B. DÉPASSER LA COOPÉRATION ACTUELLE

Il paraît dès lors indispensable de dépasser les coopérations actuelles, non pour les remettre en cause mais pour leur donner davantage de moyens, développer de nouvelles pistes d'actions et renforcer les synergies.

1. Les limites de la coopération actuelle

a) Des montants limités

L'aide de la France est en net recul depuis l'interruption en 1996 d'une longue série de protocoles financiers en faveur du Yémen (937 millions de Francs entre 1977 et 1996). Les montants financiers engagés sont aujourd'hui modestes :

La programmation pour l'année 2001 prévoyait l'affectation de 7.209.126 francs au Yémen, se répartissant comme suit au sein du ministère des affaires étrangères :

Direction de l'Audiovisuel et des Techniques de Communication : 218.727 francs
Direction de la Coopération Culturelle et du Français : 3.547.867 francs
Direction du Développement et de la Coopération Technique : 1.071.107 francs
Direction de la Coopération Scientifique, Universitaire et de Recherche : 1.121.425 francs
Direction de la Stratégie, de la Programmation et de l'Évaluation : 1.250.000 francs

S'ajoutent à ces crédits les fonds de contrepartie générés par la vente de l'aide alimentaire française (10.000 tonnes de farines de blé en 2000 au lieu de 6.100 en 1999). Ces fonds de contreparties sont destinés à financer des projets dans le domaine agricole et rural, axé sur la sécurité alimentaire, ainsi qu'un appui aux secteurs de l'irrigation et de la pêche.

Le relevé de la dernière commission mixte franco-yéménite de novembre 1999, qui constitue le cadre de référence de l'action française de coopération à moyen terme, met l'accent sur l'axe traditionnel de la coopération culturelle et linguistique mais aussi sur l'aide au développement de l'État de droit.

L'aide au développement française reste malheureusement bien en deçà de l'aide octroyée par d'autres pays européens comme l'Allemagne, Les Pays-Bas et l'Espagne, même si la France contribue à hauteur de 20% aux crédits de l'Union Européenne mis à disposition du Yémen.

b) Une priorité à la francophonie

L'aide française a une spécificité qui la distingue encore des autres actions de coopération étrangères en ce qu'elle met l'accent sur l'éducation et la coopération linguistique. Si cette action ne répond pas à toutes les attentes des autorités yéménites, elle permet de donner une visibilité supérieure aux moyens effectivement mis à disposition et permet d'investir un champ ignoré des autres pays occidentaux. Elle pose néanmoins question dans un pays où la francophonie est traditionnellement inexistante et où le taux d'analphabétisme est aussi élevé.

L'enseignement du français absorbe une part importante des crédits affectés à la coopération et mobilise l'essentiel des bourses 41( * ) et du personnel dont dispose le poste de coopération à Sanaa.

Cette promotion du français porte ses fruits puisque dix lycées yéménites comportent aujourd'hui un cursus du français qui concerne 25 professeurs et 8.820 élèves. La création d'un corps d'inspecteur de français en juin 1999 a même permis l'introduction d'une épreuve de français au baccalauréat national.

Dans l'enseignement supérieur, quatre universités sont dotées de départements de français à part entière : Sanaa, Aden, Taëz et Dhamar. Une première promotion de licenciés est sortie en 1995 de Sanaa, en 1997 d'Aden et en 1998 de Taëz.

La délégation du groupe sénatorial a eu le plaisir d'inaugurer le nouveau bâtiment du département de français de l'université d'Aden et de féliciter l'action du corps professoral.

Elle a remarqué que les enseignants de français à l'université et des centres culturels étaient pour une part constitués de Français d'origine algérienne qui font le pont entre arabe et français d'une manière extrêmement efficace et passionnée.

Par ailleurs, à l'occasion de l'inauguration de la nouvelle école française de Sanaa, la délégation 42( * ) a pu rendre hommage au dévouement du corps professoral et à l'implication des parents d'élèves d'un établissement qui, des petites classes jusqu'au collège, joue un rôle irremplaçable pour la communauté française mais aussi pour d'autres expatriés, francophones ou non francophones.

