Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 11 - 15 décembre 1996

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INTRODUCTION

L'Ukraine a proclamé son indépendance en décembre 1991. Ce vaste pays, proche de la France par sa superficie (603.700 km 2 ) et sa population (52 millions d'habitants) a, depuis cette date, entrepris à la fois de bâtir un véritable État démocratique et de réformer une économie totalement déstabilisée par l'effondrement de l'empire soviétique.

L'adoption d'une Constitution en juin dernier et l'introduction en septembre d'une nouvelle monnaie constituent des étapes importantes de cette évolution. Le groupe sénatorial d'amitié France-Ukraine, créé en 1994, a estimé que le moment était particulièrement propice pour témoigner à l'Ukraine l'intérêt que lui porte le Parlement français. En avril dernier, le président de la Rada suprême d'Ukraine (le Parlement), M. Oleksander MOROZ s'était rendu en France à l'invitation du Président du Sénat, M. René MONORY ; cette visite avait déjà permis de nouer des contacts parlementaires qui méritaient d'être approfondis.

Une délégation du groupe d'amitié France-Ukraine s'est donc rendue en Ukraine du 23 au 30 septembre 1996. Cette délégation était composée de :

- M. François LESEIN, sénateur (RDSE) de l'Aisne, Président du groupe d'amitié ;

- M. André EGU, sénateur (UC) d'Ille-et-Vilaine ;

- M. Hubert DURAND-CHASTEL, sénateur (NI) représentant les Français établis hors de France ;

- M. José BALARELLO, sénateur (RI) des Alpes-Maritimes ;

- M. René RÉGNAULT, sénateur (Soc.) des Côtes d'Armor.

La délégation s'est successivement rendue à Lviv et à Kiev et a pu rencontrer de nombreuses personnalités qui lui ont permis d'avoir une vision assez complète de la situation politique et économique. La délégation a également pu constater que la présence économique française demeurait limitée malgré les atouts réels de l'Ukraine.

La délégation tient à adresser ses plus vifs remerciements à S.E . M. Dominique CHASSARD, ambassadeur de France en Ukraine et à Mme Milka STAKIC, conseiller à l'ambassade de France, pour l'aide qu'ils lui ont apportée dans la préparation et la conduite de cette mission.

La délégation remercie également M. Youri BOUZDOUGANE, Président du groupe d'amitié Ukraine-France, ainsi que Mme SKOMOROCHTCHENKO, qui ont beaucoup contribué à la réussite de ce séjour.

I. UNE SITUATION POLITIQUE STABILISÉE

La délégation s'est entretenue avec de nombreuses personnalités politiques, en particulier avec le Président de la Rada (le Parlement ukrainien), M. Oleksander MOROZ ; ces entretiens lui ont notamment permis d'évoquer l'adoption récente d'une Constitution, les relations avec la Russie et la place de l'Ukraine en Europe.

A. L'ADOPTION RÉCENTE D'UNE CONSTITUTION

En juin dernier, le Parlement ukrainien a adopté une Constitution qui devrait contribuer à renforcer l'indépendance et la stabilité de l'Ukraine. Le projet de Constitution était en préparation depuis deux ans au moins et il était important qu'il aboutisse enfin, l'absence de Constitution ne pouvant que nuire à la crédibilité de l'État ukrainien. Ainsi que l'a écrit le Président Leonid KOUTCHMA dans un récent article publié par un quotidien français : « Plus personne n'envisage désormais un démembrement de l'Ukraine ou son retour à la Russie. Le 26 juin, le Parlement a, dans le calme, adopté une nouvelle Constitution démocratique qui garantit les libertés fondamentales et un véritable et juste équilibre institutionnel » ( ( * )1) . L'Ukraine a été la dernière des anciennes républiques soviétiques à se doter d'une Constitution.

Les principaux éléments de la Constitution sont les suivants :

- la Rada suprême de l'Ukraine, qui fait l'objet des articles 75 à 101 de la Constitution, est composée de 450 députés élus pour quatre ans ; le domaine de la loi est défini dans l'article 92 de la Constitution ; la Rada peut être dissoute par le Président de la République (art. 77) ; le droit d'initiative législative appartient au Président de l'Ukraine, aux députés, au Gouvernement et à la Banque nationale d'Ukraine ;

- le Président de l'Ukraine est élu pour cinq ans au suffrage universel direct ; il ne peut pas exercer plus de deux mandats consécutifs ; il peut dissoudre la Rada ; celle-ci peut entreprendre contre lui une procédure d'empêchement en cas de haute trahison ou de crime ;

- le Premier ministre est nommé par le Président de l'Ukraine ; la Rada peut censurer le Gouvernement (art. 115) ;

- la République autonome de Crimée fait l'objet du chapitre 10 de la Constitution ; celui-ci prévoit que la République de Crimée a sa propre Constitution, qui est adoptée par le Parlement de Crimée et doit être approuvée par le Parlement ukrainien. Les actes normatifs du Parlement de Crimée et les décisions du Gouvernement de Crimée ne doivent pas entrer en contradiction avec la Constitution et les lois de l'Ukraine ;

- les articles 147 à 153 de la Constitution prévoient la mise en place d'une cour constitutionnelle, composée de 18 juges, nommés par le Président de l'Ukraine, le Parlement et le Congrès des juges d'Ukraine.

La mise en oeuvre progressive de la Constitution devrait permettre une normalisation de la vie politique ukrainienne. Depuis 1991 et la proclamation de l'indépendance, la situation des forces politiques a naturellement beaucoup évolué et l'application de la constitution ne peut que renforcer le développement d'une véritable vie démocratique.

LES FORCES POLITIQUES EN UKRAINE

« Au milieu de 1995, on comptait une cinquantaine de partis et d'associations disposant d'une organisation au niveau national qui se répartissaient entre cinq grands courants politiques et idéologiques :

1. le courant nationaliste intégral qui englobe l'Assemblée Nationale Ukrainienne (ANU), Indépendance de la Grande Ukraine (IGU), l'Organisation des Nationalistes Ukrainiens (ONU), le Congrès des Nationalistes ukrainiens (CNU), le Parti Républicain-Conservateur Ukrainien (PRCU), etc. ;

2. le courant national-démocratique qui regroupe le Mouvement populaire de l'Ukraine (le Roukh), le Parti démocratique d'Ukraine (PDU), le Parti Républicain Ukrainien (PRU), le Congrès des Forces Nationales Démocratiques (CFND), etc. ;

3. le courant étatique et pragmatique que l'on appelle aussi le « Parti du pouvoir » et qui rassemble des gestionnaires et des responsables politiques de tout niveau ;

4. les formations démocratiques, comme Ukraine nouvelle, le Parti du Renouveau Démocratique de l'Ukraine (PRDU), le Parti Libéral de l'Ukraine (PLU), le congrès civique, les sociaux-démocrates ;

5. le courant socialo-communiste : Parti Socialiste d'Ukraine (PSU), Parti Communiste d'Ukraine (PCU), Parti Agrarien d'Ukraine (PAU).

