire que vous nous aviez réservé au Maroc – et intervient à un moment opportun, alors que les relations entre nos deux pays reprennent leur cours normal, comme les parlementaires l’ont  demandé ces derniers mois.

Quand une délégation du groupe d’amitié Maroc-France de la Chambre des Représentants, conduite par sa présidente, Mme Aatimad Zahidi, est venue à Paris en décembre dernier, j’avais tenu à l’accueillir autour d’un petit-déjeuner. Nous avions alors déploré les incidences quotidiennes de la rupture de la coopération judiciaire sur la vie de centaines de milliers de nos concitoyens, binationaux ou non, et sur l’efficacité de notre lutte commune contre le terrorisme. Un communiqué conjoint avait par la suite été publié par les groupes d’amitié de nos deux Parlements.

En tant qu’élus de nos peuples, nous savons qu’au-delà des intérêts stratégiques qui lient nos deux pays, la France et le Maroc ont tissé tant de liens humains qu’il est naturel qu’ils nourrissent un dialogue fructueux. Et c’est encore mieux quand cette coopération se déroule dans un climat d’amitié et de respect mutuel. Je tiens donc à saluer, du côté français, l’action de mon collègue M. Luc Châtel, président du groupe d’amitié France-Maroc de l’Assemblée nationale, qui a œuvré à la fois discrètement et inlassablement au rapprochement de nos deux pays.

Nous avons choisi ensemble deux thèmes de travaux pour le présent Forum : les enjeux de sécurité et de coopération, et le rôle des Parlements face aux grandes questions d’environnement. Ces deux thèmes, qui sont pour nous d’intérêt commun, sont au cœur de l’actualité et appellent à long terme des actions conjointes de nos deux pays. Il s’agit en effet de questions fondamentales, qui portent à la fois sur le présent et l’avenir de nos sociétés comme sur les valeurs auxquelles elles se rattachent.

Dans le monde instable que nous connaissons, la Méditerranée occidentale demeure une zone de paix, où la circulation des hommes, des idées et des marchandises s’effectue assez librement. C’est rassurant : l’espace géopolitique de la France et du Maroc nous permet de forger des projets pour l’avenir. Cette situation ne doit rien au hasard : le Maroc, la France et leurs voisins immédiats forment depuis des siècles des États structurés, dont les citoyens acceptent l’autorité. L’État est irremplaçable pour assurer la sécurité, fixer les règles de la vie en société et proposer aux citoyens un destin collectif : nous voyons bien, dans notre voisinage immédiat, en Libye, les conséquences de la faillite d’un État.

Ce constat positif ne doit nullement occulter les tensions qui règnent en Méditerranée occidentale. J’ai parlé de zone de paix, mais il s’agit d’une situation fragile. Il existe en effet un contraste démographique croissant entre la rive Nord et la rive Sud de la Méditerranée. L’Afrique du Nord, du Maroc à la Libye, est chaque année une zone de passage pour des centaines de milliers de migrants venus d’Afrique subsaharienne, en quête d’une vie meilleure en Europe. Nous connaissons tous les drames humains que génère ce phénomène, qui nous place face à une urgence : répondre à la croissance démographique de l’Afrique. Les besoins sont immenses, qu’il s’agisse d’éducation, de santé, de transport, d’accès à l’eau ou de sécurité alimentaire. Nous sommes dans une course contre la montre. Si nous assurons dans les vingt prochaines années aux populations d’Afrique la satisfaction de leurs besoins de base, elles ne seront plus contraintes d’émigrer dans des conditions dramatiques.

Nos deux pays ont sur ce point une responsabilité particulière : la France comme le Maroc entretiennent des relations très denses avec les États d’Afrique subsaharienne, quel que soit leur espace linguistique. Nos entreprises sont sur tous les marchés d’Afrique francophone, anglophone et lusophone et disposent des compétences humaines et technologiques pour répondre aux besoins économiques et sociaux des pays dans lesquels elles interviennent. Nous en constatons les effets bénéfiques en Mauritanie, au Sénégal, au Ghana et en Côte d’Ivoire, mais il faut amplifier les efforts. Il est clair que les régions d’Afrique qui nous portent à l’optimisme sont celles qui bénéficient d’investissements, quand celles qui sont délaissées sont marquées par la violence.

L’histoire de nos deux pays et leur géographie les mettent dans une situation idéale pour contribuer ensemble au développement de l’Afrique. Le Maroc était un État dès le Haut Moyen-Âge et ses souverains entretenaient des relations diplomatiques et commerciales avec leurs voisins. Vous avez une tradition multiséculaire d’échanges, qui a retrouvé une grande vigueur ces dernières années grâce au dynamisme de vos entreprises. Le Maroc est un vecteur de développement pour l’Afrique, au même titre que de nouveaux acteurs comme la Chine et le Brésil. C’est un effet de la mondialisation qui nous ouvre de nombreuses pistes de coopération croisée, notamment pour la conquête de marchés. Ce développement économique et social ne peut s’épanouir que dans un environnement de sécurité. Ce sera l’objet de la première table ronde, cet après-midi, à l’Assemblée nationale, qui abordera aussi le thème vital qu’est la préservation des équilibres écologiques. Le calendrier diplomatique a placé nos deux pays au cœur de l’actualité sur ce sujet, avec la tenue à Paris de la Conférence sur le climat, en décembre 2015, celle de 2016 devant se dérouler au Maroc.

Nous connaissons les défis, les enjeux, les opportunités également. Le principal enjeu est tout simplement la survie de l’espèce humaine. Un air pollué, des raz de marée, des cyclones ou encore le manque d’eau menacent nos existences. Et l’on constate une nouvelle fois une différence entre les deux rives de la Méditerranée. Si la France et l’Europe se sont engagées dans une politique de réduction des émissions de carbone et ne souffrent que faiblement de stress hydrique – même si elles commencent à ressentir les effets du changement climatique – votre pays, selon les termes même employés par le ministère marocain de l’énergie et de l’environnement, présente tous les signes d’une extrême vulnérabilité à ce changement, avec des épisodes de sécheresse plus long et des crues plus fréquentes.