Enfin, le Centre Culturel et de Coopération linguistique de Sanaa est un lieu majeur pour l'enseignement du français langue étrangère puisqu'il accueille plus de 300 étudiants. Ce centre a un véritable rayonnement culturel à Sanaa. Il est un des rares lieux publics mixtes de la ville.

Depuis la fermeture de la Maison Rimbaud 43( * ) , la coopération linguistique française avait quelque peu délaissé le sud du pays. Si la fermeture de la maison Rimbaud, le transfert des coopérants français de l'université d'Aden vers celle de Sanaa, la suppression des bourses d'études de longue durée étaient motivées par de stricts motifs économiques, ces mesures ont été considérées par les autorités yéménites comme un véritable acte de défiance politique.

L'ouverture en 2001 d'une antenne du centre culturel et de coopération linguistique de Sanaa à Aden, si elle ne compense pas le vide laissé par la maison Rimbaud, a dès lors été vue comme un signe encourageant par le Yémen, et notamment par les populations du sud, à la recherche depuis 1994 d'un rééquilibrage de la coopération étrangère du Nord vers le sud.

L'université d'Aden met ainsi gracieusement un local à disposition de l'antenne du centre culturel et de coopération linguistique à Aden. Le contexte est favorable à un nouvel essor de la coopération culturelle française à Aden d'autant que le British Council a dû cesser ses activités d'enseignement.

Dans une question écrite 44( * ) aujourd'hui encore sans réponse, le Président du groupe sénatorial André Ferrand a demandé au ministère des Affaires étrangères quelles pourraient être les initiatives prises pour assurer au centre culturel d'Aden un financement autonome par rapport à celui de Sanaa et quelles pourraient être les perspectives budgétaires de ce centre pour les années à venir.

Au-delà du renforcement des moyens consacrés au centre culturel d'Aden, il paraît nécessaire de stabiliser les crédits affectés à la coopération linguistique. Le développement de cette coopération pose en effet la question des débouchés professionnels des étudiants yéménites après licence, dans un pays où le besoin en professeurs de français est limité.

c) Des actions intéressantes mais qu'il faut approfondir

La France mène par ailleurs d'autres actions qui n'ont peut-être pas pu encore bénéficier de crédits suffisants en raison de la priorité accordée à la coopération linguistique. Une diversification de la coopération française paraît aujourd'hui indispensable.

(1) La coopération scientifique et de recherche

La délégation du groupe sénatorial a observé le remarquable travail effectué par le Centre Français d'Archéologie et de Sciences Sociales (CEFAS) 45( * ) de Sanaa et son rayonnement, à la fois au Yémen grâce à un effort méritoire de traduction de certaines publications en arabe mais aussi dans les milieux de la recherche scientifique sur le monde arabe. Son travail d'accueil d'étudiants et de chercheurs mérite d'être salué. Il a aujourd'hui étendu son champ de recherches aux pays limitrophes comme Oman, l'Arabie Saoudite et l'Érythrée.

Dans d'autres domaines scientifiques, la France mène des actions qui mériteraient d'être renforcées. Elle met particulièrement l'accent sur les secteurs de l'ingénierie et des sciences de la terre. Une mission d'experts de l'Université de Rouen a permis de tracer les grandes lignes d'une nouvelle coopération avec les Universités d'Aden et de Sanaa dans le domaine de l'informatique en vue d'aboutir à la création d'un laboratoire de recherche commun. Outre ce partenariat, le ministère des Affaires étrangères soutient un programme de recherche géologique international mené par l'Institut National des Sciences de l'Univers et le CNRS ? en étroite collaboration avec les facultés de Sanaa et de Dhamar.

Enfin, les Hospices Civils de Lyon mènent une coopération médicale qui mérite d'être encouragée.

(2) La coopération agricole

L'action de la France en matière agricole, grâce aux fonds de contrepartie générés par l'aide alimentaire, commence à prendre de l'ampleur. La majorité des projets retenus conjointement par le Ministre du Plan yéménite et l'Ambassade de France consiste en la construction de barrages et de réservoirs d'eau en vue de l'irrigation des zones cultivées.

La délégation du groupe sénatorial s'est montrée très sensible à ces projets qui paraissent de nature à contribuer, à leur mesure, à la résolution du problème de l'eau au Yémen.