Le parti communiste d'Ukraine et le Roukh sont les formations les plus nombreuses et comptent des dizaines de milliers d'adhérents ; le parti démocratique d'Ukraine, Ukraine nouvelle et Indépendance de la Grande Ukraine n'arrivent pas à passer la barre des 10.000 membres ; quant au parti Républicain-Conservateur ukrainien et au parti du renouveau démocratique d'Ukraine, ils ne regroupent que deux ou trois mille membres.

Le profil politique des partis et mouvements est naturellement déterminé par leur idéologie ; le modèle d'organisation territoriale qu'ils entendent faire prévaloir (État unitaire ou État fédéral) ; les rapports avec la Russie, la C.E.I., les États-Unis et l'Europe ; l'attitude à l'égard de l'arme nucléaire (dénucléarisation de l'Ukraine) ; l'acceptation des valeurs communes à l'humanité et des normes internationales en matière de droits de l'homme et de droits des minorités nationales.

Les formations de gauche (PCU, PSU, PPU), les partis d'Ukraine orientale et de Crimée (Union civique, Parti de l'Unité slave, etc.) sont favorables à des relations plus étroites avec la Russie pouvant même aller jusqu'à des liens fédéraux ou confédéraux. En revanche, les nationaux-démocrates (Roukh, PRU, PDU), le parti libéral d'Ukraine et, naturellement, l'extrême-droite (PRCU, ANU, IGU, etc.) estiment que toute union avec la Russie est inacceptable et constitue une menace pour l'État ukrainien.

Les formations de la mouvance nationale-démocrate (à l'exception du Roukh) et de la « droite » sont favorables à un État ukrainien unitaire et toutes, Roukh compris, veulent que l'Ukraine garde son statut de puissance nucléaire. Enfin, l'Assemblée nationale ukrainienne, l'Organisation des nationalistes ukrainiens, le Parti Républicain-Conservateur et Indépendance de la Grande Ukraine défendent l'idée que la nation, l'État, sont au-dessus de tout, Indépendance pour la Grande Ukraine soutenant même que l'Ukraine ne doit appartenir qu'aux Ukrainiens de sang. »

Source : Leonid FINBERG, l'Ukraine indépendante : la difficile modernisation (1991-1995), in Ex-URSS Edition 1995, La documentation française.

B. PROBLÈMES INTÉRIEURS

L'un des problèmes importants de l'Ukraine demeure celui de la Crimée, même si l'adoption de la Constitution ukrainienne (voir ci-dessus) peut permettre d'espérer un apaisement de la situation. La Crimée n'est devenue partie intégrante de la République soviétique d'Ukraine qu'en 1954. Elle est composée très majoritairement de Russes, soit de souche, soit d'éducation et de coeur, compte tenu de la déportation par Staline des populations tatares. Entre 1993 et 1995, le Parlement et le Président de Crimée ont adopté de nombreuses mesures allant à l'encontre de la politique menée par le Gouvernement ukrainien. Et le 17 mars 1995, la Rada ukrainienne a abrogé la Constitution de Crimée, qui contredisait celle de l'Ukraine et a supprimé la fonction présidentielle. En revanche, l'autonomie de la Crimée a été réaffirmée et confortée par la Constitution ukrainienne adoptée en juin dernier.

Tous les problèmes ne sont pas résolus pour autant. La plupart des hommes politiques russes sont favorables à un rattachement de la Crimée à la Russie. En outre, plusieurs personnalités ont évoqué devant la délégation les problèmes financiers que pose le retour des populations tatars déportées à l'époque stalinienne. Ce problème a été évoqué par le Président KOUTCHMA à l'occasion de son discours devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe : « M. KOUTCHMA souhaite cependant évoquer le problème épineux des personnes déplacées qui reviennent s'installer en Ukraine, comme les Tatars de Crimée. Ceux-ci sont près de 300.000 à être revenus et il faut y ajouter 17.000 Bulgares, 20.000 Grecs et 15.000 Allemands, qui, eux aussi, ont voulu revenir sur leur terre natale. L'Ukraine n'a aucune responsabilité morale dans les crimes commis par le régime totalitaire vis-à-vis de ces peuples, mais elle est seule à supporter les conséquences de ces réinstallations. Il faudrait deux milliards de dollars américains pour réaliser le programme qui a été ratifié alors que l'Ukraine ne dispose que de cent millions de dollars, de sorte que le mouvement de retour s'est interrompu. Aussi demande-t-elle une aide urgente de la communauté internationale. »

Par ailleurs, la situation de la Crimée est compliquée par la présence de l'ancienne flotte soviétique de la mer noire et le litige que cette dernière a suscité entre l'Ukraine et la Russie.

De manière plus générale, la délégation a pu constater combien l'Ukraine n'était pas uniforme dans son peuplement. Á Lviv, les autorités de la région et de la ville ont revendiqué le rôle primordial qu'a joué l'ouest de l'Ukraine dans la conquête de l'indépendance. Les habitants de cette partie de l'Ukraine se sentent profondément ukrainiens, la méfiance envers la Russie y est probablement plus développée que dans le reste du pays. En Ukraine orientale, on compte une proportion très importante de Russes d'origine et de russophones. Les forces de gauche, qui sont favorables à une intégration dans le cadre de la C.E.I. et à un partenariat stratégique avec la Russie sont dominantes dans ces régions et presque inexistantes à l'ouest de l'Ukraine.

Cette opposition est nécessairement réductrice, mais les résultats des élections législatives de 1994 montrent qu'elle n'est pas totalement infondée : la plupart des députés communistes et socialistes ont été élus dans les régions de l'Est et du Sud de l'Ukraine, tandis que les 27 députés du parti Roukh (courant national-démocratique) ont été élus dans l'Ouest du pays.

En définitive, cette opposition peut être résumée de la manière suivante : « Une fracture géographique Ouest/Est divise et fragilise le pays. L'Ouest, anciennement polonais puis autrichien, est ukrainophone, indépendantiste et pro-européen. L'Est, en revanche, est passé du joug mongol à celui des princes de Moscou. Plus industrialisé, il est urbanisé, russophone, orthodoxe et pro-russe » ( ( * )1) .

