L'Irak en danger

MISSION EFECTUÉE EN IRAK PAR UNE DÉLÉGATION DU GROUPE SÉNATORIAL D'AMITIÉ FRANCE-IRAK DU 18 AU 23 JUIN 2001.

Rapport au format Acrobat ( 443 Ko ) - Annexe (pp 1 à 96) - Annexe (pp 97 à 138)

Table des matières




COMPOSITION DE LA DÉLÉGATION

M. Serge MATHIEU, président du groupe d'amitié

(Républicain Indépendant, sénateur du Rhône)

M. Edmond LAURET

(Rassemblement pour la République, sénateur de la Réunion)

M. Marc MASSION

(Groupe socialiste, sénateur de Seine Maritime)

M. Michel PELCHAT

(Républicain Indépendant, sénateur de l'Essonne)

La délégation était accompagnée de M. Olivier DELAMARE DEBOUTTEVILLE, administrateur des services du Sénat, secrétaire exécutif du groupe d'amitié ainsi que de :

Mme Nadia BENAMER, chirurgien orthopédiste

M. Gabriel LENA , neurochirurgien pédiatre

M. Jean Marie PRIVAT, neurochirurgien

INTRODUCTION

Dans la longue histoire de l'après guerre du golfe, des voix de plus en plus nombreuses se sont élevées contre les conséquences humanitaires et l'inefficacité politique de l'embargo imposé à ce pays sur la base d'un impressionnant dispositif juridique de l'ONU.

L'objectif de l'embargo sur les armes n'est certes contesté par personne, pas même par les autorités irakiennes. Il n'en va pas de même de l'embargo sur les biens civils. On a suffisamment dénoncé, dans de nombreux rapports, de nombreuses conférences, le caractère ubuesque de certaines décisions du Comité des sanctions interdisant l'acquisition de biens pouvant avoir un double usage, civil et militaire, pour qu'il soit utile d'y revenir ici.

Les conséquences humanitaires catastrophiques de l'embargo ont conduit l'ONU et le Conseil de Sécurité à mettre en place en 1996 le programme « pétrole contre nourriture » afin de tenter de desserrer l'étau qui se refermait sur la population civile.

Si ce dispositif a eu une certaine efficacité en ralentissant la dégradation de la situation sanitaire et sociale, mais non en la stoppant, il n'a en rien empêché l'Irak de contourner les restrictions imposées en laissant se développer un important marché de contrebande et en multipliant les accords régionaux avec ses voisins.

Les chiffres avancées par l'UNICEF font état d'au moins 1 million de morts supplémentaires par rapport à la tendance naturelle en 10 ans d'embargo. Sans qu'il soit nécessaire de rentrer dans un débat inutile sur la définition du génocide, il s'agit bien là d'un acte de cette nature par son ampleur comme par son caractère implacablement organisé et par la connaissance qu'ont les responsables de ses conséquences sur la population.

On ne veut certes pas dire que l'objectif de l'embargo était d'organiser un génocide mais, de manière tout aussi terrible, que la première conséquence de l'embargo a été un génocide rampant pendant 10 années de souffrances supportées par le peuple irakien, notamment les plus faibles d'enter eux, les enfants. Ces chiffres sont connus et officiels. Ce qui signifie malheureusement qu'ils ne peuvent être ignorés de ceux qui, aux gouvernements ou au Comité des sanctions, continuent à prendre des décisions mortifères.

Quant à l'objectif politique de l'embargo qui était de faire s'effondrer le régime conduit par M. Saddam HUSSEIN, l'expérience cubaine aurait suffit pour en démonter l'inanité. Loin de fragiliser le régime en faisant monter une opposition intérieure, elle a conduit à un renforcement de celui-ci.

Le groupe d'amitié France Irak du Sénat a de longue date milité pour une levée totale de l'embargo, principalement pour des raisons humanitaires, mais aussi parce que l'expérience nous enseigne que la démocratie dépend étroitement du développement économique et social. Le grand poète Rabindrahna TAGORE exprimait magnifiquement cette idée en affirmant que « ventre creux n'a pas d'oreille ».

C'est cette conviction et cet objectif qui ont conduit le groupe d'amitié à organiser au mois de juin 2001 une mission en Irak. La délégation, conduite par son président M. Serge MATHIEU, était composée de MM. Edmond LAURET, Marc MASSION et Michel PELCHAT.

L'objectif de cette mission était de se rendre compte sur place des conséquences sanitaires et sociales de l'embargo. C'est la raison pour laquelle la délégation était accompagnée de trois médecins venus opérer en Irak : Mme Nadia BENAMER, chirurgien orthopédiste, Jean Marie PRIVAT, neurochirurgien et Gabriel LENA, neurochirurgien pédiatre. Le rapport de ces praticiens qui nous a été remis en janvier 2002 est joint en annexe de ce rapport d'information. Ce rapport exprime les analyses et les opinions de ses auteurs . Nous n'avons pas cru utile d'ajouter au caractère terrible de ce rapport dont le constat est accablant et moralement inacceptable.

Depuis juin 2001, le contexte des relations avec l'Irak a été modifié par deux faits marquants :

D'une part l'adoption des résolutions 1352 et 1382, respectivement du 1 er juin et du 29 novembre 2001 va modifier, en l'assouplissant, le programme « pétrole contre nourriture »,

D'autre part, les événements tragiques du 11 septembre ont modifié l'approche que les principales puissances, et notamment les États-Unis d'Amérique, ont de l'avenir des relations de la communauté internationale et de l'Irak. La question d'une intervention militaire américaine contre ce pays semble se préciser de plus en plus.

Face à ses modifications, l'Irak a jusqu'à présent adopté une attitude de rejet totale. Il demande une levée pure et simple de l'embargo qui le frappe et refuse que lui soient imposées de nouvelles modalités d'application des sanctions. Depuis 1998, l'Irak s'oppose également à la venue de la mission d'inspection créée par la résolution 1284. Le contexte des attentats du 11 septembre a contribué encore plus à aggraver la situation et à dresser l'un contre l'autre deux intransigeances. L'Irak est aujourd'hui en danger.

CHAPITRE I : LES RELATIONS FRANCO IRAKIENNES

I. UNE DÉGRADATION TEMPORAIRES DES RELATIONS POLITIQUES FRANCO-IRAKIENNES

Au moment où la délégation de votre groupe sénatorial d'amitié visitait l'Irak (juin 2001), l'image de la France s'était considérablement dégradée depuis le début de l'année 2000 en raison de son action en faveur du projet de résolution sur les sanctions dites « intelligentes ». Cette caricature parue dans Al Tawka du 21 juin 2001 stigmatisait la position jugée désormais en retrait, indifférente, de notre pays à l'ONU.

A. LA POSITION DE LA FRANCE À L'ONU

La politique étrangère de la France, ne pouvant se satisfaire du statu quo qui aboutit à un désastre humanitaire moralement inacceptable, poursuit trois objectifs :

• Améliorer la situation humanitaire

• Assurer la sécurité régionale

• Restaurer l'autorité du Conseil de sécurité

Le gouvernement français, constatant le blocage de la situation depuis l'expulsion en 1998 de l'UNSCOM et la reprise des bombardements anglo-saxons sur l'Irak, a accepté, en 2001, de participer, au sein du Conseil de sécurité, à la mise en place d'un dispositif nouveau d'application des sanctions susceptible, selon lui, d'améliorer sensiblement la situation humanitaire de la population irakienne. C'est cet accord français sur un nouveau dispositif qui a été à l'origine d'un très sérieux refroidissement des relations franco-irakiennes.


Ce nouveau dispositif, prévu par la résolution 1352 du 1 er juin 2001 a été finalement entériné par le Conseil de sécurité dans la résolution 1382 du 29 novembre 2001. Celle-ci prévoit que sa mise en oeuvre opérationnelle devra intervenir le 30 mai 2002. Dans l'état actuel des choses l'Irak refuse ce dispositif et continue de prôner une levée pure et simple de l'embargo. Votre groupe d'amitié, dont l'objectif a toujours été la levée totale de l'embargo économique, souhaite que ce dispositif qui, selon toute vraisemblance s'imposera à l'Irak, soit assorti de conditions claires de levée des sanctions. Dans le contexte de l'après 11 septembre, notre action politique devrait porter sur un refus catégorique d'une intervention militaire anglo-saxonne contre ce pays et rechercher, avec l'Irak, les voies et moyens de sortie de la crise actuelle.

1. Améliorer la situation humanitaire : les résolutions 1352, 1360 et 1382 du Conseil de Sécurité

a) Le contenu de la résolution 1352 du 1er juin 2001

La résolution 1352, adoptée à l'unanimité par le Conseil de sécurité le 1 er juin 2001, peut s'analyser comme une tentative anglo-saxonne, à laquelle les autres pays se sont ralliés, de sortir du blocage du régime des sanctions, sans pour autant envisager une levée de l'embargo auquel les États-Unis, soutenus par la Grande Bretagne, s'opposent.

Cette nouvelle approche reposait sur deux principes :

• Libéraliser le flux des biens civils vers l'Irak à travers une liste limitative de biens contrôlés (notamment en raison de leur double usage militaire et civil potentiel), qui demeureraient soumis à l'appréciation du comité des sanctions, dit comité 661,

• Lutter contre la contrebande avec l'aide des pays limitrophes de l'Irak.

Il s'agissait en somme de passer d'une logique où tout est interdit sauf ce qui est autorisé par le comité des sanctions, à une logique où tout est permis sauf pour un certain nombre de produits contrôlés par le même comité.

Les discussions sur les modalités pratiques d'application de ces principes avaient porté sur deux volets principaux :

a1 - Un nouveau concept d'approbation des contrats civils

Tous les contrats qui n'incluraient pas de biens formellement visés par la liste seraient libres d'exportation, après simple notification au Secrétariat des Nations Unies.

Une amélioration substantielle du fonctionnement du programme humanitaire était donc attendue d'un dispositif qui avait le mérite pour les Etats-Unis de maintenir le cadre général du régime des sanctions (compte séquestre, économie irakienne administrée depuis New York).

a2 - L'amélioration des contrôles

Il s'agissait essentiellement d'améliorer le contrôle des transactions prohibées, c'est-à-dire de la contrebande. Dans la mesure où les efforts du gouvernement irakien allaient dans le sens d'un contournement de l'embargo avec l'aide intéressée des pays limitrophes, il était proposé de négocier des « arrangements » avec les pays voisins et de leur offrir des « compensations » en échange de cette coopération.

Il était même envisagé que ces compensations destinées à indemniser ces pays des effets indirects de l'embargo sur leurs économies, soient prélevées sur les revenus du programme pétrole contre nourriture.

b) la résolution 1360 du 3 juillet 2001

Le dispositif de la résolution 1352 donnait un mois au Conseil pour trouver un terrain d'entente sur la mise en oeuvre des principes qu'elle énonçait et dont les deux volets ont été rappelés ci-dessus.

L'Irak a immédiatement dénoncé ce nouveau projet en mettant en avant les arguments suivants :

q L'Irak estime avoir totalement satisfait aux obligations prévues par les résolutions de l'ONU et notamment la résolution 687 et demande en conséquence que soient appliqués les articles 21 et 22 qui prévoient la levée des sanctions,

q Elle n'accepte pas la résolution 1284 du 17 décembre 1999 dont les critères de déclenchement de la suspension des sanctions ne sont pas clairs, 1( * )

q Elle dénonce l'absence de toute référence à une sortie de l'embargo,

q Elle rejette le principe d'une liste de produits à double usage qui permettrait l'instauration d'un nouvel embargo, plus sévère que le dispositif existant,

q Elle refuse la mise en place d'une tutelle totale sur les revenus de l'Etat irakien, y compris ceux provenant des accords de libre échange régionaux,

q Elle dénonce un mécanisme d'indemnisation des Etats voisins qui serait financé par les revenus provenant du compte séquestre, c'est-à-dire, au détriment du programme humanitaire.

Cette dénonciation a été soutenue par la Russie tandis que les pays voisins de l'Irak faisaient savoir qu'ils n'acceptaient pas la proposition « d'arrangements commerciaux » aussi incitatifs étaient-ils. La menace de veto de la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité, a abouti à l'adoption de la résolution 1360 qui reconduisait pour 6 mois le dispositif existant. L'Irak, qui avait cessé d'exporter son pétrole pour peser sur les cours, a considéré cette décision comme une victoire.

c) La résolution 1382 du 29 novembre 2001

La résolution 1382, adoptée à l'unanimité par le Conseil de sécurité deux mois et demi après les attentats du 11 septembre 2001, résulte d'un intense travail diplomatique, notamment en direction de la Russie et, dans une moindre mesure, de la Chine. Elle permet de constater l'unité retrouvée du Conseil et l'isolement de l'Irak.

Par rapport au schéma esquissé par la résolution 1352, la nouvelle résolution se caractérise par trois points fondamentaux :

q Elle abandonne toute référence à un système d'arrangements et de compensations à destination des pays voisins de l'Irak. Ceux-avaient du reste refusé de participer à ce dispositif de contrôle des échanges économiques hors programme pétrole contre nourriture,

q Elle publie en annexe la liste des articles sujets à examen et détermine les procédures relatives à l'application du nouveau dispositif,

q Elle fixe au 30 mai 2002 le commencement de mise en oeuvre du nouveau dispositif.

Comme les autres résolution de l'ONU la R1382 rappelle le maintien absolu de l'embargo militaire et réaffirme son « attachement à un règlement global sur la base des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, et des éclaircissements nécessaires à l'application de la résolution 1284 (1999) ».

2. Position exprimée par votre groupe d'amitié

a) Pour une levée de l'embargo civil

La levée des sanctions a d'abord été organisée par la résolution 687 du 3 avril 1991, dans ses paragraphes 21 et 22. Ce dernier paragraphe vise les obligations prévues aux paragraphes 8 à 13 de la résolution qui concerne la destruction et l'engagement de l'Irak a ne pas fabriquer des armes de destruction massive, biologiques, chimiques et nucléaires ainsi que des vecteurs balistiques susceptibles de les propulser. La levée des sanctions était explicitement liée au respect par l'Irak des obligations énumérées aux paragraphes 8 à 13 et dont l'application a été supervisée jusqu'en 1998 par l'UNSCOM.

Les objectifs fixés par la résolution ayant été atteints à l'issue du conflit, avec le retrait de l'Iraq du Koweït, les sanctions auraient dû être levées surtout après la reconnaissance des frontières entre les deux pays. La commission des Nations Unies a coopéré avec l'Irak jusqu'en 1998. Elle a pu effectuer sur place l'ensemble des contrôles voulus. Le comportement de cette mission, dont l'ONU elle même a reconnu qu'elle s'était éloigné de sa mission originelle, a été vivement dénoncé par l'Irak qui, en dépit d'une coopération certaine, ne voyait pas d'issue à la levée de l'embargo.

Dans l'excellent rapport de la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale qu'a présenté notre collègue René MANGIN 2( * ) l'analyse suivante est présentée :

« Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se sont opposés à la levée des sanctions, en dépit du fait que les conditions ayant justifié l'imposition de ces sanctions étaient caduques. L'objectif des sanctions a alors changé pour l'administration américaine : il s'est agi d'obtenir la démission de Saddam Hussein.

