Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 1 - 21 janvier 1995

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LES DOCUMENTS DE TRAVAIL DU SÉNAT

Série GROUPES D'AMITIÉ

RAPPORT SUR LA SITUATION

AU CAMEROUN ET EN NAMIBIE

DÉPLACEMENT DU GROUPE D'AMITIÉS, FRANCE-PAYS DE L'AFRIQUE CENTRALE

DU 21 AU 31 JANVIER 1995

Ce document constitue un instrument de travail élaboré à la suite du déplacement effectué par le Groupe d'Amitié France-Pays de l'Afrique centrale. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.

n° GA1 Juin 1995

COMPOSITION DE LA DÉLÉGATION

M.

Jean-Pierre CANTEGRIT

Rat UC

Français établis hors de France Président du groupe France- Afrique centrale

Mme

Paulette BRISEPIERRE

RPR

Français établis hors de France

MM

Germain AUTHIÉ

SOC

Ariège

Georges BERCHET

RDE

Haute-Marne

Jean-Paul CHAMBRIARD

RI

Haute-Loire

Roger LISE

UC

Martinique

La délégation était accompagnée de Mlle Dominique-Alice ROBERT, conseiller des services du Sénat, et secrétaire administratif du groupe France - Afrique centrale.

SOMMAIRE

INTRODUCTION

Au mois d'octobre 1988, une délégation de six parlementaires camerounais se rendait en France à l'invitation du groupe France-Afrique Centrale.

Il s'agissait là de la première initiative prise par M. Jean-Pierre Cantegrit, qui avait succédé à la présidence de ce groupe en mai 1988 à M. Jacques Pelletier, appelé au sein du Gouvernement de Michel Rocard comme ministre de la Coopération et du Développement.

La physionomie politique du Cameroun ayant considérablement évoluée depuis ce mois d'octobre 1988, il a semblé opportun qu'une délégation du groupe se rende à son tour dans ce pays.

C'est ainsi que six sénateurs ont séjourné au Cameroun du 21 au 26 janvier 1995, avant de se rendre en Namibie, en réponse à une invitation du Président Sam Nujoma.

Leur séjour dans chacun de ces pays a été facilité par les grandes qualités d'organisation et de disponibilité dont ont fait preuve nos deux ambassadeurs, MM. Gilles Vidal à Yaoundé, et Frédéric Baleine du Laurens à Windhoek. Qu'ils en soient, ainsi que leurs collaborateurs, vivement remerciés.

Au Cameroun, le séjour de la délégation s'est organisé selon le calendrier suivant :

Samedi 21 janvier 1995

17 h 15 : Arrivée à Yaoundé : accueil par le Premier vice-président de l'Assemblée nationale

Dimanche 22 janvier

9 H 30 Départ pour Ayos

11 H 00 Visite de l'hôpital fondé à Ayos par le Dr Jamot, pionnier français de la lutte contre la maladie du sommeil

13 H 30 Déjeuner à la Congrégation des Soeurs Catholiques

18 H 00 Retour à Yaoundé

20 H 00 Dîner offert par M. Jean-Bernard Ndongo Essomba, chef de la Délégation Camerounaise, à son domicile

Lundi 23 janvier

9 H 00 Entretien avec M. Léopold Oyono, Ministre des Relations Extérieures

10 H 00 Entretien avec M. Djibril Cavaye Yeguie, Président de l'Assemblée nationale

11 H 00 Séance de travail avec les parlementaires camerounais

12 H 30 Déjeuner offert par M. le Président de l'Assemblée nationale au Restaurant des Députés

17 H 00 Visite du centre culturel français de Yaoundé

Mardi 24 janvier

9 H 30 Entretien à la mission française de coopération

11 H 00 Visite du Centre Pasteur de Yaoundé

13 H 30 Déjeuner offert par M. L'Ambassadeur de France à sa résidence

16 H 00 Entretien avec M. Titus Edzoa, secrétaire général de la présidence de la République

17 H 00 Entretien avec M. Simon Achidi Achu, Premier ministre, chef du Gouvernement

Mercredi 25 janvier

8 H 30 Départ en voiture pour Douala

12 H 00 Entretien avec M. Moutome Doualla, Ministre de la justice, Garde des Sceaux

13 H 00 Déjeuner offert par M. Koungou Edima, Gouverneur de la province du Littoral

16 H 30 Réunion de travail avec les milieux d'affaires franco-camerounais

20 H 30 Dîner offert par M. Le Consul de France à sa résidence

Jeudi 26 janvier

10 H 00 Entretien avec M. Pokossy-Dombé, délégué du Gouvernement, président de la Communauté urbaine de Douala

16 H 00 Départ pour Johannesburg

I/ Le Cameroun : un avenir incertain 1 ( * )

L'avenir du pays est entravé par l'attentisme politique des autorités en place, et par la dégradation de la situation économique. 1 ( * )

A) L'attentisme politique

Les éléments spécifiques à la constitution de la nation camerounaise sont d'une extrême diversité, et la fragmentation du pays entre de multiples pôles politiques, ethniques, linguistiques et religieux, sans doute plus marquée qu'ailleurs en Afrique, contribuent à la difficulté de la conduite du pays.

1. Un pays fragmenté

L'histoire du pays depuis le début de l'emprise européenne permet d'évoquer les grandes lignes de fracture qui le traversent : au protectorat allemand établi en 1884 succède, en 1918, un double mandat français (4/5ème du territoire, à l'Est), et anglais (régions de l'Ouest). Cette partie française accède à l'indépendance en 1960, puis les deux territoires sont partiellement réunifiés sous forme d'État fédéral (la fraction Nord du territoire anglophone s'intègre au Nigéria) par référendum, organisé sous l'égide de l'ONU, en février 1961.

Amadou Ahidjo accède à la présidence de cet État fédéral en 1962, et promulgue dix ans plus tard une nouvelle Constitution, instaurant une République Unie du Cameroun, mais maintenant le bilinguisme officiel (français et anglais). En 1975, il appelle Paul Biya à la tête du Gouvernement ; ce dernier succède à Ahidjo après sa démission de la présidence, en novembre 1982.