La délégation sénatoriale, qui a rencontré à Lviv des représentants des Églises catholique et uniate (gréco-catholique), a pu constater également la complexité de la situation religieuse en Ukraine. La grande majorité de la population est orthodoxe, mais il faut distinguer l'Église orthodoxe russe, l'Église orthodoxe ukrainienne et l'Église orthodoxe autocéphale ukrainienne qui a connu une renaissance à la fin de la période soviétique.

Mgr TROFIMIAK, évêque catholique de Lviv, a rappelé à la délégation que, avant la seconde guerre mondiale, on comptait 1.300 églises catholiques en Ukraine, contre 245 aujourd'hui, ce qui représente néanmoins un progrès par rapport aux années de l'après-guerre. Il a également souligné que les relations entre l'Église catholique et les Églises orthodoxes ne sont pas exemptes de tensions. L'Église orthodoxe russe s'inquiète en particulier du prosélytisme des prêtres polonais en Ukraine. Compte tenu du faible nombre de prêtres ukrainiens, de nombreuses messes sont dites en polonais par des prêtres polonais. L'ouverture prochaine d'un séminaire ukrainien à Lviv permettra la formation de nouveaux prêtres ukrainiens.

En Ukraine occidentale, l'Église uniate ou gréco-catholique, qui avait été largement étouffée à l'époque soviétique, a pu reprendre ses activités. L'Église gréco-catholique reconnaît l'autorité du Pape, mais pratique le rite byzantin. C'est en janvier 1990 que le synode des évêques uniates a proclamé la restauration officielle de l'Église gréco-catholique ukrainienne et a réclamé la restitution des biens que celle-ci possédait avant l'occupation soviétique. Cette question a été à l'origine de tensions entre cette Église et les Églises orthodoxes.

C. LES RELATIONS AVEC LA RUSSIE ET LA PLACE DE L'UKRAINE EN EUROPE


• Compte tenu de son histoire, de sa situation géopolitique et économique, l'Ukraine ne peut ignorer la Russie. Pour autant, les relations entre les deux pays ne sont pas exemptes d'arrière-pensées et les sujets d'opposition ne manquent pas. « Le partage et le contrôle de l'arsenal nucléaire et de la flotte de la mer noire, le statut de la Crimée, les droits des Russes, les frontières : tels sont les principaux points de litige et les leviers de Moscou contre la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine.» ( ( * )1) .

Les interlocuteurs de la délégation ont reconnu que le dialogue russo-ukrainien était parfois difficile, mais ont tous insisté sur l'importance qu'ils attachent aux relations avec la Russie. On a récemment appris que les Présidents russe et ukrainien seraient parvenus à un accord informel sur la réorganisation de l'ancienne flotte soviétique de la mer noire. Ainsi, tous les problèmes en suspens sur les ports d'attache de la partie russe de cette flotte basée en Crimée seraient en passe d'être réglés. On ne peut que souhaiter la confirmation de ces informations.

Les relations avec la Russie sont d'autant plus complexes qu'il existe de fortes minorités russes dans de nombreuses parties de l'Ukraine, que les Russes sont largement majoritaires en Crimée et qu'une partie de la population ukrainienne est russophone.

L'Ukraine a signé des traités de paix et d'amitié avec tous les autres pays voisins sauf avec la Roumanie. Il existe en effet un différend territorial entre ces deux pays, qui rend plus difficile leur rapprochement. La Roumanie, en effet, revendique la Bucovine du Nord et l'île des Serpents devenues soviétiques en 1948.

D'une manière générale, l'Ukraine conduit une politique tournée vers l'Ouest. Elle ne refuse pas la coopération avec les pays de la C.E.I., mais est hostile aux initiatives qui pourraient limiter sa souveraineté.


• L'objectif à long terme de l'Ukraine est l'adhésion à l'Union européenne. Pour l'heure, l'Ukraine a signé le 14 juin 1994 un accord de partenariat et de coopération avec l'Union européenne ainsi qu'un accord intérimaire destiné à mettre en vigueur rapidement certaines dispositions de l'accord de partenariat.

L'Union européenne a signé des accords de partenariat et de coopération avec l'ensemble des pays de la C.E.I. Ces accords contiennent des dispositions commerciales, des dispositions relatives aux activités des entreprises, aux investissements et aux services, enfin des dispositions institutionnelles avec la mise en place d'un conseil de coopération au niveau ministériel.

L'accord de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et l'Ukraine n'est pas encore entré en vigueur, faute de ratification par l'ensemble des Parlements des pays de l'Union européenne. Le Parlement ukrainien a, pour sa part, ratifié cet accord dès la fin de l'année 1994. Plusieurs personnalités ukrainiennes nous ont fait remarquer que le Parlement français n'avait pas encore ratifié l'accord. Le projet de loi a été déposé par le Gouvernement le 5 juin 1996 et a été adopté le 11 décembre par l'Assemblée nationale ; sur le rapport de M. Yves Guéna ( ( * )1) , la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat a approuvé le projet de loi le 18 décembre 1996. Il devrait être définitivement adopté en janvier 1997.

Les relations entre l'Union européenne et l'Ukraine ne sont pas exemptes de difficultés. Ainsi, l'Ukraine a le sentiment d'avoir à faire face à un certain protectionnisme de l'Union européenne à l'égard de ses exportations, particulièrement en ce qui concerne les produits sidérurgiques. Il est vrai que la mise en place de clauses de sauvegarde ou de mesures antidumping à l'égard de produits provenant de pays auxquels l'Union européenne souhaite venir en aide peut paraître incohérente, mais l'Union européenne doit également prendre en compte la situation de son marché et de ses producteurs. Le 8 octobre dernier, le Conseil de l'Union européenne a donné mandat à la Commission européenne pour qu'elle négocie de nouveaux accords sur l'acier pour une période de cinq ans avec la Russie, l'Ukraine et le Kazakhstan. On peut espérer que ces négociations conduiront à des solutions satisfaisantes.


• L'une des questions les plus importantes qui se pose à l'Ukraine est celle de sa sécurité. L'Ukraine, qui a renoncé à son statut de puissance nucléaire en échange d'un traité garantissant sa sécurité, redoute par-dessus tout de devenir une « zone grise » entre la Russie et une Organisation du Traité de l'Atlantique Nord élargie à bon nombre de Pays d'Europe Centrale et Orientale.

