Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 116 - 8 avril 2014


Groupe interparlementaire d'amitié
France-Japon 1 ( * )

L'aménagement urbain en France et au Japon :
quel cadre de vie pour demain ?

Actes du colloque du 24 octobre 2013

Sous le haut patronage de M. David ASSOULINE ,

Président du Groupe interparlementaire

France-Japon

et de

Son Exc. M. Yôichi SUZUKI,

Ambassadeur du Japon en France

Palais du Luxembourg

Salle Clemenceau

I. OUVERTURE

M. Michael BISMUTH, modérateur

L'étalement des villes, sous l'effet des pressions socio-économiques, est un phénomène commun en France et au Japon, qui modifie profondément l'organisation des espaces urbains. Parmi les défis de la ville de demain, il importe d'inventer une ville durable et solidaire permettant d'améliorer le bien-être des citadins confrontés aux problèmes de logement et de trajets quotidiens domicile-travail, source de nombreuses difficultés.

L'angle d'approche est celui d'une démarche globale. Il s'agit d'envisager aussi bien la mobilité, le logement, la culture, mais aussi l'environnement. C'est à un voyage dans ce monde de solutions globales que vous invite ce colloque du Sénat, organisé par le groupe interparlementaire d'amitié France-Japon, avec le soutien du Centre japonais des collectivités locales (CLAIR Paris).

Notre programme comporte deux grandes parties. Dans une première partie, des maires français et japonais nous exposeront leurs expériences de terrain. Dans une seconde partie, des architectes urbanistes proposeront des visions prospectives de la ville de demain.

Au préalable, nous présenterons un état des lieux des politiques d'aménagement de l'espace en France et au Japon. En préambule, pour ouvrir ce colloque, nous accueillerons M. David Assouline, président du groupe interparlementaire d'amitié France-Japon, M. Yôichi Suzuki, ambassadeur du Japon en France et Mme Yôko Kimura, présidente du conseil d'administration de CLAIR.

M. David ASSOULINE, président du groupe interparlementaire d'amitié France-Japon, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois

Je suis très heureux de vous accueillir aujourd'hui au Palais du Luxembourg pour cette nouvelle édition du colloque organisé par le groupe d'amitié France-Japon du Sénat et le Centre japonais des collectivités locales, sous le patronage de l'ambassade du Japon. Permettez-moi de saluer chaleureusement le nouvel ambassadeur M. Yôichi Suzuki, qui vient de prendre ses fonctions.

Je me réjouis également de la présence parmi nous de M. Jacques Valade, ancien président du groupe d'amitié France-Japon et ancien président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat. Ambassadeur itinérant pour l'Asie, il nous fera l'honneur de clore notre colloque, en nous livrant les enseignements qu'il a tirés de sa récente enquête auprès des préfectures japonaises.

Les colloques précédemment organisés s'inscrivaient déjà dans la politique de coopération décentralisée et de diplomatie parlementaire, que le Sénat a souhaité mettre en oeuvre depuis plusieurs années. Les quatre précédentes manifestations franco-japonaises ont eu respectivement pour thème les nouvelles technologies de l'information, la décentralisation, les politiques culturelles et le développement durable, sujets majeurs et toujours d'actualité.

Le thème retenu cette année est l'aménagement urbain en France et au Japon, envisagé sous l'angle de l'amélioration du cadre de vie et dans un esprit résolument prospectif. Le colloque doit contribuer au partage d'expériences et au croisement des réflexions entre les élus locaux et les architectes-urbanistes de nos deux pays. Nous souhaitons plus largement que, dans le prolongement de la visite d'État du Président de la République, en juin dernier, et dans l'attente d'une visite du Premier Ministre Shinzô Abe, il puisse participer au renforcement des liens déjà étroits noués entre la France et le Japon.

En France comme au Japon, l'étalement des villes vers leur périphérie sous l'effet de pressions socio-économiques a profondément modifié l'organisation des espaces urbains. Son impact sur l'environnement et sur l'équilibre des territoires n'est pas neutre et il a pu contribuer à dégrader la qualité de vie des habitants.

Je ne cherche pas en dressant ce constat à conjurer le spectre des Villes tentaculaires d'Émile Verhaeren, qui évoquait les « rectangles de granite, cubes de brique et leurs murs noirs, durant des lieues, immensément par les banlieues », et ces villes où « par les ponts et par les rues, se bousculent en leurs cohues [...] des ombres et des ombres . » C'est là certes une vision poétique et puissante, mais c'est aussi une approche partielle et partiale, à laquelle on pourrait aussi bien préférer ce vieil adage allemand : « l'air de la ville rend libre ».

Inventer la ville de demain, durable et solidaire, permettant d'améliorer le bien-être de nos concitoyens est un enjeu majeur pour les communes de nos deux pays. Notre colloque tentera d'avancer des voies concrètes de transformation du cadre de vie urbain.

Il rejoint ainsi l'actualité législative, marquée par une relance de la décentralisation et par la discussion du projet de loi sur les métropoles. Le président de la commission des lois, M. Jean-Pierre Sueur qui a largement contribué à ce débat, nous présentera le cadre refondu dans lequel se développeront les villes françaises à l'avenir. M. Toshifumi Kurose, directeur du CLAIR Paris, dressera un panorama symétrique pour le Japon. Je les remercie tous deux de nous aider à clarifier les environnements juridiques et politiques nationaux.

Je remercie également les maires qui ont accepté de nous présenter les politiques concrètes qu'ils mettent en oeuvre dans leurs collectivités. Nous devons malheureusement regretter l'absence de notre collègue Roland Ries, retenu au dernier moment dans sa ville de Strasbourg. Mais je suis certain que les exemples des communes de Kumamoto, d'Iida et de Lens, représentées aujourd'hui, nous offriront des modèles opérationnels intéressants. Ils nous permettront d'appréhender diverses dimensions de l'aménagement urbain, qui pose simultanément des questions de transports, de logement, de développement économique, mais aussi celles d'accès à la culture et d'action sociale.

L'aménagement urbain ne préoccupe pas seulement le législateur et les élus locaux. J'en veux pour preuve, la récente exposition du Pavillon de l'Arsenal. Douze agences d'architectes françaises et japonaises ont travaillé à repenser l'organisation de l'espace à Paris et à Tokyo, deux capitales très denses mais dont l'histoire et la géographie physique et humaine sont extrêmement différentes. La contribution des architectes et urbanistes est indispensable pour repenser notre cadre de vie. C'est pourquoi nous avons sollicité trois d'entre eux parmi les plus reconnus, Mme Nasrine Seraji, MM. Riken Yamamoto et Rudy Ricciotti. Ils dialogueront avec les élus dans une confrontation, nourrie de leurs réalisations et de leurs projets, qui sera certainement très enrichissante. Qu'ils en soient également remerciés.

Le colloque de ce jour permettra de comparer nos cadres juridiques et nos expériences locales. Il nous aidera à tracer des pistes d'avenir sur un sujet majeur pour notre société. En comparant les situations japonaises et européennes, nous nous plaçons ainsi implicitement sous le patronage du grand intellectuel japonais de l'ère Meiji que fût Yukichi Fukuzawa, dont l' Invitation à l'étude ( Gakumon no Susume ) peut encore nous inspirer. En espérant que ce colloque nous permette à son exemple d'approfondir notre compréhension mutuelle et de dégager des solutions pragmatiques à nos problèmes communs, je vous souhaite un excellent après-midi, riche de débats et de réflexions.

M. Yôichi SUZUKI, ambassadeur du Japon en France

Alors qu'il s'agit aujourd'hui de mon quatrième jour en tant qu'ambassadeur du Japon en France, je suis particulièrement honoré de participer à ce colloque, qui représente un important vecteur pour resserrer les liens entre nos deux pays.

Je considère les échanges humains et culturels, à commencer par les échanges entre collectivités locales, avec le renforcement des liens et relations politiques et économiques, comme l'une de mes principales missions en tant qu'ambassadeur. Comme vous le savez, le renforcement des échanges entre collectivités locales constitue l'un des piliers de la déclaration conjointe franco-japonaise et de son annexe, la feuille de route pour la coopération franco-japonaise, qui ont été présentées à l'occasion de la visite d'État au Japon du Président François Hollande en juin dernier.

Ce colloque abordera des thèmes, comme l'a souligné le président David Assouline, de la vie quotidienne et de l'environnement urbain permettant de discuter de l'aménagement des villes afin d'améliorer la qualité de vie des habitants. Dans ce domaine, nos deux pays font face chacun à des problèmes qui leur sont propres, mais il est certain qu'ils en partagent également. L'importante mission des administrations locales consiste à aménager un environnement facilitant la vie des habitants au niveau des transports, du logement, de la protection de l'environnement et des installations culturelles. Ces sujets sont complexes.

Les politiques liées à l'aménagement urbain doivent être menées en étroite coopération avec les régions. Dans ce contexte, le rôle des collectivités locales, tout comme celui des gouvernements, est très important. De plus, lors de l'élaboration de ces politiques, il convient de s'assurer que celles-ci reflètent les souhaits des habitants des régions. Je souhaite que les collectivités locales de nos deux pays renforcent leurs discussions en échangeant des informations sur l'état actuel des politiques d'aménagement urbain, les problèmes à régler et les moyens de les résoudre, et qu'elles y parviennent en prenant en compte la situation actuelle des régions. Le Japon et la France doivent consentir à des efforts pour renforcer les échanges entre collectivités locales, en gardant les yeux fixés sur les quatrièmes rencontres franco-japonaises de la coopération décentralisée, qui se tiendront à Takamatsu en 2014, conformément à la feuille de route pour la coopération franco-japonaise.

Pour que cette prochaine rencontre soit une réussite, la coopération décentralisée entre nos deux pays doit se renforcer encore davantage. L'Ambassade du Japon en France apportera tout son soutien à cet effet.

Je souhaite conclure en formant des voeux de succès pour le colloque qui s'ouvre aujourd'hui. Je saisis cette occasion pour exprimer le souhait de voir les liens entre le Japon et la France, déjà très amicaux, se développer encore davantage.

Mme Yôko KIMURA, présidente du conseil d'administration du Centre japonais des collectivités locales (CLAIR)

En tant que présidente du conseil d'administration du CLAIR, je vous remercie de votre présence et je souhaiterais vous dire quelques mots de bienvenue.

Notre organisation, le CLAIR, organise des colloques franco-japonais sur l'administration locale depuis 1997, le précédent colloque s'étant tenu en 2010. Nous sommes sincèrement très heureux que ce colloque ait pu à nouveau avoir lieu en 2013, grâce à l'initiative du groupe interparlementaire d'amitié France-Japon du Sénat.

Fondation publique au Japon, le CLAIR a été créé en juillet 1988 pour soutenir et promouvoir l'internationalisation des collectivités locales japonaises.

Le CLAIR, dont le siège se trouve à Tokyo, dispose de bureaux de représentation dans sept métropoles étrangères, à commencer par Paris. Nous nous efforçons de développer notre réseau avec les collectivités locales des pays étrangers. Nous accordons une importance particulière à la France dont les bonnes pratiques territoriales pourraient servir de référence pour un grand nombre de collectivités locales japonaises. En effet, l'innovation en matière de politiques publiques pour faire face aux mutations sociales est l'une de leurs plus grandes priorités. La France est également considérée comme un marché prometteur par les collectivités locales japonaises qui cherchent à promouvoir les produits fabriqués sur leurs territoires.

Le présent colloque a pour titre « L'aménagement urbain en France et au Japon ». La France est un pays qui, dans son histoire, a cherché sans cesse à améliorer la planification urbaine. De nos jours, les communes françaises mènent la politique d'aménagement urbain en tenant compte de l'enjeu du développement durable. Aujourd'hui, nous avons le plaisir d'accueillir le maire de Lens, qui nous présentera notamment l'aménagement urbain réalisé pour la mise en place du Louvre-Lens, qui suscite un grand intérêt au Japon.

M. Seishi Kôyama, maire de Kumamoto, et M. Mitsuo Makino, maire d'Iida, prendront la parole au nom des collectivités locales japonaises. Kumamoto est une grande ville de plus de 700 000 habitants qui s'est vu doter d'un statut de « ville désignée par décret » en avril 2012. La ville de Kumamoto a mené des actions innovantes pour mettre en valeur ses atouts touristiques, tels que son château, sa galerie commerciale qui est la plus grande de l'ouest du Japon, et son environnement naturel magnifique. C'est une ville qui dispose également d'une expertise dans de nombreux domaines.

