Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 130 - 5 novembre 2015


Groupes interparlementaires d'amitié

France-Afrique de l'Ouest (1 ( * ))

LES DÉFIS DE L'AFRIQUE FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Actes du colloque Sénat du 5 novembre 2015

Sous le haut patronage de
M. Gérard LARCHER, Président du Sénat

Palais du Luxembourg
Salle Monnerville

Carte de l'Afrique

Répartition du potentiel identifié de l'Afrique en matière d'énergies renouvelables

Source : International Renewable Energy agency IRENA d'après l'Atlas mondial


M. Gérard Larcher, Président du Sénat



De gauche à droite :
MM. Abdoulaye Idrissa Wagne, Mohamed Salem Ould Béchir,
Mmes Johanna Odonkor Svanikier et Anne Paugam, M. Gérard Larcher,
Mme Jacqueline Sultan et M. Jacques Legendre, Président du groupe interparlementaire
d'amitié France-Afrique de l'Ouest

MM. Abdoulaye Idrissa Wagne,
Mohamed Salem Ould Béchir et Gérard Larcher

Mme Anne Paugam, M. Gérard Larcher,
Mme Jacqueline Sultan et M. Jacques Legendre

M. Mohamed Salem Ould Béchir,
Ministre du Pétrole, de l'énergie et des mines
de Mauritanie

Mme Jacqueline Sultan,
Ministre de l'Agriculture de Guinée

M. Yvon Collin, Sénateur, co-auteur du rapport sur les financements en matière de lutte contre le changement climatique en faveur des pays les moins avancés

Mme Anne Paugam, Directrice générale de l'AFD

OUVERTURE

M. Gérard LARCHER, Président du Sénat

Mesdames et Messieurs les ministres,

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,

Monsieur le Président du groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest,

Madame la Directrice générale de l'Agence française de développement,

Chers collègues sénateurs, particulièrement M. Jean-Marie Bockel, dont l'expérience en Afrique est connue de tous, MM. Yvon Collin et Charles Revet, qui sont des collègues particulièrement impliqués dans cette relation,

Monsieur le Président pour la coordination de l'Afrique de demain,

Mesdames et Messieurs,

Je tiens, en premier lieu, à remercier l'AFD, sa directrice Mme Anne Paugam et ses équipes, dont l'aide et la contribution ont été précieuses pour l'organisation de ce colloque.

Je salue également le travail de M. Jacques Legendre, instigateur de ce colloque, l'un des plus fins connaisseurs de l'Afrique au Sénat, et mon envoyé spécial dans plusieurs de ces pays pour discuter avec eux du dérèglement climatique.

La Conférence Paris Climat 2015 n'est plus aujourd'hui une promesse lointaine. Elle est juste devant nous. C'est à ce moment que les difficultés peuvent paraître encore plus grandes, malgré l'espoir suscité par l'engagement de la Chine, en l'état actuel des négociations. Aujourd'hui, la somme des contributions nationales ne permet pas encore tout à fait d'envisager la limitation de « la hausse à deux degrés » comme un objectif certain. Certains experts parlent de 2,7 degrés. Or, 0,7 degré fait une différence. Un seul degré suffit, en effet, à accélérer de façon drastique la fonte glaciaire et la montée des eaux.

Dans ce contexte, à moins d'un mois de la réunion des chefs d'Etat et de gouvernement, qui ouvrira la Conférence Paris Climat, votre colloque tombe à point nommé. Il permettra, dans le secteur de l'agriculture et de la gestion des forêts, de faire le point sur les projets en cours et sur les financements indispensables. C'est l'objet de la première table ronde, qui sera introduite par Madame la ministre de l'Agriculture de la République de Guinée. En effet, les financements envisagés ne sont pas encore au rendez-vous, comme l'ont montré les sénateurs Yvon Collin et Fabienne Keller dans leur rapport d'information du 30 septembre 2015 intitulé « Financements climat : n'oublions pas les plus pauvres », Mme Keller m'ayant, par ailleurs prié d'excuser son absence.

Le colloque permettra également d'aborder l'enjeu majeur que constitue l'accès à l'énergie. Je «vernissais», le 3 novembre au Théâtre national de Chaillot, l'exposition «lumières d'Afrique», qui s'inscrit dans le cadre de l'initiative prise par M. Jean-Louis Borloo. Elle a pour objectif de permettre que, d'ici dix ans, 80 % du continent africain bénéficie de l'électricité. Le Sénat - sous l'impulsion de M. Jean-Marie Bockel - a soutenu pleinement cette initiative.

Votre colloque devrait surtout faire ressortir l'engagement de l'Afrique dans la lutte contre les dérèglements climatiques. Aujourd'hui, seuls sept pays africains sur cinquante-quatre n'ont pas encore annoncé leur contribution nationale. C'est un chiffre encourageant par rapport à d'autres continents. C'est une forme d'encouragement, qui démontre qu'il n'existe pas de contradiction entre le développement économique et la protection de l'environnement. La lutte contre les dérèglements climatiques ne relève pas que de la seule action des pays dits développés. Un tiers du groupe des vingt pays les plus vulnérables au changement climatique est africain.

Alors que les gouvernements devront négocier un accord ambitieux lors de la Conférence Paris Climat, le rôle des parlements n'en demeure pas moins essentiel. Les 5 et 6 décembre, à l'Assemblée nationale puis au Sénat, se tiendra le volet parlementaire de cette Conférence. Au Sénat, devrait être adoptée le 6 décembre, sous l'égide de l'Union interparlementaire, une déclaration des parlementaires du monde entier. Très prochainement, nous débattrons ici même de cette déclaration, examinée aujourd'hui dans la plupart des parlements du monde et qui manifestera leur implication dans la lutte contre les dérèglements climatiques. Ce texte ne sera pas une déclaration d'intention de plus, car les parlements devront contrôler la bonne application des engagements pris, voter les budgets nécessaires, ratifier les accords et décliner en droit interne les engagements internationaux. Le travail à accomplir ne s'interrompra donc pas le 11 décembre au soir, après la clôture de la Conférence Paris Climat.

Le Sénat français et l'Assemblée nationale assurent la représentation des collectivités territoriales. Or, ces dernières sont à la pointe des mesures d'adaptation ou d'atténuation pour lutter contre les dérèglements climatiques, notamment dans les pays rétifs à adopter des engagements contraignants au niveau national. Il s'agit d'un point que notre délégation territoriale entend marquer par des exemples très concrets d'engagement des collectivités locales ainsi que sur leur expérience, qu'elles sont prêtes à partager au-delà de la France métropolitaine et d'outre-mer.

Votre colloque met en valeur une Afrique en pleine mutation, une Afrique qui connaît la croissance, même si elle devrait être encore plus élevée pour accélérer le développement, une Afrique confrontée dans son actualité aux enjeux de la bonne gouvernance, par des processus électoraux en cours, qui doivent respecter état de droit et démocratie, une Afrique qui se bat avec courage pour affronter certaines formes de terrorisme ou d'obscurantisme qui la menacent. La France est à vos côtés et d'une seule voix, quelles que soient nos sensibilités politiques. J'ai été notamment en charge du dossier sur le Sahel aux côtés de M. Jean-Pierre Chevènement. Nous sommes donc d'une seule voix aux côtés de l'Afrique, y compris dans les moments difficiles comme dans les rencontres que j'avais il y a encore 48 heures avec le président du parlement panafricain. L'Afrique progresse à grands pas dans la voie de l'intégration régionale. Cette Afrique diverse et contrastée, à la fois moderne et respectueuse de ses traditions, s'est engagée dans la lutte contre le changement climatique.

Je suis donc confiant dans l'avenir et dans le succès que ce colloque. Au-delà des défis liés à l'agriculture, à la gestion de la ressource forestière et à l'énergie, je suis certain que M. Philippe Lacoste, dans sa conclusion, pourra rassembler toute cette volonté africaine. Nous avons tellement de liens avec l'Afrique à travers l'histoire, des liens de lumière parfois avec leur zone d'ombre.

Au Palais de Chaillot, où avait été fêté les 150 ans de la Révolution française, 45 jours avant le début de la Seconde Guerre mondiale, je rappelais les Africains morts pour notre liberté, si loin de chez eux. Ils ont commencé au travers de l'engagement d'un Français d'origine guyanaise, lui-même petit-fils d'esclaves, Félix Eboué. Dans cette salle Monnerville, ils incarnaient cette diversité, cette union à travers l'histoire. Ce n'est pas hasard que nous sommes sous le regard d'un très grand Français et très grand président du Sénat. C'est tout un symbole de ce que nous avons à construire ensemble.

M. Jacques LEGENDRE Ancien ministre, Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique de l'Ouest

Monsieur le Président du Sénat,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Messieurs les ambassadeurs,

Madame la Directrice de l'Agence française de développement.

Au nom de l'ensemble du groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest, j'ai le grand plaisir de vous souhaiter la bienvenue au Sénat. Nous sommes réunis aujourd'hui pour évoquer le sujet essentiel des défis de l'Afrique face au réchauffement climatique. J'ai souhaité que ce deuxième colloque, organisé par le groupe d'amitié parlementaire en partenariat avec l'Agence française de développement, porte sur ce thème, parce qu'il s'inscrit, d'une part, dans l'actualité brûlante des travaux de la Conférence des Parties qui se dérouleront à Paris dans moins d'un mois, et qu'il constitue, d'autre part, un sujet crucial pour l'avenir du continent, ainsi que nos échanges le démontreront.

En septembre, une délégation du groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest a effectué un déplacement au Bénin et au Togo. J'ai été frappé par l'omniprésence de la question environnementale qui fait désormais pleinement partie des préoccupations des autorités politiques africaines qui ont attiré notre attention sur ce point. Alors que les pays de l'Afrique subsaharienne sont de très faibles émetteurs de CO2, ils subissent de plein fouet les effets du changement climatique. Les sociétés africaines, encore en partie rurales, en dépit d'une urbanisation galopante, voient les saisons se dérégler, les phénomènes climatiques extrêmes, tels que les sécheresses et les inondations, se multiplier.

Les changements dans la pluviométrie et l'intensification de l'exploitation des terres risquent d'aggraver la désertification, notamment dans le Sahel occidental et en Afrique australe et septentrionale, alors que la dépendance de l'agriculture pluviale est forte. Les grands fleuves devraient subir également la diminution du ruissellement. Les cycles agricoles en seraient alors perturbés et la sécurité alimentaire des populations pourrait être menacée par la diminution des rendements céréaliers. Nous évoquerons ce sujet fondamental dans notre première table ronde consacrée à l'agriculture et à la gestion de la ressource forestière, en présence notamment de Mme Jacqueline Sultan, ministre de l'Agriculture de la Guinée.

