Intervention de M. MAMALEPOT, Gouverneur de la B.E.A.C.

M. MAMALEPOT. - Les orateurs qui m'ont précédé ont parlé de l'Afrique en général et particulièrement de l'Afrique francophone. Je voudrais centrer mon propos sur la région d'Afrique centrale et celle où notre banque centrale exerce le privilège de l'émission monétaire.

Le thème proposé me conduit à me poser la question de savoir s'il n'appelle pas, dans une certaine mesure, à répondre à la question : depuis la dévaluation où en est l'Afrique francophone ?

Parlant de ces États de l'Afrique centrale qui sont le Gabon, le Congo, la République Centre-africaine, le Tchad, la Guinée équatoriale et le Cameroun, ces six pays situés au centre de l'Afrique sous l'équateur ont connu une croissance économique relativement soutenue jusqu'en 1985.

A partir de cette date, la crise est intervenue et ils sont entrés dans de grandes difficultés économiques et financières nées de causes externes, mais aussi de causes internes.

Au titre des causes internes, on a observé la chute du P.I.B., de la consommation des ménages, le dysfonctionnement de certaines administrations publiques avec leur cortège de contre-performances, l'accumulation des arriérés intérieurs et extérieurs au titre de la dette des États, le sinistre des institutions bancaires, bref, la crise s'est installée dans ces pays, avec son cortège de problèmes sociaux.

Mais les États ne sont pas restés les bras croisés. Les pays d'Afrique centrale ont mis en oeuvre des programmes d'ajustement, souvent avec l'appui des organisations financières internationales, le FMI et la Banque mondiale.

Mais force est de constater que jusqu'en janvier 1994, la plupart des programmes d'ajustement mis en oeuvre dans cette sous-région n'ont produit aucun effet, en tout cas n'ont pas inversé la tendance.

C'est ainsi qu'en harmonie avec la région ouest africaine, les États d'Afrique centrale ont décidé le réalignement de la monnaie du franc CFA intervenu le 12 janvier 1994.

C'est une décision inédite. Mais alors comment ces pays ont-ils réagi à cette décision ? Comme tout le monde pouvait le penser, on a redouté après le réalignement de la monnaie des troubles sociaux, une aggravation de l'inflation. Or rien de tout cela ne s'est produit.

En effet, la sous-région est restée calme et si après le choc, aussi bien économique que psychologique, les opérateurs économiques se sont sentis éprouvés, les prix ont augmenté rapidement, mais vite des mesures ont été prises pour les maîtriser. En tout cas l'inflation est restée dans les limites du raisonnable puisqu'elle n'a pas dépassé les 30 ou 35 %.

En décidant cette mesure, les pays d'Afrique centrale entendaient renforcer la compétitivité de leurs économies. Que s'est-il réellement passé ? Je dois relever que certains pays d'Afrique centrale tels le Gabon et le Congo sont recouverts à près de 80 % de zones forestières, et que d'autres sont sahéliens tels le Cameroun au Nord et le Tchad. Vous comprendrez qu'avec cette variété de climats et de reliefs les conditions économiques et les productions ne peuvent qu'être diversifiées et variées.

Sur le plan agricole, on peut dire que la région a globalement bien réagi à l'événement de la dévaluation car les productions de café, de cacao, de banane, de coton, ont bien réagi et les productions ont augmenté. A la même époque, sur le marché international, les prix étaient orientés à la hausse. Coïncidence heureuse.

D'une manière générale sur le plan agricole, les pays ont bien réagi. Toutefois on a regretté le coût élevé des intrants qui sont importés, qui a renchéri et est venu peser sur les productions agricoles. En même temps, on a profité de cette occasion pour assainir les filières agricoles qui étaient quasiment abandonnées par les paysans à la suite de la persistance de la crise.

Dans le domaine forestier, la sous-région a également bien réagi face à une demande internationale globalement forte et positive. La sous-région d'Afrique centrale n'a pas pu produire suffisamment de bois pour répondre tant à la demande qu'au prix de la matière orientée à la hausse. Néanmoins, certains pays comme le Gabon ont dû tirer profit de l'écoulement du bois.