Par ailleurs, la ville d'Iida se situe sur le tracé de la future ligne de train à sustentation magnétique, qui sera mise en service en 2027. Ville-centre du département de Nagano, Iida occupe une place très importante. Son maire est également le président de la Commission des affaires économiques de l'Association des maires des grandes villes du Japon. La ville d'Iida est connue pour sa politique d'aménagement du territoire qui implique les acteurs économiques et les citoyens, et son tourisme vert. Elle attire à ce titre beaucoup de décideurs d'autres collectivités qui effectuent la visite de la ville dans le cadre de leur mission d'étude.

Concernant les architectes, nous accueillons Mme Nasrine Seraji, M. Rudy Ricciotti et M. Riken Yamamoto. M. Riken Yamamoto mène une réflexion sur l'habitat du futur par rapport à ce qu'il appelle « l'espace communautaire local ». C'est un architecte d'une très grande notoriété, qui défend l'idée d'un espace de la vie locale. Sans se placer du point de vue de ceux qui fournissent les logements, il privilégie le point de vue de ceux qui les habitent. Je pense qu'il est la personnalité la plus qualifiée pour s'exprimer au cours d'un débat qui porte sur la qualité de vie ainsi que sur l'amélioration du cadre de vie. Je suis convaincue que ce colloque sera très fructueux pour les collectivités, aussi bien françaises que japonaises, afin qu'elles puissent constater à quel point leurs homologues en France ou au Japon s'investissent dans les problèmes d'urbanisme et qu'elles puissent trouver de nouvelles pistes pour leurs politiques.

II. COMMUNICATIONS

A. ÉTAT DES LIEUX DES POLITIQUES D'AMÉNAGEMENT EN FRANCE ET AU JAPON

M. Michael BISMUTH, modérateur

Monsieur Jean-Pierre Sueur, pouvez-vous nous présenter le cadre politique actuel de la décentralisation, et plus particulièrement le rôle renforcé que les métropoles seront amenées à jouer ?

M. Jean-Pierre SUEUR, président de la commission des lois

En guise d'introduction, je rappellerais que j'ai été l'auteur, en 2011, d'un rapport intitulé « Villes du futur, futur des villes : quel avenir pour les villes du monde ? » Celui-ci posait le problème du devenir des villes dans le monde.

Chaque jour dans le monde, 200 000 habitants supplémentaires viennent s'installer dans les villes. En d'autres termes, chaque année, la population urbaine augmente de 72 millions de personnes. La montée des villes constitue donc un phénomène irrépressible, qui concerne pratiquement tous les pays du monde.

Il en résulte une question essentielle, insuffisamment évoquée dans la sphère politique : quel est notre projet pour les villes du futur ? Les décisions que nous prenons, ou ne prenons pas, aujourd'hui auront des conséquences importantes sur les villes dans lesquelles nous vivrons dans vingt, trente, quarante ou cinquante ans.

Il est étrange que cette question soit souvent absente des débats précédant les élections. Il s'agit pourtant d'une interrogation fondamentale.

Premièrement, nous devons défendre la ville. Comme l'a souligné le président David Assouline, « l'air de la ville rend libre ». Il existe comme une sorte d'impensé ou d'idée préconçue au sujet de la ville. Charles Péguy disait « Il y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise pensée . C'est d'avoir une pensée toute faite .» L'idée toute faite consiste, en l'occurrence, à penser que la nature est naturellement bonne, et que la ville est mauvaise. La ville serait le lieu de l'insécurité, de la criminalité, de la pollution. Elle serait le réceptacle de tous les malheurs de la société, alors que le monde rural serait bon, doux, humain, charmant. Je ne souscris pas à cette vision. Je pense que la ville est belle. Ainsi, le Japon est beau par ses villes. J'ai ainsi connu la ville d'Utsunomiya, jumelée avec la ville d'Orléans. Les villes du Japon ont leur beauté, comme toutes les villes. Il faut aimer les villes. Cela signifie gérer les problèmes des villes.

En France, il existe un ministère de la Ville. Dans ce rapport, j'ai souligné que le ministère de la Ville avait pour charge la ville qui va mal, les quartiers en difficulté. D'autres ministères s'occupent du centre-ville, de la ville patrimoniale : l'Équipement, le Logement, la Culture. Pourtant, comme je l'ai souligné, il n'existe pas deux ministères de l'Agriculture : un pour l'agriculture qui va bien et un pour l'agriculture qui va mal. Or, un tel dédoublement existe pour la ville. J'en ai appelé à l'existence d'un seul ministère de la Ville. Je suis convaincu que pour changer la ville, c'est toute la ville qu'il faut appréhender. On ne change pas un quartier sans engendrer un effet sur l'ensemble de l'aire urbaine. Ainsi, dans un quartier en difficulté d'une ville que je connais bien, nous avons décidé de créer un tramway. Le quartier en difficulté est dès lors situé près du centre-ville. Nous avons créé une grande et belle avenue. Le quartier en difficulté n'est plus périphérique. Le long de l'avenue, nous avons créé de belles entreprises. Par « contamination », le quartier change peu à peu. Je me suis reproché, lorsque j'étais maire, d'avoir démoli les barres et les tours, et d'avoir mis à la place des immeubles collectifs plus petits et plus jolis. J'aurais dû faire construire des pavillons ou un parc.

En France, nous avons la manie du zonage. Ainsi, nous avons créé les zones urbaines prioritaires (ZUP). Puis, nous avons créé les zones d'aménagement concerté (ZAC), les zones de protection du patrimoine architectural et urbain (ZPPAU), devenues ensuite zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP). Il existe aussi les zones d'éducation prioritaire (ZEP), qui visent à promouvoir les élèves ayant le plus de difficultés. Je pourrais encore citer les zones urbaines sensibles (ZUS), les zones de revitalisation urbaine (ZRU), et les zones franches urbaines (ZFU). Plus il existe de zones, moins il y a de lisibilité. Si les zones sont conçues pour le bien public, l'excès de zonage stigmatise. À titre d'exemple, une école située dans une ZEP perd des élèves. Autrement dit, la politique de la ville doit être une politique globale, qui propose des projets pour toute la ville.

La ville de la deuxième moitié du XX e siècle a été une ville où chaque secteur avait une fonction précise. La grande industrie a créé les grands ensembles, et ces derniers ont donné lieu aux grandes surfaces. En outre, un président de la République a estimé qu'il convenait d'adapter la ville à l'automobile. Certaines villes comportent des quartiers dans lesquels il n'y a que de l'habitat, jouxtant des quartiers dotés uniquement de commerces, que l'on appelle des « entrées de villes ». Il existe aussi le centre-ville patrimonial, les faubourgs, le campus universitaire au loin, un espace de loisirs, un parc d'activités, la technopole... Tout ceci forme une sorte de mosaïque. Je plaide au contraire pour une nouvelle urbanité, c'est-à-dire une ville dotée de toutes les fonctions dans chaque quartier. Lorsque nous faisons un grand projet de ville (GPV), j'insiste pour que l'on prévoie de la recherche scientifique, de l'entreprise, du sport, des loisirs, des commerces et de l'habitat diversifié. La mixité sociale, dont je suis un ardent partisan, doit aller de pair avec la mixité fonctionnelle. Il s'agit là de l'une des clefs du futur.

Enfin, la loi de décentralisation prévoit la création de métropoles. Onze métropoles sont en projet, outre Paris, Lyon et Marseille. L'idée est d'avoir de grands pôles urbains efficaces, dotés de compétences fortes, travaillant en lien étroit avec les régions et les communautés d'agglomérations et de communes. Cette organisation soulèvera le problème de la démocratie. Ainsi, la métropole de Lyon sera dotée de tous les pouvoirs du conseil général et de tous les pouvoirs d'une communauté urbaine. Dans le monde entier, se pose le problème de l'aire urbaine réelle. La démocratie n'est pas toujours aux dimensions de l'aire urbaine réelle. L'aire dans laquelle on prend les décisions importantes, relatives à la création d'un tramway, du développement économique, c'est la métropole. Il convient donc de se demander s'il ne faut pas instaurer de la démocratie à ce niveau.

Je conclurai par trois points. De nombreux pays sont confrontés au problème des nappes urbaines : en témoignent des villes comme Dehli, São Paulo, Le Caire, Mexico. Aujourd'hui, un milliard de personnes vivent dans des bidonvilles. Ce chiffre atteindra 1,5 milliard en 2020. Selon certains, la solution serait de raser les bidonvilles. Mais, outre qu'il s'agit d'une logique totalitaire et dictatoriale, cette solution est inopérante. En revanche, il est pertinent de partir d'un bidonville et de créer, progressivement, de la voirie, du réseau, de l'activité économique, de la démocratie.

Il convient également de lutter contre les nappes urbaines infinies, qui prennent de l'espace et empiètent sur l'agriculture. Le mitage prend également de l'espace sur l'agriculture. Ainsi, comparons Atlanta, aux États-Unis, et Barcelone en Espagne. La surface d'Atlanta est vingt-six fois supérieure à celle de Barcelone. Pourtant, la population est plus importante à Barcelone qu'à Atlanta. On dépense dix fois plus d'argent pour les transports à Atlanta qu'à Barcelone. Plus la ville s'étale, moins elle est écologique, car elle coûte cher en termes d'énergie. La concentration est parfois plus écologique que l'étalement, sauf si une embolie de la concentration a lieu. À mon sens, il existe deux solutions. La première solution renvoie à la ville polycentrique. J'ai cette utopie de transformer les banlieues en centres-villes. Pour faire vivre un quartier, quel qu'il soit, ce dernier doit avoir une fonction de centralité et d'urbanité. La seconde solution revient à jouer la carte des réseaux de villes. De plus en plus de nos concitoyens vivent dans plusieurs villes : ils travaillent dans l'une, tandis qu'ils habitent dans une autre. Dans ce contexte, les réseaux de villes jouent un rôle essentiel pour éviter les nappes ou l'uniformisation des villes.

Enfin, il existe aujourd'hui près d'une centaine d'aires urbaines comportant des millions d'habitants dans le monde. Un certain nombre d'entre elles n'ont pas les moyens de gérer les crises auxquelles elles sont confrontées. Mon rapport propose la création d'un organe de l'ONU, doté de financements, pour aider un certain nombre de villes à surmonter leurs problèmes.

Je terminerai en soulignant que depuis que j'ai commencé mon intervention, 50 000 personnes dans le monde sont devenues urbaines. L'avenir des villes du monde doit donc entrer sur le devant de la scène.

B. LA VILLE JAPONAISE EN MUTATION

M. Michael BISMUTH, modérateur

Monsieur Toshifumi Kurose, pouvez-vous nous dire quelques mots de l'organisation et du fonctionnement des collectivités territoriales japonaises ? Plus particulièrement, pouvez-vous préciser le rôle des communes dans l'aménagement urbain au Japon ?

M. Toshifumi KUROSE, directeur général du CLAIR Paris

En tant que directeur du bureau de représentation des collectivités locales japonaises, j'aimerais vous présenter l'organisation et le fonctionnement des collectivités locales japonaises.

Mais tout d'abord, j'adresse mes sincères remerciements à M. David Assouline qui a associé notre bureau à l'organisation de ce colloque. Nous attachons beaucoup d'importance au partage de bonnes pratiques territoriales entre nos deux pays. Le colloque d'aujourd'hui est donc une belle opportunité de partager les bonnes pratiques en termes de gouvernance en France et au Japon.

Ma présentation vise à vous apporter des éclaircissements sur l'administration territoriale japonaise, qui pourraient vous aider à mieux comprendre les présentations des maires japonais qui suivront la mienne.

Je rappelle les caractéristiques des collectivités locales japonaises.

D'abord, l'existence d'une garantie constitutionnelle de l'autonomie locale. La Constitution japonaise reconnaît en effet l'autonomie des collectivités locales, qui s'administrent librement. Le Japon est un pays unitaire et décentralisé, ce qui permet une comparaison avec la France. Néanmoins, il existe de nombreuses différences entre nos deux pays.

Ensuite, un système à deux niveaux. La différence tient au fait que le Japon ne compte pas de régions. Il n'existe que deux niveaux de collectivités japonaises : les départements et les communes.

Autre particularité : une configuration présidentialiste. Chaque collectivité est dotée d'un pouvoir exécutif et d'une assemblée délibérante. Les membres de l'assemblée et le chef de l'exécutif sont élus séparément au suffrage universel direct. L'assemblée délibérante et le chef de l'exécutif, le maire pour la commune et le gouverneur pour le département, se contrôlent mutuellement. La configuration de ces deux organes peut être qualifiée de « présidentielle » alors qu'en France, l'organisation de l'assemblée délibérante pourrait être comparée au régime « parlementaire ».