L'érosion des côtes due à la montée du niveau de la mer est également un phénomène préoccupant, d'autant plus que les populations se concentrent dans les grandes villes portuaires (Dakar, Abidjan, Lomé ou Cotonou). On estime ainsi que plus d'un quart de la population africaine vit à moins de 100 kilomètres des côtes. Ces conséquences pèseront donc sur l'Afrique, alors qu'elle n'est que peu responsable de ces dérèglements, qui sont le fait des pays les plus industrialisés.

Enfin, la santé des personnes sera alors menacée par la hausse des maladies et des décès dus aux températures élevées ainsi qu'aux modifications de précipitations qui provoqueront l'extension des zones touchées par les maladies à transmission vectorielle, telles que le paludisme ou la dengue.

Face à ces difficultés, les pays africains font de « l'atténuation 2 ( * ) » au changement climatique et de l'adaptation 3 ( * ) à ses conséquences un pilier de leur stratégie de développement. M. Yvon Collin évoquera probablement le cas du Sénégal, auquel il s'est intéressé avec Mme Fabienne Keller, dans le cadre de leur rapport d'information consacré au financement en matière de lutte contre le changement climatique en faveur des pays les moins avancés.

Au Bénin, le groupe d'amitié sénatorial France-Afrique de l'Ouest, qui s'est rendu dans ce pays en septembre dernier, a découvert le projet « Porto Novo, ville verte », qui vise à aménager la lagune pour valoriser la zone humide, développer l'agriculture périurbaine et prévenir les risques d'inondation. Il s'agit d'un exemple particulièrement intéressant d'adaptation au changement climatique, créateur de richesses et d'emplois pour tout un territoire.

La production et l'accès à l'énergie représentent une formidable opportunité de croissance pour l'Afrique. Le continent est riche d'énergies fossiles, notamment en Angola ou au Nigeria. M. Salem Ould Bechir, ministre du Pétrole et de l'Énergie et des Mines de Mauritanie, évoquera probablement le sujet. L'Afrique bénéficie également de possibilités considérables dans le secteur des énergies renouvelables, notamment l'énergie éolienne et solaire. Au Togo, nous avons découvert les « blue zones », mises en place par le groupe Bolloré, qui proposent aux populations des équipements agricoles et informatiques fonctionnant grâce à la production d'énergie solaire.

Ces projets innovants doivent servir d'exemple dans l'accès des populations à l'énergie. M. Quentin Sauzay, chargé de mission, dont nous avons fait la connaissance au Bénin, nous présentera le programme qu'il contribue à mettre en place dans ce pays. Celui-ci se fonde sur la distribution de kits solaires ainsi que sur l'installation de plus d'une centaine de mini-centrales électriques.

Ce grand rendez-vous de la Conférence des Parties, dont nous souhaitons le succès, doit se tenir dans le cadre de la justice pour l'Afrique. L'Afrique n'est pas responsable du dérèglement climatique, mais elle en subit les conséquences autant que ceux qui en sont responsables. Nous souhaitons donc, avec le Président du Sénat, que le regard africain sur le réchauffement climatique, les conséquences de ce dérèglement et les actions à mener, soit présent au Sénat.

Nos amis africains ont au Sénat des parlementaires attentifs à leurs problèmes. Qu'ils sachent que notre avenir et leur avenir sont liés.

Mme Anne PAUGAM Directrice générale de l'Agence française de développement

Monsieur le Président du Sénat,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

Je suis très heureuse de participer à l'ouverture de cette conférence. Je remercie le Sénat d'avoir pris cette initiative, et nous sommes heureux de contribuer à cet échange, qui s'impose de manière évidente, compte tenu des enjeux et du calendrier.

L'Afrique est un des continents les moins émetteurs de gaz à effet de serre, mais un des plus vulnérables aux effets du dérèglement climatique.

L'Agence française de développement (AFD) agit toujours en réponse aux demandes et besoins de ses partenaires. Je m'appuie sur les contributions nationales (CPDN) en vue de la Conférence Paris Climat. Pour la première fois dans l'histoire des négociations climatiques, les pays en développement (PED), notamment les pays africains, s'engagent sur des objectifs chiffrés en matière de lutte contre le changement climatique. L'Agence a été heureuse d'accompagner cette mobilisation exemplaire dans plus d'une vingtaine de pays. Le continent dans son ensemble s'est montré jusqu'à présent exemplaire en matière de propositions de projets de contribution des pays qui le constituent.

La préoccupation relative à l'adaptation intervient prioritairement dans ces contributions. Quel que soit le pays africain, l'objectif est de réduire les menaces et les vulnérabilités relatives aux changements climatiques, notamment l'impact de l'élévation des températures sur l'eau et l'agriculture. On constate une progression des zones arides qui représentent les deux tiers du continent. La population se trouve en situation de stress hydrique. La diminution de la ressource en eau, combinée avec la hausse des températures, peut, en outre, menacer l'évolution des rendements agricoles, et donc la sécurité alimentaire. Les ressources en eau et la sécurité alimentaires sont donc des enjeux majeurs au titre de l'adaptation, alors que la croissance démographique est encore très rapide dans la plupart des pays du continent.

Par ailleurs, l'élévation du niveau des mers entraîne des menaces accrues d'inondations et pluies torrentielles, avec des risques de victimes pendant les épisodes extrêmes. Une quinzaine de villes de plus d'un million d'habitants sont situées en zones côtières en Afrique subsaharienne, et leurs habitants sont exposés aux risques sanitaires, de destruction ainsi que ceux liés aux infrastructures économiques (zones touristiques par exemple).

Notre rôle consiste à soutenir les partenaires africains dans la mise en oeuvre de solutions concrètes pour réduire ces vulnérabilités au titre de l'adaptation. Par exemple, au Tchad, la gestion de la ressource en eau et des pâturages est une source potentielle de tensions entre éleveurs et agriculteurs, avec l'aggravation du stress hydrique. En concertation avec les communautés, nous contribuons au financement de l'accès à l'eau et aux puits ainsi qu'aux parcours de transhumance. Ces travaux contribuent à la réduction des tensions entre communautés, ce qui est important pour préserver la sécurité et la stabilité dans la zone sahélienne, tout en contribuant à réduire le surpâturage, la désertification afin d'améliorer la sécurité alimentaire. Dans les pays sahéliens riverains des fleuves Niger et Sénégal, nous participons à des travaux d'irrigation pour améliorer les perspectives d'emploi et la sécurité alimentaire. Dans le domaine urbain, nous finançons la réhabilitation d'ouvrages de drainage et de réception des eaux à Lomé pour assainir la ville et réduire les risques en cas d'inondation.

La réflexion sur l'adaptation s'impose donc, en premier lieu, dans les questions de gestion du changement climatique.

Au sujet du financement, je salue les rapporteurs du Sénat, M. Yvon Collin et Mme Fabienne Keller, sur cette question. L'AFD a la conviction qu'un effort particulier est nécessaire sur l'adaptation dans les pays les moins avancés (PMA), en particulier dans les PMA africains. Une dynamique doit se bâtir sur ce sujet, à l'instar de celle qui existe sur le sujet de l'énergie.

L'AFD déploie une « stratégie climat » ambitieuse en tant que bailleur de fonds. La moitié de ses financements doit avoir un impact positif sur les sujets de climat, en adaptation ou atténuation. Il s'agit de projets de développement, ayant des impacts économiques ou sociaux, dont nous souhaitons qu'ils aient en outre un impact positif sur les sujets de l'adaptation ou de l'atténuation (co-bénéfice). Par comparaison, 21 % des financements de la Banque mondiale sont consacrés aux sujets climatiques. La Banque mondiale a annoncé que ce taux s'élèverait à 28 % en 2020. La Banque européenne d'investissement (BEI) part, quant à elle, de 25 % et a annoncé un objectif de 35 %. La part de financement dédiée à ces sujets par l'AFD traduit donc une démarche très volontariste et structurante illustrée par la manière dont elle mène les dialogues et les financements.

Toutefois, nous nous heurtons à la réalité de terrain : trop peu de projets concrets sont encore aboutis en matière d'adaptation. Il est donc nécessaire de faire émerger des stratégies opérationnelles, en intégrant plus fortement la question de l'adaptation dans les politiques d'aménagement et de développement du territoire, et en travaillant notamment avec les autorités locales, qui constituent un des vecteurs principaux permettant de faire avancer les projets et les programmes.

Il s'agit donc « d'opérationnaliser » les contributions nationales. 40 % des financements climat de l'AFD dans les PMA sont dédiés à l'adaptation, mais nous devons faire mieux collectivement. En France, le Président de la République a annoncé, en septembre dernier, une hausse des financements consacrés au développement et au climat, avec un objectif de 4 milliards d'euros supplémentaires en flux annuels en 2020, dont 2 milliards d'euros pour le climat. Un effort particulier a également été annoncé pour une augmentation des dons nécessaires pour l'expertise technique et le soutien aux pays dont le revenu est faible et les capacités d'endettement limitées. Avec ces éléments, nous pourrons ainsi apporter notre contribution de manière significative sur les sujets de climat et d'adaptation. Au niveau international, le Fonds vert a pour objectif de consacrer 50 % du Fonds à l'adaptation.

S'agissant de la dimension d'atténuation figurant dans les contributions nationales, alors que l'Afrique n'a pas été le principal contributeur, nous constatons des engagements en matière d'atténuation, qui traduisent une prise de conscience du caractère universel de ces objectifs. Nous cherchons à trouver de nouveaux modèles de croissance. Il ne s'agit pas de procéder à des arbitrages entre des modèles de croissance moins émissifs et un niveau de croissance lui-même. L'Afrique a un potentiel exceptionnel et des opportunités de transformation du modèle de croissance à saisir, en particulier dans les domaines de l'énergie et de l'agriculture.

L'agriculture représente 60 % de la population active. M. Jean-Luc François, chef de la division agricole, département rural, biodiversité, à l'AFD, souligne régulièrement qu'il est possible de faire de l'adaptation et de l'atténuation, tout en augmentant les rendements pour nourrir les populations. Le stockage de carbone dans les sols et la réduction de la déforestation ne sont, en effet, pas incompatibles avec une intensification de l'agriculture.

L'enjeu énergétique consiste à supprimer un des goulets d'étranglement du niveau de croissance du continent, notamment en « verdissant le mix énergétique » pour limiter la dépendance aux énergies fossiles, chères à l'importation et dont le prix est aléatoire. Certains pays - Ethiopie, Kenya - sont des pionniers en matière d'exploitation des énergies renouvelables (éolien, hydroélectrique, solaire). Plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest ont également beaucoup investi dans diverses formes d'énergies renouvelables. Il existe aujourd'hui des solutions, qui apparaissaient trop coûteuses dix ans auparavant et qui font aujourd'hui économiquement sens. L'investissement dans de nouvelles technologies finit par les rendre plus accessibles.

Toutes les équipes de l'agence sont mobilisées aux côtés de nos partenaires africains dans cette recherche de nouveau modèle de croissance. Tout ne s'arrête pas à la Conférence Paris Climat, qui est en réalité le début d'une phase de développement et de croissance. La déclinaison opérationnelle de ces contributions nationales constituera une feuille de route partagée pour l'avenir.