Confirmé dans cette fonction par les élections anticipées du 14 janvier 1984, avec un score sans appel (99,98 % des suffrages exprimés), Paul Biya et le parti unique qui le soutient, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), remportent également les présidentielles et les législatives d'avril 1986.

Cependant, les rivalités ethniques, qui recouvrent partiellement les sphères linguistiques (l'Ouest anglophone est majoritairement peuplé de Bamilékés) et religieuses (le Nord musulman est fidèle au souvenir d'Amadou Ahidjo, tandis que le Sud christianisé se retrouve en Paul Biya), s'aiguisent avec le temps, et la prééminence progressivement accordée par le Président à son ethnie, les Bétis.

Ces tensions débouchent, en avril 1991, sur des troubles importants, dont une violente manifestation qui fait une soixantaine de victimes.

Le refus alors opposé par le Président à la réunion d'une Conférence nationale réclamée par l'opposition entraîne l'organisation, par celle-ci de l'opération "villes mortes", assidûment suivie jusqu'au mois de juillet suivant. Mais l'échec de la marche sur le palais présidentiel conduit à sa suspension. C'est dans ce contexte troublé que le Président Biya s'oriente vers l'application du pluralisme partisan.

2. Des élections contestées

C'est en décembre 1990 que l'Assemblée nationale adopte le cadre juridique inaugurant un multipartisme effectif.

A l'occasion de ce débat, le Président Biya affirme aux députés : "Je vous ai amenés à la démocratie et à la liberté" (3 décembre 1990). De fait, les élections législatives de mars 1992 permettent l'entrée à l'Assemblée nationale d'une partie de l'opposition : sur les 180 députés, 88 soutiennent le Gouvernement sous l'étiquette du RDPC, 68 se réclament de l'Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), dirigée par Bello Bouba Maïgari, ancien ministre du Président Biya, et 18 représentent l'Union des populations du Cameroun (UPC), parti de gauche implanté principalement sur le littoral, et à Douala.

Aux députés du RDPC viennent se joindre, dans le soutien au Gouvernement, 6 députés du Mouvement Démocratique pour la défense de la République (MDR), qui ont en commun, outre leur appartenance politique, d'être élus par la province de l'Extrême-Nord, ce qui diversifie l'origine géographique des soutiens au Président Biya.

Cependant, l'opposition la plus radicale, qui a refusé de participer à ces élections, notamment parce que leur date avait été fixée discrétionnairement par le Président Biya 1 ( * ) se trouve de ce fait, exclue du système institutionnel. Elle est composée pour l'essentiel par le Social Democratic Front (SDF), animé par John Fru Ndi, dirigeant anglophone de l'Ouest du pays (Bamenda).

En revanche, les résultats des élections présidentielles à un tour d'octobre 1992 traduisent la forte émergence du SDF, puisque John Fru Ndi recueille alors 35,9 % des voix ; le président Biya est réélu, de justesse, avec 39,9 %, et 18,6 % reviennent à Bello Bouba Maïgari.

L'étroitesse de la victoire du président sortant entraîne la vive contestation du scrutin par l'opposition. De violents troubles agitent la région de Bamenda, où l'état d'urgence est décrété ; John Fru Ndi est assigné à résidence jusqu'à la fin de 1992.

3. Un débat constitutionnel esquivé

A la revendication croissante de l'opposition en faveur de la réunion d'une Conférence nationale, qui statuerait sur les institutions du pays, le Président Biya a opposé un refus sans appel, estimant, dans un discours à l'Assemblée nationale, le 27 juin 1991, que : « La Conférence nationale est sans objet pour le Cameroun ». Devant le bureau politique du RDPC, en mars 1991, il avait déjà affirmé que : « là où elle fut organisée, la Conférence nationale a été à l'origine de l'ouverture démocratique. Au Cameroun, c'est chose faite, » en s'appuyant notamment sur l'exemple de l'adoption, en décembre 1990, des lois instaurant le multipartisme.

Cependant, les fortes contestations qui suivent sa réélection le conduisent à promettre « un grand débat national », qui se déroule d'avril à juin 1993, et aboutit à la décision d'une révision constitutionnelle devant être débattue par l'Assemblée nationale.

Mais les conditions de convocation, précipitées et discrétionnaires, d'un Comité consultatif constitutionnel, le 14 décembre 1994, avec l'édiction d'une double contrainte pesant sur ses débats, qui sont limités à une semaine, et doivent se dérouler à huis clos, conduisent à une impasse.

En effet, seules les personnalités politiques proches du pouvoir acceptent de délibérer dans ces conditions, et les membres de l'opposition convoqués se récusent : c'est le cas, notamment du dirigeant de l'UNDP, Bello Boula Maïgari, et de l'archevêque de Douala.

Il faut en outre relever qu'aucun texte issu de ce Comité ainsi restreint n'a été, à ce jour, ni publié, ni soumis à l'Assemblée nationale.

Le Président Biya n'a donc pas trouvé de formule acceptable de substitution à la Conférence nationale, ce qui a le double inconvénient de fragiliser encore une légitimité très ébranlée par le score serré et contesté des présidentielles d'octobre 1992, et d'enfermer l'opposition, parlementaire ou non, dans une position uniquement critique.

Aussi bien le report constant des élections municipales, qui devaient se dérouler en 1993, et pour lesquelles la période de l'automne 1995 est maintenant avancée, 1 ( * ) souligne l'indécision d'un pouvoir dont le maintien tient plus à la mésentente de l'opposition qui le conteste, qu'aux soutiens dont il bénéficie. 2 ( * )

B/ La dégradation économique et sociale

Alors que dans les années 1970, le Cameroun était considéré, du fait de ses nombreuses potentialités, comme l'un des pays les plus prometteurs de la région, ses résultats se sont considérablement dégradés depuis une dizaine d'années.

Ainsi le PNB, estimé à 11,2 milliards de dollars en 1994, a-t-il décru d'environ 25 % depuis 1985.

Cette situation est largement due à la dégradation des recettes d'exportation, qui se répartissent entre deux grands secteurs : l'agriculture (cacao, café, coton et bois), dont les cours mondiaux ont fortement chuté entre 1988 et 1993, et le pétrole, dont la production est en repli depuis 1986 (7 millions de tonnes en 1992, 6 en 1993).