S'agissant du pouvoir réglementaire, il existe des similitudes. En France, la réforme constitutionnelle de 2003 reconnaît aux collectivités locales un pouvoir réglementaire. De même, au Japon, les collectivités territoriales peuvent adopter, dans le cadre de la loi, des règlements sur toute matière relevant de leur compétence. Dans le domaine de l'aménagement urbain, un règlement départemental ou municipal peut porter sur la protection de l'environnement, sur la qualité de l'eau, par exemple. Et le règlement peut imposer des normes beaucoup plus sévères que celles établies par l'État. Par ailleurs, les collectivités locales japonaises ont la possibilité d'instaurer leurs propres impôts, ou des sanctions applicables sur leur territoire. Le domaine du règlement est donc très large, et la définition de ses limites par rapport au domaine de la loi relève d'une jurisprudence abondante.

En France, aujourd'hui, la simplification et la diminution des normes réglementaires applicables aux collectivités territoriales sont d'actualité. Au Japon aussi, cette question fait l'objet d'un grand débat entre l'État et les collectivités locales depuis cinq ans. La réforme est en cours, et quelque 1 000 normes ont déjà été revues. Auparavant, les collectivités locales devaient aménager une route ou une crèche conformément aux normes établies par l'État. Elles peuvent désormais modifier par règlement la largeur d'une route ou la taille d'une crèche selon le trafic routier ou le nombre d'enfants de leur territoire. Le pouvoir réglementaire des collectivités locales s'est donc accru depuis quelques années.

La question des ressources financières des collectivités locales maintenant. S'agissant des dépenses publiques, la part des collectivités locales japonaises représente près de 60 % des dépenses des administrations publiques selon les comptes de la Nation. Cela traduit l'importance des services publics assurés par les collectivités locales. Les recettes fiscales ne représentent toutefois qu'un peu plus de 30 % de l'ensemble de leurs recettes. Aussi le débat sur l'autonomie financière des collectivités locales est-il engagé depuis plusieurs années.

En France, à la suite de sa révision de 2003, la Constitution dispose que les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. Au Japon aussi, une réforme pour renforcer les ressources propres des collectivités locales est en cours. Cette réforme prévoit notamment un transfert de fiscalité de l'État aux collectivités locales. Étant moi-même fonctionnaire du ministère japonais de l'Intérieur, il m'est déjà arrivé de me rendre au ministère français de l'Intérieur dans le cadre d'une étude, pour connaître ce qu'il fallait entendre par « une part déterminante ».

Concernant la répartition des compétences entre les départements et les communes, comme en Europe, c'est le principe de subsidiarité qui est appliqué. Dès lors, tout ce qui ne pourrait pas être effectué par les communes incombe aux départements. Ainsi, l'élaboration des documents d'urbanisme relève de la compétence des communes, mais les départements sont compétents pour le zonage, qui consiste à distinguer des zones où l'aménagement urbain planifié est autorisé, et des zones où l'urbanisation doit être freinée. C'est dans ce cadre que les communes décident de l'affectation des sols.

En outre, les communes japonaises exercent des compétences diversifiées telles que l'action sociale, l'école élémentaire et le collège. Au Japon, les enseignants des écoles et des collèges sont des fonctionnaires communaux, tandis qu'en France, ils sont fonctionnaires d'État. Pour renforcer les capacités de l'administration communale, le Japon a toujours procédé à la fusion des communes. La première grande vague de fusions, qui avait pour objectif d'ajuster la taille des communes pour leur permettre de gérer les écoles élémentaires, a eu lieu il y a 125 ans. À l'époque, le Japon comptait environ 70 000 communes et le nombre des communes a été réduit à 16 000. Puis, il y a 60 ans, peu après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle vague de fusions a permis de diviser le nombre des communes, qui étaient alors au nombre de 10 000, par trois, soit 3 500 communes. La taille des communes issues de cette vague de fusions était ainsi adaptée pour la gestion des collèges. Enfin, avec la troisième vague de fusions initiée il y a huit ans, le nombre des communes est passé de 3 200 à 1 719, soit une diminution de 40 %.

Cela est une différence majeure avec la France qui a opté pour la coopération intercommunale. Au Japon, il existe des syndicats intercommunaux, mais pas d'établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI). Nous avons déjà traité ce sujet, ces deux modes de fonctionnement de l'intercommunalité en France et au Japon, lors d'un précédent colloque franco-japonais organisé au Sénat en 2006.

La répartition des compétences entre l'État et les collectivités locales est différente dans ces deux pays.

En France, 90 % des communes comptent moins de 3 500 habitants. La situation japonaise diffère totalement, et les communes de plus de 3 500 habitants représentent 90 % de l'ensemble des communes.

Par ailleurs, il existe 47 départements au Japon. En termes de population, le département japonais est comparable à la région française, puisque le Japon compte deux fois plus d'habitants.

Nous avons parlé tout à l'heure des métropoles en France, et comme je vous l'ai précisé, il n'existe pas d'EPCI au Japon. En revanche, les compétences exercées par les grandes villes japonaises varient selon leur taille démographique. Il existe ainsi des « villes désignées par décret », qui pourraient être équivalentes aux métropoles françaises. Ces communes à statut particulier, qui sont au nombre de vingt aujourd'hui, peuvent créer des arrondissements dans leur périmètre, et elles pourraient, à ce titre, être comparées aux villes de Lyon ou de Marseille.

J'aimerais vous parler du débat autour du projet de réorganisation territoriale du département d'Osaka, dont le chef-lieu est la ville d'Osaka. Osaka est la deuxième agglomération après Tokyo. Or, dans le département de Tokyo, il y a à la fois des communes et 23 arrondissements à statut particulier. Le projet du département d'Osaka vise à mettre en place, comme à Tokyo, des arrondissements à statut particulier. D'ailleurs, une proposition de loi relative à la transformation des grandes villes en arrondissements à statut particulier a été votée par le Parlement l'été dernier.

La loi permet de supprimer la ville d'Osaka pour la remplacer par plusieurs arrondissements à statut particulier. Naturellement, les maires des villes désignées par décret ne se montrent pas bienveillants à l'égard d'une telle réorganisation territoriale qui pourrait entraîner la disparition de leurs communes. C'est pourquoi certains d'entre eux défendent l'idée d'un modèle proche de celui de la future métropole de Lyon : les villes désignées par décret remplaceraient ainsi, dans leurs limites administratives, le département.

Les données macro-économiques présentées ici montrent bien les défis auxquels est confronté le Japon. D'abord, sa superficie est plus réduite que celle de la France. Sa population, concentrée sur des zones habitables exiguës, vieillit rapidement et diminue. Le Japon connaît également de nombreuses catastrophes naturelles. La faible croissance économique qui dure depuis plusieurs années et la déflation ne facilitent pas la gestion financière des administrations publiques locales.

La désertification des commerces de centre-ville, l'implantation de grandes surfaces dans les zones périurbaines et les communes rurales dont la majorité de la population a plus de 65 ans, tous ces problèmes liés à un développement urbain déséquilibré ne sont que le reflet de ces données macro-économiques. La plupart des communes japonaises étant de grande taille, une zone urbanisée et une zone rurale coexistent dans leurs périmètres. Les communes jouent le premier rôle dans l'aménagement urbain et les maires doivent veiller au développement harmonieux et équilibré de l'ensemble du territoire.

La loi sur la dynamisation des centres-villes, modifiée en 2006 pour faire face aux problèmes de désertification des centres-villes, prévoit que les communes peuvent élaborer un programme-cadre pour le développement du centre-ville en concertation avec les acteurs économiques. Les villes de Kumamoto et d'Iida dont les maires sont ici présents sont aujourd'hui dotées de leurs programmes-cadres. Les communes dont le programme-cadre a été reconnu par le Premier ministre bénéficient de subventions d'État et de dérogations fiscales, financières et réglementaires.

Par ailleurs, la ville-centre d'une unité urbaine et ses communes environnantes peuvent conclure une convention pour créer un district urbain, qui leur permet de coordonner leur action dans l'organisation des services publics aux habitants de l'agglomération, et de freiner ainsi la dépopulation. La ville d'Iida a été la première à créer un district urbain avec ses communes proches avec lesquelles elle constitue un bassin de vie.

La ville de Kumamoto, quant à elle, s'est dotée du statut de ville désignée par décret en avril 2012. Elle mène des politiques d'aménagement urbain ambitieuses dignes de son nouveau statut.

Iida et Kumamoto ont des profils différents, mais ces villes sont toutes les deux des illustrations pertinentes de bonnes pratiques territoriales.

C. L'AMÉNAGEMENT URBAIN PAR L'AMÉLIORATION DE LA QUALITÉ DE VIE

M. Seishi KÔYAMA, maire de Kumamoto

Comme l'a souligné M. Toshifumi Kurose, le Japon compte 1 719 communes. Je suis très honoré que la ville de Kumamoto ait été choisie avec la ville d'Iida parmi toutes ces communes pour le présent colloque. La ville de Kumamoto s'est vu récemment attribuer le statut de ville désignée par décret. Ce nouveau statut juridique permet à la ville de Kumamoto d'exercer des compétences plus larges, et de relever ainsi de nombreux défis. Aujourd'hui, je vais parler du transport public et de la redynamisation du centre-ville. Comme l'a évoqué M. Toshifumi Kurose, le coeur de nombreuses villes japonaises se vide de ses commerces. Ce phénomène de désertification, appelé « rue des rideaux de fer baissé » ( shattâ-dôri ), n'est pas encore apparu à Kumamoto. On a toutefois constaté que le nombre de piétons au centre-ville tend à diminuer. J'aimerais donc vous présenter les actions menées par la commune pour freiner la désertification du centre-ville.

Mais tout d'abord, je vais vous présenter brièvement la ville de Kumamoto. Elle est située à environ 900 kilomètres, soit à une heure et demie de vol de Tokyo. Elle se trouve au centre de l'île de Kyûshû, située elle-même au sud-ouest de l'archipel japonais. À l'est de Kumamoto se dresse le mont Aso, volcan dont la caldeira est l'une des plus grandes au monde.

Kumamoto compte 740 000 habitants, soit 310 000 ménages. Elle s'étend sur une superficie de 390 kilomètres carrés. À l'est de la ville se trouve l'aéroport d'Aso-Kumamoto. À l'ouest, la ville donne sur la mer d'Ariake. Le centre-ville s'est développé autour du quartier historique, au pied du château de Kumamoto.

Depuis le 1 er avril 2012, Kumamoto est une ville désignée par décret, au même titre, par exemple, qu'Osaka, Nagoya, Yokohama et Sapporo. On compte à ce jour vingt villes désignées par décret. Il s'agit des communes dotées des compétences plus étendues et à ce titre d'un budget conséquent.

Cette photo présente le lac Ezu, situé à environ quatre kilomètres à l'est du centre de Kumamoto. Il y jaillit environ 400 000 mètres cubes d'eau de source par jour. De nombreux habitants viennent s'y délasser. C'est un havre de paix pour la population et un symbole de la qualité de l'environnement du territoire. Par ailleurs, pour le service de l'eau potable, la ville fournit de l'eau pure provenant des eaux souterraines. La qualité de l'eau est comparable à celle de l'eau minérale. Kumamoto est la seule ville du Japon, parmi les villes de plus de 500 000 habitants, à distribuer à l'ensemble de sa population de l'eau d'une telle qualité. Pour augmenter le volume d'eau souterraine disponible, nous accordons une aide aux riziculteurs pour qu'ils remplissent leurs rizières d'eau lorsqu'elles sont en jachère.

Cette année, la ville de Kumamoto a reçu le Prix ONU-Eau « L'eau, source de vie ». Ce prix, attribué par les Nations-Unies, récompense les meilleures pratiques de gestion de l'eau. Kumamoto est la première collectivité locale japonaise à s'être vue attribuer cette distinction. C'est notre action en faveur de la préservation des eaux souterraines mise en oeuvre à l'échelle intercommunale depuis plusieurs années qui a été reconnue. La gestion durable des eaux souterraines pour continuer à fournir aux habitants de l'eau de qualité en grande quantité est l'un de nos grands objectifs.

Les ressources en eau de qualité de notre ville favorisent une production agricole variée, comme la riziculture et la culture des aubergines et des tomates. La ville de Kumamoto occupe la première place de la production d'aubergines et de pastèques au Japon. En outre, le département de Kumamoto produit pour sa part du riz qui est le mieux noté sur le classement du meilleur riz japonais. L'importante production agricole de la ville permet donc de se procurer sur place des produits agricoles de qualité.