L'Ukraine a signé dès le 8 février 1994 le partenariat pour la paix mis en oeuvre dans le cadre de l'OTAN. Par la suite ce partenariat a été rejoint par l'ensemble des Républiques issues de l'ancienne Union soviétique.

La question de l'élargissement de l'OTAN a été abordée au cours de plusieurs des entretiens de la délégation sénatoriale. M. Oleksander MOROZ, Président de la Rada, a plaidé pour un processus progressif prenant en compte la situation de l'ensemble des pays du continent européen. Ces propos rejoignent les paroles prononcées par le Président de l'Ukraine, M. Leonid KOUTCHMA, devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, le 23 avril 1996 : « En ce qui concerne la coopération avec les organisations comme l'OTAN et l'UEO, l'Ukraine cherche une voie de coopération équilibrée, dont la première étape a été constituée par le partenariat en faveur de la paix. Elle considère qu'une zone dénucléarisée dans la région pourrait contribuer beaucoup à la stabilité. La sécurité du continent serait en tout cas vouée à l'échec si les pays non alignés se retrouvaient dans une sorte de zone tampon, grise, entre l'OTAN et le puissant voisin de l'Ukraine. Celle-ci n'est pas hostile à tout élargissement de l'OTAN, mais elle considère que cet élargissement doit être un processus ouvert et ne doit pas contribuer à la réapparition de confrontations. »

II. UNE ÉCONOMIE BOULEVERSÉE

La délégation s'est naturellement intéressée à la situation économique de l'Ukraine, tant à Lviv où elle a rencontré les autorités locales et visité une usine de fabrication d'autobus, qu'à Kiev où elle s'est entretenue avec le vice-président de l'Agence Nationale pour la Reconstruction et le développement qui a succédé en juillet dernier à l'Agence pour l'Assistance technique.

A. UNE SITUATION TRÈS DIFFICILE

Depuis la disparition de l'U.R.S.S., l'Ukraine se trouve dans une situation économique très difficile. Ainsi, le P.I.B. a diminué de 14,2 % en 1993, de 23 % en 1994 et de 11,8 % en 1995. Pour 1996, il est possible que le P.I.B. se stabilise. Tous les indices de la production ont fortement diminué depuis l'indépendance de l'Ukraine. Le tableau suivant retrace ainsi l'évolution de quelques productions agricoles pour lesquelles l'Ukraine est traditionnellement parmi les principaux producteurs mondiaux.

AGRICULTURE DE L'UKRAINE

(en millions de tonnes, de têtes)

PRODUCTION

1992

1993

1994

1995

RANG

Blé

19,5

21,8

13,9

16,4

10 e

Bovins

23,7

22,5

21,6

19,6

13 e

Céréales

35,5

42,7

32,9

34,4

10 e

Orge

10,1

13,6

14,5

11,0

2 e

Pommes de terre

20,3

21,0

16,1

16,1

5 e

Porcins

17,8

16,2

15,3

14,0

9 e

Source : Atlaseco 1997

En 1990, l'Ukraine produisait 53 millions de tonnes de céréales contre 34 millions de tonnes en 1995. Comme l'a expliqué à la délégation le gouverneur de la région de Lviv, M. Mykola HORIN, les rendements agricoles demeurent très faibles, bien que l'Ukraine possède sur son territoire 40 % du tchernozium mondial. Les rendements en céréales sont d'environ 25 quintaux à l'hectare.

C'est dans le domaine agricole que la privatisation semble rencontrer le plus de difficultés. Dans son rapport sur la mise en oeuvre du programme TACIS en 1995, la Commission européenne dresse le constat suivant : « le volume de la production agricole a continué de baisser. Globalement, la dépense familiale moyenne en denrées alimentaires de base représente plus de la moitié du revenu mensuel. Ne pouvant désormais plus compter sur les subventions publiques, nombre d'exploitations agricoles sont au bord de la faillite. Beaucoup d'incertitudes subsistent quant aux titres de propriété du sol, les transactions n'offrent guère de sécurité et les codes institutionnels sont inefficaces. Même à la fin de 1995, il n'y avait pas de consensus sur la façon de privatiser ce secteur. » L'un des interlocuteurs de la délégation a estimé que le secteur privé détenait actuellement 40 % des terres, mais fournissait 70 % des productions.

La situation de l'industrie n'est pas plus favorable. Á Lviv, le maire et le gouverneur de la région ont expliqué que le choix de l'Ukraine de ne plus être une puissance militaire a entraîné une récession économique grave. Avant l'indépendance de l'Ukraine, la production industrielle était consacrée à 65 % à l'armement dans la région de Lviv, de sorte que l'arrêt de cette production a privé d'emploi des centaines de milliers de travailleurs. En outre, un savoir-faire important est aujourd'hui sous-utilisé.

L'un des problèmes essentiels que devra résoudre l'Ukraine à l'avenir est celui de la dépendance énergétique à l'égard de la Russie.

Dans l'article qu'il a récemment publié dans un quotidien français, le Président de la République, M. Leonid KOUTCHMA, notait ainsi : « pour la seule année 1997, nous aurons à déduire des recettes budgétaires que le Gouvernement a eu tant de mal à trouver, 626 millions de dollars pour les premiers remboursements de l'ancienne dette gazière à la Russie et au Turkménistan. » ( ( * )1) . On estime qu'actuellement l'Ukraine dépend de la Russie à 90 % pour le pétrole et à 60 % pour le gaz naturel.

Dans ce contexte difficile, 25 % des Ukrainiens vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les chiffres du chômage sont très faibles, mais il est en pratique impossible à mesurer. Des centaines de milliers de salariés appartenant à la fonction publique, mais aussi à des secteurs industriels tels que le charbon, ne sont plus payés depuis des mois. Par ailleurs, la plupart des habitants possèdent un second travail qui leur permet de subsister. L'économie parallèle a pris une importance considérable, comme le constatait lui-même le Président KOUTCHMA: « Il y a urgence à remettre de l'ordre dans notre système fiscal. On estime aujourd'hui que la moitié de l'économie ukrainienne échappe à l'impôt et produit trop peu. Nous voulons que l'activité clandestine devienne officielle. Il nous faut pour cela diminuer les taux d'imposition. Les charges sociales, en particulier - qui sont de 52 % - doivent être réduites de moitié » ( ( * )1) . On estime aujourd'hui qu'un tiers de la monnaie en circulation est détenue par l'économie parallèle.