Après une période de bonne coopération de l'Iraq avec les experts de la Commission de contrôle des armements (UNSCOM), pendant les années 1995 à 1998, l'absence de perspectives quant à la levée des sanctions a conduit l'Iraq à rejeter ces procédures considérées comme humiliantes. Le rejet iraquien a entraîné, en retour, des bombardements unilatéraux américains et britanniques en décembre 1998 contraires à toutes les résolutions.

Comme on l'a vu, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1284 pour sortir de l'impasse. Celle-ci prévoit la suspension temporaire et renouvelable des sanctions civiles en cas de « coopération à tous égards » de l'Iraq avec la nouvelle Commission de contrôle des armements (CCVINU). La résolution a été adoptée avec l'abstention de trois des cinq membres permanents (Russie, Chine et France). La France s'est abstenue considérant que la résolution contenait de trop nombreuses ambiguïtés : le flou de la notion de « coopération à tous égards », l'absence de précisions quant aux conditions de surveillance financière de l'Iraq après la suspension des sanctions. Les diplomates reprochent à la rédaction de la résolution de faciliter le statu quo pour Saddam Hussein : mais, la résolution fut-elle plus précise, le Président iraquien ne préfère-t-il pas voir perdurer la situation actuelle ?

C'est pourquoi notre pays a longtemps demandé que cette résolution soit précisée dans un nouveau texte, afin de proposer à l'Iraq une perspective plus claire et plus précise de suspension des sanctions.

La situation actuelle est celle d'une gestion du dossier dépourvue de logique conductrice : les exigences récurrentes du Conseil reflètent la mauvaise foi de certains de ses membres, l'Iraq a été conduit à mener une politique de contournement systématique de l'embargo, les sanctions ont pris une connotation répressive, punitive, qui n'a plus guère de légitimité eu égard aux objectifs du Conseil de sécurité, et ce, quelque soit l'appréciation que l'on porte sur le régime de Bagdad. »


Votre groupe d'amitié partage cette analyse sur la levée de l'embargo. Celle ci demeure un objectif prioritaire non seulement pour les raisons humanitaires évidentes mais aussi pour des raisons politiques. Il est en effet évident que démocratie et développement économique vont de pair.

b) position de votre groupe sur l'application des résolutions 1352 et 1382

A la suite de la mission effectuée en Irak par votre groupe d'amitié, des courriers, en date du 27 juin 2001, ont été adressés au Président de la République, au Premier ministre et au ministre des affaires étrangères pour attirer leur attention sur l'extrême précarité dans laquelle l'embargo forçait la population civile irakienne à vivre.

S'agissant de la résolution 1352 la position de votre groupe d'amitié, que nous avions exprimée dans une lettre adressée à M. Védrine le 27 juin 2001, était alors la suivante :

« Lors des entretiens politiques, les responsables irakiens ont utilisé vis-à-vis de la politique suivie par notre pays un langage de critique et de déception. Il nous est reproché ce que les autorités irakiennes considèrent comme un abandon de la position équilibrée de la France au Conseil de sécurité.

J'ai bien évidemment rappelé la position de la France et notre objectif premier qui est d'alléger le sort des populations civiles.

Je voudrais, ainsi que mes collègues missionnaires, attirer votre attention sur les arguments mis en avant par M. Tarek AZIZ, qui nous paraissent dignes d'être pris en considération.

Fondamentalement notre groupe s'interroge sur la nécessité d'une nouvelle résolution et d'une modification unilatérale, puisque l'Irak s'y oppose, de la règle du jeu. Le fait même de parler de sanctions « intelligentes » par rapport aux précédentes est caractéristique. Notre objectif, que je crois vous partagez à terme, est celui de la levée totale de l'embargo économique. Plutôt qu'une nouvelle résolution nous préférerions que les conditions de levée de l'embargo soient vérifiées, voire même précisées. C'est un point fondamental et le fait que l'on semble oublier dans ce nouveau projet la possibilité de levée des sanctions nous paraît inquiétant pour l'avenir. Une pérennisation des sanctions me paraît aller évidemment à l'encontre de l'objectif de retour de l'Irak dans le concert des nations.

C'est dans cet esprit de contrôle et de transparence que nous avons appelé les responsables irakiens à accepter la venue de la nouvelle commission de contrôle dans un esprit de coopération mutuelle.

Le projet de résolution qui est à l'heure actuelle en cours de négociation au sein du Conseil de sécurité, s'il devait être adopté, risque d'avoir des effets indirects qui me paraissent néfastes. Certes, l'inversion du principe des interdictions paraît a priori être un gain pour alléger l'embargo et ses effets sur les populations civiles. Il semble toutefois que la liste limitative de produits interdits, même limitée comme je sais que vous le souhaitez, permettrait en fait l'interdiction d'importation d'un grand nombre de produits par le jeu de composants essentiels, par exemple aux ordinateurs.

Par ailleurs, les arrangements commerciaux incitatifs avec les pays limitrophes, notamment la Jordanie et la Syrie, sont inacceptables pour l'Irak qui y voit, à juste titre, un moyen de contrôler totalement les ressources de son Etat. Ils comportent également, si ils étaient mis en oeuvre des risques de déstabilisation de l'économie de ces pays, notamment de la Jordanie.

Dans l'état actuel des choses, la signature par la France de cette résolution aboutira à une crise grave entre nos deux pays. Les effets dommageables de cette crise, notamment pour nos entreprises, ne peuvent que nous préoccuper alors même que, grâce à vos efforts, nous avions ménagé à notre pays une place éminente en Irak. Je suis convaincu que la négociation est préférable à l'affrontement et que cette nouvelle résolution restera vraisemblablement inappliquée et inapplicable du fait du refus irakien mais aussi des très fortes réticences des pays voisins ».


Depuis cette lettre la résolution 1382 est intervenue et rentrera en application au 30 mai 2002. En droit, cette résolution s'applique à l'Irak qui, comme le rappelle le Conseil de sécurité « est tenu de coopérer à l'application de la présente résolution et des autres résolutions pertinentes... ». L'Irak peut certes décider de ne pas appliquer les résolutions des Nations Unies et d'engager une partie de bras de fer dont la principale victime serait une fois de plus la population civile. C'est cette position qui a été jusqu'à présent choisie par le gouvernement irakien. On observera cependant que le contexte économique qui prévalait en juin 2001 (tensions sur le marché pétrolier mondial, volume des contrats en attente, effets financiers du contournement de l'embargo) a considérablement changé aujourd'hui. On remarquera également que le contexte politique a été bouleversé par les attentats du 11 septembre. La marge de manoeuvre de l'Irak s'est indiscutablement singulièrement rétrécie.

Votre groupe d'amitié, qui approuve tout objectif d'amélioration du sort des populations civiles, constate que les critiques qu'il avait formulées en juin 2001 ont été en partie prises en compte :

q L'effort de notre diplomatie a porté sur la réduction de la liste dont les produits resteront soumis au comité 661,

q Le dispositif de contrôle des échanges, hors programme pétrole contre nourriture, a été abandonné,

q Une référence à la levée définitive des sanctions a été incluse.

Ces avancées importantes ne permettent cependant pas de lever les critiques opposées par le gouvernement irakien et notamment l'utilisation qui pourrait être faite de la liste annexée à la résolution 1382. Seule la pratique permettra de dire s'il s'agit d'un progrès.

L'un des objectif immédiat de notre diplomatie devrait être d'oeuvrer a préciser les modalités d'application des nouvelles procédures. Il est particulièrement important qu'il soit bien clair que ces nouvelles procédures se substituent totalement et complètement aux procédures antérieures. Le dispositif 1382 entraîne en effet au moins trois conséquences fondamentales qu'il convient de souligner et de rappeler :

q Les plans de distribution disparaissent,

q Le mandat des observateurs est à revoir profondément,

q Le contrôle d'opportunité des exportations cesse.

Ces trois conséquences bouleversent manifestement les relations de l'ONU et de l'Irak. Votre groupe pense que si les conséquences de la résolution 1382 sont pleinement tirées il en résultera un effet bénéfique quasi immédiat pour l'Irak et sa population.


Votre groupe d'amitié n'ignore évidemment pas, comme il l'avait du reste rappelé clairement à ses différents interlocuteurs irakiens, que la levée définitive de l'embargo suppose une reprise de la coopération entre ce pays et les Nations Unies et notamment le retour d'une mission de contrôle des armements. Faute de ce geste, les objectifs de sécurité régionale et de restauration de l'autorité du Conseil de sécurité ne seraient pas atteints.

Toutefois, la rhétorique martiale qui consiste à subordonner toute ouverture de discussion à une présence effective de la mission de l'ONU en Irak ne peut être retenue par votre groupe d'amitié. Le geste qui est demandé au gouvernement irakien doit impérativement s'accompagner d'un dispositif clair de sortie de l'embargo. Il serait souhaitable que le Conseil de sécurité puisse, d'ici le 30 mai 2002, clarifier ce point et offrir ainsi à l'Irak une perspective acceptable lui permettant de reprendre la négociation avec l'ONU. Il doit également, selon votre groupe d'amitié, s'accompagner d'un engagement particulièrement ferme et d'une action diplomatique déterminée contre toute tentation de régler par les armes le blocage politique actuel.

Cette position de votre groupe d'amitié rejoint très largement celle du ministère des affaires étrangères telle que l'exprimait M. Hubert Védrine, le 8 août 2001, en réponse à notre lettre du 27 juin.

« D'emblée, je tiens à vous indiquer que la politique de la France n'a pas varié à l'égard de l'Iraq et que nous n'avons d'aucune façon renoncé à notre position équilibrée et légaliste. Nos objectifs sont constants. Ils visent à promouvoir une solution durable et globale qui permette de garantir la stabilité et la sécurité régionales ainsi que de réinsérer l'Iraq et sa population dans la communauté internationale. La réalisation de cette perspective ne peut cependant se décréter unilatéralement. Elle ne pourra se décider qu'en contrepartie du respect par l'Iraq de ses obligations internationales..

La mise en oeuvre de la résolution 1284, adoptée par le Conseil de sécurité en décembre 1999, pourrait permettre d'atteindre ces objectifs. Cette résolution largement inspirée d'idées françaises repose en effet sur le principe d'une suspension des sanctions, première étape vers leur levée, en contrepartie de la coopération de l'Iraq avec une commission de contrôle des armements rénovée (CCVINU). Cela suppose cependant que l'Iraq accepte de coopérer à sa mise en oeuvre, ce que Bagdad a refusé jusqu'ici, en dépit des encouragements réitérés, tout au long des deux années passées, par les autorités françaises lors de leurs contacts réguliers avec les responsables iraquiens. Cela suppose également, comme vous le signalez, que le Conseil de sécurité en clarifie les termes. Ce second point, souhaité notamment par la France et la Russie, n'a cependant reçu aucun écho positif de la part de l'Iraq, qui s'en tient à une exigence non recevable de levée inconditionnelle des sanctions.

Dans l'attente d'une telle perspective, que nous continuons d'appeler de nos voeux, il nous a cependant paru nécessaire de sortir du statu quo, dont les effets sont en tout point préoccupants, s'agissant aussi bien de la situation de la population iraquienne, que de la préservation de la sécurité régionale, ou de l'autorité du Conseil de sécurité.

La France a donc appelé, au cours des derniers mois, à la mise en place d'une nouvelle approche à l'égard de l'Iraq, qui ne soit plus fondée sur une logique de sanctions punitives mais de vigilance et de contrôle, susceptible de favoriser une réelle amélioration de la situation humanitaire iraquienne et de mieux garantir la sécurité régionale. Dans ce contexte, différentes idées ont été avancées, notamment par les Etats-Unis, qui nous sont apparues aller dans le sens de nos propres préoccupations, s'agissant en particulier de la nécessité d'aller vers la quasi-levée des sanctions civiles, à travers un assouplissement substantiel des mécanismes d'exportation des biens civils vers l'Iraq.

Sur cette base, le Conseil de sécurité a adopté à l'unanimité le 1 er juin la résolution 1352 qui exprime l'intention du Conseil d'envisager de nouveaux arrangements, en particulier pour libéraliser l'exportation de biens civils vers l'Iraq. Le délai d'un mois fixé par ce texte pour mener à bien les discussions n'a cependant pas permis de conclure. En dépit d'avancées importantes, plusieurs questions techniques doivent encore être réglées. Le Conseil de sécurité est donc convenu de se donner un délai supplémentaire pour poursuivre et achever la négociations en votant, le 3 juillet dernier, la résolution 1360 qui reconduit pour cinq mois le programme humanitaire dit « pétrole contre nourriture ».

Cette nouvelle approche envisagée par le Conseil de sécurité n'a pas pour ambition de régler la question iraquienne sur le fond, ce qui dépend de l'Iraq, ni de pérenniser un système de sanctions, dont la France a toujours dénoncé les effets cruels et dangereux. Il s'agit d'améliorer substantiellement les choses et, en particulier, la situation humanitaire de la population iraquienne, en l'absence de signes de coopération de la part de Bagdad.

Il n'est pas non plus question pour la France de remettre en cause sa relation avec l'Iraq, pays majeur du Moyen-Orient, ni avec la population iraquienne, à laquelle nous rattachent des liens anciens et étroits. A cet égard, et comme vous le savez, la France demeure le seul pays occidental à conduire, dans le cadre des résolutions des Nations unies, une politique de coopération suivie avec ce pays, en particulier dans les domaines culturel et linguistique mais aussi médical et universitaire et ce, dans le souci de contribuer au désenclavement intellectuel de l'Iraq, à la reformation de ses élites universitaires ainsi qu'à l'atténuation des difficultés de sa population, dans l'attente de la levée des sanctions.

Nous sommes enfin très sensibles à ce que, dans le cadre du programme humanitaire, les entreprises françaises puissent poursuivre le développement de leur action en Iraq et y préserver leur rang. Cet objectif ne doit pas conduire notre politique à s'écarter des principes et des objectifs qui l'ont toujours guidée et que nous avons toujours exposés avec clarté et franchise aux Iraquiens. Ces principes restent, à nos yeux, la seule véritable voie vers une sortie de crise durable et globale. »

3. L'amélioration des relations politiques depuis juin 2001

Les tensions qui avaient opposé les deux pays se sont apaisées dès le mois de septembre 2001. Lors d'un interview accordé à l'AFP le 31 octobre, le ministre des affaires étrangères M. Naji Sabri Al-Hadithi, a indiqué qu'il souhaitait ouvrir une nouvelle page des relations franco-irakiennes et qu'il était prêt à oeuvrer en ce sens.

Cette position, confirmée par le vice premier ministre, M. Tarek Aziz, souligne bien le rôle que notre pays pourrait jouer dans la résolution de ce conflit tant vis-à-vis de nos partenaires européens qu'au Conseil de sécurité. L'intransigeance de la politique américaine conduit l'Irak a opposer une même intransigeance, tout dialogue étant rendu impossible.