C'est dans ce contexte morose que s'est inscrite la dévaluation du franc CFA, en janvier 1994. Si cette modification de parité incite à la substitution des produits importés par des produits locaux, et stimule ainsi la production locale de biens courants et alimentaires, elle a eu des effets nocifs dans deux secteurs essentiels pour l'avenir : la santé et la scolarisation. Le coût des médicaments importés est ainsi devenu hors de portée de la plupart des camerounais, concourant à une véritable déroute des infrastructures sanitaires.

La visite effectuée par la délégation à l'hôpital d'Ayos, fondé dans les années 30 par un médecin français, le Dr Jamot, en a fourni une illustration concrète : bâtiments dégradés, personnel dépourvu de tout matériel, hébergement des malades dans des conditions plus que précaires.

De même la scolarisation est-elle affectée par la croissance du coût des fournitures scolaires, et l'utilisation des enfants à de petites tâches faiblement rémunérées.

Aussi la tendance est-elle à n'envoyer désormais à l'école qu'un seul enfant par famille, en général, l'aîné des garçons.

En revanche, certaines activités d'exportation pourraient bénéficier de la dévaluation, d'après la note prospective établie par notre conseiller économique et commercial à Yaoundé, en mai 1994 :

« Certes, le Cameroun n'est pas un pays qui de par sa position d'exportateur sur le marché international des produits de base serait en mesure d'imposer les prix de ces produits hormis peut-être dans le domaine du coton et de la banane.

Néanmoins, plusieurs secteurs d'activité bénéficient d'ores et déjà de la dévaluation qui renforce leur capacité exportatrice. C'est notamment le cas du cacao, du coton, du café pour lesquels l'augmentation réalisée ou imminente des quantités exportées couplées avec celle des cours constitue un surplus non négligeable de rémunération pour les opérateurs de filières.

Les exportations de banane devraient enregistrer une augmentation considérable du fait de la compétitivité des prix camerounais. Les exportations se sont élevées à 120 000 tonnes en 1992 et atteindront plus de 150 000 tonnes en 1994. Toutefois, il y a lieu de noter qu'avec l'avènement du Marché Unique Européen, un quota est imposé aux exportateurs camerounais pour les produits destinés au marché français.

Le Cameroun est un important producteur de cacao (cinquième rang mondial) . - la production en 1993 s'est élevée à 95 000 tonnes, les exportations, à 86 000 tonnes.

Suivant les simulations réalisées par les experts du Cameroun, la production du café Robusta augmentera de 10 000 tonnes par an pour atteindre 110 000 tonnes en l'an 2000 ; celle de l'Arabica passant de 8 000 tonnes actuellement pour atteindre 12 000 tonnes en l'an 2000. Les exportations devraient revenir dans les prochaines années au début des années 1980.

Quant aux exportations de pétrole, elles ont représenté 39,4 % des exportations totales tous produits du Cameroun au cours de la période 1992-1993. En 1993 la production s'est élevée à 7 millions de tonnes, les exportations à 6,3 millions de tonnes. Pour les quatre prochaines années une chute sensible des embarquements de pétrole est attendue.

Le secteur du bois devrait connaître également un développement à l'exportation du fait de la compétitivité des prix camerounais. Il faudra cependant tenir compte du coût de la rénovation des équipements, ainsi que de l'application de la nouvelle loi sur les forêts qui pourrait réduire les possibilités d'exportation ».

Ces perspectives positives tardent cependant à se concrétiser. Aussi le Président Biya a-t-il, fin mai 1995, annoncé lui-même, fait notable, de prochaines privatisations de services publics, dont la distribution de l'eau et de l'électricité, mais ni leur fiabilité, ni, a fortiori, leur rentabilité, ne sont assurées aujourd'hui.

Sans doute est-ce là un gage donné au Fonds Monétaire International, avec lequel les autorités camerounaises conduisent de très laborieuses négociations.

C/ Récit de mission

Le dernier contact du groupe sénatorial France-Afrique Centrale avec le Cameroun remontait au mois d'octobre 1988, date à laquelle une délégation de six députés camerounais, conduite par M. Gabriel Mballa Bounoung, alors député-maire de Yaoundé, et président du groupe parlementaire RDPC à l'Assemblée nationale, avait séjourné en France.

Les législatives de 1992 ayant notablement modifié la composition et le mode de fonctionnement de l'Assemblée nationale camerounaise, il a donc semblé opportun de renouer le dialogue avec ces nouveaux parlementaires.

Il convient de souligner l'exceptionnelle chaleur de l'accueil qui a été réservé aux sénateurs français par le Parlement camerounais, soulignant par contraste l'inhabituelle réserve de la Présidence de la République.

Le contenu des entrevues avec l'autorité exécutive sera détaillé après celles ménagées auprès de l'Assemblée nationale ; puis sera évoquée la situation des français expatriés.

1. Les autorités camerounaises

a) les parlementaires

Six des membres du groupe Cameroun-France de l'Assemblée nationale, représentant les principaux partis la composant (RDPC, UNDP, UPC et MDR), et conduits par M. Jean-Bernard Ndongo Essomba, président du groupe RDPC, ont débattu avec la délégation française des aspects spécifiques du fonctionnement de leur Assemblée, et des perspectives offertes par les relations entre les deux pays.

Le programme de la délégation s'est organisé selon le calendrier suivant :

Lundi 23 janvier 1995 - 10 H 00 : entrevue avec M. Djibril Cavaye Yeguie, Président de l'Assemblée nationale.

Le Président a, tout d'abord, évoqué les graves difficultés économiques du pays, qui ont été accentuées par la dévaluation du franc CFA ; ce contexte a notamment conduit certains hommes politiques à un incivisme fiscal qui heurte la population, elle-même appelée à un effort croissant dans ce domaine, et tend à discréditer l'ensemble de la classe politique.

Puis il a décrit l'évolution souhaitable du cadre institutionnel : ainsi, actuellement, le Président de l'Assemblée nationale, comme les présidents des groupes politiques, sont renouvelés annuellement. Ce système, hérité du temps du parti unique, qui contrôlait ainsi étroitement ces postes, prive ces dirigeants de l'autorité qui découle de la durée.

