III. LA POLITIQUE EN FAVEUR DES FEMMES : DU COMBAT PRIORITAIRE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES À LA PROMOTION DE LEUR AUTONOMIE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

La question de la place des femmes et de son évolution au sein de la société brésilienne, troisième et dernier axe du déplacement de la délégation au Brésil, a pu être approfondie lors des entretiens à Brasilia avec le groupe « femmes » du Parlement, avec la Secrétaire exécutive (vice-ministre) du Secrétariat des politiques en faveur des femmes, Mme Lourdes Maria BANDEIRA, et avec la directrice en charge des politiques du travail et de l'autonomie économique des femmes, Mme Tatau GODINHO.

Entretien avec le Président Eduardo Barbosa et la vice-ministre Lourdes Maria Bandeira, à la Chambre des députés

La délégation a également échangé sur ce point avec la « Marche des femmes » qu'elle a pu rencontrer à Sao Paulo.

A. UNE POLITIQUE D'ÉGALITÉ RÉORIENTÉE VERS LA PROMOTION DE L'AUTONOMIE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DES FEMMES

La politique en faveur des femmes doit s'apprécier au regard d'une société brésilienne marquée par une tradition machiste et patriarcale encore fortement ancrée dans les mentalités, par l'influence toujours prégnante de l'Église catholique et celle grandissante des églises évangélistes, et par le cumul des discriminations.

Cette politique s'est longtemps concentrée sur la lutte contre les violences domestiques (loi « Maria da Penha » de 2006).

Mais avec l'élection de la présidente Dilma ROUSSEFF en octobre 2010, on assiste à une réorientation de la politique d'égalité vers la promotion de l'autonomie économique et sociale des femmes, rejoignant pour partie la lutte contre la pauvreté. Les actions prioritaires du gouvernement visent alors à développer l'accès au marché du travail, à réduire les inégalités salariales et à faciliter la conciliation entre vie professionnelle et tâches domestiques. La lutte contre la violence n'est pas abandonnée, mais elle doit s'articuler avec cette nouvelle priorité.

La situation de l'égalité réelle des droits entre les femmes et les hommes au Brésil a été longuement présentée par la vice-ministre, Mme Lourdes Maria BANDEIRA.

S'agissant de la lutte contre les violences faites aux femmes, qui demeure une priorité, elle a fait observer que ce n'est qu'en 2012 que la constitutionnalité de la loi « Maria da Penha » a été reconnue.

Loi-phare pour la protection des femmes contre les violences domestiques, elle qualifie juridiquement la violence domestique comme une des formes de violation des droits humains. Elle permet que les agresseurs soient pris en flagrant délit, prévoit l'éloignement des maris violents et des peines de prison préventive en cas de menaces pour l'intégrité physique de la femme.

Elle introduit également de nouvelles règles de procédures et de nouvelles attributions de compétences pour faciliter l'accès des femmes à la justice, renforcer leur protection et accélérer les procédures. Il en est ainsi de l'enregistrement systématique des plaintes, de la création au sein des juridictions de chambres spécialisées dans les violences domestiques, alliant compétences civiles et criminelles, et de la mise en place d'un service national d'appel gratuit (« Ligne 180 ») qui reçoit 20 000 appels par jour. Sur ce dernier point, la vice-ministre a annoncé à la délégation que son ministère se tient à la disposition de l'ambassade de France pour développer un projet d'extension de la ligne d'appel 180 pour les Brésiliennes résidant en France.

Mme Lourdes Maria BANDEIRA a par ailleurs indiqué que des centres frontières sont également mis en place pour permettre la prise en charge de femmes brésiliennes résidant à l'étranger (un centre est prévu à la frontière avec la Guyane).

Elle a précisé que 27 maisons spéciales de prise en charge de femmes victimes de violences (une par État) vont être créées : l'objectif est de réunir dans un même lieu l'ensemble des administrations et services permettant une prise en charge globale d'une femme victime de violences. Pour compléter le dispositif pour les personnes qui ne pourraient pas se rendre dans la capitale de l'État, deux unités mobiles seront mises en place par État ainsi qu'un bateau sur l'Amazone.

Si la loi est globalement approuvée malgré sa dimension répressive, la vice-ministre a révélé qu'elle n'a pas permis de diminuer le taux de mortalité des femmes par agression : 100 000 féminicides ont été recensés en 2011, soit un taux de 5,43 % supérieur à celui de 2010 (5,41 %).

Sur la question du droit à l'avortement, Mme Lourdes Maria BANDEIRA a reconnu qu'il s'agit d'un sujet encore très sensible au Brésil, du fait du poids des églises. L'avortement reste interdit et condamné pénalement, sauf dans les cas de risque vital pour la mère, de grossesse consécutive à un viol ou depuis 2012 pour les foetus encéphaliques.