Notre pays et notre diplomatie peuvent jouer, comme ils l'ont fait depuis 1990, un rôle de modérateur. Notre connaissance particulière du monde arabe, nos liens anciens avec l'Irak, une position constante de condamnation des conséquences humanitaires de l'embargo, notre volonté d'aboutir à une solution de la crise et à la réintégration de l'Irak dans le concert des nations, notre souci d'assurer la sécurité régionale, donnent à la France une légitimité indiscutable pour trouver les éléments de compromis nécessaires. Votre groupe d'amitié est persuadé que le contexte actuel offre une opportunité pour établir, d'ici le 30 mai 2002, une négociation et permettre l'application, avec le concours de l'Irak, de la résolution 1382, première étape de la levée définitive des sanctions.

B. ENTRETIENS AVEC M. TAREK AZIZ, VICE-PREMIER MINISTRE ET AVEC M. SAADOUN HAMMADI, PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Les entretiens politiques qu'a eus votre délégation, notamment avec M. Tarek Aziz, Vice premier ministre, et avec M. Saadoun Hammadi, président de l'Assemblée Nationale, ont consisté en une vive dénonciation de ce qu'ils considéraient alors comme un changement profond de la politique de notre pays vis-àvis de l'Irak.

Tout en soulignant les liens d'amitié entre les deux pays, et en s'autorisant de cette amitié pour employer un langage vigoureux, M. Tarek Aziz a été particulièrement clair à ce sujet.

Après avoir rappelé le contexte juridique que constituent les résolutions du Conseil de sécurité, il a réitéré le refus de son pays, comme de la France qui s'était alors abstenue, de la résolution 1284.

L'Irak refuse totalement les nouvelles résolutions 1352 et 1382 qui remettent selon lui en cause l'accord obtenu avec la résolution 986 « pétrole contre nourriture » et son Memorandum of understanding de 1996. Celui ci demeure, aux yeux des Irakiens la seule base légale du programme pétrole contre nourriture.

Juridiquement parlant , M. Saadoun Hammadi a plaidé pour une levée de l'embargo, « l'Irak ayant rempli toutes ses obligations ». Il a notamment indiqué que la question des armes de destructions massives avait été réglée et que son pays ne constituait pas une menace pour ses voisins.

Le Vice Premier ministre a vivement regretté que la position française définie en 1994 par M. Alain Juppé, alors ministre des affaires étrangères, ait été modifiée. Elle serait passée d'une interprétation légaliste (toute les résolutions mais rien que les résolutions) qui était ressentie à Bagdad comme une position amie, à un ralliement à la position anglo-saxonne définie dans les projets de résolution 1352 qui vise à établir un nouveau régime de sanctions. Cette position est jugée inamicale vis-à-vis de l'Irak.

La dégradation du climat politique entre les deux pays s'explique, selon M. Tarek Aziz, par la proximité des élections présidentielles. Le vice-premier ministre n'attend de ce fait aucun infléchissement significatif de la position française avant le milieu de l'année 2002 quand notre pays disposera d'un exécutif et d'un législatif reconstitués.

Certes, l'Irak entretient de bonnes relations économiques et culturelles avec la France. M. Tarek AZIZ distingue le partenariat naturel des deux pays, de la difficile gestion quotidienne des relations franco-irakiennes. La France ne participe pas aux interdictions de vol au nord et au sud de l'Irak et ne soutient pas les opposants au régime en place. Il n'en reste pas moins, selon lui, que le fond de la résolution soutenue par la France est dirigé contre le gouvernement irakien. Elle vise en effet à contrôler toutes les ressources de l'Irak, en dehors de l'application du mémorandum, en provenance des pays voisins (Jordanie, Syrie et Turquie).

Le ton critique employé par M. Tarek Aziz et M. Saadoun Hammadi devant la délégation du groupe d'amitié a été progressivement atténué au cours des mois suivants. Selon M. Tarek Aziz l'Irak a une « relation naturelle » avec la France qui est à juste titre considérée comme le principal support de son pays en Europe.

II. DES ÉCHANGES ÉCONOMIQUES SIGNIFICATIFS

A. UN RECUL APPARENT DANS UN MARCHÉ QUI DÉPEND POUR PARTIE DU POLITIQUE

Le commerce avec l'Irak s'effectue dans le cadre très contraignant des sanctions imposées depuis août 1990.

Depuis 1996 dans le cadre des dispositions de la résolutions 1986 « pétrole contre nourriture » la France, en partie en raison de ses positions équilibrées vis-à-vis de l'Irak, a obtenu un montant cumulé de contrats de plus de 3,5 milliards de dollars durant les sept première phases de ce programme.

Ce lien politique évident, valable pour tous les pays travaillant en Irak, est du reste clairement affirmé par les responsables irakiens. C'est ainsi qu'en septembre 2001, le nouveau ministre des affaires étrangères , M. Naji Sabri AL HADITHI, a déclaré que l'Irak « ne fermait pas la porte aux entreprises françaises, mais qu'il était illogique de leur accorder la priorité dans la mesure où la position française sur l'Irak à l'ONU avait évolué ».

Toutefois, l'interprétation des échanges économiques avec l'Irak dépend de son mode de présentation. Le ministère du commerce irakien publie des informations relatives aux contrats conclus et à leur montant financier potentiel. Hors il est évident que bon nombre de ces contrats sont bloqués et mis en attente par le comité des sanctions et que certains contrats n'aboutissent pas du fait de la défaillance du fournisseur. Enfin, les statistiques irakiennes donnent une photographie à un instant donné alors que de nombreux contrats n'ont de réalisation effective que deux à trois ans après qu'ils aient été conclus par les irakiens.

Cette position présentation plus politique que technique permet une classification officieuse des partenaires de l'Irak en fonction de leur nationalité.

Selon cette classification notre pays n'appartiendrait pas à la liste « prioritaire » qui comprendrait les pays qui soutiennent le plus l'Irak parmi lesquels on peut citer la Russie, l'Inde, la Chine et les pays arabes les plus proches comme la Syrie, l'Egypte, la Jordanie, le Yemen, le Liban, l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Turquie, les Emirats arabes unis. Cette liste traduit bien la stratégie du gouvernement irakien qui privilégie les attributaires de contrats selon des critères politiques et géographiques. Cette dernière stratégie confirme clairement la réorientation du commerce légal irakien vers ses voisins. Quatre pays - l'Egypte, la Jordanie, la Syrie et les Emirats arabes unis se partageaient en août 2001 40% du marché irakien.

Pourtant la France serait en tête de la liste « non prioritaire » notamment avant les autres pays européens. Avec environ 3% du marché irakien la France se situerait en onzième position.

Selon cette lecture, il s'agirait d'un recul très significatif puisque de décembre 1996 à juin 2000 (Phases I à VII) nos entreprises possédaient 15 % environ de ce marché. Cette situation exceptionnelle et remarquable s'est dégradée lorsque les autorités irakiennes ont fait le choix de « l'option arabe » qui privilégiait l'approche régionale et géographique. En phase VIII la France occupait la sixième position avec un montant de 500 millions de $ (contre 153 M$ en phase IX) et avait 6% du marché irakien.

Ce recul s'est effectué de manière caractéristique au profit de pays comme la Syrie, la Turquie ou la Tunisie mais aussi du Vietnam et de l'Australie. Le lien entre intérêts politiques et économiques est particulièrement clair pour la Syrie dont les parts de marché ne cessent de progresser au rythme des visites du Premier ministre ou du président Bachar El Hassad.

Mais ce recul s'est également effectué au profit de la Russie, considérée par Bagdad comme son principal soutien au Conseil de sécurité. Ce pays détient désormais plus de 8% de parts de marché (contrats conclu avec l'Irak) à l'issue de la phase IX du programme « pétrole contre nourriture ». Mais il faut également souligner qu'elle détient également le triste record des contrats en attente au comité des sanctions. Il n'est du reste pas à exclure que le déblocage d'une partie de ces contrats en attente n'ait pas contribué à l'adoption à l'unanimité de la résolution 1382, le 29 novembre 2001.

Ce recul de notre part de marché serait d'autant plus significatif qu'il correspond à des contrats passés avant le refroidissement politique entre nos deux pays dû à la « nouvelle approche » des sanctions du Conseil de sécurité. Nos entreprises disposent donc d'une marge de progression appréciable qui pourra être d'autant mieux mise à profit que leurs efforts seront soutenus politiquement. Une des voies intéressantes à explorer est évidemment celle de soumissionner aux contrats par l'intermédiaire de filiales implantées dans les pays arabes désormais favorisés par Bagdad.

Toutefois, ce recul ne serait qu'apparent et dépend de la présentation statistique retenue par le gouvernement irakien. En termes de flux commerciaux, la France demeure le premier fournisseur de l'Irak en 2000 et 2001 avec 14% de parts de marché.

B. LA FRANCE DEMEURE LE PREMIER FOURNISSEUR DE L'IRAK EN TERMES DE FLUX DE MARCHANDISES

L'Europe dispose de la seule source de statistique complète et détaillée en termes de flux de marchandises.

Selon ces sources, l'application de l'embargo se reflète de manière particulièrement évidente dans l'analyse du commerce extérieur irakien. L'Irak qui absorbait 0,2% des importations mondiales en 1990, n'en représente plus aujourd'hui que 0,04%. En termes de valeurs, les importations irakiennes ont diminué de 50% depuis 1990, avec 2,75 milliards de $ en 2000.

Ses importations, dans le cadre du programme pétrole contre nourriture, sont extrêmement peu diversifiées même si leur structure a considérablement évolué depuis 1996.

Aujourd'hui les produits humanitaires, essentiellement l'agroalimentaire et la santé ne représentent plus qu'un tiers des importations irakiennes comme peut en témoigner la composition des plans de distribution soumis par le gouvernement irakien à l'ONU à chaque phase du programme pétrole contre nourriture. Les statistiques européennes montrent notamment que les produits pharmaceutiques ne représentent que 4% des importations de ce pays et qu'ils ne paraissent donc pas constituer une priorité.

Pour l'Union européenne, huit catégories de produits représentent près de 90% des importations irakiennes :

q Biens d'équipements industriels (27,5%)

q Véhicules de transport routier (12,4%)

q Produits laitiers 11%

q Équipements électriques (9,7%)

q Appareils d'optique (8,2%)

q Sucre (8%)

q Préparations à base de céréales (7%)

q Produits pharmaceutiques (4%)

En dépit du souhait des autorités irakiennes de réorienter leur commerce vers les pays arabes, notamment les pays voisins et la Russie, cette politique n'est pas encore entrée dans les faits. Pratiquement les principaux fournisseurs de l'Irak appartiennent au monde industrialisé.

q Trois pays ont des parts de marchés d'exportations proches de 14% :

§ La France (390 millions de dollars)

§ L'Australie (380 millions de dollars)

§ La Chine (360 millions de dollars)
q Trois pays ont des parts de marché inférieures à 10 % :
§ L'Italie 260 millions de dollars et 9,6% du marché)

§ L'Allemagne (140 millions de dollars et 5,1% du marché)

§ La Russie (100 millions de dollars et 3,6% du marché)
S'agissant des exportations irakiennes, il s'agit d'un marché quasi exclusivement pétrolier (brut et raffiné). Il est frappant de constater que ce pays a retrouvé sa place parmi les grands exportateurs de pétrole. Si les exportations irakiennes ne représentent que 0,22 des exportations mondiales de pétrole (contre 0,30% en 1990), la valeur des exportations est passée de 10,3 milliards de dollars en 1990 à 14,1 milliards de dollars en 2000 (+37%) 3( * ) . La France arrive en troisième rang (1,2 milliards de dollars) alors que le principal client de l'Irak, absorbant à lui seul 41% du pétrole irakien, sont les Etats-Unis.

C. UN MARCHÉ QUI DEMEURE TRÈS ATTRACTIF POUR LES ENTREPRISES FRANÇAISES

Le marché irakien demeure bien évidemment un marché attractif. L'Irak est - en dépit de sa situation actuelle - un pays riche qui dispose de 12% des ressources pétrolières mondiales. Les destructions résultant de la guerre de 1990, puis des effets de l'embargo (détérioration des équipements, non remplacement....) en font un gigantesque chantier potentiel de reconstruction des infrastructures et des équipements dans tous les domaines.

C'est la raison pour laquelle la présence de nos entreprises en Irak doit être encouragée et soutenue par les pouvoirs publics.

Compte tenu de la structure des échanges franco-irakiens et leur extrême concentration sur un petit nombre de secteurs (biens d'équipement 369%, agroalimentaire 30% et industrie automobile 15%) nos entreprises ont une marge de progression très appréciable surtout si la structure des importations irakiennes évolue et se diversifie.

L'amélioration des relations franco-irakiennes depuis juin 2001 et la simplification à venir des procédures d'attribution des contrats constituent en effet des opportunités qu'il faut continuer à mettre à profit.

Votre groupe est persuadé que si l'Irak accepte le mécanisme prévu par la résolution 1382 et sa mise en oeuvre dès le second semestre 2002, nos entreprises, dont la présence et la persévérance sur le marché irakien sont des atouts extrêmement importants, pourront encore développer leurs parts de marché.

Les chiffres des exportations et des importations françaises (source DREE) confirment l'attractivité de ce marché.


Répartition sectorielle
(nomenclature

Exportations françaises

Importations françaises

11 mois 2000

11 mois 2001

Variation en %

11 mois 2000

11 mois 2001

Variation en %

T O T A L

323

580

79,3%

1 284

930

-27,6

AGRICULTURE,SYLVICULTURE, PÊCHE

6,4

0

0

0

Industries agricoles et alimentaires

108,3

21,7

-80,2

0

0

AGRO-ALIMENTAIRE

116,7

22,2

-30,7

0

0

Habillement, cuir

0,1

0,2

173

0

0

Edition, imprimerie ou reproduction

0,1

0

-81,4

0

0

Pharmacie, parfumerie et entretien

8,7

12,8

47,6

0

0

Equipement du foyer

0,2

3,3

1 592,8

0

0

BIENS DE CONSOMMATION

9,1

16,3

70,6

0

0

Produits de l'industrie automobile

42,6

117,8

179,5

0

0

INDUSTRIE AUTOMOBILE

42,6

117,8

178,5

0

0

Bateaux, avions, trains, motos

1,3

13,6

880,2

0

0

Equipements mécaniques

61,9

131,1

111,7

0

0

Equipements électriques et électroniques

48,3

165,3

242

0

0

BIENS d'ÉQUIPEMENT

111,5

309,9

177,9

0

0

Produits minéraux

1,6

2,1

30,7

0

0

Produits de l'industrie textile

0,1

0

0

0

Produits en bois, papier ou carton

1,0

0,1

-1

0

0

Chimie, caoutchouc, plastiques

12,1

18,0

48,4

0

0

Métaux et produits métalliques

5,3

11,8

121,5

0

0

Composants électriques et électroniques

21,8

81,4

272,7

0

0

BIENS INTERMÉDIAIRES

41,8

113,2

170,1

0

0

INDUSTRIE

205,1

667,3

171,7

0

0

Combustibles et carburants

0,7

0

-83,4

1 284

930

27,6

ÉNERGIE

0,7

0,2

-83,4

27,8

Produits divers

1,8

0

LES PRINCIPAUX PRODUITS EXPORTÉS

Exportations Millions d'Euros

Moteurs, génératrices et...