Par ailleurs, notre ville dispose d'un grand nombre d'hôpitaux et d'établissements d'enseignement supérieur. Elle se démarque nettement des autres villes désignées par décret par son nombre de médecins et d'étudiants.

La croissance démographique et la généralisation de la voiture pendant la période de forte croissance économique ont entraîné l'extension de la zone urbanisée de Kumamoto. Le Japon est aujourd'hui confronté au déclin démographique, conséquence de la dénatalité et du vieillissement de la population. La ville de Kumamoto enregistre néanmoins une légère hausse démographique. Cependant, d'après les prévisions, la ville n'échappera pas, à terme, à une baisse de la population. La faible densité démographique dans un grand espace urbanisé entraîne des problèmes comme, par exemple, celui de l'accès aux services publics ou de la mobilité des personnes âgées. Dans la mesure où la compétition entre les villes japonaises est de plus en plus féroce, la politique urbaine doit tenir compte des conséquences de l'étalement urbain, qui est peu favorable au développement et à l'attractivité du territoire. Je vais maintenant vous parler de la politique urbaine menée par la ville de Kumamoto dans ce contexte.

Le grand schéma d'urbanisme de Kumamoto présente le futur modèle urbain de la ville. L'objectif est de créer une ville durable dotée de multiples pôles interconnectés, qui s'adapte aux conséquences de la dénatalité et du vieillissement de la population.

La ville future sera composée d'un centre-ville entourée de quinze pôles locaux, qui sont eux-mêmes entourés de plusieurs pôles de vie. Les pôles locaux et les pôles de vie forment un bassin de vie. Le centre-ville et les pôles locaux seront étroitement reliés par un réseau de trains, de bus et de tramways, ainsi que par un réseau routier. Les pôles locaux seront reliés entre eux par ces moyens de communication. Le centre-ville est un quartier à fonctions multiples. Les pôles locaux, quant à eux, fournissent des services nécessaires à la vie quotidienne des citoyens. L'aménagement des infrastructures de transport représente donc un grand enjeu pour faciliter le déplacement entre différents secteurs.

La ville a en outre élaboré un plan d'action qui prévoit une réorganisation de l'administration communale, et un réaménagement du réseau de transport et du centre-ville. Ce plan vise à créer un meilleur cadre de vie et à faire de Kumamoto une ville attrayante. Concernant le réseau de transport, il faut qu'il soit accessible à tous. L'aménagement du centre-ville, quant à lui, a un triple objectif : valoriser le quartier historique et la nature, rendre le coeur de la ville vivant et animé, et faciliter les déplacements doux. Je vais maintenant vous présenter ce plan d'action en détail.

À Kumamoto, le nombre de voyageurs empruntant les bus a chuté de 30 % tandis que la fréquentation des trains reste à peu près stable, même si elle tend à diminuer légèrement. C'est donc la baisse sensible de la fréquentation des bus qui est l'une de nos préoccupations. Ce problème concerne toutefois un grand nombre de villes de province.

En mars 2012, nous avons rendu public le schéma des transports. Ce schéma esquisse le réseau de transports de demain qui reliera le centre-ville et les différents autres secteurs de la ville. Le schéma s'appuie sur les trois points suivants : renforcer le service des principales lignes, réorganiser le réseau de bus, et désenclaver les zones mal ou non desservies.

Pour ce qui est du renforcement du service des principales lignes, nous cherchons à améliorer la capacité, la rapidité et la régularité des transports publics de huit axes reliant le centre-ville et les quinze pôles locaux dont je viens de parler. En outre, les lignes de bus seront réorganisées pour assurer un service plus lisible et plus efficace. Pour désenclaver les zones mal ou non desservies, nous allons mettre en place des lignes de bus municipales en concertation avec les habitants des quartiers concernés.

En avril 2013, un règlement municipal sur le transport public a été adopté par notre conseil municipal pour mettre en oeuvre les actions prévues par le schéma des transports. C'est la première fois au Japon qu'un tel règlement municipal a été pris. La conception du service de transport est différente en France. À ce titre, nous avons beaucoup à apprendre auprès de la France et des autres pays européens.

Concernant le réaménagement du centre-ville, c'est le château de Kumamoto et le tramway qui sont emblématiques de notre ville. Les habitants sont très attachés au château et sont fiers de vivre à Kumamoto. Ce château est actuellement en cours de restauration. Édifié en 1607, il a été presque entièrement détruit par un incendie au cours de la guerre civile en 1877. Nous avons restauré le donjon en 1960, et les bâtiments principaux en 2008. Nous poursuivons actuellement la restauration pour laquelle nous recevons des dons en provenance du Japon, mais aussi des pays étrangers.

À côté du château, se trouve le quartier des passages couverts, qui relient le nord et le sud du centre-ville et qui abritent plus de 400 commerces. Heureusement ces commerces sont toujours en activité et leurs rideaux ne sont pas baissés. Ce secteur regroupe des magasins, des restaurants et des loisirs, et constitue la plus importante zone d'activités commerciales de la ville, voire de l'Ouest du Japon.

Entre le château et la gare ferroviaire, se trouvent les quartiers historiques de Shinmachi et Furumachi. Ces quartiers abritent quelque 400 maisons de commerçants traditionnelles en bois construites avant 1950. Nous restaurons et valorisons les maisons anciennes de ces quartiers qui occupent une place importante dans la politique urbaine de la ville en raison de leur situation géographique.

La gare de Kumamoto est desservie par les trains à grande vitesse depuis mars 2011. Les travaux d'aménagement des voies ferrées aériennes et de l'agrandissement du parvis situé devant la sortie Est de la gare sont engagés. Le nouveau parvis, conçu par l'architecte Ryûe Nishizawa, est équipé notamment d'un grand toit qui ressemble à un nuage flottant dans le bois. Ce toit abrite l'arrêt du tramway. Une passerelle relie le parvis et le quartier qui fait l'objet d'un projet de réaménagement. Le bâtiment de la gare sera également rénové. Le mur extérieur courbé du futur bâtiment dessiné par l'architecte Tadao Andô s'inspire du mur en pierre du château de Kumamoto qui empêchait les assaillants d'y pénétrer. La nouvelle gare, dont l'achèvement est prévu pour 2018, sera la nouvelle vitrine de Kumamoto, mettant en avant sa beauté et son énergie.

S'agissant du projet de réaménagement du centre-ville, il concerne les quartiers de Hanabata et de Sakuramachi qui se situent au sud du château et la grande rue appelée « Symbol road » qui sépare ces quartiers.

À la fin de l'époque Edo au XIX e siècle, ce secteur abritait une résidence du seigneur du fief appelé « Yôshuntei ». Cette résidence possédait un jardin paysager traditionnel. L'aspect historique sera pris en compte dans le programme de réaménagement du quartier.

Nous aimerions faire de la rue « Symbol road » un grand espace attrayant « Symbol promenade » qui sera en quelque sorte un grand salon urbain contigu au château. La longueur de cette rue est de 200 mètres et sa largeur est de 30 mètres. Elle compte quatre voies. Elle sera interdite à la circulation et sera réservée aux piétons. La continuité entre les quartiers de Hanabata et de Sakuramachi et les passages couverts, d'une part, et entre les espaces verts situés à proximité et l'espace piéton, d'autre part, devrait être privilégiée pour la création d'un espace urbain plus harmonieux.

Le projet de réaménagement du quartier de Sakuramachi s'inspire du jardin paysager de la résidence du seigneur dont je viens de parler. Il est prévu de rénover le terminal de bus et le centre commercial. Un centre de congrès pouvant accueillir 3 000 personnes sera également construit. Les concerts et salons organisés dans cet équipement offriront davantage d'animation aux habitants. J'espère que notre projet urbain rendra ce secteur situé à côté du château encore plus attractif pour les citoyens, et qu'il leur offrira une meilleure qualité de vie.

D. LA TRANSFORMATION DE LA VILLE DE LENS

M. Michael BISMUTH, modérateur

La ville de Lens a un passé ouvrier. Une nouvelle dynamique a été lancée avec l'installation du Louvre-Lens, qui se veut le Louvre autrement. Que pouvez-vous nous dire de l'impact de l'ouverture du Louvre-Lens sur la transformation de la centralité lensoise et sur son rayonnement national et international ?

M. Sylvain ROBERT, maire de Lens

Avant de commencer, je tiens à remercier M. David Assouline d'avoir associé la ville de Lens à ce colloque, et je souligne que le musée qui a transformé notre ville a été dessiné par un cabinet d'architectes japonais.

Le musée du Louvre, la plus grande marque culturelle du monde, a souhaité, dans une opération de décentralisation culturelle, s'implanter sur notre territoire. Comme vous le voyez sur cette image, le musée s'est implanté dans un tissu urbain très diffus. Ouvert il y a dix mois, le musée a déjà reçu 800 000 visiteurs. En termes de développement social, il a été décidé d'assurer la gratuité des visites des collections pour accueillir le public le plus large possible.

Ma présentation vise à vous montrer comment nous avons fait évoluer notre projet de ville à partir d'une initiative de décentralisation culturelle. La ville de Lens était retenue au titre des quartiers ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine), marqués par un renouvellement urbain assez fort.

Lens est située à 200 kilomètres au nord de Paris, dans un territoire très industriel du début du siècle, lié à l'exploitation charbonnière, et au coeur d'une Euro-région entre la Belgique, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la région nord de la France. La géographie urbaine de Lens est assez atypique, issue de l'exploitation charbonnière et des corons. Le Louvre-Lens a donc été construit au coeur du tissu urbain des cités de mineurs. Dès lors, il s'est agi, pour la ville et les différentes collectivités associées au projet, de construire un projet cohérent pour que la ville puisse se retrouver autour du musée. Au-delà de la ville, l'ambition était de faire percevoir la ville de façon différente à l'extérieur.

Lens est une ville assez concentrée, d'une surface assez réduite. Elle compte 37 000 habitants. En revanche, elle se trouve au coeur d'une agglomération de 250 000 habitants. Cette imbrication des villes par rapport aux autres nous a incités à nous demander comment partir de ces atouts pour construire notre projet urbain.

Les atouts actuels de la ville de Lens ont été identifiés par un cabinet de paysagistes. L'agglomération est un tissu mixte, avec des villes très petites. La centralité se trouve au centre-ville de Lens, et dans une moindre mesure au niveau du centre-ville de Liévin, un peu plus diffus. L'objectif était de relier les avantages de ces centres pour en faire un véritable tissu cohérent, au travers de quatre axes : le paysage, l'identification des pôles d'attractivité, la mobilité et la présence de l'élément de l'eau.

Le sénateur, M. Daniel Percheron a comparé le Louvre-Lens au musée Guggenheim de Bilbao. Avec l'arrivée de ce dernier, la ville de Bilbao s'est reconstruite autour d'un élément fédérateur : le fleuve. À Lens, en l'absence de fleuve, il s'agit de tisser un lien de mobilité à travers les transports en commun de grande capacité.

L'enjeu, à partir du Louvre-Lens, consiste à créer un « archipel vert » reliant les structures présentes sur le territoire les unes aux autres, en suivant un mouvement concentrique. Le premier cercle correspond aux abords du Louvre. Le dispositif s'élargit ensuite à l'ensemble de l'agglomération. L'objectif est de proposer une nouvelle lecture urbaine, plus large que le périmètre des cités minières.

Parmi les éléments marquants du territoire, il convient de citer le club de football, qui a connu des heures glorieuses et, nous l'espérons, rejoindra l'élite à l'avenir. Le stade Bollaert était ainsi un élément symbolique qui fédérait la population autour d'un site une à deux fois par mois. Le Louvre fédère un autre type de population, complémentaire, et permet de disposer d'autres vecteurs porteurs pour le territoire. Des corridors boisés ont été créés pour relier l'ensemble de ces espaces micro-urbains. Il importe de créer ces liaisons afin de conférer à la ville une taille critique, pour créer une véritable métropole.

Depuis l'ouverture du musée, le premier défi a été relevé, avec une fréquentation élevée. 71 nationalités se sont rendues au Louvre, et 400 000 visiteurs régionaux. Nous assistons donc à une appropriation culturelle inédite. Les visiteurs du musée se rendent également dans la ville de Lens. Il s'agit là d'un potentiel touristique sur lequel nous souhaitons capitaliser. Notre ambition est de faire évoluer notre ville, de changer son image. Le nord de la France a longtemps été associé à des paysages noirs. Nous espérons qu'il évoquera désormais un « espace vert », et nous souhaitons poursuivre ces développements culturels, paysagers et économiques dans les années à venir.