L'un des problèmes essentiels de l'économie ukrainienne semble être la difficulté de faire évoluer les mentalités, comme l'ont affirmé le maire de Lviv et le préfet de cette région. Profondément marquée par le régime soviétique, la population paraît parfois passive et résignée. C'est pourtant bien de cette population que dépend la renaissance économique de l'Ukraine.

B. DES RÉFORMES ENCORE TROP LENTES

Face à cette situation très difficile, les Gouvernements successifs ont entrepris une politique de réformes, qui a déjà apporté certains succès. Ainsi, l'inflation a fortement diminué cette année après avoir atteint des records en 1993 (4735 %) et 1994 (891 %) ; elle pourrait s'élever à 25 % seulement en 1997. De même, le déficit budgétaire est en voie de réduction et le Président KOUTCHMA a affirmé sa volonté de le voir limité à 2,5 % du P.I.B. en 1997. Enfin, l'introduction d'une nouvelle monnaie, la hrivna, en septembre 1996, s'est faite sans phénomène de panique et devrait contribuer à la stabilisation de l'économie. La hrivna est venue se substituer aux anciens coupons, les karbovanets.

Après sa nomination en juin dernier, le nouveau Premier ministre, M. Pavel LAZARENKO, qui a succédé à M. MARTCHOUK, a annoncé que son premier objectif serait l'équilibre budgétaire et qu'une politique de réduction drastique du train de vie de l'État serait conduite à cet effet. Il a également indiqué que le Gouvernement défendrait les producteurs nationaux, notamment par une plus grande protection tarifaire du marché ukrainien.

Le processus de privatisation semble connaître certaines difficultés. Selon les interlocuteurs de la délégation du groupe d'amitié, la privatisation des petites et moyennes entreprises est désormais achevée et les investisseurs étrangers peuvent parfaitement nouer des partenariats avec ces entreprises. En revanche, le processus semble beaucoup plus lent pour les grandes entreprises. Dans le rapport du programme TACIS pour l'année 1995, la Commission européenne indique que « la restructuration économique s'avère difficile à mettre en pratique, dès lors que la transformation de l'industrie par la privatisation n'est pas accompagnée d'une réforme de l'administration publique et de formations idoines. Les donateurs internationaux ont exigé que l'administration ukrainienne redéfinisse le processus de privatisation aux fins d'en améliorer le rythme, d'en augmenter le nombre et de dissiper la confusion qui résulte du manque de transparence des procédures. » Le Président KOUTCHMA a toutefois réaffirmé sa volonté de conduire la réforme à son terme : « La privatisation a été ralentie du fait des retards des réformes ; mais j'ai pris, au printemps dernier, plusieurs initiatives afin que le rythme en soit accéléré. Toutes les petites entreprises sont à présent privatisées. Nous mettons aux enchères publiques quatre cents entreprises grandes et moyennes tous les mois. » ( ( * )1)

C. L'IMPORTANCE DE L'AIDE EUROPÉENNE Á TRAVERS LE PROGRAMME TACIS

Le programme TACIS est un programme de la Communauté européenne conçu en 1991 afin d'assister les nouveaux États indépendants issus de l'ex-U.R.S.S. dans leur effort de reconstruction de leurs économies et sociétés.

Au cours de la période 1991-1995, l'Ukraine a reçu, au titre du programme TACIS, 243,18 millions d'Ecus, auxquels se sont ajoutés des fonds attribués dans le cadre de programmes plurinationaux. Le tableau suivant indique les secteurs dans lesquels s'est concentrée l'aide communautaire.

MONTANT DES FONDS ALLOUÉS PAR SECTEUR ET PAR ANNÉE

DANS LE CADRE DU PROGRAMME TACIS

(en millions d'Ecus)

1991

1992

1993

1994

1995

TOTAL

Sécurité nucléaire et environnement

3,54

0

0

20,5

37,5

61,54

Restructuration des entreprises publiques et développement du secteur privé

1,7

16,8

12,36

4,3

10,7

45,86

Réforme de l'administration publique, services sociaux et éducation

4,65

3

7,36

4

7

26,01

Agriculture

7,67

12,31

10,54

5

4

39,52

Énergie

6,2

8,08

5,4

15

6,9

41,58

Transports

4,89

7,26

3,22

0

0

15,37

Conseil en matière politique

0

0

0

0

0

0

Télécommunications

0

0,83

0,55

0

0

1,38

Aide humanitaire

0

0

0

0

0

0

Autres secteurs

0

0

3,82

1,7

6,4

11,92

Total

28,65

48,28

43,25

50,5

72,5

243,18

Source : Commission européenne

Dans le rapport annuel du programme TACIS pour l'année 1995, la Commission européenne indique que TACIS a soutenu les efforts de réforme de l'Ukraine en concentrant son activité sur les secteurs suivants :

- l'énergie ;

- la restructuration et le développement des entreprises ;

- la sécurité nucléaire et l'environnement ;

- le développement des ressources humaines ;

- la production, la transformation et la distribution dans le secteur alimentaire.


• La concentration de l'aide sur le secteur énergétique s'explique aisément par la lourde dépendance de l'Ukraine dans ce domaine, que nous avons déjà évoquée plus haut. La Commission européenne indique que quatre domaines d'action ont été identifiés au titre de priorités d'action : « l'assistance aux institutions et aux initiatives nationales servant les économies d'énergie, l'aide à la création d'un ministère unifié des combustibles et de l'énergie, le soutien au sous-secteur du pétrole et du gaz et la contribution à la restructuration de la centrale électrique de Trypolye par le biais d'une analyse économique des technologies modernes de combustion ».

En outre, des actions ont été conduites afin de s'assurer que l'administration ukrainienne adopte une politique de tarification énergétique qui reflète le coût véritable des approvisionnements et favorise les économies d'énergie. La situation en ce domaine laisse en effet fortement à désirer, la consommation domestique d'énergie n'étant en général même pas mesurée.


• Dans le domaine de la restructuration et de la privatisation des entreprises, TACIS apporte une aide au Fonds de la Propriété d'État, chargé de conduire la privatisation. TACIS soutient également l'élaboration de registres d'actions pilotes et dispense des recommandations sur les techniques à utiliser dans les procédures de rationalisation.


• TACIS apporte également un soutien important au secteur des petites et moyennes entreprises. Le programme a permis la création d'agences de développement des P.M.E. et de Centres de communication commerciale à Kiev et à Zoporojié. En outre, un réseau de centres de soutien à la post-privatisation a été créé, qui semble très apprécié par les entreprises récemment privatisées.