Elle a précisé qu'il existe moins de 50 services pratiquant les interruptions volontaires de grossesse dans les hôpitaux et que de surcroît les médecins peuvent alléguer la clause de conscience pour refuser de pratiquer un avortement. D'après la vice-ministre, 600 000  femmes mourraient chaque année des suites d'un avortement clandestin.

Concernant enfin l'égalité économique, la vice-ministre a souligné que l'action du gouvernement s'est concentrée sur trois priorités depuis 2013 : l'augmentation du salaire minimum, qui touche en priorité les femmes (200 euros), l'augmentation des emplois formels et l'augmentation du nombre de femmes dans les secteurs économiques plus valorisés (bâtiment), par la mise en oeuvre d'une politique quasi exclusive de qualification professionnelle et d'encouragement à l'entrepreneuriat (8 millions de femmes ont bénéficié d'une formation professionnelle). Elle a par ailleurs ajouté qu'une politique de revalorisation des métiers féminins commence à voir le jour (ex-aides-soignantes).

Elle a précisé que le congé maternité de 120 jours peut être étendu à 180 jours par adhésion de l'employeur et que l'augmentation du nombre de crèches est également une priorité : aujourd'hui, 23 % des enfants de 0 à 3 ans sont en crèches contre 9 % en 2000. Les femmes ont principalement accès aux politiques sociales : le programme Brasil sem miseria a bénéficié avant tout aux femmes et la Bolsa familia est attribuée à 93 % à des femmes.

La vice-ministre a néanmoins fait valoir que les inégalités persistent en matière d'accès à l'emploi et de rémunération. Le taux d`activité des femmes est de 64 % et celui du chômage de 11 % contre respectivement 85 % et 6 % pour les hommes. De même, bien que les femmes soient plus scolarisées que les hommes, leurs salaires sont inférieurs de 30 % pour les mêmes formations et la même activité. Le revenu moyen annuel est de 8 000 US$ pour une femme contre 14 600 US$ pour un homme.

L'enjeu que représente la loi sur le statut du travailleur domestique est emblématique de ce cumul de discriminations. Ce secteur est celui qui emploie le plus de femmes, puisque 17 % des femmes actives brésiliennes sont des travailleuses domestiques (6,5 millions). C'est également le secteur qui compte parmi les pires conditions de travail, marquées par la précarité et l'exploitation, voire la violence et l'abus sexuel. Bien que la loi ait été adoptée, les décrets d'application n'ont toujours pas été pris.

À l'occasion de son séjour à Rio de Janeiro, la délégation a pu découvrir le projet Bebel porté par l'organisation de solidarité internationale PlaNet Finance au bénéfice de femmes en situation de précarité. Ce projet a pour objectif de lutter contre l'exclusion socio-économique de femmes en situation de vulnérabilité sociale, vivant dans un quartier précaire près du centre de Rio (quartier de la Praça da Bandeira) dépourvu de services publics. Il s'agit d'un programme personnalisé pour 100 femmes de la communauté, âgées de 18 à 60 ans, ayant développé une activité génératrice de revenus ou ayant les capacités et le projet d'en démarrer une. Financé par la commission européenne et le ministère des droits de l'homme, ce programme d'une durée de deux ans repose sur trois piliers :

- La dispense de cours d'éducation financière, de langues étrangères (anglais, espagnol) et de formations techniques (artisanat) avec un accompagnement personnalisé par une assistante sociale ;

- L'accès au microcrédit pour des femmes qui veulent créer leur entreprise ou développer leur affaire (et, notamment, régularisation d'emplois jusqu'ici informels) ;

- L'amélioration des conditions de vie des familles des participants au projet (500 personnes) et de la situation économique du quartier.

La directrice du projet, Mme Maud CHALAMET, a souligné qu'il avait d'ores et déjà grandement contribué à l'inclusion sociale des femmes du quartier (suivi social, visites médicales, formation, action de prévention à l'encontre de la prostitution) et permis de faire émerger une communauté d'entraide très active. Les projets de microcrédit sont en revanche encore en cours de développement.

Elle a estimé regrettable que ce projet structurant prenne fin en 2015 alors qu'il commence tout juste à porter ses fruits et qu'il a besoin d'un accompagnement. PlaNet Finance est donc à la recherche de nouvelles sources de financement pour pérenniser son action.

Observant qu'aujourd'hui seuls deux ou trois projets ont bénéficié du microcrédit, la délégation s'est en revanche interrogée sur l'opportunité de la prolongation de cette mesure, car l'accès au crédit est très facile au Brésil. Depuis 2011, la Présidente Dilma ROUSSEFF a mis en place le microcrédit productif (achat pour une entreprise) au taux de 0, 6 %. Pourtant, plutôt que de faire appel au microcrédit, les femmes préfèrent régulariser leurs entreprises car, en contrepartie, elles ont accès aux soins et à la retraite.

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