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

105

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Véhicules automobiles

 
 
 
 
 
 
 

68

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Matériel de distributions

 

55

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Matériel médicochirurgical...

 

36

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Moteurs et turbines

 

92

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Pompes, compresseurs et...

 

25

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Machines pour l'extraction...

 

18

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Instruments de mesure

 

11

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Matériel ferroviaire roulant

 

11

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Préparations pharmaceutiques

 

11

 
 
 
 
 
 
 
 
 

LES PRINCIPAUX PRODUITS IMPORTÉS

(milliers d'Euros, parts en %)


Pétrole brut et gaz naturel

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

743

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Lampes et appareils d'éclairage

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Ordinateurs et équipements...

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Importations Millions d'Euros

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Principaux produits exportés en 2001

Expor-
tations

Impor-
tations

Solde

Part (( * )1)

Part
cumulée

1.

Moteurs, génératrices et transformateurs

105 127

 

105 127

23,4

23,4

2.

Véhicules automobiles

68 044

 

68 044

15,1

38,5

3.

Matériel de distribution et de commande

54 506

 

54 505

12,1

50,6

4.

Matériel médicochirurgical et d'orthopédie

35 666

 

35 586

7,9

58,6

5.

Moteurs et turbines

32 100

 

32 100

7,1

65,7

6.

Pompes, compresseurs et systèmes hydrauliques

24 648

 

24 548

5,5

71,2

7.

Machines pour l'extraction ou la combustion

17 698

 

17 698

3,9

75,1

8.

Instruments de mesure et de contrôle

11 381

 

11 391

2,6

77,6

9.

Matériel ferroviaire roulant

11 188

 

11 188

2,5

80,1

10.

Préparations pharmaceutiques

10 806

 

10 806

2,4

62,6

11.

Articles de robinetterie

6 267

 

6 267

1,4

83,9

12.

Aliments adaptés à l'enfant et diététiques

6 264

 

6 264

1,2

85,1

13.

Autres machines d'usage général

6 226

 

5 226

1,2

86,3

14.

Matériel de levage et de manutention

6 215

 

5 215

1,2

87,4

15.

Tubes en fonte

4 704

 

4 704

1,0

88,5

16.

Accumulateurs et piles électriques

4 057

 

4 057

0,8

89,4

17.

Sucre

3 630

 

3 830

0,8

90,2

18.

Produits agrochimiques

3 458

 

3 458

0,8

90,8

19.

Réservoirs métalliques

3 091

 

3 091

0,7

91,6

20.

Éléments en matières plastiques pour la construction

2 717

 

2 717

0,6

92,2

Principaux produits importés en 2001

Expor-
tations

Impor-
tations

Solde

Part (( * )2)

Part
cumulée

1.

Pétrole brut et gaz naturel

 

743 028

743 028

100,0

100,0

2.

Lampes et appareils d'éclairage

1 858

3

1 855

0,0

100,0

3.

Ordinateurs et équipements informatiques

43

2

41

0,0

100,0

D. LA PRÉSENCE ÉCONOMIQUE FRANÇAISE À LA FOIRE DE BAGDAD

La 34 ème Foire internationale de Bagdad s'est tenue du 1 er au 14 novembre 2001. Cette importante manifestation est chaque année l'occasion pour nos entreprises de réaffirmer leur engagement dans ce pays .

Le groupe d'amitié du Sénat participe dans la mesure de ses moyens à la promotion de nos entreprises en Irak. Il organise chaque année un dîner de préparation de cette foire, en pleine coopération avec le Bureau des Opérations Internationales (BOI) afin de permettre aux exposants de rencontrer les représentants du ministère des affaires étrangères et du ministère de l'Economie, des finances et de l'industrie. Ce dîner s'est tenu au Sénat le 10 octobre et a réuni plus de 90 participants.

Votre groupe ne peut que se féliciter du succès de la participation des entreprises françaises à la foire de Bagdad. Le Pavillon français a été honoré en recevant la médaille d'honneur du meilleur pavillon étranger pour la quatrième année consécutive.

Cette année, malgré les événements du 11 septembre, le pavillon français a inauguré un bâtiment neuf de 2000 m 2 et 500 m 2 d'aire libre (RVI, ambulances Peugeot...). Le nombre des exposants a dépassé les cents entreprises (104).

Notre pays se situait ainsi en nombre d'entreprises et en surface d'exposition au premier rang avant l'Allemagne (30), l'Espagne (35) ; l'Italie (institutionnel), Belgique (6), Russie (64) et devant tous nos autres partenaires européens (Danemark, Suède, Grèce, Autriche, Finlande...).

Cette forte participation, jointe à la déficience relative cette année de nos principaux concurrents, y compris les Russes, a marqué les autorités iraquiennes et a contribué à replacer nos entreprises dans les fournisseurs prioritaires de l'Iraq.

Le pavillon français a reçu encore cette année d'importantes visites officielles montrant, comme l'a déclaré M. Tarek Aziz, que la période de refroidissement de cet été était du passé et qu'il fallait tourner la page. Le Ministre du Commerce, M. Mohammed Medhi Saleh, le Vice-premier ministre chargé des Finances, M. Hickmat Al-Azzawi, le Vice-premier ministre chargé du pétrole, M. Saddam Hassam Zebin, les deux vice-ministres du Pétrole, MM. Leith Al-Hadithi et Hussein Al-Haditi ainsi que de nombreux autres officiels sont venus visiter le pavillon français.

Une réunion particulière avait été organisée par le Ministre du Commerce et exclusivement réservée aux entreprises françaises. Elle a permis de dissiper les doutes et les malentendus permettant aux entreprises françaises de se positionner à nouveau, à leur niveau, dans la compétition pour l'obtention de contrats.

Les secteurs d'activité correspondant aux besoins iraquiens de coopération étaient présents : entreprises du secteur pétrolier et para pétrolier, de l'agriculture et de l'industrie agro-alimentaire, de la mécanique, des transports routiers, terrestres, ferroviaires, de la signalisation, de la communication, des télécommunications, de l'électricité, des infrastructures, du traitement de l'eau, des travaux publics, des biens d'équipement. Tous ces secteurs étant bien évidemment inscrits dans le cadre du Programme des Nations-Unies, «Pétrole contre Biens humanitaires».

La participation française était composée à la fois de grosses entreprises (automobiles Peugeot, Schneider Industries, TotalFinaElf, Renault V.I., Thermodyn, Nestlé-France) mais aussi, et c'est la particularité des conditions actuelles d'accès au marché iraquien, d'entreprises de taille plus petite (Téléconsult, Haco, Tractel, Hydrokit, Delta Plus, Groupe Bacou-Dalloz, Francexpa...).

Avec la France, les principaux pavillons représentés étaient la Turquie, la Russie, l'Allemagne, l'Espagne, puis l'Autriche, l'Italie, la Grèce, la Belgique, l'Irlande, la Finlande, la Suède, le Danemark. Hors de l'Europe, on comptait l'Egypte, la Jordanie, la Syrie, la Palestine, les Emirats, le Pakistan, la Corée, la Malaisie, l'Inde, la Yougoslavie, la Bulgarie, le Bangladesh, puis en Afrique, la Tunisie, le Maroc, l'Algérie, la Libye, l'Afrique du Sud et, en Amérique latine, le Brésil.

Nous ne pouvons que constater que malgré la situation politique et économique très complexe de cet automne 2001, les entreprises françaises ont eu raison de participer cette année plus que toute autre à la Foire internationale de Bagdad. Leurs principaux concurrents de la France n'ont pas eu cette même stratégie qui est à porter au crédit et au courage de nos entreprises et des organisateurs du Pavillon français.

Pour l'avenir, votre groupe d'amitié, tout en comprenant que l'absence de notre ministre du commerce extérieur ait été justifiée par la préparation de la Conférence ministérielle de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à Doha, souhaite vivement que la prochaine foire de Bagdad voit la présence d'un ministre français qui vienne ainsi soutenir et encourager l'effort considérable de nos entreprises.

III. LA POLITIQUE CULTURELLE DYNAMIQUE DANS UN CONTEXTE DE CULTURE SOUS EMBARGO

A. LE SCANDALE D'UNE CULTURE SOUS EMBARGO

M. Human Abdul-khalid Abdul Ghafour, ministre irakien de la culture et de l'information a dénoncé à maintes reprises ce qu'il appelle une « culture sous embargo » lors des conférences des ministres de la culture organisées par l'UNESCO .

Sans reprendre les données comparatives chiffrées que produit le gouvernement irakien, il est évident que les effets de la guerre du golfe ont été particulièrement destructeurs en matière de culture et d'éducation. Avant 1990 l'Irak était un pays dont l'ensemble du monde saluait les performances en matière d'éducation, de lutte contre l'analphabétisme et l'illettrisme. Cette action avait du reste été récompensée, en 1985, par le prix de l'Unesco contre l'illettrisme. L'enseignement supérieur avait été considérablement développé et de nouvelles générations de diplômés mettaient leur compétence au service de leur pays. La presse, l'édition se développaient également. Une vie culturelle importante fleurissait dans un pays à l'histoire plusieurs fois millénaire.

Votre groupe d'amitié ne peut que condamner une politique qui aboutit de facto à un embargo culturel que rien ne justifie juridiquement.

A cet égard l'épisode récent de la menace de destruction de livres irakiens temporairement importés en France à l'occasion des journées du livre irakien organisées les 12 et 13 octobre 2001 à Paris par l'Académie diplomatique, est particulièrement révélateur d'une application rigide des résolutions de l'ONU.

Cette menace de détruire un millier de livres venait après le blocage par les autorités douanières françaises des livres destinés au Salon du livre euro-arabe organisé par l'Institut du monde arabe en juin 2001. Des difficultés de même type interviennent chaque année par exemple pour la Foire de Paris.

Il convient de rappeler que les résolutions de l'ONU, les dispositions européennes et en conséquences la législation douanière française, interdisent l'importation de biens irakiens, hors pétrole et produits pétroliers. La vente ou même le don de tout autre bien étant prohibé strictement. En l'espèce, un conflit avec le transitaire et le fait que les autorités irakiennes ne souhaitaient pas prendre en charge financièrement le rapatriement de ces livres, risquaient de conduire à leur mise au pilon.

Outre le symbole particulièrement fort que constitue la destruction de livres il est difficile d'expliquer que la France a pu organiser librement un salon du livre français à Bagdad en décembre 2000, et instituer un ostracisme vis-à-vis de la culture irakienne.

Heureusement, les autorités françaises ont trouvé une solution permettant la tenue de ces journées à Paris. Il est toutefois révélateur que l'on doive arriver à une situation de crise dont les conséquences sur l'image de notre pays et sur les efforts que déploie notre coopération sont évidemment négatives.

Afin que des situations de même type ne se reproduisent pas il semble à votre groupe d'amitié qu'une interprétation souple des résolutions devrait être adoptée en matière culturelle.

Nous avons déjà accepté l'importation temporaire de biens culturels mais aussi commerciaux. S'agissant des biens culturels il serait nécessaire de permettre la diffusion des ouvrages d'auteurs irakiens en France. Les ouvrages importés pourraient, s'ils demeuraient sur le territoire français être considérés comme un don.

Outre cette mesure d'assouplissement, qui nous paraît parfaitement respecter l'esprit de la résolution 661, votre groupe d'amitié souhaite vivement que la France oeuvre pour que les domaines culturel, artistique, universitaire, éducatif ou pédagogique, ne soient pas inclus dans le régime des sanctions. Votre groupe rappelle néanmoins avec vigueur qu'il ne s'agit que d'une mesure partielle avant une levée totale de l'embargo.

B. LA COOPÉRATION CULTURELLE FRANÇAISE

En 1995, la France a décidé de relancer sa coopération avec Bagdad en prenant quelques mesures significatives (réhabilitation du centre culturel de Bagdad, attribution de bourses d'études, aide à l'enseignement du français dans le secondaire et le supérieur).

En 1997, le Centre culturel français a officiellement réouvert. Il organise régulièrement des manifestations culturelles de qualité (conférence, expositions, projection de films etc...). Il accueille 600 étudiants en langue française.

En octobre 1999, une délégation de présidents d'universités françaises a étudié sur place les modalités de reprise de la coopération universitaire avec l'Irak dans les domaines du droit, de la pharmacie, de la médecine, de l'ingénierie, de l'informatique et du français.

L'enseignement du français a survécu difficilement durant les cinq années de fermeture de notre ambassade à Bagdad. Pourtant notre langue est aujourd'hui enseignée à 10000 élèves dans le secondaires et à 2500 étudiants dans le supérieur. Cet enseignement du français rencontre une demande croissante qui accompagne les progrès et le développement de notre coopération universitaire, notamment dans les sections scientifiques et techniques.

Enfin, de nouvelles perspectives de coopération pourraient se dessiner dans les domaines de l'archéologie et de la muséologie, dans le secteur de l'audiovisuel ainsi que dans celui de la coopération administrative.

CHAPITRE II
UNE SITUATION SANITAIRE ET SOCIALE : UN GÉNOCIDE RAMPANT

I. LE RAPPORT DE L'OMS

Une mission de l'OMS, conduite par le professeur égyptien Abdelaziz SALEH, directeur adjoint du bureau régional de l'OMS pour la méditerranée orientale, s'est rendue en Irak du 27 au 31 août 2001 afin de recueillir les éléments d'un rapport plus complet sur la situation dans ce pays.

Elle avait pour mission de terminer le travail sur les propositions détaillées d'études concernant les maladies non transmissibles et les malformations congénitales, et d'établir un calendrier pour l'exécution des travaux de recherche. Ceux-ci auront pour objectif d'enquêter sur l'augmentation invoquée de ces pathologies en Iraq et d'examiner le lien éventuel avec des facteurs de risque, notamment dans l'environnement.

Cette mission était composée de spécialistes de divers domaines médicaux et notamment des maladies non transmissibles, de l'épidémiologie, d'environnementalistes, de cancérologues de gynécologues etc....

Le rapport publié par l'OMS en octobre 2001 trace un constat inquiétant de la dégradation des conditions de la santé en Irak.

A. BON NIVEAU DU SYSTÈME DE SANTÉ EN IRAQ EN 1990.

Avec un P.I.B. par tête de 2.600 dollars par habitant (en 1984), l'Iraq disposait avant la guerre du Golfe d'une infrastructure sociale performante, d'un accès aux soins de santé et d'un personnel médical entraîné et compétent. Le pays était auto-suffisant en matière d'installation d'unité de purification d'eau potable et disposait d'un système de traitement des eaux usées assez performant.

L'approvisionnement continu du pays en électricité et en eau potable générait des conditions favorables au développement d'un niveau d'hygiène décent pour l'ensemble de la population.