TABLE RONDE 1 - LES DÉFIS LIÉS À L'AGRICULTURE ET À LA GESTION DE LA RESSOURCE FORESTIÈRE

Ont participé à cette table ronde :

Mme Jacqueline SULTAN, Ministre de l'Agriculture de Guinée
M. Roland PORTELLA, Président de la coordination pour l'Afrique de demain
M. Yvon COLLIN, Sénateur du Tarn-et-Garonne, co-auteur avec Mme Fabienne KELLER, du rapport d'information au nom de la commission des finances du Sénat sur les financements en matière de lutte contre le changement climatique en faveur des pays les moins avancés
M. Jean-Luc FRANÇOIS, Chef de la division Agriculture, développement rural, biodiversité à l'Agence française de développement

Mme Cécile BARBIÈRE, journaliste multimedia - Nous ouvrons cette première table ronde sur les défis liés à l'agriculture et à la gestion de la ressource forestière. Ces sujets multiples peuvent paraître parfois contradictoires en Afrique. Comment assurer l'indépendance alimentaire d'un continent qui connaît une croissance démographique galopante, tout en développant une agriculture durable et respectueuse du climat ? Comment sauvegarder la ressource forestière, alors que les terres agricoles empiètent sur les forêts africaines qui sont, en outre, des puits de carbone importants et le poumon de la planète ? Agriculture et forêt sont des responsables importants des émissions mondiales de gaz à effet de serre -la déforestation et l'agriculture représentent 24 % des émissions mondiales-, mais elles font également partie de la solution.

Madame Jacqueline Sultan, votre pays fait partie des pays africains qui ont soumis une contribution ambitieuse dans le cadre de la COP21 visant notamment à réduire de 13 % les émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030. Comment relèverez-vous ce défi ? Quelles actions mettrez-vous en place, en particulier dans les domaines agricoles et forestiers ?

Mme Jacqueline SULTAN - Je vous demande de m'excuser car je ne serai pas très prolixe sur ce débat car je reviens de New Delhi.

La Guinée est riche en ressources naturelles. Elle est considérée comme un puits de carbone, grâce à ses ressources forestières, et abrite plus d'un millier de cours d'eau, notamment quatre des principaux fleuves de l'Afrique de l'Ouest. Ces ressources sont gravement menacées par le changement climatique et la pression pourrait s'accroître du fait des flux de populations régionales. En effet, la situation géographique de la Guinée pourrait en faire un refuge pour les populations des pays sahéliens du nord, en particulier les éleveurs pastoraux, plus gravement touchés par la sécheresse et la modification des régimes pluviométriques. De plus, la Guinée possède plus du tiers des réserves de bauxite de la planète.

Pour contribuer le plus efficacement possible à son développement durable et à celui de ses voisins, la Guinée souhaite être un pays stabilisateur de la sous-région à l'horizon 2030, en préservant et valorisant ses ressources hydriques, en s'efforçant de rester un puits de carbone et en exploitant ses ressources de manière raisonnée, ainsi qu'en intégrant davantage les enjeux climatiques dans le plan de transhumance régionale. Pour réaliser cela, plusieurs pistes sont envisagées, dont celle du développement des énergies renouvelables, de l'amélioration de l'efficacité énergétique, celle de la diminution de la pression sur les forêts par la mise en oeuvre d'une gestion durable des ressources forestières et des terres, ainsi que la piste du développement et de l'amélioration des pratiques agricoles et pastorales adaptées au changement climatique.

Le climat est actuellement propice à l'agriculture, avec notamment une pluviométrie de 1 200 millimètres par an au nord et au nord-est et de 4 000 millimètres à Conakry. La Guinée est exposée et sensible au changement climatique et ne dispose que de peu de capacités d'adaptation. Elle est en particulier affectée par l'augmentation des températures, la baisse des précipitations moyennes annuelles et la modification de la fréquence et de la répartition annuelle des précipitations. L'élévation de près de 80 centimètres du niveau de la mer est prévue d'ici 2100. Ces nouvelles conditions climatiques pourraient générer des conséquences négatives pour de nombreux secteurs. Toutefois, la Guinée devrait continuer à bénéficier de conditions climatiques plus favorables que ses voisins du nord et pourrait devenir un lieu de transhumance des troupeaux sahéliens plus important, ce qui est susceptible de générer des conflits sur l'usage des terres.

Dans le cadre de l'adaptation aux conséquences locales du changement climatique, la Guinée s'engage à préserver la qualité et la quantité des ressources en eau, au bénéfice des populations. Les actions prioritaires concernent :

- la préservation et la restauration des têtes de sources et des berges, en particulier sur les cours d'eau transfrontaliers ;

- la préservation des berges et du lit des cours d'eau nationaux et transnationaux ;

- la recherche d'alternatives aux activités d'usage et de prélèvement dégradant la qualité des eaux (fabriques de briques, dragage des lits pour la recherche des minerais) ;

- l'intégration du changement climatique dans les cadres institutionnels et juridiques ;

- l'aménagement des bassins versants transfrontaliers ; la mise en place d'un système de suivi hydroécologique des fleuves internationaux.

La zone côtière est la première zone économique de la Guinée, qui abrite 38 % de la population, joue un rôle fondamental dans les secteurs agricoles et énergétiques et contribue à hauteur de 24 % à la production nationale de riz. Le potentiel de terres agricoles du littoral est de 1,3 million d'hectares, dont 380 000 sont cultivés chaque année. Des cultures diverses sont pratiquées en arrière-mangrove. Plus de 140 000 hectares sur les 385 000 hectares de mangrove ont été convertis en rizière. La mangrove fournit 60 % de l'énergie domestique de la capitale et des principales villes du littoral. La zone côtière est donc particulièrement vulnérable au changement climatique, en raison de l'élévation du niveau de la mer et de l'intensification de l'érosion sur les côtes.

L'île de Kabak, à forte intensité de culture, a subi une marée centennale exceptionnelle qui a détruit une digue de 2,8 kilomètres, engendrant une catastrophe pour les producteurs de riz de cette île. Nous vivons donc déjà la vulnérabilité sur la zone côtière. À l'époque de Dumez, deux kilomètres de dunes avaient déjà disparu, car cette île n'a aucun moyen de s'adapter, en raison de sa position face à l'océan.

En outre, l'urbanisation anarchique due au non-respect du code foncier s'ajoute aux impacts du changement climatique. Nous nous engageons à mettre en place des mesures nécessaires à la protection, la conservation et à la gestion des écosystèmes, la redynamisation des activités économiques et le renforcement de la résilience des populations des zones côtières. Nous nous engageons également à accompagner les efforts d'adaptation des communautés rurales par des systèmes alternatifs et des techniques agro-sylvo-pastorales pour que ces populations puissent poursuivre leurs activités, tout en préservant les ressources naturelles.

Les moyens financiers nécessaires à ces adaptations sont colossaux, et parfois hors de portée de nos budgets de développement. Dans l'hypothèse d'une élévation des températures de deux degrés, le budget augmenterait de 670 millions de dollars. Sur le seul engagement des ressources en eau, le budget pourrait s'élever à près de 300 millions de dollars entre 2015 et 2020 pour les trois bassins versants internationaux. La Guinée aura donc besoin de l'accompagnement des pays du Nord, qui sont les principaux pollueurs.

Au sujet de l'atténuation, nous nous engageons à produire 30 % de l'énergie hors bois énergie, par des énergies renouvelables. La Guinée a pour ambition de mettre en service des centrales hydroélectriques de 1 650 mégawatts (contre 127 mégawatts en 2011), de produire 47 mégawatts supplémentaires par énergie solaire et éolienne, d'accroître l'offre en biocarburants et biogaz. Le potentiel d'atténuation de cet engagement est évalué à 34 000 tonnes de CO2 cumulées pour les quinze prochaines années.

Nous soutenons également la diffusion de pratiques économes ou alternatives au bois d'énergie et de charbon. Le potentiel d'atténuation de cet engagement est évalué à 23 000 tonnes de CO2 cumulées pour les quinze prochaines années. Nous avons donc pour objectif d'améliorer les performances énergétiques de l'économie guinéenne en doublant notamment le rendement de la production d'électricité d'ici 2030.

Mme Cécile BARBIÈRE - Nous aborderons ces sujets dans la deuxième table ronde.

Monsieur Roland Portella, vous êtes président de la Coordination pour l'Afrique de demain. L'association des communautés rurales dans la lutte contre le changement climatique est fondamentale. Qu'en est-il aujourd'hui ?

M. Roland PORTELLA - Ce sujet est complexe et vaste. Je l'illustrerai par quelques anecdotes frappantes.

Je me suis rendu avec des entrepreneurs, des consultants et des bailleurs de fonds quelques années auparavant sur un territoire pour évoquer une politique de gestion durable des forêts. Nous devions travailler sur des stratégies de développement et la gestion des connaissances de benchmarking . Les populations locales - des peuples pygmées - nous disaient qu'elles étaient ahuries que nous venions de loin pour mettre en place des pratiques de gestion durable des forêts sans même regarder les savoir-faire locaux. En effet, depuis des millénaires, ces pygmées géraient leur environnement, malgré une déforestation massive qui déstructure leur vie. Ils nous proposaient de venir voir ce qui se pratiquait sur place et d'adapter ces pratiques par la suite avec des technologies modernes, pour créer des parcs nationaux ou des programmes d'aménagements forestiers.

La forêt représente 6 % du PIB africain, mais a le potentiel d'en représenter 15 % dans les trente années à venir car la valorisation de ce capital est actuellement insuffisante. 40 millions de personnes vivent dans les forêts en Afrique et ont besoin qu'on s'occupe d'elles.

Toutefois, certaines politiques publiques ont été néfastes. En particulier, la politique de modernisation du Président Houphouët-Boigny a réduit la surface des espaces forestiers de la Côte d'Ivoire de 16,5 millions d'hectares à environ 3 millions en trente ans. Le Premier ministre a essayé de faire venir à la table des réflexions le monde paysan et le monde industriel, car cela génère des conflits et des problèmes de sécurité et de santé.

La déforestation est principalement due à des cultures extensives et intensives de café et de cacao, dans le cadre de la politique de développement agricole. Il convient de parvenir à concilier la croissance économique, la gestion durable des forêts et la préservation des vies des populations. La forêt est, en effet, un capital naturel à préserver à long terme. De nombreux politiques tentent de mettre en place des techniques agroforestières pour inciter les paysans et les entreprises forestières à planter des arbres. Toutefois, les besoins en financement de ces politiques d'agroforesterie sont évalués, par exemple, à 200 millions de dollars au Congo-Brazzaville, ce qui dépasse les moyens de l'Etat.