Coopérer sur les questions climatiques répond à des exigences de solidarité élémentaire et d’équilibre géopolitique. Si nous n’agissons pas, chaque habitant vivant en Europe, en Afrique occidentale et centrale et en Asie du Sud-Est continuera, en 2030, à disposer de plus de 8 000 mètres cube d’eau par an, tandis que 40 % de la population de la planète, celle qui vit en Chine, en Inde et dans les trois quarts du monde arabe sera sous le seuil de pénurie de 1 000 mètres cubes par an. Cette situation sera intenable.

Cela appelle une mobilisation rapide. La France est un leader mondial de l’approvisionnement et du traitement des eaux. Elle peut efficacement coopérer avec le Maroc, qui, avec l’Office marocain de l’électricité et de l’eau potable, dispose de remarquables capacités d’expertise. La France et le Maroc partagent le même objectif pour la conférence de Paris sur le climat. Nos deux pays doivent donc agir de concert sur la scène internationale pour convaincre les pays encore réticents à l’idée de signer un accord de dépasser les égoïsmes nationaux. Face à un problème qui engage l’existence de l’humanité, nos concitoyens attendent une réponse claire.

Nous voyons bien que la relation entre Paris et Rabat dépasse le cadre bilatéral. Notre environnement géopolitique et le défi écologique nous enjoignent de travailler pour des objectifs plus vastes. Voulons-nous continuer à agir comme au dix-neuvième et au vingtième siècle, selon une logique de rapports de force entre États pour le contrôle de territoires et de populations ? Ou sommes-nous capables de nous unir pour répondre à des questions vitales ? La France et le Maroc ont une longue histoire en commun, qui est suffisamment dense pour que des liens de confiance nous permettent de forger des projets pour l’avenir.

Il est toujours utile de se référer aux grands Anciens, et je pense aujourd’hui à un célèbre voyageur marocain, Ibn Battouta, qui quitta le Maroc en 1325 pour un périple de 116 000 kilomètres, qui dura près de 30 ans à travers le monde musulman. Ce qui frappe à la lecture de sa relation de voyage est son extraordinaire ouverture d’esprit : il ne juge pas avant de comprendre et il saisit admirablement la complexité et la diversité du monde. Cet homme du quatorzième siècle avait sans doute moins de connaissances que nous mais sa lecture demeure un enseignement : pour comprendre le monde, il faut de la curiosité ; pour le transformer, de la volonté et de l’énergie. Je souhaite que nous placions les travaux de notre Forum sous ce double signe, face aux défis de notre temps.

La réunion est suspendue de 10h40 à 10h50.

M. Gérard Larcher, Président du Sénat. – Nous abordons le thème n° 1 de notre forum : les enjeux croisés de sécurité et de coopération.

M. Christian Cambon, Président du groupe d'amitié France-Maroc du Sénat, Vice-président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées.

– La qualité des relations entre nos deux Parlements est un atout à l’heure où les intérêts du Maroc et de la France, en particulier en matière de sécurité, sont étroitement liés. La menace terroriste est en effet de la même nature des deux côtés de la Méditerranée : près de 1 500 personnes radicalisées ont quitté la France, et près de 2 000 le Maroc, pour rejoindre des groupes terroristes comme Daech en Syrie ou en Irak ; certains reviendront, constituant une menace. Nos deux pays ont partagé la même expérience traumatisante : attentats de Casablanca et de la place Jemaa el-Fna et, pour la France, les atrocités de Mohammed Merah puis les récents attentats de Paris. L’attentat du Bardo à Tunis montre que la menace est toujours là, tout comme l’attaque récente contre l’ambassade du Maroc en Libye.

Or, notre stratégie contre cette menace majeure est très similaire. Globale, elle impose de surveiller, de réprimer dès que la préparation d'un attentat peut être démontrée, mais aussi d’agir sur les causes politiques et sociales du phénomène. Les capacités des services sécuritaires ont été renforcées, en particulier sur Internet, l’un des principaux vecteurs de la menace, les réseaux sociaux offrant un moyen inégalé pour les terroristes de propager leur message de mort et de recruter des jeunes désorientés dans toutes les classes de la société. Parallèlement, l'arsenal juridique a été renforcé contre le financement des réseaux et l'apologie de terrorisme. Le Maroc peut d'ailleurs se féliciter de résultats tangibles avec le récent démantèlement d’une vaste cellule terroriste rattachée à Daech par le nouveau bureau central des investigations judiciaires.

Enfin, l'accent a été mis sur la coopération internationale, indispensable pour agir contre des filières qui se jouent des frontières. Dans ce domaine, notre coopération revêt une importance cruciale : compte-tenu de l'importance de la communauté marocaine en France et des fréquents allers retours entre nos deux pays, il est indispensable que les services de renseignement et les services judiciaires puissent échanger de manière permanente afin de surveiller et de réprimer les réseaux ; d'un point de vue plus géopolitique, le soutien apporté par les services marocains aux opérations de la France au Mali, est extrêmement précieux car les renseignements fournis sont de grande qualité. La mise en sommeil de notre coopération au cours de l'année passée représentait un handicap non négligeable pour les forces françaises.

Je me félicite de la reprise de la coopération judiciaire entre nos deux pays. La signature de l'amendement à la convention d'entraide judiciaire le 31 janvier dernier et le retour des magistrats de liaison permettront ainsi de mettre fin à une situation très préjudiciable. Ce texte sera prochainement examiné par le Parlement français ; je serai candidat pour en être le rapporteur au Sénat, et je m'engage à œuvrer à son adoption rapide,

Le deuxième aspect de cette stratégie commune, l'action sur les causes profondes du phénomène, implique tout autant une coopération efficace entre nos deux pays. Le Maroc s'est efforcé de consolider l'encadrement religieux dans les mosquées afin de lutter contre les instrumentalisations politiques, voire criminelles de la religion par des groupes qui en prônent une interprétation totalement dévoyée. Avec les limites que lui impose, bien entendu, le principe de laïcité, la France s'efforce de soutenir les efforts des musulmans de France pour mieux lutter contre le radicalisme. Le Maroc peut nous aider dans cette démarche : le Roi Mohammed VI a inauguré le 27 mars à Rabat le premier Institut de formation des imams prédicateurs. En concertation avec le bureau des cultes du ministère de l'intérieur, 50 imams français vont y être formés durant trois ans. S'il est nécessaire, à terme, que la formation des imams français puisse avoir lieu entièrement en France, en attendant, cette démarche constitue une aide très précieuse pour nous aider à lutter contre le radicalisme.