Sur le plan minier, les productions de manganèse ont augmenté. Sur le plan des activités industrielles, celles-ci sont restées relativement soutenues. Mais je me dois de préciser que seules les industries tournées vers l'exportation ont dû bénéficier de parts substantielles de marchés.

En revanche, les industries tournées vers la consommation intérieure et utilisant à fond des produits importés ont souffert, car il faut bien le reconnaître si la dévaluation a favorisé certaines exportations, elle a renchéri de façon automatique par un effet mécanique les importations. Celles-ci ont diminué, mais pour les entreprises qui travaillent avec l'extérieur ces exportations quasi obligatoires les ont presque pénalisées.

Les activités commerciales et industrielles sont restées relativement soutenues. L'évolution des prix a été maîtrisée. Les salaires également ont été maîtrisés. Là où certaines décisions de relèvement des salaires ont vu le jour, ces relèvements n'ont pas dépassé la fourchette prévue par les institutions internationales et dans le programme.

Au plan de la monnaie et du crédit, on a observé dans l'ensemble une reprise du mouvement des affaires et une amélioration notable des agrégats monétaires. C'est ainsi que les réserves de change gérées par l'institut d'émission sont passées d'une position débitrice globale de 104 milliards de francs CFA à un solde positif global de 143 milliards de francs CFA.

La couverture de la monnaie émise dans la zone s'est améliorée pour se situer à près de 43 %. D'une manière globale, c'est un renversement de tendance qui s'est produit, mais cette situation est restée assez contrastée suivant les pays.

Le solde global de balance des paiements, bien que toujours négatif, s'est amélioré. Les pays dans l'ensemble ont confectionné des budgets orientés à la hausse, mais l'on a regretté d'un côté la lenteur dans les décaissements de bailleurs de fonds extérieurs, de l'autre les fonds qui ont été décaissés, ne l'ont pas été en totalité.

Je dois ici relever que les pays de notre sous-région l'ont fait savoir à des bailleurs de fonds aussi bien bilatéraux que multilatéraux.

La situation en Afrique centrale est jugée moins bonne que dans la sous-région voisine d'Afrique de l'Ouest. Au lendemain de la dévaluation, les pays de la sous-région sont rentrés en programme avec les institutions financières internationales. Mais force est de constater qu'à l'exception d'un seul programme, tous les autres qui ont été mis en place n'ont pas fonctionné. De ce fait, ils ont été à l'origine, dans une certaine mesure, du blocage d'une part importante du financement promis à l'extérieur.

A ce jour, le dialogue reste de mise entre les États de l'Afrique centrale et les bailleurs de fond, notamment les institutions de Bretton Woods et les nouveaux programmes sont en cours de négociation. On peut espérer que ces négociations débouchent sur la conclusion de nouveaux programmes qui conditionnent le flux de capitaux en direction de notre sous-région, peut-être même de toute l'Afrique francophone.

Je vous ai parlé très rapidement de la situation d'avant la dévaluation et celle qui prévaut depuis janvier 1994. Aujourd'hui, l'on peut dire que les conditions d'un nouveau départ sont réunies dans une certaine mesure. Mais si nous avons franchi une étape, celle du réalignement de la monnaie longtemps envisagé, le plus difficile à mon sens reste à faire. Et le plus difficile c'est le redémarrage de l'investissement.

En effet, depuis janvier 1994, en dépit des mesures prises, les mesures conjuguées d'ajustement réel d'avec l'ajustement monétaire, la récession persiste. Le mouvement des affaires n'est pas lancé, l'investissement ne redémarre pas du tout.

Un orateur a dit que les États d'Afrique doivent laisser l'économie au secteur privé. C'est vrai, mais je dois relever que dans nos pays, depuis les indépendances jusqu'à ce jour, les États ont été tout de même les grands et les seuls pourvoyeurs de fonds. C'est à ce titre qu'ils ont mis en place les quelques unités de production qui existent.

