C) une indépendance à contre-courant : 1965-1980

a) la déclaration unilatérale d'indépendance : 1965

Les Rhodésiens d'origine européenne ont alors clairement conscience que la Grande-Bretagne, aiguillonnée par l'ONU, et par l'OUA nouvellement créée (1963), ne peut que contribuer à faire reconnaître les droits de la majorité noire.

Ce rejet de la métropole coloniale est cristallisé par l'arrivée au poste de Premier ministre, à Salisbury, de Ian Smith, au mois d'avril 1964.

Cette forte personnalité entreprend sans tarder la mise en oeuvre de la seule politique capable, à ses yeux, d'assurer l'avenir du pays : l'indépendance, pendant qu'il en est encore temps.

Il organise un référendum, auquel participent les européens, et dont les résultats sont cautionnés par plus de cinq cents chefs traditionnels noirs, et obtient ainsi une légitimité politique pour proclamer l'indépendance de la Rhodésie, le 11 novembre 1965.

Une nouvelle constitution est annexée à la Déclaration unilatérale d'indépendance (Unilatéral Déclaration of Indépendance - UDI)

b) la Rhodésie de Ian Smith : 1965-1980

Le pays dispose de nombreux atouts pour résister à la réprobation internationale (seuls deux pays, mais d'importance, ont reconnu la Rhodésie : l'Afrique du Sud et le Portugal).

Tout d'abord, l'appui de ses voisins immédiats, ceux-mêmes à l'avoir reconnu ; leur soutien économique (pour le Portugal, par l'intermédiaire de ses deux grandes colonies dans la région, l'Angola et, surtout, le Mozambique) permet à la Rhodésie de déjouer les mesures d'embargo recommandées par le Conseil de sécurité de l'ONU au lendemain de la proclamation de l'indépendance.

Comme souvent en pareil cas, l'opprobre international soude la population, du moins la minorité blanche, autour de ses dirigeants.

De surcroît, l'orientation du pays vers une forme d'autarcie pénalise surtout ceux de ses voisins les plus actifs à combattre sa ligne politique : ainsi, la Zambie et la Tanzanie, notamment, sont durement atteints par la chute des échanges économiques induite par l'embargo.

Aussi Ian Smith poursuit-il sa mise en place de la nouvelle Rhodésie : une Constitution, promulguée au mois de juin 1969, affermit la logique censitaire qui doit être, pour les blancs, la seule voie d'accès des noirs à la représentation politique.

Ainsi est-il prévu que le nombre de parlementaires noirs augmentera proportionnellement au produit de l'impôt sur le revenu acquitté par la population qu'ils représentent, et chaque électeur est inscrit sur une liste séparée en fonction de sa race.

Cette Constitution institue un chef de l'État, le Président de la République rhodésienne, et un Gouvernement responsable devant un Parlement bicaméral.

La composition de chacune des chambres est déterminée par le texte fondamental : les soixante-six députés de l'Assemblée nationale comportent cinquante blancs, huit noirs et huit représentants des chefs coutumiers et, sur les vingt-trois sénateurs, dix sont blancs, élus par l'Assemblée nationale, dix sont noirs élus par le Conseil des chefs coutumiers, et trois sont nommés par le Président de la République.

Cet accès très restrictif à la vie politique pour la majorité noire est doublé d'un nouveau partage des terres (Land Tenure Act) qui instaure une pseudo-égalité : chacune des communautés, européenne et africaine, en reçoit la moitié, alors que le rapport démographique est d'environ un à vingt.

La République de Rhodésie est proclamée, sur ces bases, le 2 mars 1970.

Son avènement suscite une double résistance, intérieure et internationale.

Les différents mouvements nationalistes noirs ne restent pas inactifs devant ce qu'ils considèrent comme une provocation, mais leur stratégie est loin d'être unitaire.

En effet, un an après l'installation à Dar-es-Salaam, en Tanzanie, de la ZAPU, une scission s'opère au sein de ce mouvement, sous l'impulsion de Mugabe et de Sithole.

Ces derniers reprochent à Nkomo son immobilisme, et fondent la Zimbabwe African National Union (ZANU). La ligne de partage entre ces deux mouvements, qui disposent chacun de groupes armés très actifs dans les actions violentes à l'intérieur du territoire rhodésien est complexe, et s'appuie sur des facteurs ethniques et politiques.

Nkomo est un matabele groupe minoritaire qui rassemble environ 20 % de la population noire, alors que Mugabe est d'ethnie shona, majoritaire.

Mais, " s 'il est vrai que par la suite, les deux partis ZAPU et ZANU et leurs branches armées se sont progressivement différenciées sur le plan ethnique, cette scission apparaît surtout comme la conséquence d'une concurrence entre Moscou et Pékin, qui inscrivait sur le terrain un clivage entre modérés et intransigeants, entre aînés et cadets, entre résistance extérieure et combattants de l'intérieur.

Nkomo, premier entré en scène, avait bénéficié de l'aide de Moscou, via Le Caire, puis Berlin-Est et Cuba. Il demeura un modéré, souvent prêt à accepter la négociation séparée avec Ian Smith. La ZANU, dirigée par Sithole, puis Mugabe, suivit une ligne beaucoup plus agressive.

Les conceptions militaires des deux partis sont également différentes : la ZIPRA, branche armée de la ZAPU, disposait d'un armement lourd : chars, missiles sol-air. La ZANLA, émanation de la ZANU, moins bien équipée, s'installa dans une guerre populaire de type maoïste pratiquant la fusion des combattants dans les masses paysannes". 3 ( * )

Ces deux mouvements multiplient les actions de force, semant l'inquiétude et la peur de l'avenir dans la population blanche.

Pour autant, le Gouvernement de Ian Smith s'oppose à toutes les tentatives de conciliation déployées par la diplomatie britannique pour rapprocher les points de vue.

Les années 1970 voient ainsi se succéder conférences et accords inaboutis, qui témoignent de l'inquiétude manifestée par la communauté internationale devant la montée de la tension dans cette région.

L'intransigeance de Salisbury est, cependant, fortement ébranlée par l'accès à l'indépendance du Mozambique (1975), qui devient alors la principale base arrière des nationalistes noirs.

Finalement, la Rhodésie admet, en 1979, la suspension de son indépendance, et accepte le statut de dominion britannique.

En contrepartie, toutes les sanctions internationales sont levées, et Londres désigne Lord Soames comme gouverneur de Rhodésie, doté des pleins pouvoirs pour préparer une nouvelle indépendance. Son action débouche sur la Conférence constitutionnelle de Lancaster House.

* 3 Yves Lacoste, dictionnaire de géopolitique, Paris : Flammarion, 1995, p. 1633

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