En deuxième lieu, la stabilité et la sécurité ne peuvent exister sans une attention forte portée à la participation politique des citoyens et à l'épanouissement de la société civile. Dans ce domaine, les réformes considérables impulsées par Sa Majesté me paraissent d'une grande importance. Les travaux de l'instance « Équité et réconciliation » en 2006, la réforme constitutionnelle de 2011, le projet de régionalisation avancée, ont instauré un climat apaisé qui singularise le Maroc parmi les autres pays arabe, qui se sont récemment engagés dans la voie du changement politique. La France soutient les efforts déployés dans le cadre des Nations Unies pour parvenir à un règlement politique de la question du Sahara occidental et appuie le plan d'autonomie marocain comme base sérieuse et crédible d'une solution négociée, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Nous avons en effet un intérêt commun à ce que ce vaste espace puisse se développer dans un cadre stable et solide. Saluons aussi les récents efforts du Maroc pour régler dans les meilleures conditions possibles la question de l'immigration illégale en lançant un programme de régularisation sur des critères précis.

En troisième lieu, le Maroc a su jouer la carte du développement économique et social, gage de stabilité et de sécurité à long terme : l'initiative nationale pour le développement humain (INDH), dont des observateurs comme la Banque mondiale ont souligné l'utilité en matière de développement des communes rurales et des quartiers urbains défavorisés, lutte efficacement contre la pauvreté, ce fléau encore trop répandu. Les grands investissements en matière d'infrastructures posent les bases de la croissance future, qu'il s'agisse du grand port de Tanger Med avec sa zone franche, de la ligne à grande vitesse Tanger-Kenitra – une  première en Afrique, ou encore de la plateforme aéronautique de Casablanca qui assure la maintenance de 80% des avions d’Air France.

Dans tous ces secteurs, la coopération entre nos deux pays et le partenariat entre nos entreprises revêtent une importance essentielle. C'est encore plus vrai dans le domaine du développement durable, où certaines des réalisations du Maroc pourraient inspirer la France : l’immense centrale solaire d’Ouarzazate, soutenue par l’Agence française de développement en cofinancement avec les bailleurs européens. La France a besoin du soutien du Maroc pour réussir la 21ème Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de 2015, dont le Maroc accueillera d'ailleurs la 22ème édition en 2016. Enfin, le Maroc est l'un des premiers investisseurs en Afrique et peut proposer des réponses endogènes aux questions de développement. Là encore, les entreprises françaises peuvent venir en soutien des entreprises marocaines en capitalisant sur leur implantation au Maroc pour rayonner plus largement en Afrique.

Voici comment nos deux pays pourront assurer leur propre sécurité et contribuer à la stabilité du Maghreb et de l’Afrique, car il n'y a pas de développement sans sécurité, ni de sécurité sans développement. La coopération interparlementaire, cet apport indispensable pour soutenir les efforts de nos gouvernements, n'a jamais cessé au cours de l'année passée. Elle doit venir aujourd'hui entretenir et amplifier la dynamique de coopération confiante et ambitieuse annoncée par les deux chefs d'État à l'Élysée le 9 février 2015. Donnons du souffle et de l'élan au dialogue politique dans tous les domaines, conformément à l’objectif des groupes d’amitié.

M. Abdellah Bouanou, Président du groupe Justice et développement à la Chambre des représentants.

– La qualité des liens entre le Royaume du Maroc et la République française n’a d’égal que le niveau élevé des échanges commerciaux et des flux d’investissement qui les relient – et mériteraient d’être encore renforcés, notamment dans une approche gagnant-gagnant de co-localisation. La place du Maroc en Afrique et dans le monde arable découle de sa position dans la région, point stable au milieu du tumulte politique. Il ne lui faut pas moins faire face aux défis sécuritaires que sont la stabilité de la région sahélo-saharienne ou le défi mondial du terrorisme – tant les organisations terroristes sont devenues des multinationales qui attaquent autant à Paris, à Tunis qu’au Kenya. Un autre défi est la pauvreté qui sévit en Afrique, permettant aux terroristes de s’infiltrer dans de nombreux territoires. Kunio Mikuriya, Secrétaire général de l’Organisation mondiale des douanes a ainsi appelé les pays européens à coopérer avec les pays fragiles aux frontières instables.

La lutte contre le terrorisme du Maroc suit quatre axes : une approche religieuse d’abord, afin d’éradiquer grâce à la légitimité religieuse la fausse lecture de la religion qui amène à la violence ; la vision de Sa Majesté, Commandeur des croyants, a rendu cette politique très efficace, avec la formation des imams ou l’institution chargée des fatwas, qui contrôle ce domaine et barre la route à ceux qui tentent de s’y immiscer. Le développement inclusif avec la lutte contre la pauvreté et la précarité, ensuite. Il s’agit encore de lutter en coopération avec la France contre le financement du terrorisme, qui se répand sur les terres fertiles en trafics d’armes et d’êtres humains. Le Sahel et le Sahara ont connu des changements très graves ; à l’immigration clandestine transcontinentale s’ajoute le retour des Maghrébins de Syrie. L’infiltration des camps de Tindouf par le terrorisme, évoquée par Ban Ki-moon le 10 avril dernier, appelle une coopération internationale. Saluons les efforts de l’Office anti-fraude européen (Olaf) pour faire cesser les détournements de l’aide européenne destinée aux réfugiés, pour l’achat d’armes pour le terrorisme.

La communauté internationale doit trouver une solution le plus rapidement possible sur le problème du Sahara ; mais cela ne pourra aboutir que si la coopération du grand Maghreb avance. Le message du Maroc est que seul le dialogue peut établir la paix, en contrant la culture de la violence, dans le respect des religions et de leurs symboles. C’est la vision de Sa Majesté le Roi.

Saluons la sagesse de la France, qui s’oppose fermement à toute violence envers la communauté musulmane et appelle à faire la différence entre le terrorisme aveugle et l’islam – elle a ce point en commun avec le Maroc. Saluons ses efforts remarquables pour stabiliser la bande sahélo-saharienne. Un nouveau défi est de réguler l’immigration entre le Maghreb et l’espace Schengen. Le Maroc a signé un accord de partenariat très important avec l’Union européenne – nous connaissons le rôle de la France dans cette signature – introduisant une approche plus humaine autour de l’immigration légale, la lutte contre l’immigration illégale, l’asile et le développement. La France, sur les visas Schengen étudiants, a pris des mesures dans un esprit d’ouverture nouveau. Elle a également initié le développement d’universités françaises au Maroc : les étudiants marocains pourront obtenir des diplômes français sur place.