Cette situation, souligne le rapport, s'est rapidement traduite par une nette amélioration des indicateurs en matière de santé publique. En 1990, la situation était la suivante :

o taux de natalité : 43 pour mille ;

o taux brut de mortalité : 8 pour mille ;

o taux de mortalité infantile : 52 pour mille naissances ;

o taux de mortalité en-dessous de 5 ans : 94 pour mille naissances ;

o taux de mortalité maternelle : 160 pour cent mille naissances ;

o espérance de vie : 66 ans.

Les services publics généraux assuraient l'approvisionnement de l'eau potable à 95 pour cent dans les villes et à 75 pour cent dans les campagnes. La protection maternelle et infantile touchait 90 pour cent des femmes enceintes. 86 pour cent d'entre elles bénéficiaient d'un soutien prénatal.

Les représentants de l'O.M.S. concluent qu'en 1990 le système de santé iraquien, qui fournissait une très large gamme de prestations aux usagers dans l'ensemble du pays, avec un corps médical performant, était l'un des meilleurs de la région.

B. DÉTÉRIORATION SANS PRÉCÉDENT DU SYSTÈME DE SANTÉ DE 1991 À 1995

Au lendemain de la guerre du Golfe, les conditions sanitaires de la population iraquienne se sont largement détériorées : dégâts importants dans les infrastructures économiques, fermeture des stations d'épuration d'eau, chute de 40 pour cent de l'approvisionnement en eau potable, absence de médicaments et de fournitures médicales, détérioration des moyens de communication et de transport, réapparition de la pauvreté, de la malnutrition et des maladies autrefois éradiquées (choléra, poliomyélite, tuberculose, malaria...).

Le rapport de l'O.M.S. montre que ces principales maladies ont fortement augmenté depuis 1990, chez les enfants de moins de cinq ans :

o pneumonie : 32.003 cas en 1990 - 105.418 cas en 1994 - 152.932 cas en 2000.

o diarrhée : 882.375 cas en 1990 - 963.420 cas en 1994 - 1.002.549 cas en 2000.

o tuberculose : 4.753 cas en 1987 - 14.735 cas en 1990 - 19.581 cas en 1994 - 29.196 cas en 1996 et 25.251 cas en 2000.

o poliomyélite : 41 cas en 1987 - 10 cas en 1990 - 186 cas en 1991 - 53 cas en 1994, puis une diminution progressive jusqu'à l'éradication de la maladie en l'an 2001.

o Les décès dus aux maladies non transmissibles ont également progressé. Ils sont passés de 81 en 1989 à 763 en 2000 pour les maladies cardio-vasculaires - de 83 à 601 pour le diabète et de 316 à 1.821 pour les maladies mentales, dans les mêmes périodes.

o Le nombre des opérations chirurgicales par mois est tombé de 15.125 en 1989 à 8.668 en 1990 pour atteindre 4.679 interventions en 1994 et 5.004 en 2000.

o Les admissions hospitalières sont relativement stables, passant de 70 pour mille habitants en 1990 à 67 pour mille habitants en 2000.

o Les travaux d'analyse de laboratoire ont suivi la même évolution. Ils ont chuté de 1.494.050 actes en 1989 à 501.095 en 1995 pour se stabiliser à 504.051 bilans en 2000.

C. LA RÉSOLUTION 986 N'A PU, AU MIEUX, QUE STABILISER LA SITUATION EXISTANT EN 1996

Les principaux enseignements tirés de cette étude montrent que le programme « pétrole contre biens humanitaires » n'a pu que pallier une situation déjà très critique. Les experts de l'O.M.S. confirment qu'on est encore loin d'un retour à l'état sanitaire prévalant en 1990.

Les comparaisons pour la mortalité infantile sont très éloquentes. Pour la période 1979-1984, elle est de 54 cas pour mille - de 1984 à 1989 elle chute légèrement à 47 cas pour mille - de 1989 à 1994 elle s'élève à 79 cas pour mille pour atteindre, de 1994 à 1999 108 cas pour mille. Les chiffres de la mortalité infantile en-dessous de cinq ans sont, pour les mêmes périodes, de 67 pour mille - 56 pour mille - 92 pour mille et 131 pour mille.

800.000 enfants en-dessous de cinq ans souffrent actuellement de malnutrition et d'anémie. Le rapport note une déficience chronique en vitamine D. Les pertes de poids sont très fréquentes.

Le rapport du représentant de l'O.M.S. en Iraq montre que la situation est loin d'être optimale. Les ressources de la résolution 986 ont permis de stopper la dégradation de l'état sanitaire de la population, mais pas de l'améliorer dans des proportions suffisantes.

Chacun reconnaît que les deux problèmes majeurs restent l'approvisionnement en eau potable et en électricité, qui dépassent largement l'action de l'O.M.S. Ces deux secteurs clés conditionnent la vie quotidienne des habitants et celle des infrastructures hospitalières (pas de chambres froides, dysfonctionnement des laboratoires, pas de banque du sang...). Cette situation nous a été confirmée lors des visites d'hôpitaux à Bagdad ou à Babylone.

Le rapport dénonce d'une manière plus large les mises en attente qui s'élevaient dans le domaine de la santé à 51 millions de dollars au 31 décembre 1998, pour atteindre 218 millions de dollars au 31 décembre 2000 et 351 millions de dollars au 30 décembre 2001. Il relève une très nette progression de ces dernières entre décembre 2000 et septembre 2001.

En conclusion le rapport de l'OMS souligne qu'en dépit des très nombreuses réhabilitations de dispensaires et de centres médicaux, elle ne peut, à elle seule, mettre en oeuvre les énormes investissements que requerrait une remise en état d'un secteur médical, lourdement sinistré.

II. LE RAPPORT DE LA MISSION SÉNATORIALE

A. UN ENTRETIEN AVEC M. UMAID MIDHAT MUBARAK , MINISTRE DE LA SANTÉ (20 JUIN 2001)

M. Umaid MIDHAT MUBARAK a dénoncé les conséquences médicales de l'embargo. Il a notamment souligné que l'Irak ne recevait que 48,4% des commandes de médicaments qu'elle avait passées par contrat, le reste étant bloqué au niveau du comité des sanctions. Le ministre a indiqué que 850.000 irakiens avaient une carte de rationnement pour l'attribution de médicaments.

Beaucoup des problèmes sanitaires auxquels son ministère fait face tiennent aux conséquences des coupures d'électricité et du très mauvais état des canalisations en eau potable.

Une malnutrition généralisée continue de sévir avec de dramatiques conséquences sur la croissance des enfants. Les maladies infectieuses et chroniques ont connu une progression très importantes depuis 10 ans. Il en va de même du développement des cancers dont la progression est aggravée par le fait que les demandes de matériels de diagnostic préventif sont bloquées par le comité 661.

Le premier problème auquel doit faire face l'Irak est celui de la prévention, notamment des maladies infectieuses. D'importants efforts sont faits pour informer la population.

S'agissant des hôpitaux les services de maintenance ont de très grandes difficultés du fait de l'embargo et du caractère incertain de l'acceptation des contrats. Il en va de même pour les questions de communication avec les hôpitaux et avec les ambulances puisque le comité 661 a refusé l'équipement en standards téléphoniques modernes.

Selon M. Umaid MIDHAT MUBARAK les insuffisances ou même l'absence de matériels, notamment dans le domaine de la radiothérapie et de la chimiothérapie, revenait à condamner à mort les malades qui en avaient besoin.

D'une manière générale, les incertitudes sur les contrats, le caractère absurde de certains refus, les retards dus à la mise en attente empêchent d'avoir une politique du médicament, des équipements, de leur entretien et de leur maintenance cohérente et de long terme.

M. Umaid MIDHAT MUBARAK a souhaité que la coopération française en matière de santé soit dynamisée. Il a rappelé qu'il avait invité le ministre français de la santé, M. Bernard Koutchner, à effectuer une visite officielle en Irak, mais qu'aucune réponse n'avait encore été donnée.


Dans le domaine de la santé le Service de l'action humanitaire (SAH) est intervenu jusqu'en 2000 pour la mise en place d'actions d'urgence en direction prioritairement de la population enfantine (programmes nutritionnels, vaccins, chirurgie) mais également dans le cadre d'action à plus long terme (réhabilitation d'infrastructures hospitalières, séminaires pharmaceutiques, mise en place d'atelier épidémiologique ou de chirurgie cardiaque). Afin de pérenniser les actions mises en place par le SAH des projets de coopération médicale, en partenariat avec plusieurs établissements hospitaliers et universitaires français dans les secteurs de la laparoscopie, de la cancérologie, de la pharmacie et de la pédiatrie sont en cours

Après avoir souligné la compétence et l'extrême dévouement des médecins irakiens, le ministre a indiqué que d'importants problèmes de formation des jeunes diplômés se posaient tant au niveau de l'acquisition des connaissances que de la formation continue.

Il a souhaité que des délégations de médecins français puissent venir en Irak pour former et opérer sur place.

La formation sur place est particulièrement importante car elle permet d'utiliser les matériels qui sont à disposition en Irak. En effet les stages à l'étranger dispensent une formation de grande qualité mais avec les matériels les plus modernes et les plus sophistiqués dont l'Irak, du fait de l'embargo, ne dispose pas. De retour en Irak ces médecins devront travailler avec des matériels obsolètes mais existants.

Par contre des stages dans des domaines spécialisés comme la cardiologie ou encore des stages infirmiers dans des domaines comme la neurologie seraient utiles.

Répondant à une question du docteur Privat, le ministre a également insisté sur la difficulté de se procurer la documentation et les revues médicales et les difficultés de participation à des congrès.

B. RÉSUMÉ DU RAPPORT DES EXPERTS MÉDICAUX

L'un des objectifs principaux de la mission du groupe d'amitié sénatorial en Irak était de procéder à une évaluation des effets de l'embargo sur l'état de santé de la population irakienne, en particulier infantile ; Le rapport réalisé par le docteur Nadia Benamer chirurgien Orthopédiste) et le docteur Jean Marie Privat (Neurochirurgien), annexé au présent rapport d'information, est basé sur une étude des données épidémiologiques du Ministère de la santé irakienne, confirmées par les rapports des instances internationales (OMS, Unicef), ainsi que sur les visites des centres de santé à Bagdad et à Babylone (hôpitaux, dispensaires) et l'expérience pratique d'opérations. Le texte suivant a été transmis à votre groupe d'amitié comme un résumé du rapport complet publié en annexe. Comme le rapport dans son ensemble il exprime les analyses et les opinions de ses auteurs.

« L `extrême précarité de la situation sanitaire a été confirmée dès la première visite hospitalière au centre de Bagdad. Les visites effectuées au cours de la mission ont montré que cette situation s'appliquait à l'ensemble du territoire irakien. Il est du reste vraisemblable que les conditions sanitaires et l'approvisionnement en médicaments soient meilleurs à Bagdad que dans le reste du pays. Comme le confirme l'OMS, la résolution 986 du conseil de sécurité des Nations unies signée en 1996 par l'Irak n'a pas permis d'éviter la catastrophe prévue en 1991.

Malgré les efforts déployés par les services hospitaliers, le manque de moyens est tel que certains hôpitaux ressemblent à des "mouroirs d'enfants".

Les déficits concernent l'ensemble des secteurs pouvant avoir des conséquences directes et indirectes sur la santé d'une population.

Les grandes fractures sociales s'ajoutent à la misère de l'état sanitaire, de la médecine, à une disparité entre les hôpitaux "privilégiés" peu nombreux où il y a une concentration du peu de moyens existants et les autres.

Les pénuries alimentaires persistent ; ce pays est sous alimenté depuis 1990 ; le programme alimentaire mondial a montré que l'indice du pouvoir d'achat est inférieur à 20 fois le seuil au-dessous duquel il existe une insuffisance nutritionnelle dans la famille depuis 1955.

Les quotas pharmaceutiques (les classes de médicaments autorisés sont toujours insuffisantes) rendent impossible les schémas thérapeutiques même les plus élémentaires tel que le traitement d'une angine. Les pénuries de médicaments par exemple les pénuries d'insulines pour les diabétiques, ainsi que leur coût moyen rapporté au salaire moyen, aggravent bien évidemment cette situation.

Aux manques de matériel paramédical, de produits de base (perfusions, seringues), de matériel chirurgical consommable, viennent s'ajouter les problèmes de distributions dans les centres de santé, l'insuffisance des transports et des communications, un matériel lourd obsolète (pauvreté des équipements médicaux), l'absence de maintenance, les dégradations des infrastructures, les coupures d'électricité (la conservation de certains produits est impossibls notamment les vaccins), le manque d'eau potable (touchant plus de 50 % de la population).

La science est gelée depuis 10 ans. Alors que ce pays était parmi les plus avancés de la région, le manque d'accès aux nouvelles technologies se répercute sur la formation des médecins et des paramédicaux.



Tous ces problèmes font que les urgences ne sont pas assurées, qu'il existe une diminution de plus de la moitié des investigations biologiques et de 60 % des activités chirurgicales par rapport à 1989. Il n'y plus de médecine préventive efficace (absence de vaccination). Les difficultés, voire l'impossibilité d'accéder aux soins adaptés, résument pour la majorité des malades leur dramatique quotidien.

Les conséquences à court et à long terme sont la dénutrition, les résurgences des maladies infectieuses (choléra fréquent), l'augmentation des maladies infantiles, la réapparition de pathologies initialement éradiquées (poliomyélite, 0 cas en 1989, OMS). La fréquence et l'aggravation des maladies dites bénignes sur un terrain de malnutrition, exacerbées par l'arrêt des campagnes de prévention sont responsables d'une mortalité importante en particulier infantile dès les premières années de l'embargo.

La sous nutrition dont est victime la population irakienne a donné naissance à de grands états carentiels tels le marasme, le kwashiorkor, maladies qui sont habituellement fréquentes dans les pays en voie de développement dont l'Irak ne faisait pas partie en 1989.

En ce qui concerne les irradiations, et la question de la responsabilité de l'utilisation d'armes à uranium appauvri, les médecins qui accompagnaient la mission ont retenu deux constatations :

q L'augmentation anormale de la fréquence des cancers,

q des malformations et la prédominance des patients originaires des zones bombardées (Bassora et environs).

Les conséquences socio-psychologiques de l'embargo sont considérables :

q Les guerres successives, l'embargo, la dégradation de l'économie, et l'absence de conditions sanitaires minimales sont responsables d'un important exode rurale vers la capitale mais aussi d'un exode des autres villes vers Bagdad.

q le bouleversement de la cellule familiale, et la diminution de la scolarisation (sur 5 millions d'enfants plus de 40 % ne sont plus scolarisés) sont également des conséquences directes de l'embargo.

q La recrudescence des maladies mentales (avec une incidence directe sur l'augmentation du taux des suicides) est liée au désespoir d'une population épuisée moralement et physiquement, qui meure de plus en plus jeune.

Les conséquences d'un état de guerre militaire, puis économique, ont des conséquences psychologiques évidentes chez les enfants de moins de 12 ans qui ont toujours vécu sous ces contraintes.