E. EXEMPLE DE LA VILLE D'IIDA : RECONSTRUIRE LA VILLE EN PÉRIODE DE DÉPOPULATION

M. Mitsuo MAKINO, maire d'Iida

Je vous remercie de m'avoir invité à ce colloque franco-japonais sur l'aménagement urbain. La ville d'Iida se trouve au centre du Japon, à mi-chemin entre Tokyo et Nagoya. Elle est entourée par deux chaînes montagneuses des Alpes japonaises, Alpes centrales et Alpes du Sud, d'environ 3 000 mètres d'altitude. Sa population s'élève à 105 000 habitants.

Vous pouvez voir sur cette carte le tracé du projet de train à sustentation magnétique, qui sera mis en service d'ici quatorze ans. Il y a un mois, il a été annoncé que la ville d'Iida ferait partie des villes desservies par ce train, et notre ville est devenue tout à coup célèbre au Japon. Le vaste territoire communal s'étend sur environ 658 km 2 et est traversé par le fleuve Tenryû-gawa. L'altitude de la ville atteint 3 000 mètres par certains endroits. Iida et 14 communes environnantes constituent un district urbain d'une population de 170 000 habitants. Iida est la ville-centre de cette unité urbaine.

Le centre-ville d'Iida a été presque entièrement dévasté par un incendie en 1947. 80 % de ce secteur a été détruit non pas par les bombardements, mais par le feu. L'histoire d'après-guerre de la ville a donc commencé avec cette ruine. La ville était alors occupée par l'armée américaine. Trois allées coupe-feu d'une largeur de trente à quarante mètres ont été aménagées. Pour la première fois après la Seconde Guerre mondiale, un plan d'urbanisme a été mis en oeuvre dans une ville de province du Japon et la ville en question était Iida. Comme l'automobile n'était pas encore très développée, les habitants se sont posé des questions sur l'utilité d'allées d'une telle largeur. Les enfants de la ville ont proposé d'y planter une rangée de pommiers. Ils ont même proposé de s'occuper de ces pommiers pour faire d'Iida une belle ville. Depuis, soixante ans se sont écoulés. L'allée de pommiers traverse toujours le centre-ville. Génération après génération, les collégiens se sont occupés de ces arbres. Il s'agit du point de départ de notre urbanisme. Le soin apporté à ces pommiers est emblématique de l'état d'esprit des habitants d'Iida.

Nous avons déjà évoqué le déclin démographique qui frappe le Japon. Il y a environ cent ans, sa population était d'environ 33 millions d'habitants. Elle a ensuite atteint son plus haut niveau avec plus de 120 millions d'habitants en 2000 avant de baisser. Elle arrivera d'ici cent ans au même niveau qu'il y a cent ans. On estime que la population sera de 47 millions d'habitants en 2100. La situation est choquante. Et la part des personnes de plus de 65 ans dans la population totale, qui est actuellement d'environ 20 %, augmente. Elle atteindra 40 % en 2100. Dans cette situation, il convient de se demander comment mener à bien une politique de la ville durable. Tel est le défi auquel sont confrontées les collectivités locales japonaises, quelle que soit leur taille. Iida ne fait pas exception. Le district urbain comptait plus de 210 000 habitants en 1950. Aujourd'hui, il compte moins de 170 000 habitants. En 2035, on estime qu'il n'y aura plus que 130 000 habitants. À l'époque où la population augmentait, l'urbanisation a progressé, et les communes ont fusionné. C'est ainsi que le centre-ville et ses zones périphériques ainsi que des zones rurales ont formé une grande agglomération.

Aujourd'hui, le problème du déclin démographique nous amène à réfléchir à l'aménagement urbain de demain. Certains préconisent de créer une ville compacte, en concentrant la population dans la zone centrale de la ville, mais notre commune ne mène pas de politique urbaine dans ce sens. Comme je vous en ai parlé tout à l'heure, au centre-ville d'Iida, les enfants apprécient les pommiers dont ils s'occupent avec soin. Devant le musée des beaux-arts, il y a un magnifique cerisier centenaire. La zone industrielle située en périphérie du centre-ville bénéficie d'un environnement agréable. La vallée de Tenryû est un site touristique de grande renommée. La ville s'adosse au Mont Kazakoshi, montagne emblématique d'Iida. Il y a des villages traditionnels authentiques toujours habités à 1000 mètres d'altitude, dans les Alpes du Sud. Dans les zones rurales, on trouve des rizières en terrasses ou des maisons traditionnelles. À l'automne, des chapelets de kakis sont suspendus autour de ces maisons pour la préparation des fruits secs. Tout cela fait partie d'Iida, et il n'est pas envisageable de supprimer tous ces quartiers magnifiques présentant chacun ses spécificités, pour regrouper leurs habitants dans un seul secteur. Notre approche vise à conserver ces pôles locaux qui constituent des bassins de vie et à assurer une meilleure coordination entre eux. Cette politique est similaire à celle de Kumamoto.

Dans un tel contexte démographique, il nous importe de préserver les spécificités et l'identité de chaque quartier, et d'assurer une gestion urbaine durable pour l'ensemble du territoire communal. La même politique urbaine durable doit être menée également à l'échelle de l'agglomération. En effet, le territoire couvrant Iida et les treize autres communes constitue un bassin économique et de vie. Les communes situées autour d'Iida sont également des pôles locaux et nous devons les coordonner entre eux d'une part, et entre eux et Iida, d'autre part.

J'aimerais vous présenter le service médical et le service en faveur du développement économique mis en oeuvre dans le cadre du district urbain. D'abord, en matière de santé, les Japonais bénéficient d'une longévité exceptionnelle. Les habitants du département de Nagano, dans lequel se situe la ville d'Iida, vivent plus longtemps, et les habitants d'Iida, en particulier, battent des records. L'espérance de vie à Iida et ses environs est de 80,5 ans pour les hommes, et de 87,3 ans pour les femmes. Et dans notre agglomération, les dépenses de sécurité sociale pour les personnes âgées de 75 ans et plus s'élèvent à 5 600 euros par an. Ce montant est inférieur à la moyenne nationale. Cela signifie que les personnes âgées restent longtemps en bonne santé. Le nombre de médecins pour 100 000 habitants est de 173 dans notre région, tandis que la moyenne nationale est de 219. Il y a donc moins de médecins dans notre région, mais nous n'avons pas de problème de désertification médicale.

Le service médical est organisé à l'échelle du district. L'hôpital municipal d'Iida traite plutôt des cas pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Les autres cas sont pris en charge par les autres établissements hospitaliers. Les cabinets médicaux et dispensaires assurent pour leur part la consultation pour les patients sans signe de gravité. Cette répartition des rôles permet d'offrir des soins médicaux sur l'ensemble du territoire avec un nombre limité de médecins. Ce service s'appuie sur une convention signée par les quatorze communes qui font partie du district.

Les quatorze communes coopèrent également pour la promotion économique du territoire. Les organisations patronales et les collectivités locales ont créé le Centre industriel Shinshû du sud-Iida pour soutenir l'innovation. À titre d'exemple, une société privée implantée à Iida a installé des panneaux photovoltaïques sur le toit d'une crèche municipale. L'installation a pu être réalisée grâce à un fond d'investissement dont des citoyens d'Iida et des autres régions du Japon ont acquis des parts. Si l'administration communale avait été la seule à financer ce projet, son budget aurait été beaucoup moins important. La ville d'Iida est labellisée « ville modèle pour l'environnement ».

Enfin, la région compte de nombreuses entreprises qui s'associent dans le cadre d'un grand projet industriel. Ces entreprises, spécialisées dans la mécanique de précision ou l'électronique, mutualisent leurs savoir-faire pour produire des pièces aéronautiques. Grâce à ce projet, les entreprises de notre territoire pourront fournir à l'avenir des pièces techniques à Airbus ou à Boeing.

Tous ces projets ne pourraient pas être menés à bien par une seule ville. La dynamique intercommunale s'avère donc décisive pour faire face aux défis du déclin démographique.

Dans quatorze ans, le train à sustentation magnétique reliera Iida à Tokyo en 40 minutes, contre quatre heures en bus aujourd'hui. Osaka et Nagoya seront respectivement à 40 minutes et 20 minutes. Les habitants ne sont pas pour autant enthousiastes. Pourquoi ? Je viens de vous parler des pôles locaux dont nous devons assurer le développement équilibré et durable. La population diminue et les acteurs locaux mènent une réflexion sur la politique urbaine de demain. Le projet du train à sustentation magnétique est un nouvel élément à prendre en considération dans notre politique urbaine. L'aménagement urbain du secteur de la future gare risque de nuire au développement des autres secteurs. Il est donc nécessaire de considérer le quartier de la future gare comme un nouveau pôle local, et de mener une politique urbaine permettant à chacun des pôles locaux de jouer pleinement son rôle. La ville d'Iida et ses communes environnantes continueront à travailler ensemble pour créer le territoire de demain.

III. TÉMOIGNAGES ET ÉCHANGES

A. TÉMOIGNAGES D'ARCHITECTES

M. Michael BISMUTH, modérateur

Je remercie les maires pour leurs interventions. Il est temps à présent de passer à la deuxième phase de notre table ronde, en cédant la parole aux architectes urbanistes.

Dans quelle mesure ce que vous appelez la « condition urbaine » est-elle multiple, et quel rôle les architectes peuvent-ils jouer dans le devenir de l'urbain ?

Mme Nasrine SERAJI, architecte, directrice de l'École nationale supérieure d'architecture Paris-Malaquais

Je vous remercie de m'avoir invitée à ce colloque, bien que je ne sois ni japonaise ni française. L'amour que je porte à ces deux cultures et à ces deux villes, Paris et Tokyo, a dû jouer le jeu du hasard.

Il est très difficile de parler de la ville et de l'urbanisme en quinze minutes, qui plus est dans une langue qui n'est pas ma langue maternelle. À mon sens, l'urbanisme et le paysage ont besoin de temps. Les maires ont l'habitude de faire la synthèse et de se limiter au temps qui leur est imparti, ne serait-ce que par leur mandat.

Aujourd'hui, la « condition urbaine » et la « condition mondiale » contemporaines nous offrent un certain nombre de statistiques. Ainsi, nous avons entendu précédemment que 50 000 personnes ont rejoint les aires urbaines pendant la durée du discours de M. Jean-Pierre Sueur.

Les trois quarts de la population mondiale vivent dans les villes. Cette proportion ne cesse d'augmenter. Mais de quelles villes s'agit-il ? S'agit-il des villes anciennes connaissant un développement foudroyant, comme ma ville natale, Téhéran, ou bien Shanghai ou encore Bombay ? S'agit-il de mégapoles émergentes, comme Shenzhen en Chine ? De grandes villes historiques, en compétition les unes avec les autres, comme New-York, Tokyo, Londres ou Paris ? S'agit-il encore de banlieues, que les Américains appellent « suburbs » ou de villes diffuses ? Il existe peut-être d'autres types de villes. La généralisation de la condition urbaine a pour corollaire le brouillage de la notion de ville. Nous ne savons plus de quoi nous parlons. Cette situation interroge notre manière d'envisager l'idée même de la ville. On vit très différemment dans ces villes, en particulier en fonction de son rang économique et social. La condition urbaine est donc, en réalité, multiple.

Je m'attarderai simplement sur deux exemples : Paris et Tokyo.

Paris, ville sédimentaire, régulière, pieusement préservée, enfermée dans son boulevard périphérique, hyper-centralisée et de tout temps planifiée, dense. Paris intra-muros compte deux millions d'habitants. La région de Paris compte quant à elle 11 millions d'habitants dont on ne parle jamais, que l'on commence à peine à désigner par la notion de « Grand Paris ». Elle est peu dense et divisée en centaines de communes.

Tokyo, nappe plusieurs fois rasée et reconstruite, aire urbaine de 35 millions d'habitants, soit près du quart de la population japonaise sur 2 % du territoire. Elle s'est développée sans planification publique centralisée. Elle se caractérise par une densité extraordinaire, une extension sur l'eau et sans crainte du territoire artificiel, ce qui est totalement exclu en France et à Paris.

Les deux villes sont donc presque opposées en termes d'histoire, de morphologie, de taille et d'imaginaire urbain. Elles ont néanmoins un point commun, à savoir une Tour Eiffel.