Notre pays a pris les devants de la coopération sécuritaire dans une stratégie compréhensive autour du respect de l’immigré, de la lutte contre l’immigration irrégulière, l’encouragement des flux réguliers, la garantie des droits des demandeurs d’asile et la régularisation des clandestins. L’histoire, la géographie, amènent le Maroc à approfondir dans tous les domaines son partenariat spécial avec la France. Nous, parlementaires, devons œuvrer dans ce sens.

Mme Bariza Khiari, Vice-présidente du groupe d'amitié France-Maroc du Sénat. 

– Messieurs les Présidents, M. l’Ambassadeur, Mesdames, Messieurs les sénateurs et députés, chers collègues. Avec cette deuxième édition du Forum parlementaire franco-marocain, je pense que tous, nous pouvons saluer l’institutionnalisation de ce grand rendez-vous réunissant les quatre délégations parlementaires de nos deux pays.

À l’occasion de cette matinée consacrée aux « enjeux croisés de sécurité et coopération » et en ma qualité de première Vice-présidente du groupe d’amitié France-Maroc, je vais intervenir sur une thématique qui m’est chère : le vivre-ensemble.

Les ressorts du vivre-ensemble ne sont pas « standardisables » : il n’y a pas de mode d'emploi, de recette infaillible. Or le vivre ensemble en paix et en prospérité, c’est la finalité de la politique, sa légitimité. Pour le bâtir, chaque État doit s'appuyer sur ses traditions propres, son histoire ancienne, ses spécificités, tout en tenant compte de l'histoire récente. Il appartient ensuite au jeu démocratique national d’arbitrer. Cette trame complexe plongée dans le tumulte du présent, nous l’avons désignée sous le terme de « cohérence nationale ». Je félicite l'auteur de cette expression qui a pour mérite d’être ouverte et flexible, d’articuler les éléments de cohérence nationale et de dialogue interculturel les uns aux autres ; le vivre-ensemble est un défi de tous les jours. Sur son chemin les obstacles sont nombreux : la peur, l'ignorance, la précarité économique ont toujours favorisé le repli sur soi alimentant la défiance envers les autres. En France comme au Maroc, le dialogue interculturel, autrement dit « une meilleure connaissance de celui qui n'est pas comme soi », est la première étape de la construction d'une cité « heureuse ». Encore une fois, la « cité heureuse » n’est pas duplicable. Elle doit avoir des fondations puissantes, des racines anciennes.

Au regard de mon expérience singulière, j’aimerais évoquer nos deux pays face à trois enjeux du vivre-ensemble : l’égalité hommes-femmes, la connaissance et reconnaissance de l’autre et le rôle fondamental de la culture et de l’éducation.

Une cité heureuse vise à assurer à ses membres une égale dignité. À ce titre, l'égalité homme-femme est devenue un marqueur important. Rappelons qu’en France, il s'est écoulé presque 150 ans entre la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le vote des femmes. Si, sur le papier, l’égalité juridique existe, on ne peut que constater les faits : à poste équivalent, le salaire des femmes reste en moyenne de 25 à 30 % inférieur à celui des hommes, de surcroit et alors que le taux d’activité des femmes est quasiment équivalent à celui des hommes, l’essentiel des tâches ménagères est encore assuré par les femmes. En dépit d'une Constitution qui fait de la parité une valeur constitutionnelle, la proportion des femmes en politique est encore très insuffisante (environ 15% au Parlement). Afin d’accélérer le processus, nous avons été dans l’obligation de légiférer et d’inventer un nouveau mode de scrutin pour les élections départementales : chaque département a dernièrement élu un binôme composé obligatoirement d’un homme et d’une femme. En conséquence, et c’est déjà une belle victoire, il y a aujourd’hui autant de femmes que d’hommes conseillers départementaux. Nous sommes passés de 14% de femmes conseillères départementales à 50% par la seule volonté politique. Aujourd’hui, en dépit de cette parité absolue, sur près de 100 conseils généraux, seuls 10 ont à leur tête une femme. C’est dire qu’il faudra encore du temps pour que cette égalité juridique devienne une égalité réelle.

Le Maroc a choisi d'inscrire l'égalité des droits dans sa Constitution, avec comme horizon politique la mise en œuvre de la parité et, comme méthode, l’instauration de quotas et de listes complémentaires. Les avancées sont notoires. Par ailleurs, la réforme de la Moudawana, le code de la famille, a été voulue par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. En tant que Commandeur des croyants, il lui appartenait de donner sa caution sur des aspects qui touchent tant à la sphère sociale que religieuse. C’est dire que l’islam dispose dans ses textes scripturaires des outils de sa propre modernité. C’est dire que l’islam est mouvement et s’inscrit par une interprétation intelligente dans le contexte actuel. Il n’en demeure pas moins que le chemin sera long et difficile pour que l'égalité des droits civiques et politiques soit effective tant cela nécessite non seulement une évolution des mentalités, mais aussi une réelle formation des magistrats en charge de l’application de la Moudawana, et des partis politiques pour ce qui concerne la parité.

En tant que féministe, je me réjouis que Sa Majesté le Roi Mohammed VI ait pris une initiative sur la douloureuse question des avortements clandestins et de tous les risques qu’ils comportent, en demandant au ministre de la Justice et à celui des « Habous » (affaires religieuses) et à Driss El Yazami de lui faire des propositions pour avancer sur cette question. La résolution de ce problème se trouve déjà dans la volonté politique d’en débattre. C'est notamment au nom des risques sanitaires causés par les avortements clandestins que cette question a été tranchée par le Parlement français après des débats homériques, et parfois il y a quelques soubresauts. Mais les femmes veillent, elles savent que l’égalité est toujours un combat.

Le second ressort du vivre-ensemble c’est évidemment la connaissance et surtout la reconnaissance de l'autre. Car comme le disait l’émir Abdelkader, il ne suffit pas de connaître l’autre, il faut le reconnaître pour lui rendre justice. La Constitution marocaine de 2011, dans son préambule et dans son article 5, est profondément inclusive : État musulman, le Maroc définit son unité par « la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen ».  C’est une invitation à accepter la part de l’autre en soi et réciproquement.