• Naturellement, TACIS apporte une aide pour l'amélioration de la sécurité nucléaire en Ukraine. En 1995, l'Ukraine, les pays du G7 et la Commission européenne se sont accordés sur une fermeture en l'an 2000 de la centrale nucléaire de Tchernobyl. TACIS a contribué à trouver des solutions pour le développement de nouvelles procédures techniques de traitement des déchets nucléaires.


• Dans le domaine agricole, TACIS a soutenu l'établissement d'un système d'enregistrement des terres, afin d'établir des règles de transfert de la propriété des terres de l'État au privé.


• Enfin, TACIS a également apporté une aide importante dans le secteur des ressources humaines. En 1995, un programme de soutien au recyclage et à la réembauche des officiers militaires a été lancé. TACIS a également développé un projet de soutien de la réforme du système de protection sociale.

Par ailleurs, dans le cadre du programme plurinational Démocratie de TACIS, un projet de formation des parlementaires ukrainiens aux techniques parlementaires a été mis en oeuvre en coopération avec les Parlements de France, d'Allemagne, du Royaume-Uni et de Belgique, ainsi qu'avec le Parlement européen.

Dans un rapport publié en juillet dernier au nom de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne ( ( * )1) , M. Jean de LIPKOWSKI faisait état des critiques formulées à l'égard du programme TACIS et mentionnait notamment les éléments suivants :

- les interventions TACIS prennent trop souvent la forme d'analyses macroéconomiques abstraites et peu utilisables ;

- les procédures sont trop longues et trop complexes ;

- les réalités locales sont parfois méconnues et les experts nationaux de l'État bénéficiaire de l'aide ne sont pas suffisamment sollicités.

La délégation du groupe d'amitié a également entendu ces critiques. Certains responsables Ukrainiens ont le sentiment que le programme TACIS devrait davantage servir à former des experts locaux qu'à financer des experts étrangers. En outre, les programmes sont souvent considérés comme trop complexes et inaccessibles à beaucoup de ce fait.

La Commission européenne, face à ces critiques qui ont été formulées dès 1994 par la Cour des Comptes européenne, a renforcé l'évaluation et le suivi des actions TACIS et l'on peut espérer que cette action portera ses fruits.

Pour l'avenir, un nouveau règlement TACIS a été adopté par le Conseil de l'Union européenne le 25 juin 1996. Ce nouveau règlement permet désormais au programme TACIS de financer des micro-projets d'infrastructures transfrontalières (entre un nouvel État indépendant, d'une part, et l'Union européenne ou un pays de l'Europe centrale et orientale, d'autre part). Il permet également des aides à l'investissement aux petites et moyennes entreprises conjointes.

Ainsi, TACIS pourra financer des aides à l'investissement et ne se limitera plus à l'assistance technique. Toutefois, ces opérations ne devront pas dépasser 10 % des crédits du programme.

Par ailleurs, la gestion de ce programme sera assurée, comme par le passé, par la Commission européenne, mais celle-ci sera encadrée par un comité de représentants des États membres. Les bénéficiaires de l'assistance seront associés à l'évaluation et à l'exécution des projets.

Pour la période 1996-1999, l'Ukraine devrait recevoir des sommes de 538 millions d'Ecus au titre du programme TACIS, ce qui représente un effort considérable de l'Union européenne, effort trop souvent méconnu.

III. UNE PRÉSENCE FRANÇAISE INSUFFISANTE

La délégation sénatoriale a pu constater que la France était présente en Ukraine en matière scientifique et culturelle. Á Kiev existe un institut culturel français très actif que la délégation a visité. Cet institut a également une annexe à Kharkov. En outre, il existe 17 alliances françaises en Ukraine. Á Lviv, un centre culturel français est également en cours de création, mais des centres culturels anglais et allemand existent déjà. Le dialogue qu'a pu avoir la délégation avec des professeurs de Français de l'université de Lviv a montré qu'il existait réellement une demande de la part des Ukrainiens en matière culturelle. Par ailleurs, l'un des membres de la délégation sénatoriale a pu visiter la seule école française de Kiev (un compte rendu de cette visite figure en annexe du présent rapport).

En revanche, l'ensemble des interlocuteurs de la délégation sénatoriale ont estimé que la France était trop peu présente en Ukraine, tant sur le plan politique que sur le plan économique. Certaines des personnalités rencontrées se sont émues de cette situation et l'une d'entre elles s'est même demandé si la France croyait réellement à la pérennité de l'État ukrainien.

Sur le plan politique, il est clair que les visites d'État font beaucoup pour le resserrement des liens entre deux pays ; dans ce domaine, la France s'est montrée jusqu'à présent moins active que d'autres pays occidentaux. Ainsi, le Chancelier de la République fédérale d'Allemagne, M. Helmut KOHL, et le Président des États-Unis, M. Bill CLINTON, se sont chacun rendus à deux reprises en Ukraine. Aucun Président de la République et aucun Premier ministre français ne se sont rendus dans ce pays depuis la proclamation de son indépendance. Une telle situation suscite des interrogations et une certaine déception en Ukraine où la France est considérée naturellement comme un pays ami. De nombreuses personnalités ont rappelé, à titre anecdotique, à la délégation que l'une des filles du prince Jaroslav de Kiev, Anne, épousa en 1051 le roi de France Henri-1 er .

Ce manque peut être aisément comblé et il serait souhaitable qu'une initiative puisse être prise dans ce domaine au cours des prochains mois. La visite en France du Président ukrainien Leonid KOUTCHMA les 30 et 31 janvier 1997 sera une occasion importante pour entreprendre un resserrement des liens politiques entre nos deux pays.

Sur le plan économique également, les Ukrainiens ont le sentiment d'une présence française limitée.

Á Lviv, la délégation a pu visiter une usine de fabrication d'autobus, caractérisée par une coopération entre LAZ, fabricant ukrainien, et RENAULT, qui fournit des moteurs pour l'équipement des autobus et des autocars. Cette usine, qui dispose d'une capacité de production de 9.000 véhicules par an, ne produit actuellement guère plus de 2.000 à 3.000 véhicules. Nous avons pu constater que les équipements étaient très obsolètes, mais nous avons pu avoir un échange très fructueux avec les dirigeants de l'usine qui font preuve d'un grand réalisme et n'envisagent pas d'exporter vers les pays occidentaux leurs autobus, souhaitant davantage s'implanter en Russie (particulièrement en Sibérie), en Iran, au Pakistan... Pour ce faire, les dirigeants de l'usine souhaiteraient un renforcement du partenariat avec Renault.