Les plans d'aménagement forestier permettent de gérer durablement les forêts. Toutefois, dans le bassin du Congo, qui est le deuxième poumon écologique de la planète, avec des capacités de puits de carbone énorme, sur 200 millions d'hectares de forêts, seuls 5 millions font l'objet de politiques de gestion durable des forêts.

Les diverses parties prenantes sont donc en conflit. La cartographie des risques montre que le dialogue avec les populations locales est déterminant, celles-ci ne voulant plus se laisser faire. Le rôle de l'État en matière de gouvernance foncière est donc primordial. Il semble cependant qu'il n'existe pas de véritable stratégie à long terme. Dans les filières bois et forêts, le rôle véritable de l'État est mal connu, si ce n'est un rôle de gendarme. Dans les États africains ayant de fortes ressources en bois et forêts, la montée en gamme des compétences est trop faible, parce que les instituts techniques ne sont pas suffisants. Peu de jeunes arrivant sur le marché de l'emploi souhaitent travailler dans le secteur de l'exploitation des ressources naturelles, alors que les compétences manquent en la matière. Des concessions forestières sont données à des entreprises asiatiques, qui viennent avec leurs contingents de compétences pour couper le bois et commencer sa transformation. Le Gabon, le Ghana et la Côte d'Ivoire sont les pays leaders en exploitation du bois.

La question de la transformation est structurelle : quel est le rôle de l'Etat dans les chaînes de valeur des activités de bois et forêts ? Des instituts techniques doivent être créés. La mécanisation de la transformation du bois doit s'accroître. Le rôle des ministres chargés des eaux et forêts est minime, compte tenu de l'ampleur du sujet, qui concerne également des questions industrielles de sécurité et de droit des populations. Les ministères doivent non seulement avoir les compétences techniques nécessaires, mais être aussi des ministères régaliens.

Mme Cécile BARBIÈRE - Vous avez rappelé tous les deux que le financement est fondamental dans la lutte contre le changement climatique.

Monsieur Yvon Collin, vous êtes un spécialiste des financements relatifs au climat et vous avez publié un rapport avec votre collègue Mme Fabienne Keller, au nom de la commission des finances, intitulé « Financement Climat : n'oublions pas les pays les plus pauvres » appelant à ne pas oublier les pays les moins développés dans leur affectation. Disposons-nous des financements nécessaires pour faire face au défi qui concerne l'Afrique ?

M. Yvon COLLIN - Je vous prie d'excuser Mme Fabienne Keller, retenue par une obligation à Strasbourg. Je remercie le Président Legendre d'avoir pris l'initiative de ce colloque, qui s'inscrit dans la perspective de la Conférence Paris Climat.

Nous espérons que la Conférence des Parties aboutira à un accord international responsable et contraignant. Notre avenir est hypothéqué par un changement climatique incontestable sur lequel nous devons agir de manière urgente.

L'Afrique fait face à trois défis, dont en premier lieu, le défi démographique, avec deux milliards d'habitants attendus en 2050, et son corollaire, le défi alimentaire. Bien qu'elle ait triplé au cours des quarante dernières années, la production agricole a été plus dynamique en Chine et en Inde qu'en Afrique. S'agissant du défi énergétique, le Sénat a voté une proposition de résolution pour encourager l'électrification du continent africain nécessaire au développement économique.

Ces enjeux posent le problème de la soutenabilité environnementale. L'Afrique devra augmenter fortement son potentiel agricole pour répondre à la demande alimentaire. Il est, en outre, nécessaire de développer une agriculture intelligente qui n'épuise pas les ressources naturelles et qui puisse s'affranchir des aléas climatiques qui se multiplieront. Les deux solutions possibles résident dans une extension des surfaces cultivées ou une hausse des rendements ; ces deux solutions auront des incidences écologiques. L'extension des terres contribue, en effet, au changement climatique lorsqu'elle s'exerce au détriment de la forêt. La hausse des rendements a, quant à elle, des conséquences sur l'eau, sur les sols et sur la biodiversité. Tous les systèmes sont intéressants tant qu'ils valorisent pleinement les biens environnementaux. Le défi agricole est avant tout le défi de l'innovation et donc de l'investissement. Il en est de même pour le défi climatique. Le financement du climat doit donc être à la hauteur des enjeux.

Avec nos amis africains, nous devons résoudre la délicate équation qui conjugue le développement économique et les impératifs environnementaux. En tant que rapporteur spécial du budget de l'aide publique au développement à la commission des Finances, je dois m'assurer que l'action de l'État vise les bonnes priorités. La politique française de développement a bien intégré les objectifs relatifs au changement climatique. En particulier, l'AFD s'est dotée de sa propre stratégie climat. Elle porte la majeure partie des financements climat de la France. En 2007, les engagements annuels s'élevaient à 660 millions d'euros par an, et à 2,5 milliards d'euros actuellement.

Toutefois, les priorités géographiques devraient se concentrer davantage sur les pays les moins avancés. Les PMA ne sont, en effet, pas des émetteurs importants, mais ils sont principalement concernés par les effets du changement climatique. Au Sénégal, on observe depuis plusieurs années une chute des productions agricoles due à la salinisation des terres et à la baisse de fertilité des sols engendrés par le dérèglement pluviométrique et l'élévation du niveau des mers. Il est parfois nécessaire d'adapter les pratiques agricoles au nouveau contexte climatique. Nous avons visité un projet d'irrigation de cultures rizicoles dans le département du Podor, qui pallie la plus grande variation de la pluviométrie. Le Sénégal a, par ailleurs, l'objectif de réaliser son autonomie en riz.

Les PMA sont prêts à fournir des efforts sur leurs propres émissions, à condition que les pays développés s'engagent à diminuer les leurs. Les engagements financiers de la Conférence Paris Climat seront donc un signal fort.

Au sujet des financements, les PMA préféreraient un accès direct aux financements et non par le biais de structures multilatérales ou bilatérales. Ils privilégient les financements concernant l'adaptation au changement climatique plutôt que l'atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Ils considèrent que les financements en matière de lutte contre les changements climatiques doivent s'ajouter aux financements classiques annoncés dans le cadre des aides publiques au développement, et non s'y substituer.

Nous avons présenté un rapport devant la commission des Finances du Sénat qui indique que la situation particulière des PMA doit être prise en compte dans la politique climat de la France. Entre 2007 et 2014, les financements en matière d'adaptation n'ont représenté que 12 % du total des moyens. Ce déséquilibre au profit des actions d'atténuation prive les PMA de nos financements climat. Il est donc nécessaire de compléter les objectifs de la France en matière de financement climat par, d'une part, un objectif d'aide destinée aux PMA, et d'autre part, un objectif d'adaptation aux conséquences du changement climatique, tous deux à l'horizon 2020.

Nombre de sénateurs plaident régulièrement pour une taxe sur les transactions financières, dont le produit serait partiellement affecté à l'aide publique au développement. Toutefois, certains États membres y sont réticents. Le marché européen a, en outre, des quotas carbone qui pourraient représenter une autre source de financement. Les transports aériens et maritimes pourraient également être mis à contribution et intégrés dans le système européen des quotas.

Sans inflexion forte en matière de ressources, nous n'aurons pas les moyens d'aider les PMA à s'adapter, ce qui accentuera notamment la pression migratoire. Le défi climatique est donc un nouveau paramètre de l'équilibre entre le Nord et le Sud.

Mme Cécile BARBIÈRE - Monsieur Jean-Louis François, la question forestière est centrale, notamment en Guinée. M. Roland Portella nous a rappelé que la proportion du Produit intérieur brut africain provenant des ressources forestières pourrait atteindre 15 % en augmentant la valorisation. Comment équilibrer une agriculture climato-intelligente avec une conservation durable des ressources forestières en Afrique de l'Ouest ?

M. Jean-Luc FRANÇOIS - La forêt et l'agriculture ont de multiples relations, et il est intéressant de croiser ces sujets. Il faut, en premier lieu, prendre en compte la diversité des situations en Afrique. Il existe, en effet, « des Afriques », notamment en matière d'agriculture et de forêt. Il existe certes des forêts sèches sahéliennes mais aussi des forêts guinéennes ou du bassin du Congo. Des systèmes agraires extrêmement diversifiés sont, en outre, répartis sur l'ensemble du continent. Ils prouvent la capacité d'adaptation extraordinaire des paysans africains à des situations agroclimatiques extrêmement diversifiées. L'adaptation a donc toujours été la vie quotidienne des agriculteurs africains. Depuis les années 1970, les pays sahéliens ont connu de grandes sécheresses, mais les agriculteurs avaient déjà inventé des solutions d'adaptation considérables.

Il n'existe pas de dichotomie entre une agriculture destinée à produire des aliments et une forêt à protéger. Le système économique produit aussi de l'énergie en agriculture. Il existe une sylviculture, et la forêt est une opportunité de production d'énergie. En Europe, la logique de modernisation de notre mix énergétique nous conduit à redécouvrir le bois en tant qu'énergie, ce qui est aussi une option pour l'Afrique. Par ailleurs, l'Afrique possède des terres disponibles et des ressources en eau, qui lui permettent d'envisager une modernisation, y compris en sylviculture.

Les engagements des programmes nationaux d'investissements agricoles ou de sécurité alimentaire concernent la réduction des déficits commerciaux (autosuffisance alimentaire), notamment en prenant en compte la balance commerciale entre les exportations et importations, notamment de riz, et l'emploi. Il n'est pas incompatible d'investir dans l'agriculture ou dans la foresterie et de contribuer aux objectifs d'adaptation. Il est même possible de contribuer à l'atténuation, même dans des géographies où elle semble marginale. Au Sud du Niger, on constate ainsi un véritable reverdissement, lié au développement des parcs arborés, qui présentent un intérêt pour l'agriculture et fixent du carbone et de l'azote. Le Burkina Faso procède également à un reboisement du paysage pour obtenir du bois de feu. L'intensification, indispensable pour l'emploi des jeunes agriculteurs, suppose de traiter de la question de la fertilité des sols dans de nombreux pays ainsi que la gestion de l'eau. L'irrigation est primordiale et permet une amélioration de la productivité du travail et de la terre, y compris dans les vallées sèches du Niger. La fertilité des sols peut, en outre, être augmentée par une fertilisation organique, par l'augmentation du carbone dans les sols. L'utilisation des engrais minéraux sera d'autant plus efficace que la teneur en carbone organique des sols aura été augmentée de 4 % par an, ainsi que le recommande M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Certains pays d'Afrique peuvent atteindre des résultats supérieurs à 4 %.

La mobilité pastorale et des hommes, dans les terroirs et à travers les frontières, constitue un élément d'adaptation des agricultures et des systèmes agraires africains. On constate des meltings pots, communautés mélangées, qui se réunissent dans des zones où l'agriculture est plus facile. Cela suppose des politiques publiques d'accompagnement fortes. L'Afrique est diverse, y compris dans le peuplement, qui est parfois trop dense dans certaines zones, alors qu'il est possible de créer des exploitations agricoles dans d'autres zones. La gestion de mobilités sera un enjeu important, outre les transhumances.