En France, le moteur du vivre-ensemble est la laïcité. À ce stade de mon exposé et bien que m’exprimant devant un public averti, j’aimerais prendre un peu de temps sur cette valeur essentielle. Quand je suis au Maghreb, je préfère au terme de laïcité celui de « sécularisation », plus audible. Dans l’hexagone, la laïcité est une idée, une valeur, une pratique dont tout le monde se revendique mais force est de reconnaître que même si tous les grands partis politiques s’en réclament, de grands malentendus, incompréhensions mais aussi manipulations lézardent cet unanimisme de façade. La laïcité, ce n’est pas l’athéisme : la laïcité reconnaît le droit de croire ou ne pas croire ; la laïcité, c’est la neutralité de l’État : c’est un espace de concorde qui nous permet de vivre ensemble au-delà de nos différences. Aujourd’hui, la définition de la laïcité est devenue un enjeu politique. Cette valeur qui a pour mission d’assurer le vivre-ensemble est récupérée par certaines forces politiques pour cdréer de la division. Mais la plupart du temps, c’est la grande méconnaissance qui est vecteur de malentendu. À mes yeux, la réappropriation de la laïcité telle que définie par la loi de 1905, doit redevenir un combat politique majeur des forces républicaines. Il est important de répéter que l’immense majorité des musulmans de France se reconnaît dans la laïcité, concept politique qui leur assure que la loi protège l'exercice de la foi, tant que la foi ne prétendra pas dire la loi.

Une petite minorité de français musulmans ont, quant à eux, fait le choix d’utiliser une stratégie de visibilité religieuse (niquab, kamis, prière dans la rue) dans un combat de nature plus politique ; là, la foi est accessoire ; chez eux, la religion devient une idéologie. La religion n’est plus moteur de bienveillance mais de division. Vous le savez tous, la radicalité est une négation de la religion dans son esprit et son essence même.

Cet islam là fait peur ; et il fait d’autant plus peur que les médias s’emploient à lui donner une audience démesurée. Évidemment, tous les attentats évoqués par le Président Larcher contribuent à ce climat. Les musulmans de France les condamnent tous avec force. Ils ne participent pas à des solidarités absurdes. Mais, quoiqu’ils en disent, les pratiques politiques de cette minorité, ceux impliqués dans les réseaux djihadistes jettent le discrédit sur l’ensemble. Face à ces errements, il faut répondre par l’éducation, par le dialogue, en assurant à chacun une connaissance de l’autre et demander à chacun une maîtrise de sa propre foi. C’est l’essence même de la religion du juste milieu, du malékisme, voie maghrébine qui est une invitation non à pratiquer une foi dogmatique mais à contempler l’Islam dans sa spiritualité et sa dimension supérieure ; c’est pourquoi, à cette déferlante de l’ignorance, nous devons répondre par la culture, l’éducation, les arts, la beauté. Je cite souvent mon maître à penser, Ibn Arabi, qui dit que les « Hommes sont les ennemis de ce qu’ils ignorent » ;

Et à cet égard, j’aimerais revenir sur l’extraordinaire saison culturelle du Maroc en France, avec notamment l’évènement intitulé Regards sur le Maroc contemporain à l’Institut du monde arabe et l’exposition sur le Maroc médiéval au Louvre. Ces évènements sont importants à plus d’un titre : c’est une source de fierté pour les Marocains de France, et au-delà des musulmans de France, mais ils permettent surtout au grand public français de découvrir avec un regard neuf une civilisation lumineuse très proche, mais qui est une victime collatérale du « choc des ignorances ».

Ce choc des ignorances ne peut être combattu par les armes ; il peut être gagné par l’appel à l’intelligence, la sensibilité, la raison, par des manifestations comme les différents festivals ; je pense à ceux de Fès et je rappelle ici que le Sénat, sous la houlette de Christian Cambon et en présence de M. l’ambassadeur, accueille tous les ans la conférence de lancement du festival des Musiques sacrées ; et un mot aussi pour les festivals d’Essaouira, voulus par notre ami André Azoulay. Ces festivals, pour paraphraser feu Hassan II, plongent leurs racines en Afrique et pour le festival Gnaoua, les branches sont en Europe.

Nous, parlementaires, sommes des acteurs majeurs du vivre-ensemble dans nos pays respectifs. Raymond Forni, ancien Président de l’Assemblée nationale disait à propos du rôle international des parlementaires que « représenter, ce doit être aussi précéder, entraîner, favoriser l’engagement de chacun » ; les liens que nous formons, la vitalité et la richesse de nos échanges notamment à travers les groupes d'amitié, traduisent notre conviction que c'est ensemble que nous devons mener certains combats, notamment contre le radicalisme, ferment du terrorisme. C’est ensemble, par la culture et l’éducation, que nous tissons les liens du vivre-ensemble.

M. Driss Lachguar, Président du groupe socialiste à la Chambre des Représentants.

– Nous vivons tous autour d’un lac – la Méditerranée. Au Nord comme au Sud, nous avons irrigué notre terre avec le sang de nos guerres, religieuses, économiques, ethniques. Après l’indépendance, nous avons voulu trouver d’autres moyens de régler les conflits. Avec le Printemps arabe, nous avons expliqué en vain au Nord que nous, au Sud, n’étions pas tous pareils ; le terrorisme a profité de cette incompréhension, de cette difficulté à s’accorder avec le Nord sur cette grave question : comment faire cohabiter la sécurité et la préservation des libertés. Je fais partie de la gauche, même si dans l’au-delà j’espère bien être placé à droite – au paradis ! La gauche cherche l’intérêt de tous ; cela implique de lutter contre le mouvement djihadiste qui a infiltré la bande sahélo-saharienne, s’associant avec des mouvements séparatistes et profitant du mauvais état des frontières, ce qui détériore la vie des populations de la région.

Les djihadistes ne menacent pas seulement l’Afrique du Nord mais aussi les pays méditerranéens : Est libyen, Nord algérien, montagnes de Kabylie,… La concurrence entre les algériens Mokhtar ben Mokhtar et Saïd Abou Moughatil, du Mouvement pour l’unité et le djihad, et le mauritanien Abderrahmane Talha pour le contrôle du Sahara, figurent les axes du terrorisme. Notre proposition ? Couper ces axes ; définir des zones à risque ; agir dans le domaine du développement dans ces pays qui connaissent de gros problèmes d’approvisionnement alimentaire et de sécheresse ; intégrer les immigrés comme au Maroc, qui n’est plus un pays de transit, puisque 50 000 immigrés s’y sont installés.