La réforme constitutionnelle devrait également prévoir l'allongement de la durée des sessions ordinaires, qui se résument aujourd'hui à deux fois un mois, en décembre et en juin, ce qui est manifestement insuffisant pour l'instauration d'un réel débat sur les textes présentés par le Gouvernement.

L'institution d'un Sénat, et de conseils régionaux, est également évoquée ; ces assemblées complèteraient l'Assemblée nationale, et le Conseil économique existant actuellement.

En conclusion, le Président s'est dit préoccupé par le rythme des réformes envisagées : elles sont, certes, nécessaires, mais leur application devra être progressive pour être réellement fructueuse.

Lundi 23 janvier - 11 H 00 : réunion de travail avec la délégation du groupe Cameroun-France

Dans un propos introductif, M. Jean-Bernard NDONGO ESSOMBA (Province du Centre) a souligné que les atouts essentiels de son pays résidaient dans les capacités du peuple camerounais, qui est intelligent, travailleur et fier.

L'essentiel des difficultés actuelles relèvent du domaine économique : la chute passée du cours des matières premières a entraîné celle des recettes fiscales, que l'on a tenté de compenser par une réduction des coûts salariaux de la fonction publique. La conjugaison de ces divers éléments a créé un contexte de morosité et de revendications. Cependant, les perspectives économiques d'ensemble demeurent positives, le secteur bancaire a été restructuré, et les importantes privatisations prévues désendetteront l'État.

M. Bruno SAHO (Province de l'Ouest) membre de l'UNDP, et président de la commission des Finances de l'Assemblée, a regretté que les propositions de révision constitutionnelle formulées dès 1992 par les députés n'aient été suivies d'aucun résultat, ce qui a motivé le refus de son parti de participer à la dernière session parlementaire (décembre 1994), ainsi qu'à l'amorce de débat constitutionnel entrepris, à cette date, de manière brusquée.

Ces réformes devront établir l'indépendance de la justice, qui est aujourd'hui sujette à caution.

M. Emmanuel BITYEKI (Province du Centre), député de l'UPC, a souligné que les libertés politiques avaient beaucoup progressé dans le pays, ce qui rend peu compréhensible l'attitude d'abstention d'une certaine opposition lors des dernières législatives. Le Gouvernement, pour sa part, n'a pas adapté ses rapports avec l'Assemblée à cette évolution, et persiste à présenter les textes législatifs de façon tardive et inopinée.

La pratique démocratique nécessite un apprentissage, qui modèrera les critiques, parfois excessives, de l'opposition, et assouplira la position du Gouvernement, qui les accepte mal.

Il faut également faire évoluer l'organisation judiciaire, qui, actuellement inspirée du système français, est trop lourde et complexe pour fonctionner efficacement. En milieu rural, le droit coutumier y pourvoit, mais il n'existe guère de justice en milieu urbain.

M. RIDANDI (Province de l'Extrême-Nord), député du MDR, a appuyé l'observation précédente, en rappelant que bien des ministres découvrent le contenu des projets de loi lors de leur présentation à l'Assemblée, faute d'avoir participé à leur préparation.

Il a déploré que les discussions constitutionnelles traînent en longueur, et ne prévoient pas, pour l'instant, l'institution d'une Cour des comptes.

M. Albert NDIM (Province du Nord Ouest), député du RDPC, a estimé que l'institution judiciaire pouvait, d'ores et déjà, assurer son indépendance par un comportement plus rigoureux de ses membres.

Mme SALI-FADIMATOU (Province de l'Extrême-Nord), également député du RDPC, a rappelé que le Cameroun ne pourrait sortir de l'actuel marasme économique que si s'instaurait un accord minimum sur ce point entre les différentes forces politiques.

b) Le Gouvernement

Les sénateurs français ont vivement regretté de n'avoir pu s'entretenir avec le chef de l'État, averti pourtant dès le mois d'octobre 1994 de leur venue prochaine, - et en dépit des efforts réitérés de notre Ambassade pour ménager une telle entrevue.

Ainsi, contrairement à la plupart des autres pays d'Afrique où le groupe s'est précédemment rendu, ses représentants n'ont pu recueillir le sentiment du premier responsable du Cameroun sur l'évolution de son pays.

Les entrevues avec le Gouvernement camerounais se sont organisées comme suit :

Lundi 23 janvier - 9 H 30 : entrevue avec M. Léopold Oyono, ministre des relations extérieures.

M. Oyono a souligné la place spécifique de la France dans les relations amicales que le Cameroun entretient avec les pays étrangers, place d'autant plus éminente que le pays est bi-culturel (lui-même est anglophone).

L'évolution institutionnelle devrait être la dominante de l'année 1995, qui sera celle de la mise à jour de la Constitution ; ainsi le Cameroun sera-t-il doté du nouveau cadre qui lui est nécessaire pour progresser vers raffermissement de la démocratie.

Mardi 24 janvier - 15 H 30 : entrevue avec M. Titus Edzoa, secrétaire général de la présidence de la République.

Après avoir rappelé l'intensité des relations entre son pays et la France, M. Edzoa a retracé les points forts et faibles de la situation actuelle du Cameroun, dans les domaines politique, économique et social. Il a évoqué le processus de réforme constitutionnelle en cours, et s'est félicité de l'évolution sans heurt vers la démocratie pluraliste qu'avait impulsée le Président Biya.

Mardi 24 janvier - 17 H : entrevue avec M. Simon Achidi Achu, Premier ministre, Député RDPC depuis 1978 de la région de la Mézam, à l'ouest du pays.

M. Achidi Achu est nommé à la Primature à l'issue des élections législatives de mars 1992, puis confirmé à ce poste par le Président Biya, réélu lui-même en octobre suivant.

Il est anglophone, et ancien rival de John Fru Ndi au sein de l'appareil du RDPC de la région Ouest

Le Premier ministre a évoqué les grands problèmes, institutionnels, politiques et économiques, auquel le Cameroun est confronté, et a souligné combien son pays appréciait l'aide et l'appui de la France durant cette période critique.