L'irakien est au niveau le plus bas de la pyramide de Maslow qui est basée sur la santé, la sous nutrition et l'insécurité permanente. L'Irak s'avance lentement mais incontestablement vers le passé ; il est non seulement en danger, mais il le devient également. pour les pays alentours ainsi qu'à l'échelle planétaire. Le non respect des consensus thérapeutiques d'utilisations des médicaments crée des résistances bactériennes aux antibiotiques et l'extension de certaines maladies graves comme la poliomyélite entre autre.

Les indicateurs de santé font état d'une mortalité de plus de 1 million de morts supplémentaires qui résulte majoritairement des problèmes socioéconomiques dus à l'embargo et aux sanctions.

Sur le plan sanitaire trois priorités claires apparaissent :

q lutter contre la malnutrition,

q permettre les campagnes de vaccinations, notamment pour prévenir les maladies infantiles,

q lutter contre les cancers.

En dépit de l'intervention du programme « pétrole contre nourriture » depuis 1996 les moyens dont dispose l'Irak pour sortir de cette sous nutrition et cette dégradation du secteur sanitaire sont notoirement insuffisants. La mission médicale a en particulier pu constater l'obsolescence des moyens en matériel (il existe exceptionnellement des matériels récents mais l'absence de maintenance et de pièces de rechange les rendent indisponibles dès la première panne). Le système D, ne saurait pallier l'insuffisance de ces moyens. La mission médicale ne peut que constater que les soins de santé primaires essentiels ne peuvent être assurés en Irak. Notamment l'étude épidémiologique des maladies infectieuses en Irak de 1996 à 2001 fait état d'aucune amélioration significative de leur incidence.

L'étude pratique effectuée par les médecins qui ont accompagné la mission sénatoriale s'avère confortée par l'étude des dossiers cliniques qui montre à l'évidence que la moitié des enfants malades présentés sont condamnés à mourir. Quant à l'expérience chirurgicale au bloc opératoire dans un hôpital de Bagdad, elle a permis de constater l'insuffisance des moyens, y compris des plus simples (comme les champs opératoires usés, insuffisants pour recouvrir en totalité le patient), le manque d'asepsie, et le retard de "l'école chirurgicale". »

*

* *

Les rapports de l'OMS, les déclarations du ministre irakien de la santé et les constatations de la mission médicale qui accompagnait votre groupe d'amitié convergent pour décrire une dégradation sans précédent de la situation de la santé dans ce pays, due aux conséquences de l'embargo.

Votre groupe de ne peut toutefois pas ignorer que les Nations Unies et naturellement le gouvernement américain, rendent les autorités irakiennes responsables de cette situation. C'est ainsi que dans le dernier rapport du Secrétaire général, acceptant le plan de distribution de la Phase XI du programme pétrole contre nourriture (rapport du 4 janvier 2002) le directeur exécutif du programme Irak indique :

« En outre, je voudrais réitérer ce qu'a déclaré le Secrétaire général à plusieurs reprises dans ses rapports au Conseil de sécurité (voir, par exemple, S/2001/919, par. 105), à savoir qu'avec l'amélioration des niveaux de financement du programme, le Gouvernement iraquien est effectivement en mesure de remédier aux problèmes de nutrition et de santé du peuple iraquien, s'agissant notamment de l'état nutritionnel des enfants. .../...Contrairement aux préoccupations exprimées à maintes reprises par le Gouvernement iraquien au sujet des pénuries de médicaments et de fournitures médicales, à moins que le Gouvernement iraquien considère que les fournitures qui sont déjà disponibles ou qui sont dans la filière suffisent pour satisfaire les besoins du peuple iraquien, l'Organisation des Nations Unies demande respectueusement au Gouvernement iraquien d'accroître les montants alloués et de faire en sorte que les pénuries continues de médicaments et de fournitures médicales dans le système public de soins de santé soient éliminées. »

Votre groupe d'amitié n'entend pas trancher ce différend sur la responsabilité respective du comité 661, des dysfonctionnements du programme dus aux mises en attente, et du gouvernent irakien sur l'état de pénurie dont souffre la population irakienne.

Les effets cumulés depuis plus de dix années aboutissent à un génocide rampant inacceptable. La dénonciation de cet état de fait s'est jusqu'à présent heurtée à un mur d'indifférence scandaleux.

Aujourd'hui, au delà de polémiques qui ne servent qu'à exonérer de responsabilités les acteurs de ce drame en en renvoyant la responsabilité sur l'autre, le meilleur moyen de lever ces interrogations est de supprimer totalement l'embargo.

CHAPITRE III
UNE POLITIQUE DE SANCTIONS INUTILE ET INEFFICACE

I. LES SANCTIONS, L'EMBARGO ET SON CONTOURNEMENT

En ce qui concerne l'analyse du mécanisme et des effets des différents régimes de sanctions imposées en application du chapitre VII de la Charte des nations Unies, votre groupe d'amitié renvoie à l'excellent rapport de notre collègue député René Mangin, qui a publié récemment un rapport intitulé « ONU : les sanctions en question ». (AN 2001 n°3203 quinzième législature).

II. LE PROGRAMME PÉTROLE CONTRE NOURRITURE

Immédiatement après la guerre du Golfe en 1991, l'Organisation des Nations Unies avait dépêché en Iraq une mission qui a annoncé une catastrophe imminente au cas où les besoins humanitaires vitaux ne seraient pas rapidement satisfaits. Dès août 1991, le Conseil de sécurité avait proposé l'idée de base du programme pétrole contre nourriture dans un souci d'éviter la catastrophe humanitaire identifiée clairement.

Ce n'est cependant que cinq ans plus tard, en 1996, que le Gouvernement iraquien et le Secrétariat de l'Organisation des Nations Unies ont signé un mémorandum d'accord précisant les conditions d'application de la résolution 986 (1995), adoptée 13 mois auparavant par le Conseil de sécurité. Cette résolution fixait les modalités du programme pétrole contre vivres.

Ce programme pétrole contre vivres a toujours été conçu comme une mesure temporaire dont le terme serait déterminé par l'application des résolutions notamment la résolution 687 (1991) du 3 avril 1991.

L'accord de 1996 permettait à l'Iraq de vendre du pétrole d'une valeur allant jusqu'à 2 milliards de dollars au cours d'une période de 180 jours. Le plafond pour les ventes de pétrole a été réduit en 1998 et finalement supprimé en 1999, permettant ainsi au programme d'être centré non seulement sur l'achat de denrées alimentaires et de médicaments, mais également sur la réparation des infrastructures essentielles, y compris celles de l'industrie pétrolière.

Il convient de rappeler qu'avec l'adoption de la résolution 1330 (2000) du Conseil de sécurité, le 5 décembre 2000, ce sont quelques 72 % des recettes pétrolières qui financent le programme humanitaire en Iraq (59 % allant aux gouvernorats du centre et du sud et 13 % aux trois gouvernorats du nord). Les sommes restantes sont ainsi réparties :

• 25 % vont à la Commission d'indemnisation à Genève,

• 2,2 % couvrent les dépenses engagées par l'Organisation des Nations Unies pour gérer le programme,

• 0,8 % vont à l'administration de la Commission de contrôle, de vérification et d'inspection des Nations Unies.

Auparavant, seulement 66 % étaient affectés au programme humanitaire (53 % allant aux gouvernorats du centre et du sud et 13 % aux trois gouvernorats du nord), la Commission d'indemnisation recevant 30 % des recettes.

Outre les dépenses alimentaires, les fonds prélevés sur les deux comptes humanitaires servent à financer l'achat de matériel et de pièces de rechange destinés à l'industrie pétrolière. Le Gouvernement iraquien est responsable de l'achat et de la distribution des fournitures dans les 15 gouvernorats du centre et du sud. L'Organisation des Nations Unies exécute les programmes dans les trois gouvernorats du nord de Dahouk, Soulaïmaniyah et Erbil pour le compte du Gouvernement iraquien. 4( * )

Depuis que le premier lot de denrées alimentaires est arrivé en mars 1997, des denrées d'une valeur de 7,5 milliards de dollars et des fournitures médicales d'une valeur de 1,4 milliard de dollars sont arrivées en Iraq.

En avril 1998, le Conseil de sécurité a approuvé une recommandation du Secrétaire général visant à relever le plafond des ventes de pétrole de 2 milliards de dollars à 5 milliards 265 millions de dollars, ce qui donnait 3,4 milliards de dollars pour un programme humanitaire plus large.

Tous les contrats signés par le Gouvernement sont envoyés au Bureau chargé du Programme Iraq à New York pour être traités et, dans la plupart des cas, soumis pour examen au Comité des sanctions créé par la résolution 661. Certains contrats peuvent désormais être approuvés par le Secrétariat de l'ONU sur la base des listes approuvées par le Comité dans le cadre de la «procédure de la voie rapide ». A dater du 31 août 2001, le Bureau chargé du Programme Iraq avait reçu des contrats d'une valeur de plus de 33.7 milliards de dollars, dont 27.8 milliards de dollars ont été approuvés et 3,75 milliards de dollars mis en attente. Des fournitures humanitaires et du matériel destiné à l'industrie pétrolière d'une valeur de 15.4 milliards de dollars ont été livrés au centre et au sud de l'Iraq.

Chiffres de base (source ONU)

Les premières exportations de pétrole au titre du programme « pétrole contre nourriture » ont quitté l'Iraq le 10 décembre 1996. Pour les trois premières phases de 180 jours chacune, le Conseil de sécurité a fixé un plafond de 2 milliards de dollars pour la valeur du pétrole devant être exporté. Pour les phases IV et V le plafond a été porté à 5,2 milliards, mais le faible prix du pétrole et la situation de l'industrie pétrolière iraquienne ont empêché d'atteindre ce montant. Pour la phase VI, le Conseil de sécurité a reconnu les déficiences précédentes et a autorisé l'Iraq à exporter 3 milliards de dollars de pétrole en plus et pour la phase VII, a éliminé complètement le plafond.

Exportations de pétrole de décembre 1996 au  25 janvier 2002

Phases I à X

Volume de pétrole
(en millions de barils)

Valeur du pétrole exporté
(en millions de dollars)

Une

120,0

2 150

Deux

127,0

2 125

Trois

182,0

2 085

Quatre

308,0

3 027

Cinq

360,8

3 947

Six

389,6

7 402

Sept

343,4

8 302

Huit

375,7

9 564

Total ou moyenne

2 206,5

$38 602

Phase

Volume de pétrole
(en millions de barils)

Valeur du pétrole exporté
(en millions de euros)

Neuf

293

6 668 (ou $5 638)

Dix

300,2

6 004 (ou $5 350 )

Onze

78,5

1 359(ou $1 177 )

Total ou moyenne

2 878

€14 031 (ou $12 165)



L'objectif principal du Programme a été de fournir à l'Iraq des denrées alimentaires et des fournitures médicales en quantité suffisante. À compter de la phase IV, les pièces de rechange et le matériel destinés au secteur pétrolier ont également été considérés comme prioritaires afin de permettre à l'Iraq de continuer à exporter du pétrole et même d'augmenter ses exportations, le Conseil de sécurité ayant autorisé ce dernier à importer, dans un premier temps, jusqu'à 300 millions de dollars puis jusqu'à 600 millions de dollars de matériel grâce aux revenus provenant des ventes effectuées lors de chaque phase.

Situation au 30 novembre 2001

Phase I - X

Contrats reçus

Contrats approuvés par le Conseil de Sécurité

Contrats notifiés par la procédure accélérée

Contrats en attente

Chargement arrivé

Nombre

en million de dollars

Nombre

en million de dollars

Nombre

en million de dollars

Nombre

en million de dollars

en million de dollars

Alimentation*

3 355

$10 963

1 364

$5 782

1 679

$5 177

0

$0

$8 167,5

Traitement des aliments

1 489

$3 131

953

$2 269

167

$131

121

$426

$1 097,3

Santé*

3 492

$2 891

2 028

$1 704

839

$583

186

$409

$1 532,1

Pièces détachées du secteur pétrolier

4 956

$3 772

2 958

$1 802

895

$841

562

$577

$1 019,2

Électricité

1 856

$3 978

1 510

$2 597

2

$9,5

157

$1 160

$1 211,3

Eau/assainissement

856

$1 956

586

$1 227

29

$114

127

$529

$797,9

Agriculture

1 826

$3 337

1 120

$2 256

186

$290

213

$490

$1 380,3

Enseignement

679

$1 007

377

$559

67

$167

106

$209

$267,7

Transport/ Télécommunication

764

$2 018

543

$1 413

0

$0

107

$370

$326,2

Logement

1 061

$2 429

671

$1 890

98

$306

91

$156

$755,6

Allocations speciales

33

$399

1

$8

0

0

5

$45

0

Les gouvernorats du nord

4 831

$1 256

4 126

$1 138

329

$92

2

$0,3

**$990.6

Total

25 198

$37 137

16 237

$22 645

4 291

$7 711

1 677

$4 371

$17 546

* Comprend les fournitures pour les secteurs de l'alimentation et de la santé achetées en vrac par le Gouvernement iraquien pour les trois gouvernorats du nord ** Ne comprend pas les fournitures pour les secteurs de l'alimentation et de la santé achetées en vrac par le Gouvernement iraquien pour l'ensemble du pays.

CHAPITRE IV
LA QUESTION IRAKIENNE ET LES ATTENTATS DU 11 SEPTEMBRE 2001

Les attentats du 11 septembre sont intervenus à un moment où le Conseil de sécurité essayait de trouver les voies et moyens d'une sortie de la crise qui oppose l'Irak et la communauté internationale depuis 1990. La proposition de « sanctions intelligentes » qui permettrait une levée importante de l'embargo qui affecte les populations civiles a été acceptée par le Conseil de sécurité à l'unanimité le 30 novembre 2001. Son application se heurte néanmoins à l'opposition de l'Irak.

Ce bras de fer continu qui dure depuis 1998 s'est aggravé dans le contexte de l'attaque subie par les États-Unis en septembre. Au moment où ce rapport est publié, la probabilité d'une intervention militaire américaine en Irak est réelle et pourrait intervenir au printemps 2002. Si cette hypothèse devait se concrétiser elle constituerait une erreur politique majeure aux conséquences imprévisibles. Le présent chapitre entend démonter que le fondement juridique d'une telle intervention n'existe pas actuellement.

I. LES RISQUES D'UNE INTERVENTION MILITAIRE

Le Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan a clairement indiqué le 19 décembre 2001 :

« fondamentalement, j'ai indiqué à plusieurs occasion qu'il serait malavisé d'attaquer l'Irak maintenant. Je n'ai aucune preuve liant l'Irak à ce qui s'est passé le 11 septembre. Toute tentative de ce type ne peut bien sur qu'exacerber la situation et augmenter les tensions dans une région déjà en ébullition à cause du conflit israélo-palestinien ».