D'une manière générale, en matière d'agriculture et de conservation de la biodiversité, des politiques agricoles d'intensification intelligentes (conseil agricole, financement de l'agriculture) sont nécessaires. Elles doivent être accompagnées de politiques territoriales et d'aménagement du territoire afin de choisir les zones d'accueil et d'exploitation, tout en préservant les ressources naturelles. Des politiques sous-régionales articulées seront également nécessaires.

Mme Cécile BARBIÈRE - S'agissant de l'irrigation, Madame Jacqueline Sultan, comment gérer la ressource en eau et la problématique de l'irrigation d'un point de vue régional ?

Mme Jacqueline SULTAN - L'irrigation reste une priorité dans l'approche de développement agricole de la Guinée. Le potentiel de terres irrigables s'élèverait à environ un million d'hectares, avec maîtrise partielle ou totale de l'eau. Notre agriculture est actuellement de type pluvial, et nous avons peu de terres irriguées. La politique actuelle consiste à développer la grande irrigation. Nous avons une multitude de petites terres humides dans la Guinée forestière à la frontière avec le Libéria et la Côte d'Ivoire, qui font l'objet d'aménagements et de maîtrise d'eau pour obtenir une agriculture annuelle, ce qui entraînera une augmentation de la production.

Des projets importants d'irrigation sont prévus sur les grandes plaines de Haute-Guinée, qui touchent les affluents du fleuve Niger. Ceux-ci auront un impact sur les pays traversés par ce fleuve. Cela nécessite donc des ententes entre les pays bénéficiaires. Le barrage de Fomi, à buts multiples, a l'objectif d'irriguer 100 000 hectares en Guinée mais aussi au Mali. L'État s'est engagé à réaliser des mégaprojets d'aménagements, ce qui permettra de maintenir des populations sur leurs territoires, en leur donnant la possibilité de cultiver des terres aménagées. Des barrages à but d'irrigation et de pêche sont installés. Le barrage de Koumdian à Mandiana ne couvre que 1 000 hectares sur une plaine de 18 000 hectares, mais il a entraîné l'arrivée des pêcheurs à l'activité inattendue.

La situation est plus compliquée pour les plaines d'arrière mangrove. Nous souhaitons une irrigation tous azimuts, cependant coûteuse. Nous demandons systématiquement une composante d'irrigation sur les barrages hydroélectriques.

TABLE RONDE 2 - LES DÉFIS LIÉS À L'ÉNERGIE : PRODUCTION ET ACCÈS

Ont participé à cette table ronde :

M. Mohamed SALEM OULD BECHIR, Ministre du Pétrole, de l'énergie et des mines de Mauritanie, Président du Conseil des ministres de l'Organisation pour la Mise en valeur du fleuve Sénégal
Mme Rima LE COGUIC, Responsable de la division Transports et énergies durables à l'Agence française de développement
M. Gilles VERMOT DESROCHES, Directeur du développement durable de Schneider Electric
M. Quentin SAUZAY, Chargé de mission auprès du Premier ministre du Bénin

M. Mohamed SALEM OULD BECHIR - Je remercie le Sénat et son Président, le groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest et l'Agence française de développement (AFD) de me donner l'occasion de participer à cette importante rencontre à quelques jours de la Conférence Paris Climat.

Il est admis que le changement climatique auquel doit faire face notre monde constitue un défi, plus encore pour l'Afrique, qui en subit des effets dévastateurs, alors qu'elle ne contribue que pour 2,3 % aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les effets du changement climatique affectent tous les secteurs vitaux : agriculture, élevage, santé, énergie et environnement. Les pays africains parleront d'une seule voix à la Conférence des Parties grâce à la mise en place d'un groupe de travail, et grâce à un panel d'experts présidé par M. Kofi Annan, dont le rapport en 2015 sur l'énergie contient des recommandations pertinentes et précises.

Un des effets les plus spectaculaires du bouleversement climatique est la fracture énergétique croissante : 621 millions d'Africains n'ont toujours pas accès à l'électricité et 727 millions continuent à recourir aux combustibles solides pour la cuisson. À ce rythme, l'Afrique n'obtiendra un accès universel à l'énergie moderne qu'en 2080, à condition qu'aucun phénomène nouveau n'aggrave la situation. Pourtant, le continent africain dispose de ressources qui lui permettraient de recevoir des investissements énergétiques efficaces qui permettent un tel accès au plus grand nombre à un coût raisonnable, tout en réduisant significativement la pauvreté. Pour cela, il est indispensable de concevoir des infrastructures adéquates. Toutefois, l'Afrique aurait besoin de multiplier sa capacité de réseaux par 260 pour atteindre ce potentiel.

Les pays sahéliens subissent les nombreuses manifestations du changement climatique, telles que la baisse des ressources en eau, la dégradation des terres, l'extension des zones arides vers le sud fertile, la réduction de moitié des rendements de l'agriculture pluviale, la baisse drastique des nappes oasiennes, la baisse de productivité du cheptel, des inondations sur les zones côtières qui abritent 30 % de la population, la désertification accélérée, qui nécessite une adaptation des écosystèmes, la baisse de la production issue de la pêche, la pollution du fleuve Sénégal et le régime fluvial irrégulier. La situation nutritionnelle des populations est aggravée par la sécheresse.

L'accès à l'électricité en Mauritanie est handicapé par la constitution de son territoire, la dispersion des populations et la faible densité du peuplement. Seuls 10 % des 8 100 localités ont plus de 500 habitants. Le développement horizontal des villes lié au nomadisme des populations constitue une contrainte qui entrave le processus d'électrification. La Mauritanie a donc préparé une contribution nationale dans le cadre d'un groupe de travail regroupant des départements ministériels, des agences publiques et nationales, la société civile et des associations communautaires. Cette contribution s'appuie sur les programmes de développement sectoriel et sur le cadre stratégique de la lutte contre la pauvreté, qui ont pour objectif la contribution au développement global, sobre en carbone et résilient aux impacts du changement climatique. Cela reflète la volonté de la Mauritanie de participer à la réduction mondiale des émissions de gaz à effet de serre et de répondre à ses besoins en matière d'adaptation dans la mesure de ses moyens et capacités. La proposition consiste en une réduction de 23 % des émissions de gaz à effet de serre entre 2015 et 2030, dont 20 % inconditionnels, soit une réduction cumulée de 33,56 millions de tonnes équivalent CO2. Plus précisément, la Mauritanie et l'espace OMVS (Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal) consentent des efforts, dont les premiers résultats sont encourageants.

La politique menée par la Mauritanie dans le secteur énergétique est en phase avec les objectifs définis par les conventions internationales sur le climat et les divers objectifs de développement durable internationaux et l'initiative « Énergie durable pour tous ». Cette convergence de principes et d'objectifs s'effectue au niveau de l'accès aux services énergétiques modernes et de la promotion des énergies renouvelables. Les différents volets de la stratégie sectorielle adoptée par la Mauritanie (schémas directeurs de la production transport, les conditions de déploiement des énergies renouvelables) s'articulent autour de quatre axes principaux : l'augmentation des capacités de production à partir des ressources locales, le développement du réseau de transmission et l'interconnexion avec les pays limitrophes, l'amélioration de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique, et la mise en place de solutions d'électrification décentralisée pour les zones durablement excentrées. Dans ce cadre, un portefeuille d'études stratégiques a servi de base à un programme élaboré par les autorités pour mettre, à terme, à la disposition des ménages, une électricité fiable.

Ce programme a pour objectif prioritaire la couverture du pays en électricité, afin de mettre fin au délestage et d'offrir une énergie fiable. Les capacités de production ont été renforcées entre 2009 et 2015, par la mise en service de 350 mégawatts de capacité additionnelle, dont 72 mégawatts d'énergies renouvelables. En outre, en milieu rural, des centrales électriques hybrides diesel-solaire ou éolien et des plateformes multifonctionnelles, alimentées par l'énergie solaire, ont été construites. La Mauritanie a ainsi évolué d'une situation déficitaire à une situation excédentaire.

Le programme de distribution de l'électricité a pour objectif de doter le pays d'un système de transport d'électricité vers les principaux centres urbains et industriels du pays et de permettre les échanges d'énergie avec les pays limitrophes. Quatre dorsales sont programmées pour relier les centres de production et de consommation des pays. Le renforcement et développement des réseaux électriques a pour objectif d'assurer une couverture optimale des centres urbains nationaux. Le nombre d'abonnés au réseau électricité de l'opérateur public a doublé en six ans et atteint 200 000 abonnés en 2015. Le taux d'accès est donc passé de 38 % en 2009 à 72 % en 2015. Le taux d'accès à l'électrification rurale reste cependant bas (4 %), en raison de la faible densité de peuplement et de la dispersion des localités. La nouvelle approche consiste à développer les réseaux de 33 kilovolts à partir de postes raccordés au réseau interconnecté de l'OMVS, pour s'affranchir des coûts de production élevés dépendant d'hydrocarbures importés.

La construction de réseaux autonomes est prévue pour alimenter les sites isolés du réseau interconnecté, en regroupant les centres de production de petite et moyenne taille alimentés par des sources hybrides pour raccorder par des réseaux de 33 kilovolts, les localités de plus de 500 habitants dans un rayon de 500 kilomètres. La construction d'une centrale hybride thermique-solaire, des réseaux d'interconnexion et des réseaux de distribution est à ce titre en cours de construction, avec l'aide de l'AFD et de l'Union européenne.

La Mauritanie a l'avantage de disposer d'un important potentiel en énergies renouvelables, avec la présence d'excellents gisements éoliens le long du littoral, d'une irradiation solaire élevée sur tout le territoire et d'importantes ressources en biomasse. Conscientes de ce potentiel, les autorités mettent en oeuvre un ambitieux programme de construction d'infrastructures d'énergies renouvelables, dont une nouvelle centrale photovoltaïque, une centrale hydroélectrique qui sera mise en service en 2018 à Gouina au Mali, avec une quote-part de 42 mégawatts de la Mauritanie prévue, et un parc éolien de 100 mégawatts en 2018.

Les autorités mauritaniennes s'engagent donc à valoriser les ressources énergétiques nationales et à diversifier le mix. Les énergies renouvelables représentent actuellement 25 % des capacités installées et couvrent 32 % de la demande. A l'horizon 2020, ces taux seront portés à 40 %. Par ailleurs, un projet de production d'électricité à partir du gaz est en développement. Il vise à terme l'installation de plus 700 mégawatts en coopération avec le Sénégal et le Mali. Des centrales hybrides alimenteront par des lignes à moyenne tension des localités situées dans un rayon de 120 kilomètres. S'y ajoutent des centrales hybrides et des plateformes multifonctionnelles ciblant des petites localités excentrées. Au terme de ce programme prioritaire, le taux d'électrification en milieu urbain atteindra près de 100 %, et 40 % en milieu rural.