(3) La coopération institutionnelle

Compte tenu des efforts des autorités yéménites menés pour la démocratisation du pays, il paraissait inconcevable que la France ne prenne pas sa part à la construction de l'État de droit. Les actions de coopération françaises consistent en la formation de cadres politiques et de hauts fonctionnaires relevant de la Présidence de la République, du ministère des Affaires étrangères, du Plan, des Affaires Locales et des Finances. L'institut international des droits de l'Homme de Strasbourg et l'institut international d'administration publique jouent un rôle majeur dans ces formations.

La délégation du groupe sénatorial estime tout particulièrement souhaitable qu'une coopération parlementaire puisse être mise en place entre le Sénat et le nouveau Conseil de la Choura dès que celui-ci aura été installé.

(4) La coopération de sécurité et de défense

Cette coopération a été longtemps gelée compte tenu de la priorité accordée à la coopération militaire avec l'Arabie Saoudite. Elle se développe aujourd'hui. La visite du Général Kelche, chef d'État-major des Armées, à Sanaa en octobre 1999 a permis d'engager une coopération décentralisée à partir des forces françaises stationnées à Djibouti et des forces maritimes dans l'Océan Indien. Le Général Kelche a par ailleurs annoncé, en accompagnement du contrat de couverture radar remporté par Thomson CSF en 1997, la cession gracieuse au Yémen de 10 automitrailleuses légères Panhard. Les projets que la France développe avec le Yémen visent à conforter sa sécurité intérieure et sont soucieux de ne représenter en aucun cas une source de modification de l'équilibre régional.

En matière de sécurité, les besoins du Yémen sont également réels. La cession gracieuse d'un laboratoire de police scientifique en 1999 et la mise en place de stages de courte durée au profit d'officiers de police yéménites ont traduit le début d'une coopération qui mériterait d'être poursuivie.

(5) La coopération multimédia

Cette coopération est aujourd'hui en gestation. Elle permettra au Yémen de diversifier ses sources d'informations et de mieux diffuser les savoirs dans le domaine. La délégation du groupe sénatorial a apporté tout son soutien au projet de RFI consistant à installer deux émetteurs FM à Aden et Sanaa et à initier une coopération avec la radio publique, tant en matériel qu'en formation. Elle a enfin pris connaissance avec intérêt des projets de développement du multimédia au Centre culturel de Sanaa qu'elle encourage vivement tant le développement d'Internet dans un pays comme le Yémen peut représenter une ouverture culturelle et politique.

Le Président du groupe d'amitié André Ferrand a, dans une question écrite, 46( * ) attiré l'attention du ministère des affaires étrangères sur ce dernier projet.

2. Redéployer les actions

La délégation du groupe sénatorial a pu constater tout au long de sa mission le potentiel de coopération que recelaient les relations franco-yéménites. Il lui paraît nécessaire de doter cette coopération des instruments financiers indispensables à son succès, de renforcer les complémentarités avec les coopérations menées dans des pays proches et de diversifier les projets en vue d'un meilleur développement du Yémen.

a) Doter la coopération franco-yéménite d'instruments financiers
(1) La Zone de Solidarité Prioritaire

L'absence du Yémen dans la Zone de Solidarité Prioritaire a étonné la délégation du groupe sénatorial, tant la suppression des « pays du Champ » au profit d'une zone plus ouverte lui semblait aller dans le sens des pays les plus pauvres et des solidarités régionales.

Le Président du groupe d'amitié a posé une question écrite 47( * ) au ministre des Affaires étrangères pour attirer son attention sur la situation du Yémen au regard de la ZSP. Il a noté que le Yémen, avec un PIB de 360 dollars par habitant, était le seul pays moins avancé (PMA) du monde arabe et qu'il constituait un des rares PMA au monde, à la situation politique stable, à ne pas être classé en ZSP. De plus, Il a rappelé que l'Allemagne a pour sa part classé le Yémen en ODA ( öffentliche Entwicklungszusammenarbeit , 58 millions de marks en 1999) et que les Pays-Bas font bénéficier ce pays de leur programme ORET/MILIEV, alors même que Pays-Bas et Allemagne entretiennent avec le Yémen des relations politiques moins privilégiées que la France. Il a insisté sur la nécessité d'une cohérence régionale dans l'aide au développement français : le Yémen entretient des relations anciennes et étroites avec la Corne de l'Afrique, Éthiopie, Érythrée et surtout Djibouti, tous trois classés en zone de solidarité prioritaire ; cette cohérence régionale, à l'échelle de la ZSP, lui paraissant d'autant plus souhaitable que le Yémen ne fait pas partie du conseil de coopération du Golfe et n'est pas éligible au programme de la commission européenne MEDA. Il a souligné enfin la position géostratégique importante du Yémen, entre Péninsule arabique et Corne de l'Afrique, entre mer Rouge et océan Indien.