Aujourd'hui, on demande aux États de recentrer l'essentiel de leurs attributions sur leurs fonctions de souveraineté et de laisser au secteur privé les activités économiques. C'est vrai, c'est la tendance générale et nos pays n'échapperont pas à la règle. Mais dans le programme avec le FMI et la Banque mondiale, c'est aussi une condition supposée, à savoir la privatisation ou la restructuration dans le cadre global des mesures structurelles à mettre en place.

Mais encore faut-il que les États qui ont la volonté de privatiser trouvent un secteur privé susceptible de répondre, qu'ils trouvent des preneurs ou des repreneurs ? C'est la délicatesse de cette question, du moins dans la sous-région de l'Afrique centrale.

Nous savons qu'un problème crucial s'est amplifié avec le réalignement de la monnaie, celui de l'endettement. Le réalignement de la monnaie a certainement créé des conditions nouvelles pour repartir, faire redémarrer les économies. A mon grand regret, je dois constater que l'investissement tarde à repartir. A mon sens, c'est l'une des conditions de la relance de la croissance.

Mais parallèlement, l'endettement des États à l'extérieur a doublé. Certes il faut reconnaître tous les efforts accomplis par les bailleurs de fonds extérieurs et le partenaire français, les mesures prises pour réduire ou annuler partiellement l'endettement de nos pays. Mais ces mesures n'ont pas totalement soulagé les pays lourdement endettés de notre sous-région.

Quelles sont les perspectives qui se présentent ? Le devenir économique de notre sous-région est intimement lié d'une part aux mesures supplémentaires que pourraient prendre les partenaires extérieurs dans le sens de la réduction de l'endettement ou en tout cas l'assouplissement des conditions lié à cet endettement, d'autre part, de la conclusion de programmes avec les institutions de Bretton Woods et surtout du suivi sans dérapage de ces programmes qui constituent la condition mise par les bailleurs de fonds.

Ma conclusion est la suivante : en 1995, notre grand partenaire en Afrique centrale, étant parmi tant d'autres la France, cette dernière étant dans l'Union européenne, notre monnaie est liée au franc français par les conventions que l'on sait. On parle de plus en plus de la mise en place de la monnaie unique à l'échéance 1999.

Une question est en suspens ou est à l'étude ou le sera, celle de la relation entre le franc CFA et la future monnaie commune de l'Union européenne. Cette question est d'actualité. Je pense qu'elle va focaliser l'attention, en tout cas impliquer la réflexion des uns et des autres et d'ores et déjà dans nos pays on commence à se poser cette question.

(Applaudissements).

M. Jean-Pierre CANTEGRIT. - Merci Monsieur le Gouverneur. Vous avez très bien su composer votre dire en revenant sur la situation avant la dévaluation du franc CFA et j'apprécie tout à fait votre conclusion sur cette interrogation que, pour beaucoup dans cette salle, nous nous posons également.

Notre prochain intervenant est M. Charles Konan Bany, Gouverneur de la Banque centrale de l'Afrique de l'Ouest. Vous avez 53 ans, vous êtes né en Côte d'Ivoire. Vous avez fait vos études à Yamoussoukro et à Abidjan. Vous avez eu un baccalauréat de sciences expérimentales, fait des études et une préparation au concours d'entrée ESSEC/HEC. Vous avez fait l'Ecole Supérieure des Sciences économiques et commerciales de Paris et vous avez un diplôme d'études supérieures de Sciences économiques et commerciales.

Votre carrière depuis 1969 a été importante : Chargé de mission à la Caisse de stabilisation et de soutien des prix des productions agricoles, Secrétaire général adjoint de l'organisation interafricaine du café, Secrétaire général de l'O.I.A.C. à Paris, Directeur des Affaires administratives et sociales de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest au siège à Paris, Directeur central des titres, du portefeuille des emprunts et des prêts à Paris et à Dakar, Directeur central des études au siège de la banque centrale à Dakar, directeur national pour la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest pour la Côte d'Ivoire, Gouverneur suppléant pour la Côte d'Ivoire au Fonds Monétaire International.

Conseiller spécial du Gouverneur de la Banque centrale d'Afrique de l'Ouest, vous avez été de décembre 1990 à 1993 Gouverneur par intérim de la Banque centrale, et depuis le 1er janvier 1994 vous êtes Gouverneur de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest.

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