Il a exprimé sa conviction que le débat constitutionnel trouverait une issue dans un délai raisonnable, et que les prochaines privatisations envisagées permettraient d'assainir la situation économique du pays.

Mercredi 25 janvier (Douala) 13 H : entrevue avec M. Moutome Doualla ministre de la justice, Garde des Sceaux.

Le ministre a évoqué l'insécurité croissante qui règne dans le pays, due, selon lui, à deux principaux facteurs. D'abord un manque criant des moyens mis à la disposition des forces de l'ordre : il a relevé, à cet égard, que certaines aides promises par la communauté internationale ont été bloquées sur intervention des États-Unis, au motif qu'elles menaceraient l'ordre public.

On constate également une inadaptation des personnels affectés à la sécurité, qui continuent à recourir à des méthodes héritées du parti unique.

Il a déploré que la convention, notamment judiciaire, conclue avec la France il y a trois ans et financée par le Fonds d'Aide et de Coopération, tarde tant à être mise en oeuvre, alors que le Cameroun est incontestablement un pays dominé par des appartenances, sinon tribales, du moins régionales, qui rendent difficile l'émergence et le respect des intérêts nationaux.

S'agissant des incidents survenus en 1994 dans la province de l'Extrême-Nord à la suite des dissensions au sein de l'UNDP, il a rappelé que leur répression avait été rendue indispensable du fait des morts et des destructions de biens qu'elles avaient engendrées, mais que, depuis cette date, près de la moitié des détenus alors incarcérés avaient été libérés.

2. Les Français expatriés

La communauté française du Cameroun regroupe environ 8 000 personnes, dont le plus grand nombre réside dans la capitale économique du pays, Douala.

C'est d'ailleurs dans cette ville qu'une réunion de travail organisée par notre Consul général a permis de recueillir les sentiments des principaux acteurs économiques français, mais aussi camerounais, sur leurs difficultés spécifiques.

M. NDONGO ESSOMBA et ses cinq collègues députés, qui avaient eu la prévenance d'accompagner les sénateurs français lors de leur passage, le mercredi 25 janvier, à Douala, assistaient également à cette réunion.

Des propos exprimés à cette occasion, comme ceux recueillis à Yaoundé auprès de nos compatriotes, il ressort les principaux points suivants :

- les effets de la dévaluation du franc CFA n'ont guère été compensés pour le secteur privé. Les principales mesures d'accompagnement ont porté sur la dette publique (annulation par la France de 50 % de la dette des États), mais le secteur privé n'a bénéficié que de simples facilités de caisse pour un montant de 300 millions de francs français ; encore n'ont-elles bénéficié qu'à moins de dix sociétés françaises de Douala, car la majorité des dossiers constitués ont été refusés.

Si la dette extérieure a fait l'objet de mesures d'allègement, motivées essentiellement par un souci de réalisme, car la capacité des États africains à la rembourser est hypothétique, la dette intérieure, elle aussi très élevée, n'a fait l'objet d'aucune décision de ce genre. Ceci freine d'autant les investisseurs à s'orienter vers l'Afrique. De surcroît, la dévaluation a pris en tenaille les entreprises, entre une croissance des coûts (le port de Douala est l'un des plus chers d'Afrique de l'Ouest), et une réduction du pouvoir d'achat du marché local.

- le montant des retraites des expatriés, libellées en CFA, a été réduit de moitié avec la dévaluation, qui n'a d'ailleurs fait que souligner l'extrême désorganisation des caisses de retraite africaines, qui sont quasiment en cessation de paiement.

- enfin, la vie quotidienne est sensiblement dégradée par l'essor de la criminalité, qui ne touche plus seulement les biens, mais également les personnes ; ainsi plusieurs femmes conduisant seule leur voiture ont été récemment attaquées, en pleine journée. Cette insécurité est étroitement liée à la dégradation des conditions de vie dans les villes, notamment du fait de la récession et de la chute des salaires qui l'accompagne. Ce contexte incertain conduit à une regrettable altération des relations entre communautés camerounaise et française, et met en cause le caractère durable de la présence de nombre de nos compatriotes.

Il faut rappeler, à cet égard, que le nombre des français établis au Cameroun n'a cessé de diminuer régulièrement depuis une dizaine d'années, et que la dévaluation du CFA a accéléré le mouvement, en contraignant à la fermeture de nombreuses entreprises, françaises comme étrangères. Nos compatriotes constituent encore, malgré cette érosion, la communauté étrangère la plus nombreuse au Cameroun, loin devant les États-Unis (1500 ressortissants), l'Italie (540), l'Allemagne (520) et la Grande-Bretagne (230).

En réponse, Mme BRISEPIERRE et M. CANTEGRIT, qui représentent tous deux les Français établis hors de France, ont fait valoir la continuité des efforts déployés par leurs collègues et eux-mêmes pour une meilleure prise en compte, par les autorités françaises, des effets spécifiques de la dévaluation sur les expatriés, que ce soit pour l'extension de la loi sur le surendettement - demandée dès le mois de mai 1994 -, les retraites, avec la suggestion d'un système de retraites propre aux français de l'étranger et rattaché à la Sécurité sociale de notre pays, à l'image de ce qui a été déjà obtenu pour l'assurance maladie, ou la couverture des accidents du travail.

Mais, outre des ressources financières spécifiques, cette innovation implique une révision des conventions liant la France aux divers pays africains intéressés.

CONCLUSION

Des éléments d'appréciation très contrastés viennent conclure cette brève relation de la situation observée au Cameroun par la délégation.

Tout d'abord s'affirme la conviction qu'en dépit d'éventuelles ombres passagères, la France reste le pays européen de référence pour le Cameroun ; puis la certitude que les élites politiques et parlementaires aspirent à une réelle modernisation institutionnelle de leur pays, aussi divers que soit leur rattachement partisan.

De surcroît, les potentialités humaines et économiques sont réelles et multiples : des entrepreneurs dynamiques animent le marché des matières premières (bois, café, cacao...), les ressources pétrolières procurent de bonnes rentrées financières, des secteurs restent à valoriser, comme le tourisme.

Tous ces atouts auraient dû permettre au Cameroun de tirer parti de la dévaluation du franc CFA ; or, celle-ci a conduit à une sensible régression économique et sociale, faute d'avoir été prévue et encadrée.