Le Nord doit nous aider à contrôler les frontières. L’Afrique du Nord souffre d’une absence de coordination interne : notre coordination est plus vivante avec le Nord ! Nous devons aussi renforcer les institutions des États à notre Sud, comme au Mali. (Applaudissements)

M. Gérard Larcher, Président. – Je salue les membres du groupe d’amitié France-Maroc de l’Assemblée nationale, qui sont ici ce matin.

M. Razzy Hammadi, membre du groupe d'amitié France-Maroc de l'Assemblée nationale.

– Cette journée est utile, nécessaire ; elle était désirée. Les coopérations opérationnelle et technique ont été relancées, matérialisées par les visites des directeurs généraux de la police et de la gendarmerie, et celle de Bernard Cazeneuve. Mais certains liens n’étaient pas rompus : officiers de liaison, coopération dans le domaine de la protection civile, et surtout relations entre les peuples, et en particulier la jeunesse. Le Maroc entretient ainsi des liens très dynamiques avec sa diaspora et les Français d’origine marocaine, à travers le Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME), qui devrait inspirer les Français, notamment concernant la jeunesse.

Concrètement, nous devrions travailler main dans la main pour créer un office franco-maghrébin ou méditerranéen de la jeunesse : non pas pour nous retrouver tous les six mois pour nous réjouir de notre capacité à nous tolérer – la tolérance est un phénomène provisoire – mais pour construire les bases d’un avenir meilleur. Les principales victimes du terrorisme sont les jeunes.

Nous nous réjouissons de la tenue d’un sommet du groupe 5 + 5 ; mais nous devons construire une coopération culturelle, universitaire, scientifique et technique. Nous sommes forts lorsque nous sommes côte à côte. J’ai eu l’honneur d’assister à l’investiture d’Ibrahim Boubacar Keïta au Mali ; le Roi, en tant que Commandeur des croyants, a un rôle fondamental à jouer contre cet islam obscur dont nous sommes tous les cibles.

M. Ouadia Benabdellah, Président du groupe du Rassemblement national des indépendants à la Chambre des Représentants.

– Au nom de Dieu clément et miséricordieux, je suis honoré de participer à ce dialogue interparlementaire. Nous partageons des préoccupations avec vous. Nous avons un message à envoyer à tous en tant que parlementaires. La priorité doit être mise sur la sécurité non seulement pour nos deux peuples mais pour le monde. La sécurité est un droit et une valeur. J’ai suivi avec colère et indignation les attentats de Paris, les événements au Mali, au Kenya, à Tunis, et l’attaque contre notre ambassade en Libye. Nous sommes mobilisés et coopérons avec la communauté internationale. Nous ne pouvons pas nous soumettre au chantage : c’est un devoir moral, religieux, existentiel. Le terrorisme ne fait pas de distinction entre les pays ; il se nourrit du vide étatique pour tisser son réseau. Les différents groupes d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et Daech se rapprochent, sans compter les loups solitaires. Sur les instructions de Sa Majesté le Roi, le Maroc se mobilise. Nous apprécions notre coopération avec la France et tentons d’harmoniser nos positions sur le crime organisé, le trafic d’armes et d’êtres humains ou l’immigration clandestine. Elle s’inscrit parfaitement dans nos efforts pour la sécurité.

M. Pouria Amirshahi, Vice-président du groupe d'amitié France-Maroc de l'Assemblée nationale.

– La lutte contre le terrorisme nous occupe malheureusement beaucoup ces temps-ci ; je vous parlerai d’autre chose. La lutte contre la grande pauvreté, doit être, pour nous parlementaires des deux rives, un objectif avec des délais à l’échelle humaine. Rien ne se fera si nous n’asséchons pas le terreau où prospèrent les groupes mafieux et terroristes. L’Afrique doit faire face à la sécheresse, à des déplacements de populations, à un exode rural sans précédent. Le Niger, 15 millions d’habitants il y a deux ans, en aura 45 dans vingt ans : Niamey est incapable d’accueillir tout ce monde. C’est la géopolitique – et pas seulement la générosité, même s’il y faut du cœur – qui nous commande de nous y intéresser. Le Maroc et la France, quelques jours avant la réunion des 5 + 5, doit établir un agenda commun dans ce domaine et dans celui  de l’aide à la reconstruction des États fragiles comme la Libye et le Mali, qui manquent de capacité à contrôler leur territoire et à lever l’impôt.

L’autre sujet est la francophonie. La mondialisation donne l’occasion aux aires linguistiques de se structurer. Les hispanophones, les lusophones, les arabophones s’organisent – le Maroc, qui a la chance d’être au carrefour de plusieurs cultures, le sait bien. Les francophones doivent s’organiser, partager leurs compétences : je pense à une grande revue scientifique francophone, qui serait accessible à la communauté scientifique internationale. Nous devons aussi renforcer l’espace commun par la mobilité des personnes : le français permet à des Latins, des Maghrébins, des Noirs, des Américains, de communiquer. Cela pourrait prendre la forme d’un Erasmus francophone pour les étudiants, d’un visa francophone pour les chefs d’entreprises…

Mme Milouda Hazeb, Présidente du groupe Authenticité et modernité à la Chambre des Représentants.

– Le monde traverse une période difficile du point de vue sécuritaire et politique. Nous devons avoir une vision à la hauteur des défis. Les parlementaires français et marocains doivent faire de la législation un atout contre le terrorisme. La coopération dans le domaine du renseignement est nécessaire. Al-Qaida, Ansar Dine au Nord-Mali, Boko Haram au Nigéria ou les Shebab en Afrique orientale touchent tous les pays de la région et menacent le monde entier, comme le montrent les sauvages attentats de Paris ou de Tunisie, les atrocités de Daech en Syrie et en Irak, mais aussi en Libye et en Algérie avec les prétendus « soldats du Califat ». AQMI se nourrit de la traite des êtres humains. La région de Tindouf attire nombre de terroristes, qui y prospèrent grâce à la précarité sociale et économique des habitants.