Dans ce contexte, que devient ce qui ne relève pas de la ville ? La campagne, le paysage, la géographie sont-ils en voie de disparition, d'urbanisation, ou entretenus comme des aires urbaines qui fuient les villes ? Renvoient-ils à la poursuite du rêve de la maison individuelle avec jardin ? À la multiplication des lotissements génériques, qui grignotent la campagne, recréant des nouvelles villes, dénuées de certains des avantages de la ville initiale ?

En parallèle, les questions écologiques se posent avec de plus en plus d'acuité : énergie, transport, climat. Dès lors, comment l'urbaniste et l'architecte peuvent-ils intervenir ? Ils peuvent aider à clarifier et comprendre une situation, et à penser des voies alternatives à celles qui résultent du simple jeu des intérêts économiques ou politiques.

Les urbanistes sont souvent trop timides, trop conventionnels, trop peu sollicités et soutenus par la sphère politique et le grand public. Or, je suis convaincue que nous pouvons contribuer à réinventer la manière de penser, explorer et projeter l'aménagement du territoire. La question essentielle à poser est la suivante : quel sera notre cadre de vie ?

Ce futur cadre de vie ne peut se prédire, sauf si on le déduit du présent. Il conviendrait plutôt de le construire. La question devient alors la suivante : quel environnement vital pourrions-nous désirer ?

Je pense que nous nous trouvons à un moment où certaines utopies urbanistes sont redevenues possibles. Dans les années 1950 et 1960, les initiatives des urbanistes étaient beaucoup plus audacieuses, en France comme au Japon. Il est peut-être possible, non pas de reconstruire le passé, mais de tirer des enseignements de ce passé. En France, Le Corbusier, puis le Congrès international d'architecture moderne (CIAM) ont fait que l'Europe possède une histoire singulière et puissante en matière de logement. Au Japon, Kenzô Tange et les métabolistes ont créé une attitude culturelle spécifique d'appropriation de l'espace public. Nous pourrions peut-être repenser ces utopies à neuf, y compris certaines utopies antérieures, en réactualisant des modèles urbains produits dans des circonstances antérieures comparables, comme l'industrialisation massive de l'Occident au XIX e siècle et la création de la cité-jardin.

Aujourd'hui, je souhaite poser la question : la cité-jardin peut-elle devenir métropolitaine ?

M. Michael BISMUTH, modérateur

Que pouvez-vous dire des conceptions architecturales que vous développez dans le cadre des projets sur lesquels vous travaillez ? À quelles préoccupations êtes-vous sensible lorsqu'il s'agit de penser l'aménagement urbain de demain, plus particulièrement lorsqu'il s'agit de bâtir un édifice culturel autour duquel on réorganise une ville, comme le MuCEM à Marseille ?

M. Rudy RICCIOTTI, architecte

Avant de commencer, je tiens à dire à nos amis japonais, combien j'ai été choqué, tout comme des millions de Français, par le drame de Fukushima. Cet événement tragique nous a rappelé avec brutalité l'inopérabilité de la planification, qui doit interpeller les architectes, mais aussi les décideurs publics.

Je ne suis pas certain d'être le bon invité pour cet événement. À mon sens, nous n'avons pas de leçon à donner à nos frères japonais. Plutôt que la prospective et l'utopie, j'estime que nous devons plutôt partager les maux que nous avons en commun.

Pour moi, l'utopie constitue à mon sens une autre version de la pornographie. Je ne crois pas en cette notion. Le mot utopie contient, sémantiquement, le renoncement à un réel, qui confine au morbide. Quant au mot « prospective », il dénote selon moi une imprudence extrême.

Les mots de la planification urbaine relèvent souvent d'un vocabulaire technocratique. Ils sont utilisés par des experts appelés à conseiller les élus. Ils relèvent également d'un autre vocabulaire - celui d'une séduction beaucoup plus récente - lui-même hybridation d'une poésie de palais. Il est donc très difficile d'avoir une vision sur le réel que nous devons transformer puisque tel est notre destin collectif, tous ensemble, en tant que citoyens.

Je suis plutôt prudent et dans la désillusion. À mon sens, en Europe, la vraie question à régler est celle de l'épuisement européen. Pour nous Occidentaux, et pour vous aussi peut-être, Japonais - même si je me suis rendu plusieurs fois au Japon, la culture japonaise reste pour moi un mystère -, la question principale est celle de l'exil de la beauté, ou même de la peur de la beauté. En effet, par un voyage néo-marxien, le mot beauté nous est devenu suspect. Je trouve cela édifiant. Exiger la beauté semble aussi grave qu'exiger la vulgarité. Cette situation est à mon sens effrayante.

Face au constat de l'exil de la beauté, de l'épuisement européen et de la disparition de la culture critique, de l'éloge des lieux communs, j'en viens à penser que nous vivons une époque fondamentalement marquée par la névrose situationniste. La mode porte sur des auteurs comme Camus, Pasolini. Lorsque j'avais vingt ans, j'ai lu Sartre. Mais lorsque ce dernier a reproché à Camus d'être un philosophe approximatif, Camus a répondu qu'il était fatigué d'être jugé par un homme n'ayant pour instinct que de placer son fauteuil dans le sens de l'histoire. Il nous appartient de choisir un territoire. Pour ma part, j'ai choisi. Je me place du côté de Camus, et certainement pas du côté de la névrose d'une mémoire marxienne qui n'en finit plus de mourir et ne nous aide aucunement à reconstituer un corpus de savoir sur l'aménagement du territoire.

Je vous propose, comme champ de réflexion critique, d'aborder un nouveau registre sémantique, celui de la désillusion, pour opérer un regard nous ouvrant le droit à une nostalgie, une nostalgie dirigée vers la vieille Europe. Je ne parle pas, comme le souligne ma collègue Nasrine Seraji, de la période moderne. Pour ma part, j'exècre cette période moderne. Je suis un architecte profondément réactionnaire. Pour moi, il s'agit d'une grossière erreur de considérer la modernité comme un projet valable. Il me semble inepte que les universités continuent à enseigner aux élèves architectes le rêve d'une modernité inachevée. La modernité, censée incarner un point de rupture, a atteint un point culminant de haine avec le Bauhaus, qui considère le décor comme l'attribut de la scène bourgeoise. Je veux vivre dans un espace dont le relief est provincial, réactionnaire, maniériste et petit bourgeois.

Mon travail s'ancre dans un désir de récit, de narration et de questionnement sur la matérialité du réel. Il s'agit d'un véritable combat esthétique. Nous devons activer cette interrogation. À mon sens, elle constitue le coeur de notre débat.

Si l'on décline cette idée, on peut souligner que l'activation du réel, adossé à la matérialité du réel, renvoie à la culture du travail, de l'effort. À cet égard, je suis également réactionnaire, maniériste, petit bourgeois et patriote. Autrement dit, ce qui m'intéresse, en tant qu'architecte, c'est de fabriquer des bâtiments suffisamment sophistiqués, mais qui refusent le consumérisme technologique, s'inscrivent sur des chaînes courtes de fabrication, et appellent de gros coefficients de main-d'oeuvre.

Je m'oppose à la mémoire marxiste consistant à condamner le monde du travail, aux architectes des années 1970, qui préconisaient des bâtiments simples à construire pour réduire le coût de la main-d'oeuvre. Il s'agit à mon avis d'une approche criminelle. À mon sens, elle a donné lieu à la destruction de la cité européenne. Je ne partage rien avec eux.

Je nous encourage donc à être collectivement réactionnaires, en quête d'un récit. Nous devons nous raccrocher aux derniers soubresauts de poésie qui existent encore, en refusant l'exil de la beauté. Enfin, être maniériste, cela revient, comme le poète Jules Barbey d'Aurevilly, à fabriquer les phrases les plus longues possible. Il en va de même en architecture. Si nous voulons inscrire une matière sur la mémoire et dans les faits économiques, il nous faut bâtir un récit avec les phrases les plus longues possibles.

M. Michael BISMUTH, modérateur

Monsieur Riken Yamamoto, vos conceptions architecturales tranchent par leur originalité. Vous plaidez en faveur d'un espace communautaire local, dans une approche très personnelle des rapports entre les espaces collectifs et les espaces privatifs. Ces reconfigurations sont très intéressantes, tant du point de vue des rapports créés entre les individus que des bénéfices environnementaux qui en résultent.

M. Riken YAMAMOTO, architecte

Je me permets de vous présenter brièvement mon travail récent et actuel. D'abord, je suis actuellement engagé dans le projet d'aménagement d'un nouveau complexe aéroportuaire à Zurich d'une superficie totale de 220 000 m 2 . Ce complexe abrite entre autres un hôtel, une salle polyvalente, des boutiques et des sièges d'entreprises. Son inauguration est prévue pour 2018. Je me déplace à Zurich dans ce cadre une fois par mois. D'ailleurs, une exposition consacrée à ce projet se tient actuellement à Lucerne. J'ai par ailleurs conçu, à Pékin, il y a 7 ans, un grand complexe de 700 000 m 2 composé d'un centre commercial et de logements. Je fais aussi partie de cinq architectes bénévoles qui participent au projet « House for all » pour créer de petits logements pour les sinistrés du grand tremblement de terre dans la région du Tôhoku.

Profitant de la présence des maires de Kumamoto et d'Iida, et de maires français, je souhaite vous parler de la réflexion que je mène sur la relation entre l'architecture et la ville.

Mon projet porte sur un espace communautaire local centré sur l'habitat, mais aussi sur les infrastructures. Nasrine Seraji a souligné qu'il convenait aujourd'hui de réfléchir à nouveau sur la ville, et je partage tout à fait son point de vue. Or, la grande erreur de l'urbanisme du XX e siècle, c'est que certaines zones ont été exclusivement dédiées aux habitations. L'idée était de fournir un logement à une famille, et les logements ont été construits dans des zones prévues à cet effet. Dans une zone résidentielle, il n'y a que des logements destinés aux familles. Comme cela a été souligné précédemment par M. Jean-Pierre Sueur, le zonage constitue une erreur d'approche. Cette erreur concerne également les zones résidentielles. Sous l'influence de l'Europe, nous avons créé également des zones réservées à l'habitation à partir de 1945 à Tokyo, mais aussi sur l'ensemble du territoire. Les Japonais ont cru qu'il s'agissait du modèle-type d'urbanisme. Pourtant, toutes ces zones résidentielles connaissent actuellement de grandes difficultés. Et les villes nouvelles, créées dans de vastes zones résidentielles, dans les années 1970 et 1980, sont aujourd'hui confrontées aux problèmes massifs de dénatalité et de vieillissement démographique. Ces villes nouvelles n'ont pas été aménagées par les collectivités locales, mais sous l'impulsion de l'État. Certaines villes nouvelles s'étendent sur plusieurs communes. Leur aménagement a été conduit par le ministère de l'aménagement du territoire, des infrastructures et des transports, et a été réalisé par l'ancien Office public de l'habitat, appelé aujourd'hui l'Agence pour le renouvellement urbain. Il s'agit donc d'un aménagement urbain conçu par des technocrates qui pose de sérieux problèmes aujourd'hui. La ville nouvelle étant elle aussi un modèle urbain inspiré par l'Europe, je crois qu'il y en a également en France. La situation est la même pour les logements HLM construits par les collectivités locales dans les années 1960-1970.

Tous ces logements ont été donc aménagés dans des zones réservées à l'habitation, selon le modèle urbain promu par le Congrès international d'architecture moderne (CIAM). Mais à une époque antérieure, la France a servi de référence pour la fourniture de logements. À Mulhouse, des logements pour les ouvriers ont été construits dans les années 1850. Et le Japon a aménagé des logements pour les ouvriers à l'instar de la ville française. Après la Première Guerre mondiale, la France a construit massivement des logements collectifs. Le Japon a, pour sa part, mis en oeuvre la même politique après la Seconde Guerre mondiale.

Qu'en est-il de nos jours ?

Dans les années 1960, on comptait au Japon quatre habitants par logement. La part des personnes âgées de 65 ans et plus dans la population totale était de 15 % à l'époque. En 2013, cette proportion est proche de 25 % à Tokyo. Par ailleurs, aujourd'hui, un logement n'est plus occupé que par deux personnes en moyenne à Tokyo, majoritairement des personnes âgées. Le même phénomène se retrouve dans d'autres villes japonaises, même à Kumamoto et Iida. Certes, il existe aussi des familles de quatre ou cinq personnes, mais dans la mesure où il s'agit d'une moyenne, cela signifie que de nombreux logements sont occupés par une seule personne. Dès lors, est-il justifié de continuer à proposer des logements conçus originellement pour quatre personnes ? Ces personnes vivant seules sont-elles d'ailleurs en mesure d'entretenir de tels logements ? Dans les années 1960, la femme au foyer s'occupait de sa famille. Aujourd'hui, nous assistons à un effondrement complet de ce modèle. Malgré cela, les constructeurs-promoteurs privés continuent à proposer des logements de type familial. Autrement, ils proposent des studios d'environ 20 m 2 pour une personne. Il n'existe donc que ces deux types de logements.