Le président de la République M. Jacques Chirac, semble partager pleinement cette analyse en déclarant lors de la cérémonie des voeux du corps diplomatique, le 4 janvier 2002 :

« Il faut aller jusqu'au bout de cet objectif militaire (la destruction d'Al-Quaida) et le circonscrire au territoire afghan, sauf preuve irréfutable de collusion d'un autre pays dans l'organisation des attentats ou dans l'accueil des principaux responsables de ces actes criminels »

Nous ne pouvons que partager ces analyses. Une opération militaire en Irak serait évidemment une erreur politique majeure. Il semble pourtant qu'en dépit de ces avertissements répétés cette hypothèse progresse aux Etats-Unis, non seulement dans les médias et auprès des lobbys anti-irakiens, mais aussi au sein du gouvernement comme en témoigne les propos tenus par le président BUSH lors du discours sur l'état de l'Union le 29 janvier 2002.

A. UNE ÉVOLUTION INQUIÉTANTE DE LA POLITIQUE AMÉRICAINE VIS-À-VIS DE L'IRAK

Afin de pouvoir clairement présenter l'évolution actuelle de la situation vis-à-vis de l'Irak, il convient de rappeler brièvement les principales étapes qui ont jalonné l'histoire des 10 dernières années.


Chronologie résumée 1990-2002

2 août 1990: Les forces iraquiennes envahissent le Koweït. Le même jour, le Conseil de sécurité adopte la résolution 660 (1990) condamnant cette invasion.

6 août 1990: La résolution 661 (1990) est adoptée par le Conseil de sécurité qui impose des sanctions contre l'Iraq et le Koweït occupé et crée un comité chargé de l'application de ladite résolution.

3 avril 1991: Le Conseil de sécurité, dans sa résolution 687 (1991) , établit les termes d'un cessez-le-feu - désarmement et suppression de la capacité de l'Iraq de fabriquer des armes de destruction massive.

15 août 1991: Le Conseil de sécurité adopte la résolution 706 (1991) donnant à l'Iraq la possibilité de vendre son pétrole et d'utiliser le produit de la vente pour acheter des fournitures humanitaires essentielles. Cette résolution est rejetée par le Gouvernement iraquien.

14 avril 1995: Le Conseil de sécurité adopte la résolution 986 (1995) , dont l'Iraq rejettera ultérieurement les dispositions.

20 mai 1996: À l'issue d'intenses négociations, un mémorandum d'accord est signé entre le Gouvernement iraquien et le Secrétariat de l'Organisation des Nations Unies concernant l'application de la résolution 986 (1995).

19 juin 1998: Le Conseil de sécurité adopte la résolution 1175 (1998) autorisant l'Iraq à importer jusqu'à concurrence d'une valeur de 300 millions de dollars de pièces de rechange et de matériel pour son industrie pétrolière afin d'accroître sa production destinée à l'exportation.

11 novembre 1998: retrait de la CSNU.

16 décembre 1998: Début de l'action militaire des États-Unis et du Royaume-Uni contre l'Iraq.

17 décembre 1999: Le Conseil de sécurité adopte la résolution 1284 (1999) , créant, en remplacement de la Commission spéciale, la Commission de contrôle, de vérification et d'inspection des Nations Unies (COCOVINU), en tant qu'organe subsidiaire du Conseil.

5 décembre 2000: Le conseil de sécurité adopte la résolution 1330 (2000) , dans laquelle il prolonge le programme pour une nouvelle période de 180 jours (phase IX); donne pour instructions au Comité des sanctions de soumettre des listes de fournitures pour l'électricité et le logement à la procédure « d'approbation accélérée » et d'élargir les listes existantes dans d'autres secteurs; ramène de 30 à 25 % les fonds versés au Fonds d'indemnisation et transfère les fonds supplémentaires au compte ESB (53 %) destiné aux projets humanitaires dans le centre et le sud de l'Iraq afin de répondre aux besoins des groupes les plus vulnérables; et prie le Secrétaire général de prendre les arrangements nécessaires pour permettre que les fonds, d'un montant maximum de 600 millions d'euros, soient utilisés pour couvrir le coût de l'installation et de l'entretien du matériel destiné à l'industrie pétrolière.

1er juin 2001: Le Conseil de sécurité adopte la résolution 1352 (2001) , prorogeant les dispositions de la résolution 1330 (2000), soit la phase IX, pour une durée supplémentaire de 30 jours.

4 juin-10 juillet 2001: L'Iraq suspend ses exportations de pétrole au titre du programme après avoir rejeté la résolution 1352 (2001).

3 juillet 2001: Le conseil de sécurité adopte la résolution 1360 (2001) , dans laquelle il prolonge le programme pour une nouvelle période de 150 jours (phase X).

29 novembre 2001 : Le Conseil de sécurité adopte la résolution 1382 , prorogeant le programme pour une nouvelle période de 180 jours (phase XI). La phase XI commencera le 1er décembre 2001 et durera jusqu'au 29 mai 2002. Au paragraphe 2 de la résolution, le Conseil décide d'adopter la liste d'articles sujets à examen et les procédures relatives à son application, sous réserve des éventuelles précisions qui pourraient leur être apportées avec l'assentiment du Conseil, un commencement de mise en oeuvre étant fixé au 30 mai 2002. Au paragraphe 6 de la résolution, le Conseil réaffirme son attachement à un règlement global de la question de l'Iraq sur la base de ses résolutions pertinentes.

Dès avant les élections présidentielles américaines, la question du maintien des sanctions imposées à l'Irak était au centre du débat politique. Après plus de 10 ans de sanctions internationales qui ont abouti à un véritable génocide sur la population et à un renforcement du régime dirigé par M. Saddam Hussein, la résolution 1284 du 17 décembre 1999 a constitué une tentative de résolution des contradictions.

En dépit de mises en garde concordantes et répétées les autorités et l'opinion publique américaine s'orientent clairement vers une intervention militaire contre l'Irak.

Dès après les attentats du 11 septembre la position politique des Etats-Unis sur le dossier irakiens s'est considérablement durcie. Le 18 septembre l'Irak était mise en garde fermement contre toute tentative de profiter de la situation créée par les attentats. Comme le déclarait publiquement le Secrétaire d'Etat américain le « seuil de patience » des Etats-Unis avait singulièrement baissé.

Par ailleurs, les attaques à l'anthrax subies en octobre 2001 ont déclenché une dénonciation, notamment par la presse, des programmes biologiques supposés de l'Irak. C'est ainsi que certains journaux comme le Wall street journal mettent en relief une « convergence au moins tactique d'intérêts » entre l'Irak et ses capacités supposées de production d'armes biologiques et bactériologiques et Al Quaida. Ces allégations, qui ne reposent que sur des suppositions non étayées, rencontrent bien évidemment les efforts de l'aile « dure » du département de la défense, conduite par M. Wolfowitz, de convaincre l'administration américaine de préparer une intervention militaire en Irak pour « finir le travail » commencé en 1991.

Dans un contexte où les interventions qui avaient dénoncé dans le passé les effets d'un embargo meurtrier sont de plus en plus estompées par le choc des attentats de New York et de Washington, les pressions de l'aile dure du département de la Défense, de la presse et du Congrès s'intensifient sur le président Bush dont les messages rappellent que l'Irak doit se soumettre aux résolutions des Nations Unies et accepter la nouvelle commission de contrôle instituée par la résolution 1284.

Il est certain que la détermination de l'administration américaine à « en finir avec le régime de Bagdad » est une ligne forte de la politique des Etats-Unis qui s'est renforcée depuis le 11 septembre.

Les partisans d'une intervention militaire, qui ne peuvent s'appuyer sur une quelconque implication de l'Irak dans les attentats du 11 septembre et d'un lien avec Al-Quaida, font valoir deux arguments qui légitimeraient selon eux une action :

q la persistance de programmes de fabrication d'armes de destruction massive,

q le faible coût supposé d'une intervention après les succès connus en Afghanistan

Votre groupe d'amitié ne peut être que frappé par l'évolution de la position américaine en faveur d'une intervention militaire contre l'Irak. Il convient de répéter avec vigueur - comme l'a fait le Secrétaire général des Nations Unies, que « toute tentative de ce type ne peut qu'exacerber la situation et augmenter les tensions dans une région déjà en ébullition à cause du conflit israélo-palestinien ».

Les déclarations du Président Georges W. BUSH lors du discours de l'Union, le 29 janvier 2002, paraissent annoncer clairement une intervention en Irak. Elles évoquent un lien entre la possession supposées d'armes de destruction massive par certains Etats qui forment un « axe maléfique » et la possibilité pour ceux-ci d'en armer des réseaux terroristes.


Discours sur l'état de l'Union, 29 janvier 2002

« Notre second objectif consiste à empêcher les gouvernements qui parrainent le terrorisme de menacer les États-Unis et leurs amis au moyen d'armes de destruction massive.

Certains de ces gouvernements se tiennent tranquilles depuis le 11 septembre. Mais nous connaissons leur véritable caractère. La Corée du Nord a un gouvernement qui s'équipe de missiles et d'armes de destruction massive tout en affamant sa population.

L'Iran s'emploie activement à fabriquer de telles armes et exporte le terrorisme tandis qu'une minorité non élue étouffe l'espoir de liberté du peuple iranien.

L'Irak continue à afficher son hostilité envers les États-Unis et à soutenir le terrorisme. Le gouvernement irakien complote depuis plus de dix ans pour mettre au point le bacille du charbon, des gaz neurotoxiques et des armes nucléaires. C'est un gouvernement qui a déjà utilisé les gaz asphyxiants pour tuer des milliers de ses propres citoyens, laissant les cadavres des mères blottis sur ceux de leurs enfants. C'est un gouvernement qui, après avoir accepté des inspections internationales, a chassé les inspecteurs. C'est un gouvernement qui a des choses à cacher au monde civilisé.

De tels États constituent, avec leurs alliés terroristes, un axe maléfique et s'arment pour menacer la paix mondiale. En cherchant à acquérir des armes de destruction massive, ils posent un danger dont la gravité ne fait que croître. Ils pourraient fournir ces armes aux terroristes, leur donnant ainsi des moyens à la hauteur de leur haine. Ils pourraient attaquer nos alliés ou tenter de faire du chantage auprès des États-Unis. Dans l'un quelconque de ces cas, le coût de l'indifférence serait catastrophique.

Nous coopérerons étroitement avec les membres de notre coalition pour refuser aux terroristes et aux États qui les parrainent le matériel, la technologie et le savoir-faire qui leur permettraient de fabriquer et de lancer des armes de destruction massive. Nous mettrons au point et déploierons une défense antimissile pour protéger les États-Unis et leurs alliés d'une attaque surprise. Et tous les pays devraient savoir que les États-Unis prendront toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de notre nation.

Nous agirons sans hésitation mais le temps n'est pas notre allié . Nous n'attendrons pas que des incidents surviennent alors que le danger s'accroît. Nous ne resterons pas inactifs face à un danger qui se rapproche de plus en plus. Les États-Unis d'Amérique ne permettront pas aux gouvernements les plus dangereux du monde de nous menacer avec les armes les plus destructives du monde. »

Ces propos ont été dénoncés clairement par notre diplomatie. M. Hubert VEDRINE devait déclarer en réaction que « ce n'est pas avec ce type de formule qu'on peut trouver des solutions ». De son coté, le ministre français de la défense, M. Alain RICHARD, a déclaré que la France est opposée à des frappes américaines contre l'Iraq et qu'elle peut se retirer de l'alliance contre le terrorisme si les Américains pensent à frapper l'Iraq.

Certes, votre groupe ne peut que prendre au sérieux l'assertion selon laquelle des armes de destructions massives pourraient être utilisées contre les démocraties. Cette menace doit effectivement être prise au sérieux. C'est la raison pour laquelle votre groupe a toujours indiqué clairement que le retour des inspecteurs en Irak permettrait de faire toute la lumière sur cette question. En l'état actuel des choses il serait éminemment souhaitable que les accusations américaines soient étayées sur des faits précis. Le premier ministre russe M. Mikhail KASSIANOV a estimé, le 2 février 2002, à la suite d'entretiens avec le vice président Dick CHENEY que le président américain avait lancé des affirmations sans preuves.

L'analyse américaine paraît reposer sur une vision optimiste de l'isolement de l'Irak dans le monde arabe. On imagine mal, compte tenu de la puissance du sentiment anti-américain, que la « rue arabe » et donc les gouvernements des pays de la zone, puissent demeurer indifférents.

Il serait par ailleurs une illusion de croire qu'une telle opération pourrait se faire à un moindre coût militaire. Au contraire, nous croyons qu'une fois de plus la population civile serait durement frappée et qu'elle se rassemblerait, dans un réflexe nationaliste, autour de ses dirigeants.

Enfin, il convient de rappeler qu'en 1991 c'était bien le risque d'éclatement de l'Irak (entre chiites et sunnites, entre kurdes et arabes, entre nord et sud) qui avait conduit la coalition menée par les Etats-Unis à ne pas poursuivre son offensive.

De ce point de vue, les choses n'ont pas changé. Il ne paraît pas y avoir aujourd'hui d'alternative crédible au parti Baath. C'est, nous semble t-il, le point de vue constant de la politique française. Or il serait minimale qu'une action militaire prévoie une alternative au régime actuellement en place qui soit susceptible de maintenir l'intégrité de l'Irak. Il ne semble pas que ce soit le cas.

En dépit de ces arguments multiples et concordants il semble aujourd'hui que la politique américaine s'oriente vers une intervention militaire unilatérale en Irak dont les dangers pour l'ensemble de la communauté internationale doivent être clairement indiqués.

B. L'ATTITUDE IRAKIENNE EN RÉACTION AUX ATTENTATS DU 11 SEPTEMBRE

La position irakienne peut se résumer de la manière suivante :

q persistance du refus des résolutions 1284, 1352 et 1382

q non condamnation des attentats, mais condamnation du terrorisme

q préparation militaire et économique à un éventuel conflit

Il semble toutefois que cette position intransigeante connaisse depuis peu une certaine inflexion devant la réalité de la menace.

1. une position intransigeante

Les autorités irakiennes ont choisi de ne pas condamner les attentats du 11 septembre. Cette attitude qui isole l'Irak des autres pays arabes et de la communauté internationale, unanime à dénoncer la barbarie de ces actes, a été soulignée par trois interventions du président Saddam Hussein, les 12, 13 et 15 septembre. Le 18 septembre, une nouvelle lettre ouverte du Président Hussein a été publiée. Au cours de ces interventions les attentats ont été présentés comme une conséquence de la politique impériale américaine, tout en distinguant soigneusement le peuple américain de ses dirigeants et de leur politique.

Cette réaction du « Commandement » irakien était adressée en priorité à l'opinion publique de son pays et aux pays arabes et musulmans. L'utilisation de l'antiaméricanisme extrêmement présent en Irak et dans la région rencontre un écho certain dans les opinions publiques particulièrement dans un pays dont la population souffre cruellement des effets de l'embargo imposé depuis 1991 et dont les Etats-Unis et la Grande Bretagne sont rendus responsables.

Il faut toutefois signaler que si l'Irak n'a pas condamner les attentats, contrairement à ce que certains officiels américains avaient affirmé, personne ne s'est réjoui de leur intervention. L'argumentaire irakien est du reste extrêmement construit. Il invite à s'interroger sur les causes qui ont pu conduire à de tels actes et repose sur une analyse de la politique américaine qui - pour reprendre les termes de M. Naji Sabri Al- Hadithi - doit passer de la « loi de la force » à la « force de la loi ».