Il a dès lors appelé à un classement de la république du Yémen en ZSP lors du prochain comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID).

Dans sa réponse, le ministre des Affaires étrangères a reconnu que le Yémen était effectivement classé parmi les pays les moins avancés (PMA) de la péninsule arabique et se trouvait confronté à de considérables difficultés économiques et qu'il bénéficiait de programmes d'assistance économique (environ 300 millions de dollars pour l'assistance étrangère au Yémen en 2000) insuffisants pour compenser les coûts sociaux de l'ajustement structurel engagé depuis le début de 1995 sous l'égide du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Il a indiqué que la liste des pays en ZSP n'était pas figée, mais que la ZSP avait néanmoins besoin d'un minimum de stabilité. Il a noté enfin que le Yémen, pays avec lequel la France entretient des relations anciennes et de qualité, avait plusieurs arguments à faire valoir et que sa candidature méritait d'être examinée sans qu'il soit, à ce stade, possible de préjuger de la position qui sera adoptée lors de la prochaine réunion du comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID).

Cette réponse, si elle ne présume pas de la position du prochain CICID, invite néanmoins à un certain optimisme.

(2) La COFACE

L'absence de garantie, autre qu'à court terme, accordée par la COFACE aux investissements réalisés au Yémen n'est pas de nature à renforcer la présence économique française au Yémen. Cette absence de garantie est due à un contentieux ancien opposant la société " les moulins de la mer Rouge " à la COFACE pour un montant de 39 millions de dollars. La COFACE lie la reprise de ses garanties sur le Yémen à la résolution de ce contentieux alors même qu'elle n'a semble-t-il pas soumis son différend à la justice ou à une instance d'arbitrage. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Allemagne offrent, eux, une couverture à moyen et long termes de ce pays.

Le Président du groupe d'amitié André Ferrand a attiré l'attention du ministre de l'Économie et des finances sur l'intérêt des reprises des garanties de la COFACE sur le Yémen à moyen et long termes pour l'approfondissement de la coopération économique entre les deux pays. 48( * )

b) L'intégration du Yémen dans une zone de coopération régionale

Alors que Djibouti, et pour une moindre part l'Érythrée, bénéficient d'une aide importante de la part de la France, il paraît souhaitable de renforcer les complémentarités et les solidarités régionales. Le « détournement » d'experts français venus à Djibouti pourrait constituer un bénéfice important pour le Yémen, comme la mise en place d'un travail commun entre les différents centres de coopération de part et d'autre du « Bab el Mandeb » 49( * ) .

La coopération militaire avec le Yémen s'appuie déjà sur les forces françaises stationnées à Djibouti. Par ailleurs, certains nouveaux projets dans le domaine de la pêche et du café sont menés avec la collaboration de l'assistance technique française basée à Djibouti et à Asmara.

Ces synergies régionales, évidentes pour qui regarde une carte de la région, méritent sans conteste d'être développées.

c) La diversification de la coopération : l'exemple de la formation professionnelle

Il est apparu enfin à la délégation du groupe sénatorial qu'au-delà de la formation à la langue française, il serait sans doute pertinent d'investir davantage dans la formation professionnelle. Elle a pu discuter de cette question avec les Conseillers du Commerce Extérieur dont elle tient à saluer l'action.

Si certaines entreprises s'emploient à participer à l'effort de professionnalisation de la main d'oeuvre yéménite, en assurant comme Total et la Compagnie Générale de Géophysique (CGG) la formation continue de leurs salariés, il paraît opportun de « professionnaliser » davantage l'enseignement de français dans les universités yéménites et de développer les partenariats entre les centres de formation professionnelle des deux pays.

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