Actuellement, il n'y a plus que les constructeurs privés qui aménagent des logements. Le secteur public n'intervient presque plus. Une telle situation nous amène à réfléchir sur l'aménagement urbain et sur l'habitat de demain.

Prenons un exemple. Vous voyez ici, sur ce plan de Tokyo, les zones à forte densité de construction en bois. Ces quartiers risquent d'être dévastés en cas d'incendie. Ils ont été aménagés après la Seconde Guerre mondiale, et de nos jours, ils subsistent. Le département de Tokyo a pour objectif de remplacer ces habitations en bois par des habitations résistant au feu. Naturellement, toutes ces maisons ont été construites pour les familles. Il s'agit d'un quartier de l'arrondissement de Toshima, qui se trouve à proximité immédiate de la zone ultra-moderne de Sunshine City . Ce quartier constitue donc une sorte d'enclave de constructions en bois. Le département de Tokyo souhaite ignifuger ces habitations, car les ruelles du quartier sont en outre très étroites. Leur largeur n'est que de deux mètres environ. Au Japon, la loi interdit toute construction donnant sur une route dont la largeur est de moins de quatre mètres. Ce quartier a été aménagé avant cette loi. La plupart des habitations en bois du quartier donnent sur une rue de moins de quatre mètres de large. Dans ce contexte, la survenue d'un séisme ou d'un incendie entraînerait inévitablement des dégâts considérables. Le département essaie par conséquent d'élargir les rues à quatre mètres, voire à six mètres, par voie réglementaire. La photo aérienne de ce quartier ne nous permet même pas d'identifier les ruelles, tant la zone est dense en habitations. Les maisons donnant sur une voie plus large seront remplacées par des logements collectifs.

Les quartiers, comme celui-ci, présentent également des aspects positifs. Premièrement, les voitures ne peuvent pas circuler dans les quartiers et les enfants peuvent y jouer en toute tranquillité. Deuxièmement, on y trouve de petits commerces de proximité. Ces lieux sont animés par un esprit de communauté et les habitants ont plaisir à y vivre. Je travaille actuellement avec l'arrondissement de Toshima et cherche à trouver une solution pour garantir la sécurité du quartier, sans élargir les voies. À mon sens, le projet de réaménagement doit porter non seulement sur les infrastructures, mais aussi sur les liens des habitants qui vivent ensemble dans cet espace communautaire local. Lors du séisme de Kobe, il y a eu moins de morts dans les quartiers où les liens entre les habitants étaient forts. Les habitants se connaissaient bien et cela a facilité la recherche de voisins survivants. C'est ce lien solidaire qui caractérise la richesse de la vie dans un espace communautaire local. L'élargissement des ruelles mettra en péril cet espace de solidarité, en laissant aussi passer les voitures dans les rues. Dès lors, que faire ?

Sur cette photo, vous voyez des murs en parpaing. Ils présentent un grand danger, car en cas de séisme, ils tombent à coup sûr. Et le mur écroulé empêche les pompiers d'assurer les opérations de lutte contre l'incendie et de secours. Le respect de la vie privée est une idée venue d'Europe. Elle est aujourd'hui aussi forte au Japon qu'en Europe. Les citoyens souhaitent préserver leur vie privée en érigeant tous ces murs. Pourtant, c'est l'existence de ces murs en parpaing qui rend ce lieu dangereux.

Mon projet commence par enlever ces murs. Vous voyez ici des réservoirs permettant de recueillir l'eau de pluie. Ces réservoirs coûtent environ 50 000 yens, soit environ 500 euros. Ils sont très utiles en cas d'incendie. Il faut également prévoir l'installation de tuyaux d'incendie. Certains experts en prévention des risques disent que la présence de tels équipements à proximité suffit pour lutter efficacement contre l'incendie.

Et à l'entrée des maisons, je propose d'installer un engawa , qui est une bande de sol suspendue en bois installée devant la fenêtre des pièces dans les maisons traditionnelles japonaises. Ces engawa pourraient abriter des petites enseignes de commerce ou d'artisanat. Avec la création des villes modernes, les petits commerces ont disparu des quartiers. Au XIV e siècle, à Paris, on dénombrait plus de 130 sortes de métiers. Il existait des corporations des différents métiers à Paris et dans les villes d'Europe qui étaient autrefois de petite taille. C'étaient des commerçants et artisans qui animaient les villes. Les constructions n'étaient pas dédiées au logement. Au Japon aussi, on trouvait une majorité de maisons de commerçants. M. Seishi Kôyama a parlé des maisons de commerçants traditionnelles en bois de Kumamoto. Les occupants de ces maisons travaillaient et vivaient au même endroit. On construisait, au Japon comme en Europe, des bâtiments qui servaient à la fois aux commerces et à l'habitation. À partir du XIX e siècle, la distinction entre l'habitat et le lieu de travail est apparue. Je propose de réunir à nouveau les espaces privatifs et les espaces ouverts des petits commerces. Sur ce plan, vous voyez des ruelles très étroites avec des commerces variés. Avec mes étudiants, nous avons imaginé tous les commerces susceptibles de s'y trouver. On pourrait même créer un établissement qui apporte des aides aux habitants ou un jardin potager. Il est possible de conserver des anciens quartiers en les rendant résistants aux séismes ou autres sinistres. Telle est l'approche fondamentale à laquelle je pense.

Concernant les logements de l'arrondissement de Toshima à Tokyo, nous envisageons une mise en commun des cuisines. Une cuisine serait ainsi partagée par un groupe de cinq à sept personnes, que j'appelle groupe S . Par ailleurs, l'énergie produite avec des capteurs solaires thermiques ou des panneaux photovoltaïques serait partagée par les personnes regroupées au sein d'un groupe M composé de six groupes S . Et les personnes de quatre groupes M formant un groupe L , partageraient un cogénérateur, un spa dont l'eau serait chauffée grâce à la chaleur dégagée par le moteur du cogénérateur ou des boxes de stockage. Les équipements tels que la crèche, la permanence d'accueil des habitants et un petit supermarché seraient mis en place pour chaque groupe XL regroupant quatre groupes L .

Les bâtiments comporteraient à la fois un espace privatif et un espace ouvert vers l'extérieur qui pourrait être utilisé pour le commerce. Il serait possible d'y habiter seul ou en famille. Les différents commerces pourraient consister, par exemple, en location de livres, ou de vêtements, retoucherie, vente de plantes. Il s'agirait de commerces faciles à ouvrir. Il en résulterait un quartier doté de petits commerces. Actuellement, l'espace privatif occupe 80 % des habitations existantes. L'idée est d'inverser la répartition.

La location de ces cubes au sein de l'espace communautaire local serait meilleur marché que les loyers actuels pratiqués pour les locaux d'activité à Tokyo ou dans d'autres grandes villes japonaises. Chacun pourrait ainsi exercer une activité sur place dans le quartier de l'espace communautaire.

Comme vous le voyez, la moitié des dépenses publiques japonaises est dédiée à la protection sociale. Le Japon doit réduire toutes ses dépenses pour ne pas se trouver en situation de faillite. Dans ce contexte, il convient de réfléchir à une entraide au niveau des quartiers. Le resserrement de l'entraide au niveau des quartiers pourrait faire baisser le niveau des dépenses publiques en termes de dépendance.

Concernant l'énergie, le transport de l'électricité entre les centrales et les habitations entraine beaucoup de perte d'énergie sous forme de chaleur. Par exemple, 60 % de l'électricité produite à Fukushima, situé à 250 kilomètres de Tokyo, est perdue en cours d'acheminement. Si l'on produisait l'énergie sur place, cette dernière serait utilisée à hauteur de 90 %. Il est donc beaucoup plus efficace de produire et consommer sur place.

Ma démarche consiste donc à réfléchir sur la ville en partant des habitations. Je me demande quel type de logements il convient de créer. J'espère pouvoir poursuivre ma réflexion sur le sujet et avoir un échange avec vous à ce sujet.

B. ÉCHANGES

M. Michael BISMUTH, modérateur

Je me tourne à présent vers Mme Nasrine Seraji. Dans quelle mesure cette approche communautaire est-elle susceptible de vous intéresser ?

Mme Nasrine SERAJI, architecte, directrice de l'École nationale supérieure d'architecture Paris-Malaquais

Je retiens avec intérêt l'approche privilégiée par M. Riken Yamamoto. Ce dernier ancre son travail à partir d'une maison pensée initialement pour une famille, dans une sorte d'idée préconçue de ce qu'on appelle le modernisme. À partir de là, il mène, petit à petit, une réflexion vers le partage de ce qui peut relever, dans nos vies, de l'espace public.

Lorsque j'évoquais l'héritage du modernisme sur l'habitat en Europe, je me plaçais exactement dans cette approche. À mon sens, sur la base de cet héritage, notamment celui des métabolistes, il est possible de réinventer la vie contemporaine et la vie de demain. Nous savons bien qu'il est impossible, aujourd'hui, d'envisager que chacun paye individuellement pour tout. La proposition de M. Riken Yamamoto est de distinguer ce que l'on garde pour soi et ce que l'on peut partager. Ces espaces partageables, héritiers en quelque sorte d'une idée médiévale, peuvent être repensés et conçus autrement. À partir d'une histoire riche, nous avons toujours la capacité de réinventer, sans maniérisme.

M. Michael BISMUTH, modérateur

Je souhaite à présent m'adresser aux maires japonais, en particulier à M. Seishi Koyâma, à qui je transmets une question en provenance de la salle. Un participant demande comment s'explique la baisse de fréquentation des transports en commun au Japon depuis 1975, alors qu'elle ne fait qu'augmenter en France.

M. Seishi KOYAMA, maire de Kumamoto

Ce phénomène s'observe non seulement à Kumamoto, mais aussi dans l'ensemble du Japon. Les transports en commun japonais sont principalement pris en charge par des opérateurs privés. C'est en effet un cercle vicieux. Dans la mesure où peu de personnes empruntent les transports publics, les opérateurs privés modifient le trajet des lignes ou réduisent la fréquence de passage des bus. Le déplacement en bus est ainsi de moins en moins pratique, ce qui accentue davantage l'éloignement des usagers. Nous souhaitons rompre ce cercle vicieux en mettant en oeuvre les politiques que je vous ai présentées. Il faudrait aussi optimiser les réseaux. Cependant des obstacles existent. À ce jour, les réseaux de Kumamoto sont exploités par quatre sociétés privées et une entreprise publique, et le projet de confier le réseau exploité par cette dernière à quatre transporteurs privés est étudié. Certains craignent davantage de suppression de lignes, mais je pense qu'il faut changer de modes d'intervention des administrations communales dans l'exploitation des lignes de bus par les entreprises privées. La commune devrait se prononcer davantage quant à l'exploitation des services et revoir le mode d'attribution des subventions pour qu'elles servent véritablement au maintien des services.

M. Michael BISMUTH, modérateur

Je souhaiterais également savoir si M. Mitsuo Makino souhaite réagir sur les propos des architectes.

M. Mitsuo MAKINO, maire d'Iida

En période de hausse démographique et de croissance économique, c'est-à-dire entre les années 1960 et 1990, nous pouvions rester optimistes et repousser à plus tard la résolution des problèmes, en estimant que les acteurs des prochaines générations allaient s'en charger.

Dès lors que nous sommes dans une phase de déclin et de crise, le report des problèmes ne fait que les amplifier. La situation nous impose de changer de mode de pensée. Un tel changement ne peut s'opérer du jour au lendemain. On dit que nous avons perdu deux décennies depuis 1990 en cherchant des solutions pour nous en sortir. Toutefois les administrations publiques ne sont pas restées les bras croisés et ont essayé d'ouvrir de nouvelles voies. D'ailleurs, je serais pour ma part heureux de connaître les réflexions des architectes présents ici sur ces décennies depuis 1990.