Je souligne le bond qualitatif que l'OMS a permis de réaliser pour les pays qui y participent, par l'optimisation des synergies entre les pays de l'Ouest africain. La centrale de Gouina représente notamment une capacité de 540 mégawatts au bénéfice des quatre pays. Un fonds d'électrification rurale sera, en outre, mis en place cette année pour soutenir les programmes nationaux et garantir une coordination optimale du développement des interconnexions vers l'Organisation pour la mise en valeur du fleuve Guinée et le Système d'échanges d'énergie électrique Ouest-Africain (ou West African Power Pool, WAPP). Une politique énergétique commune de l'OMVS a été élaborée. Elle permettra d'établir des priorités en matière de programmation des nouvelles capacités de production et de transport.

Mme Cécile BARBIERE - Plus de 75 % de la population africaine vit sans accès à l'électricité, souvent dans des zones difficiles à raccorder. M. Gilles Vermot-Desroches, Directeur du développement de Schneider Electric, nous présente un programme de son entreprise pour faciliter l'accès au raccordement électrique des foyers en zone rurale.

M. Gilles VERMOT DESROCHES - Je suis chargé du programme d'accès à l'énergie chez Schneider Electric et Vice-président de l'initiative présidée par M. Jean-Louis Borloo. L'Afrique connaîtra une croissance d'un milliard d'habitants en quinze ans, ce qu'aucun continent n'a connu jusqu'ici. Il s'agit d'une croissance simultanément rurale et urbaine.

L'entreprise Schneider est un acteur de la distribution électrique et connaît les villes intelligentes. Or, quinze des plus grandes villes mondiales seront africaines en 2030. Il restera cependant 30 % à 40 % des populations africaines en zone rurale et il est donc urgent de leur apporter un accès à l'électricité, pour qu'elles puissent se stabiliser en zone rurale. 60 millions d'Africains sont concernés par le phénomène de migration et il est nécessaire d'intervenir maintenant au sujet de l'accès à l'énergie. En outre, l'Afrique représentera la moitié de la population active mondiale en 2050, ce qui devrait intéresser les entreprises pour qu'elles participent au développement économique de l'Afrique.

Nous nous trouvons à un moment disruptif dans la manière de mettre en oeuvre la question électrique. Désormais, plus personne ne voudrait câbler l'Afrique d'un réseau filaire de téléphone. Il ne viendra plus à l'esprit de personne de considérer que l'accès à l'électricité des populations qui en sont encore privées se fera par le réseau, suivant une logique de croissance du réseau, comme dans les pays industrialisés. En Inde, la concentration de population le permet, mais mon entreprise est convaincue que l'accès à l'énergie d'une partie des habitants de l'Afrique qui n'y ont pas encore accès, se fera par des microréseaux autonomes intelligents, avec accès à l'énergie renouvelable. Le prix du mètre carré de panneaux photovoltaïques a diminué de 80 % entre 2009 et 2015. Le photovoltaïque pourrait également être utilisé pour la cuisson. En effet, la décroissance des prix devrait se poursuivre. L'accès à l'énergie doit donc s'envisager sous l'angle des nouvelles énergies. Par ailleurs, le réseau intelligent vise à optimiser la consommation, ce qui permet de réduire l'investissement pour une surconsommation.

Schneider Electric commercialise une lampe disposant d'un panneau photovoltaïque permettant, en outre, de charger un téléphone et faire fonctionner un ventilateur. Ces lampes coûtent entre 5 et 40 dollars. A ce titre, il conviendrait de mieux réfléchir à la fiscalité des panneaux photovoltaïques, car en augmentant le coût à l'entrée, ils réduisent les capacités de développement. Il serait préférable que la fiscalité porte sur les conséquences du développement. En outre, cette lampe est de qualité et très solide, ce qui est important pour des populations qui se déplacent beaucoup, car il est préférable de payer plus cher une lampe qui dure plusieurs années qu'une lampe à remplacer sans cesse.

Par ailleurs, Schneider crée des micro réseaux de villages qui représentent un investissement de 100 à 500 euros par famille et permettent de faire fonctionner plusieurs appareils, de l'éclairage public et de fournir de l'électricité pour des établissements publics. Certes, cela semble cher, mais de nombreux réseaux sont financés par des acteurs de la diaspora africaine. Il s'agit d'une des solutions de nouveau business model .

De la salle - L'Afrique n'avancera pas avec des lampes de poche. Nous avons besoin de centrales électriques.

M. Gilles VERMOT DESROCHES - Le micro réseau est une solution collective pour de petits villages, qui requiert un co-investissement, qui ne provienne pas uniquement des habitants.

L'Afrique est, en outre, probablement le lieu de la création de tous les business models de demain, ce qui devrait intéresser les grandes entreprises internationales. Les nations occidentales ont des difficultés à passer de l'économie de la propriété à l'économie de l'usage (économie circulaire). La population africaine, la plus jeune de la planète, inventera l'économie de l'usage et se trouvera demain dans une logique de reverse economy . Mon entreprise s'investit pour apporter les solutions les plus adéquates, comme le micro réseau de village. L'énergie renouvelable, le pay as you go sont des solutions inédites, dont les prix sont très inférieurs aux solutions précédentes. Par ailleurs, l'Afrique et l'Europe se trouvent sur le même continent ; illuminer l'Afrique sera pour nos entreprises et les nations européennes une ambition collective. Quelques entreprises, souvent françaises, se mobilisent auprès de l'Afrique. Schneider a par exemple un partenariat avec la Poste au Bénin.

L'expertise et le transfert de compétences sont actuellement plus problématiques que l'aspect technologique ou financier. Actuellement, en Afrique, les personnes formées pour être des acteurs d'entreprises liées à l'électricité sont celles qui en disposent déjà. Il est important de lancer un plan global de formation et de transfert de compétences pour parvenir à une électrification totale. À ce titre, Schneider Electric participe à un plan de formation d'un million de personnes en dix ans, et a financé la création d'une école d'ingénieur au Cameroun et d'une école de techniciens en Tanzanie. L'AFD a, en outre, créé un fonds d'investissement en partenariat avec des entreprises et d'autres organismes pour soutenir la création de ces entreprises en Afrique. Nous soutenons une vingtaine d'entreprises locales pour favoriser leur contribution à l'accès à l'électricité.

Mme Cécile BARBIERE - Vous avez mentionné la problématique de l'électrification de l'Afrique, et également la chute des prix des panneaux solaires. Le potentiel d'énergie solaire est très important, mais encore sous-exploité en Afrique.

M. Quentin Sauzay est chargé de mission auprès du Premier ministre du Bénin, et responsable du programme « Lumière pour tous », qui a pour objectif d'amener l'électricité dans les foyers ruraux d'Afrique, grâce à l'utilisation du solaire.

M. Quentin SAUZAY - Notre initiative est uniquement possible grâce au travail d'entreprises comme Schneider, qui nous permet de répondre à la question suivante : « Peut-on sortir de l'obscurité 80 % de la population du continent africain ? » Il est important de distinguer l'accès à l'énergie et le droit à la lumière. L'accès à l'énergie repose sur le développement du réseau, la création de mini-réseaux et l'apport de solutions décentralisées aux personnes qui sont dans l'incapacité d'accéder au réseau lointain ou de bénéficier d'un mini-réseau. La solution existe, grâce à des systèmes solaires Pico ou kits solaires.

Le droit à la lumière doit être un droit social universel. Des lampes à panneau solaire intégré coûtent moins de 5 dollars et peuvent remplacer les lampes à kérosène. Avec leur batterie, ces lampes à LED ont une autonomie d'environ 4 heures 30. Les personnes éloignées des pôles urbains ont besoin d'eau potable et de lumière. En effet, lorsque le soleil se couche, elles se trouvent dans l'obscurité, et ne peuvent donc ni étudier ni sortir le soir. Les lampes à kérosène ne sont pas une solution durable, mais sont aussi dangereuses pour le foyer, à cause des risques d'incendie et de problèmes respiratoires. Il convient de réussir à atteindre les 20 % de personnes oubliées dans chaque programme de développement, parce qu'elles sont très isolées. Une distribution gratuite de ces lampes sera donc effectuée auprès de tous les écoliers du Bénin du primaire et du secondaire, soit 3,5 millions d'écoliers en six mois. Certes, cela ne suffit pas, mais cette distribution doit permettre aux populations de découvrir cette technologie. Par analogie avec la révolution du téléphone portable, une fois que ces lampes seront découvertes, les populations ne pourront plus se passer de cette source de lumière sûre et exigeront que cela devienne un droit social.

Par ailleurs, nous faisons face à un défi important, car les populations n'ont plus confiance dans la technologie solaire, dont la première génération les a déçues. Ils veulent donc l'électricité, mais refusent le solaire. Il convient donc de montrer aux populations que ces produits sont très différents des premières technologies. Ils sont issus de la certification « Ligthing Africa » de la Banque mondiale, qui oblige les fabricants à garantir leurs produits pendant deux ans. Le système de distribution doit donc être suffisamment fiable pour offrir cette garantie sur l'ensemble du territoire.

Le programme a trois composantes. La première composante est la composante sociale du droit à la lumière, qui se traduit par la distribution des lampes, dans le but que toute une génération découvre cette technologie.

La composante commerciale consiste à développer un marché pour inscrire cette initiative dans la durée, en distribuant les produits dans toutes les régions du Bénin. Une importante communication accompagnera ce développement, ainsi que des mécanismes d'accès au financement pour éviter des ruptures de stock. Certes, ces lampes sont chères (4 000 francs CFA, soit la dépense énergétique mensuelle d'un foyer au Bénin). Les montants nécessaires pour monter en capacité vers des kits de maison permettant de brancher plusieurs équipements sont actuellement hors de portée des ménages. Il convient donc de s'appuyer sur des dispositifs de microfinance et sur une initiative de « pay as you go » , qui permet de ne payer que 10 % du prix à l'achat, puis d'effectuer des remboursements chaque semaine par paiement mobile.

Il est important de se rappeler qu'il ne s'agit plus d'un problème économique, mais de réunir les acteurs du développement, les gouvernements et les ONG pour donner l'accès à l'énergie pour tous que les populations demandent.

M. Gilles VERMOT DESROCHES - Je dois vous quitter, mais le responsable de Schneider Electric en Algérie est présent dans cette salle et pourra répondre à vos questions.

Mme Cécile BARBIERE - Nous avons largement couvert le sujet de l'électrification en Afrique. Madame Rima Le Coguic, vous êtes responsable de la division transport et énergies renouvelables à l'AFD. Comment développer le potentiel d'énergies renouvelables ? L'Afrique pourrait, en effet, devenir à moyen terme le premier continent durable de la planète.