Á Kiev, lors d'une réunion organisée à l'initiative de l'ambassade de France, la délégation a pu dialoguer avec des représentants d'entreprises françaises installées en Ukraine. Nous avons pu apprécier le dynamisme de ces entreprises prêtes à prendre certains risques en investissant en Ukraine. Mais, pour l'heure, ces initiatives demeurent limitées. Environ 70 entreprises françaises se sont implantées en Ukraine. Le tableau suivant fait état des principaux investissements français en Ukraine en 1995.

PRINCIPAUX INVESTISSEMENTS FRANÇAIS EN 1995

NOM DE LA SOCIÉTÉ

SOCIÉTÉS QUI LA COMPOSENT

PRODUCTION/ACTIVITÉ

SOFRACHIMIE

SOFRAP/usine de PAVLOVGRAD

Peintures anti-corrosion

SCHLUMBERGER UKRGAZ METERS

SCHLUMBERGER/ UKRGAZ

Compteurs à gaz

ALCATEL

NETWOK SYSTEM UKRAINE

ALCATEL CIT/ KOMMUNAR

Éléments de systèmes de télécommunication

DAKO

DELAPLACE/

investisseurs privés

ukrainiens

Commercialisation des

équipements agricoles

pour les kolkhozes

EOLE

AIR LIQUIDE/ usine KISLORODMACH

Commercialisation des

équipements pour la production de gaz rares

FRASMO

ELF MARINE/

Raffinerie de

KREMENTCHOUG

Huiles marines

LELA

LENER CORDIER/ usine LASTIVKA

Vêtements

AGROPLUS

BETEN/Investisseurs privés ukrainiens

Commerce de produits agricoles

CRÉDIT LYONNAIS UKRAINE

Filiale à 100 % du CRÉDIT LYONNAIS

Banque de plein exercice

Source : Poste d'expansion économique de l'Ambassade de France à Kiev

Dans l'ensemble, les investissements étrangers en Ukraine sont pour l'instant assez faibles. Ainsi, ces investissements représentaient, à la fin de 1995, 11 $ par habitant, contre plus de 22 $ en Russie, 140 $ en Estonie et 700 $ en Hongrie. Le chiffre total des investissements étrangers en Ukraine ne dépasse guère 1 milliard de $, ce qui est très faible pour un pays présentant les potentialités de l'Ukraine. Parmi ces investissements étrangers, les investissements français s'élèvent à environ 10 millions de dollars selon les informations fournies à la délégation par le poste d'expansion économique de l'ambassade de France. Quarante-sept sociétés mixtes auraient été créées par des sociétés françaises et se concentreraient dans les secteurs suivants : banque et assurances (3,6 millions de dollars), industrie alimentaire (0,74 million de dollars), industrie légère (0,71 million de dollars).

D'autres pays investissent de manière plus conséquente que la France, sans toutefois que ces investissements représentent des sommes très importantes. Les États-Unis sont aussi le premier investisseur avec 88 millions de dollars, suivis de l'Allemagne (83 millions de dollars), puis du Royaume-Uni (31,5 millions de dollars).

Parmi les causes de ce niveau très limité des investissements étrangers en Ukraine, on peut notamment percevoir une crainte à l'égard de la législation sur la sécurité des investissements. Dans son rapport publié au nom de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne ( ( * )1) , M. Jean de LIPKOWSKI s'est inquiété de l'insuffisance des dispositions des accords de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et les nouveaux États indépendants à propos de la sécurité des investissements directs. Il s'est aussi élevé contre « la faiblesse des engagements souscrits, alors que la réussite des réformes économiques dans la C.E.I. dépend . largement de sa capacité à attirer des capitaux étrangers privés, comme le démontre l'exemple des PECO La fuite des capitaux originaires des pays de la C.E.I. hypothèque, en effet, largement les facultés d'investissement local. »

M. de LIPKOWSKI ajoutait : « les investisseurs disposent (...) de peu de lisibilité sur l'importance et la solvabilité de la demande locale, sur la nature d'éventuels avantages comparatifs et sur les conditions de production, de vente et de distribution. Á ceci s'ajoute l'effet dissuasif considérable créé par un environnement juridique fragile et peu fiable. De tous les critères examinés par les opérateurs économiques privés, c'est sans doute celui qui freine le plus les investissements. Les règles de droit commercial et fiscal sont peu développées, les autorités ou les juridictions chargées de les faire appliquer font défaut et les mécanismes de garantie des investissements étrangers sont peu rassurants. »

En Ukraine, l'État offre aux investisseurs étrangers des garanties contre un changement de législation, contre la nationalisation ou la confiscation ; une indemnisation des pertes ou dommages causés par des initiatives ou des défaillances d'organismes publics et de leurs représentants ; le libre transfert des revenus, bénéfices et autres valeurs en devises fortes produits par les investissements et la possibilité de réinvestir le revenu des investissements en Ukraine. Des progrès sont donc perceptibles dans la protection des investissements étrangers.

Dans ces conditions, on peut se demander si la faiblesse des investissements français en Ukraine n'est pas largement explicable par l'ignorance entourant encore ce pays, qui dispose pourtant de ressources naturelles considérables. Il conviendrait donc de mener des actions pour que ce pays et le potentiel qu'il représente soient mieux connus par nos entreprises. Seule la multiplication des visites politiques en Ukraine et des échanges entre nos deux pays permettra cette meilleure connaissance d'un pays qui dispose d'atouts considérables pour l'avenir.

Dans un livre resté célèbre, Jacques BENOIST-MÉCHIN qualifiait l'Ukraine de « fantôme de l'Europe » et s'interrogeait ainsi : « qu'est au juste l'Ukraine, ce pays dont ni le nom, ni les frontières ne sont tracés sur les cartes d'Europe ? ».

Aujourd'hui, l'Ukraine est devenue un État indépendant, s'est dotée récemment d'une Constitution démocratique et aspire à consolider cette indépendance nouvelle. La délégation sénatoriale a pu constater l'ampleur du chemin qui reste à parcourir à l'Ukraine dans son redressement économique, mais elle a découvert également la richesse de ce pays, qui dispose en particulier d'un potentiel considérable en matière agricole et agro-alimentaire.

La délégation espère que sa mission en Ukraine et le présent rapport contribueront à une meilleure connaissance en France de ce pays. La France peut apporter beaucoup à l'Ukraine, en développant des relations jusqu'à présent limitées et en renforçant sa présence sur place. Mais elle a également tout à y gagner. Nous sommes en effet convaincus que l'Ukraine peut jouer demain un rôle politique et économique important sur le continent européen.