M. Riken YAMAMOTO, architecte

Que s'est-il passé au Japon pendant cette période ? Au Japon, depuis l'an 2000, il n'existe presque plus de logements collectifs aménagés par les pouvoirs publics. La fourniture de logements relève quasi uniquement des promoteurs privés qui vendent des obligations aux investisseurs pour financer la construction. Cela leur permet de construire des logements sans grands moyens financiers Ils cherchent donc avant tout à plaire aux investisseurs, et non à ceux qui habiteront les logements, et sans souci du paysage urbain. Ainsi un jour, un immeuble de très grande hauteur sort de terre devant la gare. Cette tendance qui est apparue dans les années 1990 plonge les villes japonaises dans des situations parfois catastrophiques. L'État a, pour sa part, commencé à mener des politiques d'aménagement du territoire favorisant l'uniformisation des villes pour attirer des investissements, sans souci de la qualité de vie des citoyens.

M. Michael BISMUTH, modérateur

J'invite à présent la salle à poser ses questions. J'en aurais une pour ma part, concernant l'uniformisation des centres-villes. Lorsque l'on voyage aujourd'hui, on retrouve les mêmes marques, les mêmes arcades commerciales aux quatre coins de la terre. En tant qu'architectes, que pouvez-vous faire pour lutter contre ce phénomène ? Avez-vous les moyens de peser à cet égard par rapport aux décideurs publics ?

M. Riken YAMAMOTO, architecte

Comme l'a souligné M. Mitsuo Makino au sujet d'Iida, nous refusons l'uniformisation. Dans la mesure où il existe des quartiers variés, notre ambition est de tirer parti de l'originalité de chacun des secteurs. À Tokyo, il existe de nombreux quartiers avec des spécificités. Il ne convient pas de standardiser ces quartiers, mais au contraire d'encourager les spécificités. Une telle démarche devrait être adoptée en Europe. Certaines villes le font d'ailleurs avec succès. En Europe, il existe des villes avec des spécificités locales. En revanche, au Japon, la tâche est difficile pour certains maires comme M. Mitsuo Makino, car nous assistons au phénomène d'uniformisation même dans les villes de province.

M. Mitsuo MAKINO

Comme l'a souligné M. Riken Yamamoto, la période de haute croissance s'est caractérisée par un mouvement de standardisation qui a rendu identique tous les centres-villes, et une accélération de la fuite des jeunes. Un territoire sans spécificité ni caractère fait fuir les jeunes. Nous sommes très conscients de la gravité de ce problème. Nous souhaitons faire revenir les jeunes, sans quoi, dans le contexte démographique actuel, les villes ne pourront que décliner. Afin d'assurer la durabilité des territoires pour les générations futures, nous devons assumer nos responsabilités, et pour cela, il faut bien connaître notre territoire, et mettre en valeur ses spécificités.

Mme Nasrine SERAJI, architecte, directrice de l'École nationale supérieure d'architecture Paris-Malaquais

L'uniformisation des centres-villes est une question très importante. À mon sens, les architectes, urbanistes, mais aussi les politiques et tous les acteurs de la société sont en quelque sorte complices de ce problème. Nous aspirons à nous séparer d'une sorte d'individualisme et revenir vers l'authenticité et la nature, et en même temps, nous volons que tout soit identique, que les tomates mesurent les mêmes dimensions et soient disponibles 365 jours par an, etc. Nos cultures post-industrielles ont créé des sociétés qui ne peuvent plus vivre que dans l'instantané. Dès lors que l'on cède à cette instantanéité, que l'on refuse de prendre du temps, on est condamné à vivre dans des villes qui se ressemblent.

Il y a 25 ans, lorsque l'on partait à Tokyo, en Inde, à Shanghai, on avait le plaisir d'être complètement ailleurs. Aujourd'hui, la présence de chaînes de restaurants et d'hôtels limite cet aspect. On s'ennuie dans les villes. L'Amérique a triomphé en transformant le monde entier en un gigantesque Disneyland. Nous sommes à mon sens coupables d'avoir oublié notre enracinement dans des cultures. Il est toujours temps de construire des futurs en tenant compte de notre passé. Tous les acteurs doivent s'impliquer.

M. Henri-Pierre LERSTEAU, maire-adjoint à l'urbanisme et l'environnement, ville de Plaisir

J'ai retenu deux notions intéressantes : la nécessité de conserver la ruralité et la mixité sociale. Par ailleurs, j'ai été interpellé par votre interrogation sur la cité-jardin, susceptible de devenir métropolitaine. En revanche, je regrette que vous n'ayez pas davantage abordé la question du parcours résidentiel. Ainsi, lorsqu'une commune prévoit la construction d'un ensemble de 160 maisons, il faut prévoir de la mixité sociale, à travers la proximité de terrains adéquats, comme des jardins partagés, des terrains de sport, une école.

IV. CLÔTURE

M. David ASSOULINE, président du groupe interparlementaire d'amitié France-Japon, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois

Avant de céder la parole à mon ami Jacques Valade pour la conclusion, je ferai deux réflexions. Il s'agit d'une gageure de tenir un débat sur l'aménagement urbain avec beaucoup de points communs entre la France et le Japon, mais aussi de nombreuses différences. Nous sommes en face de véritables problématiques d'aménagement urbain et d'architecture, qui ont été bien exposées par nos intervenants japonais, notamment le vieillissement de la population. La conception de l'aménagement diffère à cet égard entre le Japon et la France, qui est marquée par un certain dynamisme démographique.

Par ailleurs, comme l'a évoqué Jean-Pierre Sueur, la France et le Japon sont confrontés à un même enjeu essentiel. Il s'agit de savoir comment créer de la centralité dans les périphéries. Nos politiques de la ville ont créé des centres et des extensions. Nous réfléchissons aux manières de relier les deux par des politiques de transport. Pourtant, les éléments essentiels du centre, qui créent du lien social, doivent se retrouver partout. À titre d'exemple, un centre culturel d'excellence a été créé au coeur du bidonville situé près de Casablanca. Il en résulte que les habitants du centre se rendent au milieu de ce bidonville. J'habite pour ma part au coeur de Paris, dans un quartier populaire, le XX e arrondissement. Je vois bien que certains habitants des cités HLM, distantes de seulement cinquante mètres des ateliers d'artistes, ne connaissent pas ces derniers. La question centrale de la mobilité doit être pensée. Si tel n'est pas le cas, la tendance à la superposition de quartiers sociologiquement homogènes s'accentuera, encourageant tout ce qui relève de la ghettoïsation.

Les enjeux de la ville de demain seront donc la mobilité, la mixité sociale et la multipolarité, qui garantit la présence, partout, de l'ensemble des activités essentielles d'une ville, créant ainsi du lien social.

M. Jacques VALADE, ambassadeur itinérant pour l'Asie, président du Conseil du développement économique et social de Bordeaux, membre honoraire du Parlement

Ces échanges ont été particulièrement riches, et j'espère qu'ils seront amenés à se poursuivre. Je tiens à vous dire le plaisir qui est le mien d'intervenir dans ce colloque organisé par David Assouline, en tant que président du groupe d'amitié France-Japon. J'ai rempli cette mission pendant quelques années, et je me réjouis de vous voir en prendre la suite avec conscience et talent. Je félicite également le CLAIR Paris d'organiser ce genre de manifestation. Les débats se sont révélés passionnants grâce aux personnalités que vous avez rassemblées. Je souhaite également saluer tout particulièrement la présidente du conseil d'administration du CLAIR Japon, qui nous a accueillis à Tokyo en juin 2013. Je garde un excellent souvenir de notre rencontre, et j'ai pu mesurer l'importance de cet organisme et l'intérêt que le gouvernement et l'administration japonais attachent à ce genre d'organisation.

Le CLAIR Paris a envisagé de favoriser la rencontre de collectivités territoriales françaises avec des collectivités territoriales japonaises. Ce genre de rencontre n'est jamais facile à organiser. Plusieurs élus locaux français - notamment de Nancy, Marseille et du Nord de la France - ont ainsi rencontré des élus locaux japonais de Hamamatsu, Gifu et Shiga.

Ces rencontres résultent du constat, partagé par la France et le Japon, d'une conversation insuffisante entre les élus des deux pays. Or, comme le présent colloque l'a d'ailleurs illustré, les maires ont des réflexions et des expériences à partager. Nous avons intérêt à écouter, à réfléchir à des solutions face aux défis. Le débat qui a suivi l'exposé des maires s'est avéré à cet égard significatif.

Pour le maire de Lens, l'installation du Louvre a été une locomotive tout à fait stratégique, sans laquelle la ville serait restée une ville en décroissance et en désertification industrielle. L'intervention de M. Riken Yamamoto m'a semblé très intéressante, son approche visant à modifier progressivement l'existant, sans brutaliser le territoire, mais tout en l'adaptant aux nouvelles donnes démographiques.

Je souhaiterais apporter ma contribution par rapport à l'habitat. Il est clair que les questions ne se posent à aucun moment en termes généraux. Il est impossible d'imposer à une population une doctrine par rapport à l'habitat. Rien ne peut être entrepris, à l'heure actuelle, sans prendre l'attache des bénéficiaires de l'action de gouvernance, qui ont fait confiance aux élus en leur confiant un mandat.

À travers mes fonctions d'ambassadeur itinérant en Asie, je suis souvent amené à me rendre en Chine. Les Chinois eux-mêmes, au niveau central, savent que l'époque des décisions prises au niveau central, sans concertation avec les responsables et habitants des territoires, est révolue. Nous avons nous-mêmes été dans l'obligation de créer, au niveau territorial, des ateliers d'architecture, qui impliquent à la fois des hommes de l'art, des techniciens, mais aussi la population. Les élus assument la responsabilité collective de la mixité sociale. Il s'agit également d'assurer une mixité d'activités. M. Jean-Pierre Sueur a fait un sort à la notion de zonage. Une telle approche n'est en effet plus pertinente. Dans ce contexte, il me semble que le concept même d'éco-quartier est antinomique avec ce que nous souhaitons pour les villes. L'idée d'éco-habitation, c'est-à-dire moins coûteuse en énergie et mieux connectée aux réseaux de transport, est bien sûr à retenir. Mais le concept, appliqué à l'échelle d'un quartier, peut donner lieu à des « éco-ghettos ».

Au cours de cette mission, nous avons rencontré des élus japonais. Plusieurs d'entre eux ont souligné la chance de leurs homologues français, qui ont la possibilité d'exercer un mandat local et un mandat national. Ils ont, en effet, fait part de leur difficulté à se faire entendre, en tant que gouverneurs locaux, au niveau national. Nous leur avons répondu que la France était justement en train de réfléchir à une singularité de mandat, qui semble nécessaire pour que le mandat soit pleinement assumé par son détenteur. Ils ont exprimé leur déception à ce sujet. Nous leur avons indiqué que la réflexion reste en cours en France. Nous serions heureux de savoir si la situation devait évoluer au Japon à cet égard.

Je vous remercie de m'avoir invité à clôturer ce colloque. Soyez certains que nous sommes attentifs à vos actions, au niveau du groupe sénatorial France-Japon. Je me réjouis que la coopération avec le CLAIR se poursuive. Je souhaite que ces événements apportent une contribution efficace à l'amitié entre la France et le Japon.

V. ANNEXES

Les annexes sont disponibles au format PDF (pages 45 à 91)

La version japonaise de ce rapport est disponible au format PDF (pages 92 à 127)


* 1 Membres du groupe d'amitié France-Japon : M.  David ASSOULINE, Président, M. Nicolas ALFONSI, M. Alain ANZIANI, Mme Aline ARCHIMBAUD, M. Bertrand AUBAN, M. Christophe BÉCHU, M. Jean BESSON, M. Jean-Marie BOCKEL, Mme  Natacha BOUCHART, M.  Christian CAMBON, M. Bernard CAZEAU, M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, M. Yvon COLLIN, M. Philippe DARNICHE, M. Ambroise DUPONT, M. André FERRAND, M. GAILLARD Yann, Mme GARRIAUD-MAYLAM Joëlle, M. GÉLARD Patrice, Mme GILLOT Dominique, Mme GOY-CHAVENT Sylvie, M. HÉRISSON Pierre, Mme KAMMERMANN Christiane, M. LENOIR Jean-Claude, M. LEROY Philippe, M. du LUART Roland, M. MADRELLE Philippe, M. MIQUEL Gérard, M. de MONTESQUIOU Aymeri, M. de MONTGOLFIER Albéric, Mme MORIN-DESAILLY Catherine, M. PASTOR Jean-Marc, M. PEYRONNET Jean-Claude, Mme ROSSIGNOL Laurence, M. SUEUR Jean-Pierre.

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N° GA 116 - Avril 2014

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