Bref, que ce soit dans les domaines politique ou économique, le pays semble manquer d'une ligne directrice, qui lui permette de valoriser ses atouts.

II./ La Namibie une indépendance prometteuse 2 ( * )

Au mois de novembre 1993, à l'occasion de sa première visite officielle en France, le Président Nujoma fut reçu par le Président du Sénat, M. René Monory, en présence de M. Jean-Pierre Cantegrit, Président du groupe France - Afrique centrale.

Lors de cette entrevue, le Président Nujoma invita M. Monory, ainsi qu'une délégation de ses collègues sénateurs, à se rendre dans son pays.

Du fait de la charge de son emploi du temps, le Président du Sénat n'a pu, jusqu'à présent, répondre à cette invitation, mais il a souhaité que le groupe sénatorial France -Afrique centrale, qui a intégré la Namibie dans sa sphère de compétence géographique, se rende rapidement dans ce pays.

Ainsi a-t-il été décidé qu'une délégation de ce groupe se rendrait, au mois de janvier 1995, en Namibie, au terme de son séjour au Cameroun.

Cette mission s'est déroulée selon le calendrier suivant :

Vendredi 27 janvier

13 H. : Arrivée à Windhoek en provenance de Johannesburg

16 H. : Entretien avec M. Sam Nujoma, Chef de l'État

20 H. : Dîner à la résidence de l'Ambassadeur de France avec des représentants de la communauté française.

Samedi 28 janvier

Visite de la ville de Swakopmund, située à 400 km à l'est de Windhoek, sur la côte atlantique.

Dimanche 29 janvier

Matin : visite du port de Walvis Bay, et entretien avec les autorités portuaires.

Après-midi : visite de la mine d'uranium de Rössing, à une soixantaine de kilomètres à l'intérieur des terres, puis retour à Windhoek.

Lundi 30 janvier

10 H : Entretien avec M. Mose Tijtendero, Président de l'Assemblée nationale

11 H. : Entretien avec M. Hage Geingob, Premier ministre

12 H. :Entretien avec M. Théo-Ben Gurirab, Ministre des affaires étrangères

13 H. : Déjeuner offert par les deux assemblées namibiennes

15 H. : Entretien avec M.. Kandy Nehova, Président du Conseil national

20 H. : Dîner à la résidence de l'Ambassadeur, en présence des deux présidents des assemblées

Mardi 31 janvier

9 H. : Réunion de travail à la mission de coopération

11 H. : Visite de réalisations urbaines réalisées par cette mission

11 H. : Cocktail offert par l'Ambassadeur, en présence des chefs de mission de l'Union européenne

12 H. : Déjeuner privé offert par le Président Nujoma

18 H. : Départ pour Paris via Francfort

Mercredi 1er février

8 H. 40 : Arrivée à Paris-Orly;

*

* *

La situation actuelle de la Namibie est marquée par une indépendance récente et difficilement obtenue, par une économie à la répartition géographique et aux succès très contrastés, enfin par une place discrète sur la scène internationale.

A) Un difficile accès à l'indépendance

1) Une évolution sous contrôle international

Placée sous protectorat allemand en 1884, sous le nom de Sud-Ouest Africain, la Namibie passe en 1920 sous mandat sud-africain, avec l'assentiment de la SDN.

En 1945, l'Afrique du Sud refuse de rendre son mandat à l'ONU et maintient son emprise politique et économique sur la Namibie, sans y imposer, toutefois, une politique de séparation des races aussi rigide que sur son propre territoire. Ce défi aux Nations Unies aboutit à l'adoption par le Conseil de sécurité, le 28 septembre 1978, de la résolution n°435 qui pose le principe de l'indépendance du pays, qui serait précédée d'élections libres sous contrôle de l'ONU.

Au terme de longues négociations, liant le retrait des soldats cubains d'Angola à celui des troupes sud-africaines de Namibie 1 ( * ) , l'élection d'une Assemblée constituante est organisée au mois de novembre 1989, sous contrôle de l'ONU.

Ses 72 membres adoptent à l'unanimité, le 9 février 1990, une constitution qui allie, dans une rédaction très libérale, des éléments divers : élections présidentielles au suffrage universel direct, mais choix par le Président des membres du cabinet parmi les seuls députés, responsabilité individuelle des ministres devant l'Assemblée nationale, création d'un parlement bicaméral. 2 ( * )

Cette Assemblée constituante élit, à titre transitoire, le chef de l'État en la personne de M. Sam Nujoma, le 16 février 1990, et demeure en fonction comme première Assemblée législative, l'indépendance étant proclamée le 21 mars 1990 : la Namibie est l'État africain le plus récent à avoir accédé à la souveraineté internationale.

2) Un fragile équilibre à préserver

Les libertés démocratiques inscrites dans la Constitution de 1990 ont été scrupuleusement respectées par le Président Nujoma, son Gouvernement et la SWAPO (South West African People's Organisation), et la délégation du Sénat a été impressionnée par la détermination de ses divers interlocuteurs à le préserver.

Ce climat serein, auquel s'ajoute une visible simplicité de mode de vie des dirigeants namibiens, et un souci de maintenir le dynamisme économique déployé par la population de souche allemande (près de 80 000 personnes sur environ 1,7 million d'habitants) ne doit pas masquer l'existence de diverses sources de tension potentielle. La première d'entre elle découle de l'inégalité de développement entre le nord et le sud du pays, séparés par la ligne "rouge" située à 200 km environ au nord de Windhoek.

Cette frontière informelle partage le pays en deux zones : le sud, sans grandes ressources agricoles autres que l'élevage, peu peuplé et sanitairement sûr ; et le nord, plus humide, où se concentre l'essentiel de la population la plus pauvre, qui pratique des cultures de subsistance, et reste liée aux régions du sud de l'Angola plus qu'au reste de la Namibie.

Cette région constitue le fief de l'ethnie ovambo, fortement représentée au sein de la SWAPO, et à laquelle l'indépendance n'a guère apporté d'améliorations concrètes. La pression ainsi exercée sur les autorités pour une meilleure répartition des richesses (notamment le projet de réforme agraire, évoqué plus loin) ne peut être ignorée.