PROGRAMME DE LA MISSION

DU GROUPE D'AMITIÉ FRANCE-UKRAINE

Lundi 23 septembre

10 H 45 Départ de Paris

15 H 00 Arrivée à Kiev et accueil par M. Youri BOUZDOUGANE, Président du groupe d'amitié Ukraine-France du Parlement ukrainien

18 H 00 Départ pour Lviv

19 H 30 Arrivée à Lviv, installation et dîner à l'hôtel

Mardi 24 septembre

10 H 00 Entretien avec M. KOUIBIDA, maire de Lviv

Visite de la ville

Visite à l'Université de Lviv

16 H 00 Visite d'une usine LAZ-RENAULT

Mercredi 25 septembre

Rencontre avec Mgr TROFIMIAK, évêque de la cathédrale catholique de Lviv

Rencontre avec un assistant du cardinal LUBACHIVSKIY, évêque de la cathédrale gréco-catholique St-Georges de Lviv

15 H 00 Entretien avec le gouverneur de la région de Lviv, M. Mykola HORIN

Jeudi 26 septembre

08 H 00 Départ en avion pour Kiev

11 H 00 Entretien avec M. Oleksander BRODSKY, vice-président de l'Agence Nationale pour la Reconstruction et le Développement

13 H 00 Déjeuner à l'invitation de S.E. M. Dominique CHASSARD, ambassadeur de France en Ukraine, en présence de parlementaires ukrainiens

15 H 00 Réunion au ministère de l'Intérieur

19 H 00 Soirée culturelle au Théâtre I. FRANKO, organisée par le Centre culturel et de coopération linguistique, l'Alliance française de Kiev et Gaz de France : ballet « DECODEX » présenté par l'association DCA - Philippe DECOUFLE

Vendredi 27 septembre

10 H 00 Entretien avec M. Oleksander MOROZ, Président de la Rada

Visite de la Rada

15 H 00 Entretien avec M. BOUTEIKO, vice-ministre des Affaires étrangères

17 H 00 Réunion de travail à l'ambassade de France, entretien avec des représentants d'entreprises françaises installées en Ukraine

19 H 00 Concert donné par le groupe d'enfants POPELUCHKA

Samedi 28 septembre

10 H 00 Visite de l'institut culturel français

11 H 00 Rencontre avec M. KINAKH, Conseiller du Président de la République

Visite de Kiev

19 H 00 Soirée à l'opéra de Kiev

Dimanche 29 septembre

Visite du musée ethnographique ukrainien de plein air PIROGOVO

Visite d'un kolkhoze à Karapichi

Lundi 30 septembre

07 H 35 Départ de Kiev

10 H 00 Arrivée à Paris

ANNEXE : COMPTE RENDU DE LA VISITE DE M. HUBERT DURAND-CHASTEL Á L'ÉCOLE FRANÇAISE DE KIEV

La communauté française d'Ukraine comprend 300 Français seulement ; en général, il s'agit de célibataires car jusqu'à récemment, il n'y avait pas d'école française en Ukraine, et les personnes ayant une famille n'acceptent guère de s'expatrier sans leurs enfants. Cette situation a constitué jusqu'alors un sérieux handicap pour l'implantation française en Ukraine.

Pour remédier à cette situation, une école française a été créée à Kiev en 1992. Située dans une salle d'école ukrainienne, la n° 109, l'enseignement était au début exclusivement dispensé par le Centre National d'Enseignement à Distance, avec un répétiteur.

Depuis la rentrée de septembre 1996, l'école a trouvé sa place près de la Porte d'Or, rue Yaroslaviv, au numéro 27, au sein d'une école ukrainienne qui est spécialisée dans l'étude du français, avec laquelle elle partage une partie des locaux. L'Association des Parents d'Elèves, formée suivant la loi de 1901, gère depuis sa création l'école qui compte actuellement 17 élèves répartis en 3 classes dans le primaire et le secondaire, et 5 enfants en maternelle.

Les cours, homologués par le Ministère français de l'Éducation nationale, sont assurés par 3 enseignantes françaises diplômées, et par 2 enseignantes pour les maternelles. De plus, des intervenants en langues étrangères, mathématiques, musique, dessin, sport, s'ajoutent à ce personnel.

L'école admet tous les enfants, francophones ou non, en classe de maternelle à partir de l'âge de 2 ans et demi, et les enfants francophones de la classe de C.P. jusqu'à la 3ème.

Chaque année, la part d'enseignement en direct devient de plus en plus importante, et la mission du C.N.E.D. se réduit surtout aux classes du secondaire. Les cours ont lieu les lundis, mardis, jeudis et vendredis de 8 h 30 à 12 h 00 et de 13 h 00 à 16 h 00.

L'école est située en centre ville, dans le vieux Kiev, non loin de Sainte Sophie et du parc du Dniepr, dans un quartier très agréable ; elle est toute proche de l'Ambassade de France en Ukraine. Un centre d'examen (BEPC) est ouvert depuis 1995, et les épreuves se déroulent à l'Ambassade sous l'autorité du conseiller culturel.

Il convient de noter l'ambiance exceptionnelle à l'école ukrainienne Populunchka qui accueille cette petite école française. Les classes de français sont décorées avec beaucoup de goût : des cartes, des affiches, des tableaux ornent les murs, et on y ressent une atmosphère extrêmement sympathique pour tout ce qui est français.

Les contacts avec la directrice et les professeurs de français ont été particulièrement chaleureux. Tous les élèves ukrainiens des différentes classes ont participé, le vendredi 27 septembre à des démonstrations de danse et de chants d'Ukraine à l'Ambassade de France, que la mission a beaucoup appréciées.

Après avoir informé à notre retour en France l'Agence pour l'Énseignement Français à l'Étranger du Ministère des Affaires étrangères, il a été décidé qu'un professeur français serait détaché à l'école française de Kiev en 1997.

* (1) Leonid KOUTCHMA. L'Ukraine est digne de l'Europe, Le Monde.

* (1) Claire Mouradian, « Le retour de l'URSS ? », Politique internationale, 1996.

* (1) Claire Mouradian, « Le retour de l'U.R.S.S. ? », Politique internationale, 1996.

* (1) Rapport n° 158, 18 décembre 1996.

* (1) Leonid Koutchma, l'Ukraine est digne de l'Europe, Le Monde.

* (1) op. cit.

* (1) Le Monde, op. cit.

* (1) L'Union européenne et la C.E.I.: un rendez-vous manqué ? Rapport d'information n° 2975, 31 juillet 1996.

* (1) op. cité.

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