Mme Rima LE COGUIC - Il est cependant nécessaire de concilier le sujet social, représenté par l'accès à l'énergie, et le sujet relatif au climat et à l'environnement. Aujourd'hui, des solutions peu coûteuses à base d'énergies renouvelables permettraient de donner l'accès à des personnes actuellement sans lumière. Le financement de réseau représente de 1 500 à 2 000 euros la connexion, alors que les kits solaires coûtent de 5 à 100 euros.

Les émissions africaines sont aujourd'hui très faibles, et ne représentent que 2 % à 3 % des émissions mondiales de CO2. Pourquoi lui demander de faire un effort de réduction ? Tous les pays africains ont pour objectif de développer le potentiel d'énergies renouvelables. Cet objectif courageux est à saluer.

Le développement des énergies renouvelables en Afrique est également une réelle opportunité économique : le potentiel de l'éolien, du solaire, de la géothermie, de l'hydroélectrique est plus compétitif que le développement du gaz, du charbon ou du fioul. L'Afrique a déjà commencé à développer ce potentiel, et dans certains pays, les énergies renouvelables représentent déjà plus de 60 % du mix énergétique. Toutefois, le coût de production est souvent plus élevé qu'en Europe (18 centimes contre 12 centimes par kilowatt-heure). Dans certains pays, un pourcentage élevé du PIB est consacré aux subventions aux énergies fossiles, par manque de planification des politiques énergétiques.

Il est désormais nécessaire que le concept devienne action et que la stratégie devienne projet. Bailleurs de fonds, gouvernements, opérateurs et acteurs du privé devront relever ce défi collectivement. La prochaine étape consiste à décliner la transition énergétique en plan d'action, qui doit comporter des programmes d'investissement et étudier les projets à développer en énergies renouvelables. Au-delà du plan d'investissement et du financement des études, les gouvernements africains doivent adopter des réglementations par l'octroi de licences, d'ouvertures au secteur privé, de tarifications permettant de rentabiliser ces investissements. Les bailleurs doivent accompagner ces efforts et apporter des financements bonifiés lorsque les investissements ne sont pas rentables. La coordination des différents acteurs est indispensable pour réaliser ces projets.

Les Africains ont lancé récemment une initiative de développement des énergies renouvelables en Afrique, adoptée par le sommet des chefs d'État de Johannesburg, avec l'objectif de développer 10 gigawatts d'énergies renouvelables à l'horizon 2020. Nous travaillerons tous pour réaliser cet objectif.

Mme Cécile BARBIERE - Monsieur le ministre, je vous propose de réagir sur la nécessité d'adapter la réglementation pour réaliser la transition vers les énergies renouvelables et de détailler l'initiative africaine qui vient d'être évoquée.

M. Mohamed SALEM OULD BECHIR - Tout comme pour l'agriculture, il n'existe pas un modèle unique d'électrification en Afrique, mais divers modèles, selon les contextes. La Mauritanie est un vaste pays et a une population essentiellement nomade, dix fois moins nombreuse que la population française et extrêmement dispersée. Les coûts de raccordement sont donc extrêmement élevés, ce qui ralentit l'électrification du pays. En outre, le développement des villes est horizontal, ce qui représente une contrainte supplémentaire. Nous essayons d'adopter des solutions d'électrification cohérentes et en adéquation avec les réalités du pays. Le développement des réseaux interconnectés est privilégié lorsqu'il est économiquement rentable et que les investissements réalisés sont durables et soutenables. Pour d'autres régions, nous avons essayé de regrouper les localités en réseaux isolés, avec une production hybride (thermique-solaire ou thermique éolien) et des réseaux « araignées ». Toutefois, des zones restent excentrées par rapport au réseau, et il n'existe pas d'autre solution que les kits solaires ou les plateformes multifonctionnelles pour les populations qui y vivent. Il est cependant envisageable que des réseaux atteignent un jour ces zones.

L'Afrique a un potentiel important d'énergies renouvelables, dont le coût d'investissement a significativement baissé. À Nouakchott, le parc éolien représente 4 000 heures en équivalent pleine puissance, ce qui permet d'obtenir un KWh à 5 centimes. L'énergie solaire coûte 12 centimes le KWh. La tendance de la baisse des prix se poursuit. Sur le littoral, des gisements représentent plus de 5 000 heures en équivalent pleine puissance, ce qui laisse augurer des coûts de production d'environ 3 centimes. Toutefois, le stockage reste la question principale. Des solutions sont recherchées, notamment par la mutualisation du réseau entre plusieurs pays pour absorber davantage d'énergies renouvelables.

Dans le cadre de la politique africaine commune de développement des énergies renouvelables, la Mauritanie a un projet de 100 mégawatts éoliens. Pour développer l'accès aux énergies, les gouvernements devront élaborer des politiques fiscales, d'investissement et d'exploitation des nouvelles capacités.

Compte tenu des contextes particuliers, chaque pays devra être étudié indépendamment, pour éviter les erreurs de la libéralisation du secteur de l'électricité en Afrique des années 1990.

DÉBAT AVEC LA SALLE

M. Yann QUEINNEC, Créateur d'Affectio Mutandi ( Agence conseil en stratégies sur les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance ) - Nous animons la commission RSE (responsabilité sociale des entreprises) du Conseil des investisseurs français en Afrique.

Comment la notion de contenu local est-elle intégrée dans la réglementation, pour toucher des populations parfois très excentrées ?

M. Mohamed SALEM OULD BECHIR - En Mauritanie, notre tentative de fabriquer localement des panneaux solaires a échoué, parce que peu de fabricants parviennent à produire à bas coût, en dehors de la Chine. En outre, la formation et le développement des compétences locales sont nécessaires pour assurer l'entretien des petits équipements. Pour les centrales, nous recourons au système d'opération et maintenance partagée avec les grands groupes pour développer un contenu local en encourageant l'emploi. Nos contrats avec les entreprises et les opérateurs imposent systématiquement d'investir dans des écoles ou des hôpitaux. Avec le potentiel de développement de ce marché, l'Afrique est en position d'exiger un contenu local plus important qu'auparavant.

M. Roland PORTELLA - Comment passer du marketing à la réalité, puis au haut de gamme ? Dans les contenus locaux, les acteurs locaux ne doivent pas être considérés comme de la basse main d'oeuvre. Dans le secteur des mines et de l'énergie, les personnes disposant de compétences souhaitent devenir des sous-traitants haut de gamme, alors que de nombreuses compagnies considèrent que le contenu local consiste à réaliser de petits travaux.

Mme Marion RICHARD, réseau Climat et développement - L'énergie est au coeur des questions de climat et d'environnement, car les énergies renouvelables font partie de la solution pour lutter contre le changement climatique et la pauvreté. Par ailleurs, les énergies fossiles sont les principales responsables du changement climatique. Pourquoi le mot « énergie » n'est-il pas cité une seule fois dans le projet de texte pour l'accord de la Conférence Paris Climat ?

Onze pays européens travaillent sur une taxe sur les transactions financières. Les dirigeants africains pourraient demander aux autres pays européens d'allouer une partie de cette taxe au climat et au développement, à l'instar de la France.

Mme Rima LE COGUIC - Je ne fais pas partie de l'équipe de négociation et je ne sais pas pourquoi le terme « énergie » ne figure pas dans le texte.

M. Mohamed SALEM OULD BECHIR - L'énergie est très présente dans les contributions nationales, notamment dans celles des pays africains. En Mauritanie, 30 % des émissions de gaz à effet de serre sont liés à l'énergie. Cette production risque de quintupler d'ici 2030 si nous poursuivons ainsi. Pour cette raison, nous avons décidé de développer les énergies renouvelables.

L'Afrique s'exprimera également sur le sujet de la taxe.

M. Quentin SAUZAY - Il me semble que la question de la taxe est au coeur des débats menés par M. Jean-Louis Borloo, qui entreprend de lever des fonds pour l'Afrique. La forme n'est pas définie et les montants sont à fixer.

De la salle - Le rôle des parlements et des parlementaires n'a pas été évoqué, notamment en ce qui concerne la législation relative aux défis que vous avez évoqués.

M. Jacques LEGENDRE - Un groupe d'amitié de parlementaires a voulu que ce débat ait lieu au Sénat. Nous sommes donc attentifs et nous attendons les résultats de la Conférence Paris Climat pour poursuivre notre accompagnement des événements et des évolutions. En outre, M. Jean-Louis Borloo est un ancien parlementaire et ministre. Les groupes d'amitié ont aussi pour rôle de faire évoluer les législations dans les pays concernés. J'appartiens également à l'Assemblée parlementaire de la francophonie, où nous continuerons à nous engager sur cette question. Les parlementaires considèrent donc qu'ils sont engagés dans ce domaine.

De la salle - Je m'étonne que ce débat n'ait pas mentionné les accords de Cotonou qui s'achèveront en 2020 au sujet du financement du développement en électricité.

Monsieur Roland Portella, que comptent faire les acteurs de la société civile au sujet de ce manque de financement après 2020 ?

Mme Cécile BARBIERE - L'accord de Cotonou porte surtout sur les relations commerciales.

M. Roland PORTELLA - Pour la société civile, un des grands chantiers porte sur les aspects sociétaux qui découlent de la déforestation. La société civile est connectée et se mobilise. Le cours de bourse d'une société anglaise du secteur de l'énergie a chuté en deux jours après une mauvaise action de cette entreprise, parce que la société civile a réagi rapidement.

Les savoir-faire traditionnels se mêlent à des savoir-faire élaborés pour recenser les essences, la biodiversité, et la botanique qui existent dans les forêts. Ces savoir-faire doivent être répertoriés pour monter en gamme ultérieurement. Les États ne sont souvent pas en mesure de répondre aux questions portant sur leurs ressources naturelles ; les grandes compagnies répondent à leur place, ce qui pose un problème de souveraineté. Le corps intermédiaire peut réaliser ce travail.

M. Félicien de CARVALHO - Vous nous présentez des gadgets, que j'ai déjà vus dans d'autres conférences. Nous ne voulons pas faire des économies, alors que tous les autres peuples ont gaspillé avant nous. Nous avons besoin de vraie lumière, pas de petites lampes, et de vrais réseaux. Nous avons des ambitions comme les Européens, de vrais autobus et de vraies routes, et les Africains sont aussi compétents. Nous sortons le soir, même sans lumière. En revanche, nous avons besoin d'un vrai développement. Nous recevons toujours moins de fonds que l'Inde ou la Chine. L'argent est disponible, mais nous avons besoin de bons projets et de partenaires.