Un autre élément délicat tient au quasi-monopole exercé par la population de souche allemande sur l'activité économique et, de façon moins visible, sur le secteur administratif (notamment dans l'attribution des marchés).

Certes, les ressentiments de la population d'origine envers les européens sont bien moins forts qu'en Afrique du Sud, car la séparation raciale n'y a jamais été aussi pesante et réglementée. Cependant, tout laisse à penser que l'inégalité actuelle des compétences sera longue à résorber, et que ce délai pourrait être propice à une radicalisation des deux communautés. L'entreprise de réconciliation nationale à laquelle s'est attaché, dès son élection, le Président Nujoma (pas d'épuration dans la fonction publique, appel à des collaborateurs d'origine européenne...) a permis, jusqu'à présent, d'apaiser les tensions.

3) Le déséquilibre des forces politiques en présence

Les élections de novembre 1989 avait donné 57 % des voix (42 sièges) à la SWAPO dirigée de longue date par M. Nujoma. Le principal parti d'opposition, la DTA (Démocratie Turnhalle Alliance), alliance de composantes diverses (anciens alliés de l'Afrique du Sud, nationalistes hostiles à la SWAPO, ethnies craignant la domination des Ovambos, majoritaires au sein de la SWAPO) remportait alors 28 % des voix. Les 15 % des suffrages restant étaient répartis entre de petits partis politiques.

Ce résultat, incontestable, puisqu'obtenu sous contrôle de l'ONU, satisfaisait les observateurs internationaux, qui craignaient que la prédominance de la SWAPO ne l'amène à une majorité supérieure aux deux-tiers requis pour procéder à une révision constitutionnelle.

En effet, tant par la légitimité acquise durant la longue lutte pour l'indépendance que par la bonne organisation qu'avait promue Sam Nujoma, ce parti domine nettement la vie politique namibienne.

Les premières élections législatives et présidentielles conformes à la Constitution, organisées les 6 et 7 décembre 1994 a renforcé cette domination : le président Nujoma a été réélu avec 76 % des suffrages, et la SWAPO obtient 53 députés sur 72, soit une majorité supérieure aux deux tiers.

La DTA obtient 15 élus et 4 députés représentent de petits partis. L'enjeu politique majeur de cette orientation vers un quasi-monopartisme est l'éventuelle suppression de la limitation à deux mandats successifs du chef de l'État, inscrite dans l'actuelle Constitution.

La principale difficulté à laquelle se heurte un pays incontestablement démocratique - garantie des droits fondamentaux, indépendance judiciaire, liberté de la presse -, est donc la faiblesse et la dispersion de l'opposition.

B) Une économie contrastée

La Namibie dispose de ressources diverses qui lui assurent, pour l'instant, une évolution satisfaisante : le FMI fait ainsi état d'une croissance de 4 % en 1993, avec des perspectives analogues pour la période 1995-1999.

La pêche, et les industries dérivées, contribuaient pour environ 8 % au PIB en 1993, l'institution d'une zone économique exclusive de 200 miles lors de l'indépendance ayant réduit les prises des flottes étrangères qui écumaient cette zone auparavant. 1 ( * )

L'agriculture n'assure pas l'auto-suffisance alimentaire, qui constitue l'un des objectifs majeurs des autorités namibiennes. Contribuant pour 10 % au PIB, elle reste surtout l'affaire de quelques 4 500 agriculteurs blancs, qui pratiquent un élevage extensif sur de grandes propriétés, dont la superficie moyenne est d'environ 7 000 hectares.

Cette répartition des terres constitue une difficulté majeure pour le Gouvernement, qui a promulgué, au mois de janvier 1995, une loi visant à la redistribution agraire, répondant ainsi à un souhait très vif de la population noire. Ce premier texte vise les fermes dites "commerciales", c'est-à-dire les domaines de vastes dimensions, 15 000 hectares en moyenne, certaines pouvant atteindre jusqu'à 20 000 hectares, exploitées chacune par un propriétaire unique.

Ce "Land bill", adopté au terme de deux années de concertation avec les fermiers blancs, donne au ministère de l'agriculture un droit de préemption sur les fermes mises en vente, mais au prix du marché. Ce ministère a reçu des crédits lui permettant d'acheter sous ce régime une vingtaine de fermes de moyenne dimension, durant l'année 1995. Il s'agit donc là d'un texte modéré et d'application restreinte.

La réflexion porte maintenant sur la zone dite "communale", située dans le nord de la Namibie, où vit 60 % de la population. Ce territoire de 200 à 300 kms d'épaisseur est régi par un statut coutumier, qui doit être précisé par le texte de loi en cours d'élaboration. Les propriétés qui composent cette zone sont de superficie plus restreinte que les fermes commerciales. Cependant, cette nouvelle législation n'apporte pas de réelles satisfactions à la population rurale, qui aspire surtout à la redistribution des fermes commerciales, dont le morcellement éventuel supprimerait la rentabilité.

De surcroît, l'état d'esprit des agriculteurs blancs, moteur de l'activité économique, mais animés d'un esprit pionnier et peu enclins à céder même une partie de leurs terres aux populations noires, rend l'application de ces textes aléatoire. Les intérêts contradictoires en jeu rendront sans doute cette réforme, même modérée, périlleuse tant politiquement qu'économiquement.

Quant au secteur minier, il demeure le point fort de l'économie namibienne, et contribue pour 60 % aux exportations du pays. Il est animé par quelques groupes multinationaux, comme la De Beers pour le diamant, ou la Gold Field of South Africa pour l'or. L'uranium, dont l'extraction et le traitement font l'objet de participations publiques françaises (la COGEMA participe pour 10 % à la mine de Rössing), ainsi que le zinc et l'étain contribuent également à la prospérité de ce secteur, dont les réserves garantissent un maintien de l'exploitation actuelle pour les dix prochaines années. Les perspectives à plus long terme nécessitent d'accomplir de considérables efforts de recherche et de prospection.