Les défis sécuritaires appellent une approche multiple autour de la sécurité et du développement. Malheureusement, la situation géopolitique crée des entraves à la formation d’une union du grand Maghreb qui aurait pu être l’étape suivante. Le renforcement des contrôles aux frontières, l’approfondissement des échanges de renseignements doivent aller de pair avec l’aide au développement dans la région du Sahel pour moins de pauvreté. J’ai de grands espoirs dans ce forum pour dépasser une vision uniquement sécuritaire.

M. Gwendal Rouillard, Secrétaire de la commission de la Défense nationale et des Forces armées et membre du groupe d'amitié France-Maroc de l'Assemblée nationale.

– La commission de la Défense nationale de l’Assemblée nationale est très attentive aux coopérations militaires : le général de Villiers, chef d’état-major, était au Maroc le 8 avril, rappelant les axes importants que sont le développement de l’action de l’État en mer, celui des capacités de renseignement et la formation des militaires et en particulier des officiers. Quelle est votre appréciation de cette coopération ? Comment l’approfondir ? Le G5 du Sahel, que la France soutient, porte déjà ses fruits, notamment entre le Mali d’une part, la Mauritanie ou le Niger d’autre part. Comment le Maroc pourrait-il mieux participer à cette dynamique ? Cela pourrait passer pragmatiquement par des relations avec l’Union africaine, malgré le poids de l’histoire.

Au Mali ces derniers jours j’ai échangé avec les députés de Kidal, de Tombouctou et de Gao. Le Maroc doit s’impliquer dans le processus de paix, par la voix de ses parlementaires et par celle de Sa Majesté le Roi. Nous attendons le 15 avril le paraphe de l’accord d’Alger avec le Mouvement de l’Azawad, toujours en discussion. Je souhaite lancer aujourd’hui l’appel de Paris, pour que dans les heures à venir le Maroc agisse en faveur de cette signature mais surtout pour une application effective. La situation du Mali l’exige.

M. Gérard Larcher, Président du Sénat. – Cela me rappelle un rapport que j’avais rédigé avec Jean-Pierre Chevènement. Tant de tentatives ont échoué ! Le paraphe d’un accord n’est pas tout, il faut ensuite concrétiser rapidement les engagements.

M. Abderrahim Atmoun, Président du groupe d'amitié Maroc-France à la Chambre des Conseillers.

– Merci pour votre accueil chaleureux. Je me félicite de notre coopération sécuritaire et judiciaire, conformément aux instructions de Sa Majesté le Roi et du Président de la République française. Il est nécessaire de poursuivre ce Forum interparlementaire, qui renforce les relations entre nos deux pays. La situation au Sahel est une préoccupation majeure pour notre pays, pour la région et l’ensemble de la communauté nationale.

Le Maroc a mis en place des dispositifs novateurs contre la radicalisation, tels que le centre de formation des imams qui diffuse un islam de tolérance et de générosité compatible avec la démocratie et les valeurs universelles. À la faveur de son lien historique, religieux, culturel et humain avec l’Afrique subsaharienne, le Maroc cultive, comme en témoignent les nombreuses tournées africaines de Sa Majesté le Roi, sa vocation africaine pour un nouveau partenariat Sud-Sud. C’est une opportunité pour nos deux pays, qui doivent construire une projection commune vers l’Afrique que notre Forum doit encourager.

Le Maroc a toujours appuyé la sécurité dans le Sahel, et il salue la justesse de l’intervention française pour stopper l’avancée des terroristes. Mais il faut constater l’absence d’avancée du processus de paix, voire un recul au Nord, qui soulève des inquiétudes. Une grande déception risque d’attiser les tensions. Après une dynamique prometteuse sous la houlette de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest (Cedeao), le dossier malien est traité par les Nations Unies de manière autoritaire et opportuniste, car les parties n’ont plus confiance dans ce processus vieux de 13 ans. Le Royaume du Maroc, qui entretient des liens séculaires avec le peuple malien dans toutes ses composantes, appelle à une solution de compromis qui préserve l’intégrité territoriale, l’unité nationale du Mali et réponde aux aspirations des populations, y compris dans le Nord du pays.

Faisons maintenant un point sur le processus onusien sur le Sahara marocain. Le Maroc a proposé un projet d’autonomie accepté par la communauté internationale. Les autres parties refusent de s’inscrire dans le cadre déterminé par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Le Maroc continue son chemin de développement, avec cette année, la régionalisation avancée et un programme de développement de plusieurs milliards de dirhams. Tout en remerciant la France pour son soutien, il faudrait inciter les entreprises françaises à investir dans les provinces sahariennes avec moins de timidité. C’est notamment à travers le développement que le conflit saharien peut trouver une issue finale.

M. Gérard Larcher, Président du Sénat. – Merci pour vos efforts pour maintenir les liens entre nos deux assemblées.

- Présidence de M. Christian Cambon, Vice-président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées -

Mme Christiane Kammermann, Vice-présidente du groupe d’amitié France-Maroc. 

– Mme Catherine Morin-Desailly, Présidente de la commission de la Culture, de l’éducation et de la communication m’a prié de vous faire part de ses réflexions sur le sujet. C’est très judicieusement que le dialogue interculturel, la cohérence nationale et la consolidation du vivre-ensemble ont été choisis comme axes de travail et d'échanges de ce forum. L'émotion et l'indignation suscitées par les attentats de Paris, dépassant les frontières nationales, ont été partagées par nombre de nos partenaires historiques comme le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, exemples de sociétés multiculturelles et pluriconfessionnelles où les valeurs de liberté de conscience et de respect de toutes les croyances sont au cœur du pacte national.

Le ravage de vestiges historiques en Irak et l'attentat abject au musée national du Bardo à Tunis montrent combien la culture et le patrimoine sont ciblés prioritairement par la volonté annihilatrice des fanatiques de l'État islamique. Ces hauts lieux du patrimoine de l'humanité, résultat du brassage des civilisations, insupportent les terroristes car ils sont la preuve que l'humain est prêt à dépasser son milieu d'origine et à s'affranchir des dogmes pour s'ouvrir aux influences culturelles extérieures. Le musée national du Bardo, symbole de siècles d'échanges perpétuels entre les civilisations islamique, égyptienne, romaine et hellénistique, incarne ce qui nous rassemble autour de la Méditerranée.