M. Mohamed SALEM OULD BECHIR - Cette problématique est sérieuse et doit être prise en compte. Il n'existe pas une solution d'électrification unique. En Mauritanie, tout s'oppose à l'électrification : le pays est vaste et les populations sont nomades, avec une densité très faible. Seulement 10 % des localités du pays ont plus de 500 habitants. Toutefois, les populations des petits villages veulent l'électricité pour accéder à la télévision, posséder un réfrigérateur. Dans les petites localités, les foyers sont raccordés au satellite. Il est nécessaire d'établir en premier lieu un plan pour proposer des solutions rentables aux localités présentant les populations les plus nombreuses. Il restera ensuite un faible besoin de solutions d'électrification décentralisées. Le kit solaire de maison permet d'avoir la télévision et quelques équipements. Les plateformes multifonctionnelles sont aussi une solution. À terme, il est légitime que ces populations aspirent à disposer d'une électricité qui couvre tous leurs usages. Je ne suis pas pessimiste pour l'Afrique, parce que de nombreux projets existent et les coûts de production des énergies renouvelables deviennent compétitifs par rapport aux énergies fossiles. Je partage votre cri du coeur : il est nécessaire d'assurer l'accès à l'électricité à tout le monde.

M. Francis MONTHÉ, Président du Grdr Migration-Citoyenneté-Développement - Vous avez dit que la diversité des systèmes agraires était la preuve de la capacité d'adaptation des hommes sur place. Des solutions individuelles ont été proposées, exclusivement techniques (les lampes), mais la ministre de l'Agriculture de Guinée a mentionné des mégaprojets, qui m'évoquent des projets soviétiques, qui ont notamment abouti à l'assèchement de la mer d'Aral. Aux mégaprojets contrôlés par des techniciens de l'extérieur, que je trouve effrayants, je préfère des communautés plus restreintes sur des territoires où les gens vivent et connaissent leur milieu. Il faut travailler avec eux dans une perspective de décentralisation. Il est impossible de développer des territoires sans les personnes qui y vivent, qui en connaissent le foncier, la pluviométrie et le milieu naturel. S'ils ne sont pas formés et consultés, la plupart des tentatives avortent, parce qu'elles ne sont pas durables. Les gens doivent s'approprier le développement, quel qu'il soit, ce qui n'est possible que par des processus de consultation locale et de développement de la décentralisation.

M. Quentin SAUZAY - L'électricité pour tous sera une réalité dans quelques années si nous faisons les efforts nécessaires, mais, depuis trente ans, les populations entendent les mêmes messages. En attendant, les habitants sont contents de recevoir nos lampes. Il convient de ne pas décrédibiliser des solutions qui aident les populations.

M. Jean-Luc FRANCOIS - La ministre de l'Agriculture de Guinée aurait pu aussi évoquer un programme de l'AFD d'appui aux communautés villageoises. Nous considérons qu'il s'agit d'une des composantes essentielles d'une stratégie de développement territorial pro-climat à co-bénéfice de développement et d'usage des terres. La révolution agro-écologique se réalise dans l'ensemble du bassin versant, pas dans une parcelle, dans la concertation. Dans de nombreux pays, nous couplons des approches de développement agricole et des projets d'appui aux collectivités locales rurales. Nous utilisons le terme de « territoires ruraux à co-bénéfice » de développement, paix, sécurité, emploi, biodiversité et climat.

CLÔTURE

M. Philippe LACOSTE , Adjoint à la Représentante spéciale
pour la Conférence des Parties

Dans le cadre de la Conférence Paris Climat, nous devons aboutir collectivement à un accord juridiquement contraignant sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l'adaptation au changement climatique. Cet accord traite donc simultanément les causes et les symptômes, car il est nécessaire d'apporter une réponse au changement climatique. Les projets de texte ne sont pas définitifs, et des termes sont susceptibles d'y être ajoutés. Une conférence préparatoire de 80 ministres se réunira dès dimanche dans la « pré-Conférence Paris Climat », avant que nous nous retrouvions du 30 novembre au 11 décembre pour la Conférence des Parties.

Cette conférence n'est pas une conférence de négociateurs, mais une conférence des parties et de l'action. Il est nécessaire d'organiser des financements internationaux et d'apporter des réponses à la question du transfert des technologies, traditionnelles, nouvelles ou futures.

Par ailleurs, les compétences ont également été évoquées plusieurs fois lors de ce colloque. Un bon projet n'a jamais de problèmes de financement. Nous réussirons probablement à obtenir sans difficulté les objectifs de financement de 100 milliards de dollars par an de financement à l'horizon 2020, mais je crains que cet argent ne soit pas distribué à ceux qui en ont besoin. En effet, les mécanismes de flexibilité du protocole de Kyoto ont finalement davantage profité aux grands pays qu'aux pays en développement. C'est une préoccupation des négociateurs. Le « Fonds vert » ne représente qu'une partie des 100 milliards de dollars. Les aides bilatérales et des banques de développement s'y ajoutent. Les PMA ont obtenu qu'une parité soit établie entre l'adaptation et la réduction des émissions et que la priorité soit accordée aux pays les plus vulnérables. L'usage des terres et l'efficacité énergétique sont les secteurs les plus porteurs pour ces projets. Les contributions nationales représentent une sorte de catalogue de projets pour les bailleurs de fonds. Une partie inconditionnelle correspond aux financements des pays sur leurs ressources propres, et une partie conditionnelle est soumise aux financements internationaux.

L'Afrique est motivée, parce qu'elle a des besoins et est vulnérable. Elle est politiquement organisée et s'exprime d'une seule voix. Son point de vue est écouté dans les négociations internationales, où le groupe Afrique représente 53 voix. En outre, le groupe du G77 et de la Chine - qui compte 123 pays - est présidé par l'Afrique du Sud. La conjoncture paraît donc favorable. Soyez certains que la présidence française y sera particulièrement attentive.

M. Jacques LEGENDRE Ancien ministre, Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique de l'Ouest

Au Sénat, nous avons voulu que la parole soit donnée à l'Afrique et que ses attentes soient soulignées dans un grand rassemblement mondial, où il serait injuste de contraindre l'Afrique à des efforts, alors qu'elle est beaucoup moins responsable que d'autres des problèmes climatiques que nous rencontrons actuellement. Il est donc légitime de vous entendre et d'entendre les contreparties que l'Afrique est en droit de demander.

L'Afrique est loin de connaître le confort électrique des pays occidentaux. L'objectif consiste à offrir progressivement à tous une qualité de service équivalente. Toutefois, je rappelle que la France a mis des dizaines d'années pour être électrifiée. Les dernières communes ont été électrifiées pendant l'entre-deux-guerres, et des plaques sur des immeubles de Paris indiquent encore « Gaz et électricité à tous les étages », rappelant un passé qui n'est pas si lointain. L'électrification prend du temps parce qu'elle est coûteuse. En outre, il est toujours plus simple de la réaliser pour des populations rassemblées sur un territoire que pour des populations dispersées

Le Sénat est la maison des collectivités territoriales. Les sénateurs issus du monde rural sont souvent mécontents que les réseaux soient surtout au service des grandes villes. Ils veulent que le réseau maille de façon égalitaire l'ensemble du territoire. L'inégalité de l'accès à l'internet est un problème qui préoccupe les sénateurs, car un débit insuffisant est un facteur susceptible de décourager des entreprises de s'installer sur un territoire. Il est donc facile pour les parlementaires de comprendre les problèmes de leurs collègues africains, car ils rencontrent des distorsions similaires et souhaitent également des évolutions. En outre, les parlementaires sont des élus selon le principe démocratique et ont des comptes à rendre à leurs concitoyens.

Le rapporteur budgétaire, présent à ce colloque, indiquera au gouvernement que nous souhaitons mener une politique selon des objectifs clairement affichés.

L'Agence Française de développement a fait des efforts importants pour que ce colloque puisse se tenir avant la Conférence Paris Climat, en réponse au souhait du Président du Sénat, qui s'est déplacé pour inaugurer ce colloque. Nous devrons nous montrer attentifs à ses travaux de la Conférence des Parties et au processus qui la suivra.

Je remercie les personnalités qui ont participé à ce débat, ainsi que les auditeurs. Les sénateurs ne vivent pas dans un monde coupé des réalités, mais retournent chaque semaine dans leurs circonscriptions, où ils rencontrent leurs électeurs. Ces problèmes climatiques et de développement inégal affectent notamment indirectement la ville de Calais située dans ma circonscription, qui reçoit désormais aussi des réfugiés climatiques.

Continuons à dialoguer pour faire avancer les choses !

ANNEXES

- Annexe 1

Extrait du rapport d'information n° 713 (2014-2015) du 30 septembre 2015 de Mme Fabienne KELLER et M. Yvon COLLIN, au nom de la commission des finances du Sénat sur les financements en matière de lutte contre le changement climatique en faveur des pays les moins avancés

- Annexe 2

Rapport Africa Progress Panel 2015 sur les progrès en Afrique « Énergie, population et planète » - Saisir les opportunités énergétiques et climatiques de l'Afrique

Annexe 1 - Extrait du rapport d'information n° 713 (2014-2015)

Annexe 2 - Extrait du rapport 2015 Africa Progress Panel


* ( 1 ) Membres du groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique de l'Ouest : Mme Leila AÏCHI, Mme Michèle ANDRÉ, Mme Éliane ASSASSI, M. Dominique BAILLY, M. Philippe BAS, M. Christophe BÉCHU, M. Michel BILLOUT, Mme Marie-Christine BLANDIN, M. Jean-Marie BOCKEL, M. Jean-Claude BOULARD, M. Michel BOUVARD, M. Olivier CADIC, Mme Agnès CANAYER, M. Jean-Pierre CANTEGRIT, M. Gérard CÉSAR, Mme Hélène CONWAY-MOURET, Mme Cécile CUKIERMAN, M. Ronan DANTEC, M. Robert del PICCHIA, M. Michel DELEBARRE, M. Louis DUVERNOIS, M. Jean-Jacques FILLEUL, M. Jean-Paul FOURNIER, M. Christophe-André FRASSA, M. Jean-Claude FRÉCON, Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, M. François GROSDIDIER, M. Joël GUERRIAU, M. Loïc HERVÉ, Mme Odette HERVIAUX, M. Robert HUE, M. Éric JEANSANNETAS, Mme Sophie JOISSAINS, M. Alain JOYANDET, M. Philippe KALTENBACH, Mme Christiane KAMMERMANN, Mme Fabienne KELLER, M. Georges LABAZÉE, M. Joël LABBÉ, M. Jean-Yves LECONTE, M. Jacques LEGENDRE, M. Jean-Baptiste LEMOYNE, Mme Claudine LEPAGE, Mme Valérie LÉTARD, M. Jean-François LONGEOT, M. Jeanny LORGEOUX, M. Didier MANDELLI, M. Didier MARIE, M. Jean-Marie MORISSET, M. Philippe MOUILLER, M. Jean-Vincent PLACÉ, M. Hervé POHER, M. Henri de RAINCOURT, M. Daniel RAOUL, M. Daniel REINER, M. Charles REVET, Mme Catherine TASCA, M. Jean-Pierre VIAL, M. Richard YUNG

_________________________________________

N° GA 130 - Novembre 2015

* 2 L'atténuation consiste à réduire les émissions de gaz à effet de serre pour limiter les effets du

changement climatique.

* 3 L'adaptation consiste à augmenter les effets positifs du nouveau climat.

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