Enfin, le pays a hérité de la période sud-africaine un bon réseau de communication (routes et rail) et s'efforce de le renforcer avec les projets de Trans-Kalahari (est-ouest) et de Trans-Caprivi (nord-sud) destinés à améliorer la desserte du port de Walvis Bay, rendu par l'Afrique du Sud à la Namibie le 1er mars 1994. Seul port en eau profonde entre Luanda et Le Cap, son développement est, pour l'instant, entravé par l'Afrique du Sud, peu soucieuse de voir émerger un concurrent mieux placé, géographiquement, que Le Cap. La Namibie vise donc à développer cet accès maritime pour le rendre accessible aux pays enclavés qui l'entourent.

C) Une volonté de reconnaissance sur la scène internationale

Dans ce domaine, la volonté du chef de l'État est de faire évoluer la situation de dépendance vis-à-vis de l'Afrique du Sud, qui a persisté, de facto, depuis la récente indépendance, et particulièrement de nouer des relations avec les différents pays de l'Union européenne.

La France occupe, du fait de son appui constant au processus d'indépendance, une place prééminente aux yeux du Président Nujoma.

Aussi, s'est-il rendu dans notre pays au mois de novembre 1993, et le déplacement de la délégation du Sénat français, en janvier dernier, a été suivi d'un séjour à Paris d'une délégation du Conseil national namibien, conduite par son Président, M. Kaudy Nehova, à la fin du mois de mai 1995, à l'invitation du Président Monory.

Soulignons que le ministre français de la coopération d'alors, M. Bernard Debré, était le seul ministre européen présent aux cérémonies du cinquième anniversaire de l'indépendance de la Namibie, les 21 et 22 mars dernier.

A l'occasion de cette visite, un accord-cadre de coopération culturelle, scientifique et technique a été signé entre les deux pays ; il instaure la création d'une commission mixte de coopération dans les trois domaines précités, qui devrait se réunir tous les trois ans à partir de 1996. L'effort d'ouverture extérieure du pays, qui n'entend pas rester confiné dans la sphère étroite de l'Afrique australe, s'est également traduit par la visite officielle du Premier ministre suédois, des 22 au 26 février dernier, et par le récent déplacement, du 3 au 5 mai 1995, du Président de la République de Finlande.

Enfin, le chancelier allemand Helmut Kohl projette un déplacement analogue, au mois de septembre prochain.

C'est le Président Nujoma lui-même qui, lors d'un récent séjour en Autriche, effectué au terme du sommet réuni par l'ONU à Copenhague en mars dernier, a souligné que son pays ne sollicitait pas d'aide, mais des investissements doublés d'un dialogue politique avec les pays occidentaux. Cet objectif semble suffisamment fondé et réaliste pour qu'il soit pris en compte.

*******

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COMMUNIQUÉ INSÉRÉ DANS LE BULLETIN D'INFORMATION DU SÉNAT

GROUPE D'ÉTUDES ET D'AMITIÉ

FRANCE - AFRIQUE CENTRALE

Une délégation du groupe, conduite par son président, M. Jean-Pierre CANTEGRIT (Français établis hors de France) et composée de Mme Paulette BRISEPIERRE (Français établis hors de France) et de MM. Georges BERCHET (Haute-Marne), Jean-Paul CHAMBRIARD (Haute-Loire) et Roger LISE (Martinique), s'est rendue au Cameroun et en Namibie du 21 janvier au 1er février 1995.

Accueillie chaleureusement par les membres du groupe homologue de l'Assemblée nationale camerounaise, la délégation s'est entretenue notamment avec le Premier ministre et le Secrétaire général de la Présidence de la République.

Tant à Yaoundé qu'à Douala, où il se sont rendus à la fin de leur séjour, les sénateurs ont également rencontré à plusieurs reprises les représentants de nos compatriotes installés au Cameroun.

Puis la délégation s'est rendue en Namibie, où elle a été reçue dès son arrivée par le Chef de l'État, le Président Sam NUJOMA.

Diverses entrevues ont permis aux sénateurs de s'entretenir également avec le Premier Ministre et les Présidents des deux assemblées du Parlement.

Alors que la stabilité politique et économique du Cameroun semble durablement affectée par, notamment, une mauvaise maîtrise des suites de la dévaluation du franc CFA, la Namibie connaît des premières années d'indépendance (elle remonte à 1990) prospères et paisibles, que les autorités namibiennes s'efforcent de préserver au mieux.

* 1 - Superficie : 475 000 km 2

Population : 12,3 millions d'habitants

Capitale : Yaoundé

PNB : 11,2 Mds de $

PNB/hab : 960 $

Montant de la dette : 6 Mds de $

Tx d'alphabet. : 56,30 %

Source : Ministère de la Coopération - chiffres de novembre 1994

* 1

* 1 Le SDF conteste également les modalités pratiques d'organisation de ces élections (élaboration des listes électorales et attribution des cartes d'électeur, notamment)

* 1 Alors que le président Biya avait, d'un même mouvement, annoncé le 6 novembre 1994, leur tenue au début de l'année 1995, ainsi que la relance du débat constitutionnel.

* 2 On trouvera différentes analyses de l'évolution politique récente du Cameroun dans :

- l'Afrique en transition vers le pluralisme démocratique - ed Economica - 1993

- l'Afrique politique - ed Karthala - 1994.

* 2 - Superficie : 823 144 km 2

Population : 1,7 million

Capitale : Windhoek

PIB : 2,7 milliards $

PIB/hab : 1300$

Montant de la dette : 142 millions $

Tx alphabét. : ---

Source : Ministère de la Coopération - chiffres de novembre 1994

* 1 La France a récusé ce lien, et s'en est toujours tenue à l'intangibilité de l'indépendance de la Namibie, ce qui lui vaut une reconnaissance particulière du Président Nujoma.

* 2 Pour une analyse précise de la Constitution namibienne, se référer à :

-Bernard Chantebout : la Constitution namibienne du 9 février 1990 : enfin un vrai régime semi-présidentielle Revue française de droit constitutionnel 1990.3

- Edmond Jouve : "la Constitution de la République de Namibie du 9 février 1990" dans : "l'Afrique en transition vers le pluralisme" ed Economica 1993

* 1 Cependant, la surveillance de cette zone est encore mal assurée, et la France a mis à disposition de Windhoek une assistance en ce domaine (un avion de surveillance et la formation de pilotes)

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