C'est en mettant en avant les valeurs et l'héritage partagé qu'une nation peut transcender les différences sociales, religieuses ou ethniques. Les événements récents illustrent la pertinence et l’actualité de la conception française du vivre-ensemble, largement influencée par Ernest Renan, pour qui la nation repose sur deux piliers : « la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. »

Une telle conception passe par l’éducation. Nous souhaitons ainsi garantir le respect des symboles et valeurs de la République de la maternelle aux études supérieures. Considérant l'école comme le socle du creuset républicain, nous avons réaffirmé, dans la loi de refondation de l'école, l'importance d'enseigner la transmission des valeurs qui constituent l'identité républicaine même de notre pays, telles que la laïcité ou l'égalité entre les femmes et les hommes.

Le service civique – dont le Sénat est à l’origine en 2010 – est apparu à la suppression du service militaire obligatoire, comme un dispositif permettant à des jeunes de toutes origines de servir l'intérêt général et de manifester leur attachement aux valeurs qui fondent notre pacte républicain. Le nombre de volontaires a crû exponentiellement jusqu’à 50 000 jeunes aujourd’hui. Certains, après les événements tragiques de janvier, proposent de le rendre obligatoire. Quelle est votre vision sur ces thèmes ; quelles politiques publiques menez-vous ?

Le Sénat est attaché à la francophonie et à la diversité linguistique et culturelle, en France comme à l'étranger. La diversité culturelle et linguistique est une réalité sur nos territoires, dont nous devons faire un atout. Avec la loi de refondation de l'école, dès le primaire, les enfants recevront une initiation à la diversité linguistique accordant une reconnaissance aux langues parlées dans les familles allophones ou bilingues.

Enfin, la vivacité de notre coopération artistique illustre notre volonté de partage : je pense au festival international du film d’animation de Meknès, premier du genre en Afrique, ou à l’événement d’art contemporain Africa design days à Rabat et à Casablanca, ou encore au festival international de danse contemporaine à Marrakech.

Je crois essentiel, dans un monde dominé par la langue et la culture anglo-saxonne, de proposer un modèle alternatif. La grande famille francophone existe, elle partage une langue vivante et une richesse culturelle merveilleuse, des valeurs de solidarité, de justice et de liberté. Puissent ces idéaux inspirer les peuples en ces temps troublés !

Ayant participé à la première édition de ce Forum, j’ai proposé à une délégation de notre commission de se rendre au Maroc la semaine prochaine pour une mission d’étude. L’objectif est de mieux appréhender ensemble les défis auxquels nous devons tous faire face en ce début du XXIème siècle.

Mme Aatimad Zahidl, Présidente du groupe d'amitié parlementaire Maroc-France à la Chambre des Représentants.

– Ce Forum est une excellente initiative, qui doit être pérennisée car elle nous place dans une interaction mutuellement bénéfique. Face aux menaces pesant sur notre sécurité, la coopération est une obligation, non une option. Nous faisons face à un véritable monstre qui se nourrit de nos enfants. Il ne s’agit plus de groupes isolés mais bien d’une organisation mondiale, qui s’est de surcroît donné le nom d’un État. Nous devons nous doter de moyens puissants pour la réduire.

La démocratie est un vrai facteur de stabilité, tout comme le rapprochement des classes sociales ou la réforme des régimes éducatifs, religieux. On parle de séparation entre État et religion : la pratique d’une religion est une liberté personnelle, mais elle doit être encadrée. Le Maroc est en pointe en ce domaine et conseille d’autres États africains. Toutefois, les pays occidentaux aussi doivent encadrer la religion, et surtout protéger les groupes qui pourraient être des victimes collatérales de la lutte contre le terrorisme. La prévention du terrorisme est importante, aussi. Elle passe par des réformes structurelles. Mieux vaut prévenir que guérir !

M. Christian Cambon, Vice-président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées. – Merci pour la conviction dont vous faites preuve.

M Rachid Roukbane, Président du groupe du Progrès démocratique à la Chambre des Représentants.

– Ce Forum est une opportunité. Il y a beaucoup à faire entre nos deux pays, notamment avec la multiplication des foyers de conflits – sans précédent depuis la seconde guerre mondiale – à laquelle nous assistons : Yémen, Irak, Syrie, Libye, Sahel, Sahara… Le recours à la force semble devenir la seule option pour chaque partie. Puis, des mouvements extrémistes transfrontaliers, voire transcontinentaux, vont jusqu’à tenter d’établir un État. Le Sahel et le Sahara leur servent de refuge, et ils sont financés par les revenus de trafics illicites. Nous devons tarir ces financements. Les efforts de Sa Majesté Mohammed VI pour faire connaître une image positive de l’islam vont dans le bon sens. Nous devons voter des lois pour faire face au fléau du terrorisme. Déjà, nous luttons contre le recrutement de nos jeunes par les terroristes – tout en garantissant la liberté de mouvement de nos ressortissants. Notre responsabilité est énorme : nous devons concilier respect des libertés et protection contre le terrorisme. C’est possible ! Notre pays a réussi à démanteler des réseaux qui préparaient des attentats sur le sol marocain. Les jeunes d’origine maghrébine qui vivent en Europe sont aussi exposés au danger d’être recrutés par des djihadistes. Protégeons-les. Le Maroc a un rôle à jouer en ce domaine.

M. Robert del Picchia, Sénateur, membre de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées. 

– Je suis ravi de notre bonne entente. J’ai participé au voyage récent de M. Fabius au Maroc : les relations sont redevenues parfaites, tant mieux ! M. Hammadi a appelé à renforcer le dialogue entre jeunes Marocains et Français et a parlé d’un office. J’ai eu la chance de faire partie du premier groupe de jeunes envoyé en Allemagne par l’Office franco-allemand de la jeunesse créé dans l’après-guerre. Cet office a organisé des centaines de milliers d’échanges entre la France et l’Allemagne, ce qui a largement contribué à la réconciliation et à l’amitié entre nos deux pays. Mon père avait fait la guerre depuis le Débarquement jusqu’à Berlin… Le Maroc a joué un rôle dans l’adoption par l’Union interparlementaire d’une résolution appelant les parlements à s’engager dans la lutte contre le terrorisme.

M. Christian Cambon, Vice-président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées. – Merci pour ces contributions passionnantes. Les consensus sont nombreux, et nous pouvons encore les enrichir.

La réunion est levée à 12 h 30.

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