Toutefois, très rapidement après ces interventions, le 18 septembre, profitant de la distinction entre peuple et gouvernants, M. Tarek Aziz présentait ses condoléances aux familles des victimes américaines à l'occasion d'un message à l'ONG américaine « Voice in the wilderness ». Ce geste était important dans la mesure où il permettait de laisser ouverte la voie d'une évolution future de la position radicale exprimée par le « Commandement ».

Le 19 septembre, c'était le ministre irakien des affaires étrangères qui commentait la position de son pays, cette fois à destination des gouvernement étrangers, notamment des occidentaux. Ces explications s'accompagnaient d'une déclaration particulièrement claire de l'absence de toute implication irakienne dans les attentats. M. Naji Sabri Al- Hadithi indiquait « nous disons clairement et officiellement que l'Irak n'a rien à voir avec tout cela ».

Le gouvernement irakien a condamné toute forme de terrorisme, s'estimant lui même victime du terrorisme d'Etat perpétré par les Etats-Unis en Irak. Il a appelé à une définition internationale du terrorisme.

Cette position, réitérée à maintes reprises par les officiels irakiens, s'est accompagnée de mesures visant à mettre le pays en alerte face à une éventuelle offensive militaire.

Ces mesures ont notamment concerné la réorganisation militaire, le rapprochement avec les Kurdes du nord de l'Irak et avec les tribus qui assurent de manière quasi autonome la sécurité de zones entières du territoire. Par ailleurs, des forces paramilitaires ont reçu une formation accélérée depuis le mois de septembre 2001.

2. Une politique d'ouverture récente

Devant la réalité et la précision de la menace, un certain nombre de gestes ou de messages d'ouverture ont été transmis par le gouvernement irakien. Ces signaux demandent naturellement à trouver une expression précise. Ils concernent principalement :

q un souhait de reprendre les négociations avec l'ONU sous l'égide du Secrétaire général, et de négocier avec lui un accord politique global.

q un rapprochement avec les autres pays arabes par l'intermédiaire de la ligue arabe. Il convient de noter que ce rapprochement se fait sans exclusive, c'est à dire également en direction du Koweït et de l'Arabie Saoudite.

q une offre de coopération économique bilatérale renforcée avec l'ensemble des pays arabes (accords de fourniture en pétrole à des conditions très avantageuses).

Votre groupe d'amitié ne peut que se féliciter de ces ouvertures nouvelles qui mettraient fin à une politique d'opposition frontale de l'Irak et de l'ONU.

C. LES BASES JURIDIQUES DE L'INTERVENTION CONTRE LE TERRORISME

Les bases juridiques de l'intervention contre le terrorisme doivent être présentées dans ce rapport car elles constituent le cadre dans lequel une intervention armée contre l'Irak pourrait prendre place.

On notera que, de manière préventive, la position irakienne est de considérer que l'intervention des États-Unis est illégale en droit international. Cette opinion n'est fondée que sur la conviction que les États-Unis manipulent le Conseil de sécurité et l'ONU dans son ensemble.

Si des questionnements de certains juristes internationaux ont pu avoir lieu s'agissant de la qualification des attentats il convient de noter que le dispositif juridique mis en place donne une légitimité juridique et politique indéniable à l'intervention armée internationale des Etats-Unis contre Al Quaida et l'Afghanistan des talibans. La détermination d'autres agresseurs et donc potentiellement de l'Irak pose de très délicats problèmes.

Dans l'état actuel des choses il apparaît clairement à votre groupe d'amitié qu'une intervention militaire contre l'Irak ne peut s'appuyer sur la légalité internationale et serait un acte de guerre unilatérale des Etats-Unis et une faute politique majeure.

1. Une base juridique incontestable : la légitime défense

La position des États-Unis, exprimée dès après les attentats du 11 septembre s'appuie sur le droit de légitime défense reconnu à chaque Etat par l'article 51 de la Charte des Nations Unies.


D. ARTICLE 51

Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des Membres dans l'exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n'affectent en rien le pouvoir et le devoir qu'a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d'agir à tout moment de la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.

On notera que le droit à la légitime défense est un droit encadré :

• Il suppose une agression armée précise et clairement identifiée.

• Il est limité dans le temps. Il cesse dès lors que le Conseil de sécurité a pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales, ce qu'il peut faire à tout moment.

• Il intègre une obligation de rendre compte des mesures prises.

• Son exercice doit respecter le principe de proportionnalité par rapport à l'avantage militaire escompté ou par rapport à la menace.

Le Conseil de sécurité a immédiatement accepté - à l'unanimité de ses membres permanents et non permanents, y compris les Etats musulmans - que les États-Unis se placent sous le couvert de l'article 51 de la Charte en adoptant dès le 12 septembre la résolution 1368.


Résolution 1368 (2001)

Adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4370e séance,

le 12 septembre 2001

Le Conseil de sécurité,

Réaffirmant les buts et principes de la Charte des Nations Unies,

Résolu à combattre par tous les moyens les menaces à la paix et à la sécurité

internationales causées par les actes terroristes,

1. Reconnaissant le droit inhérent à la légitime défense individuelle ou collective

conformément à la Charte,

1. Condamne catégoriquement dans les termes les plus forts les épouvantables

attaques terroristes qui ont eu lieu le 11 septembre 2001 à New York,

Washington (DC) et en Pennsylvanie et considère de tels actes, comme tout acte de

terrorisme international, comme une menace à la paix et à la sécurité internationales;

2. Exprime sa plus profondes sympathie et ses condoléances aux victimes et à

leur famille ainsi qu'au peuple et au Gouvernement des États-Unis d'Amérique;

3. Appelle tous les États à travailler ensemble de toute urgence pour traduire

en justice les auteurs, organisateurs et commanditaires de ces attaques terroristes et

souligne que ceux qui portent la responsabilité d'aider, soutenir et héberger les auteurs,

organisateurs et commanditaires de ces actes devront rendre des comptes;

4. Appelle également la communauté internationale à redoubler d'efforts

pour prévenir et éliminer les actes terroristes, y compris par une coopération accrue

et une pleine application des conventions antiterroristes internationales et des résolutions

du Conseil de sécurité, en particulier la résolution 1269 (1999) du 19 octobre

1999;

5. Se déclare prêt à prendre toutes les mesures nécessaires pour répondre

aux attaques terroristes du 11 septembre 2001 et pour combattre le terrorisme sous

toutes ses formes, conformément à ses responsabilités en vertu de la Charte des

Nations Unies;

6. Décide de demeurer saisi de la question.

Les attentats du 11 septembre étant définis comme une « menace contre la paix et la sécurité» le Conseil de sécurité est habilité à prendre toutes mesures utiles dans le cadre de l'application du chapitre VII de la Charte des Nations unies.

La solidarité des Etats signataires de la Charte a encore été renforcée par le fait que les 19 pays membres de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) ont appliqué l'article 5 du traité de Washington du 4 avril 1949 qui déclenche la solidarité des membres lorsque l'un d'entre eux est attaqué.


Article 5

Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l' article 51 de la Charte des Nations Unies , assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord.
Toute attaque armée de cette nature et toute mesure prise en conséquence seront immédiatement portées à la connaissance du Conseil de Sécurité. Ces mesures prendront fin quand le Conseil de Sécurité aura pris les mesures nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la sécurité internationales.

C'est donc sur la base, juridiquement incontestable, du principe de légitime défense rappelé par la résolution 1368 du 12 septembre 2001 et sur la base des résolutions 1373 du 28 septembre 2001 et 1377 du 12 novembre 2001 du Conseil de sécurité sur la menace à la paix et à la sécurité internationales résultant d'actes terroristes, les États-Unis, soutenus par une large coalition de pays, ont entrepris de conduire une vaste opération contre le terrorisme international dont les aspects militaires ne constituent que l'un des volets à côté notamment des aspects financiers.

On remarquera néanmoins que la reconnaissance par la résolution 1368 du droit de légitime défense était superfétatoire puisque ce droit, aux termes de l'article 51 de la Charte est « naturel ». Il constitue en cela un droit inhérent pour tout Etat victime d'une agression armée.

C'est cette reconnaissance du droit de légitime défense qui a débouché, à l'initiative des Etats-Unis, sur un conflit armé international avec un Etat, l'Afghanistan.

La question qui se pose pour l'avenir est de savoir si ce même droit pourrait être à nouveau invoqué pour déclencher un second état de guerre au sens du droit international.

2. La question de l'identification du ou des agresseurs

La question de l'identification de celui ou de ceux contre lesquels le droit de légitime défense va s'appliquer est centrale pour l'avenir.

En reconnaissant aux Etats-Unis, frappés par les attentats du 11 septembre, le droit de légitime défense, la résolution 1368 indique de manière large contre qui ce droit pourra s'exercer .

Le paragraphe 3 de la résolution 1368 représente une avancée juridique importante. En effet, après avoir appelé à juger les auteurs, organisateurs et commanditaires des attentats, le texte prévient que « ceux qui portent la responsabilité d'aider, soutenir et héberger les auteurs, organisateurs et commanditaires de ces actes devront rendre des comptes ».

Le cas de Al-Quaida, dont la responsabilité pleine et entière a été apportée de manière irréfutable, identifie clairement l'organisation responsable et donne la base juridique pour détruire les réseaux et juger ses membres.

Il en va de même pour l'Afghanistan et le gouvernement Taliban qui a fait cause commune avec Al Quaida et dont les liens avec le terrorisme sont avérés de longue date comme en témoigne les diverses résolutions de l'ONU depuis 1996 (notamment les résolutions 1193, 1214, 1267 et 1333). A titre d'exemple la résolution 1267 du 15 octobre 1999 déplore que les talibans donnent asile à Oussama Ben Laden et à ses camps d'entraînement de terroristes et note que « les talibans font peser une menace sur la paix et la sécurité internationales » ouvrant ainsi potentiellement la voie à une application du chapitre 7 de la Charte.

S'agissant des organisations terroristes le Département d'Etat américain publie et met régulièrement à jour une liste d'organisations dans un double but. Le premier est de mettre en garde les Etats qui auraient de près ou de loin des relations avec ces organisations et de les inciter à rompre ces liens pour ne pas se mettre dans la situation où des comptes leur seraient demandés. La seconde est de permettre, aux Etats-Unis puis dans les autres pays, la saisie des avoirs et le blocage des comptes financiers de ces organisations. Le 7 décembre 2001 les ministres de la justice et de l'intérieur de l'Union européenne ont entériné une liste actualisée d'organisations terroristes constituant une menace pour un ou plusieurs Etats. Cette liste qui ne sera pas rendue publique fera l'objet d'actualisation à chaque présidence de l'Union.

S'agissant des pays, force est de constater que ce même lien entre un Etat et le terrorisme pourrait être aussi bien effectué en théorie vis-à-vis d'autres pays, y compris vis-à-vis de certains qui sont pourtant très proches des Etats-Unis et dont le soutien direct ou indirect à Al-Quaida est très probable.

Le lien avec l'acte terroriste du 11 septembre et avec Al-Quaida est essentiel. Dans une lettre adressée au Conseil de sécurité les Etats-Unis se sont réservé le droit d'attaquer d'autres organisations, d'autres Etats. Sauf à sortir de la légalité internationale ce droit supposera que le Conseil de sécurité accepte les justifications présentées et que celles-ci apportent les preuves formelles de la responsabilité d'autres organisations ou d'un autre Etat dans l'agression armée dont les Etats-Unis ont été victimes le 11 septembre.

S'agissant de l'Irak ce lien de responsabilité ne peut être évoqué.


Aucun lien n'a pu être trouvé entre l'Irak, les attentats du 11 septembre, Al Quaida et les attaques à l'anthrax. Comme le reconnaît le Secrétaire générale de l'ONU dans une déclaration du 19 décembre 2001 : « je n'ai aucune preuve liant l'Irak à ce qui s'est passé le 11 septembre ». Les officiels américains du plus haut niveau, en particulier M. Colin Powell, ont fait la même constatation. Cette affirmation a d'autant plus de poids que les lobbies anti-irakien se sont véritablement déchaînés aux Etats-Unis dans l'espoir de prouver de tels liens.

Pourtant, les menaces d'intervention émises par le président américain le 29 janvier 2002 dans son discours de l'Union, établissent un lien entre la possession par certains Etats, d'armes de destructions massives et la possibilité pour ceux-ci d'en armer des réseaux terroristes.

De manière plus politique, l'Irak condamne toute forme de terrorisme dont elle s'estime l'une des premières victimes. Elle réclame une définition 5( * ) du terrorisme incluant le terrorisme d'Etat visant ainsi clairement les Etats-Unis et Israël.

On notera également que le blanc-seing donné par le Conseil aux Etats-Unis est réversible ou, tout au moins peut être mis sous contrôle, puisque l'article 51 de la Charte dispose que le Conseil de sécurité a le pouvoir et le devoir d'agir à tout moment de la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. Cette possibilité de remettre sous son contrôle le pouvoir de coercition armée dont dispose le Conseil n'a jusqu'à présent été évoquée par personne.

Les États-Unis n'ont toutefois pas souhaité profiter de ces dispositions qui leur permettaient de s'appuyer sur la communauté internationale et ont entrepris de conduire quasiment seuls les actions militaires contre le gouvernement Taliban d'Afghanistan et l'organisation terroriste Al-Quaida. Ce gouvernement et cette organisation constituaient la première priorité de la vaste lutte anti-terroriste puisqu'ils étaient directement responsables des attentats perpétrés à New-York et à Washington.

Le succès de ces actions qui se traduisent par l'effondrement du régime des Talibans et l'instauration d'un gouvernement provisoire en Afghanistan pose la question de la suite des actions de lutte contre le terrorisme international.

Le département d'Etat américain a publié une liste d'organisations considérées comme terroristes dont les avoirs sont gelés et qui constituent des cibles potentielles. De même ont observe une nouvelle approche du traitement de foyers de tension extrême au Proche Orient ou au Cachemire sous une même problématique de lutte contre le terrorisme international.

Toutefois, il semble que la seconde priorité immédiate de l'administration américaine est celle de la poursuite de la destruction de l'organisation Al-Qaida dans tous les lieux où elle pourrait trouver refuge. Outre la question du Pakistan qui a opté dès l'origine pour un soutien de la coalition internationale cela pose la question d'interventions militaires de même type dans d'autres pays tels que la Somalie ou le Yémen comme l'a récemment déclaré M. WOLFOWITZ.

3. La résolution 1390 du 16 janvier 2002

Le Conseil de Sécurité a adopté le 16 janvier, à l'unanimité, la résolution 1390 créant un régime de sanctions contre Al-Qaïda. Ce nouveau régime de sanctions tient compte de la situation nouvelle en Afghanistan : chute du régime des Talibans, fermeture des camps terroristes en Afghanistan.

Dans le même temps, le Conseil de sécurité constate que les activités d'Al-Qaïda n'ont pas complètement disparu et justifient le maintien, moyennant une adaptation au nouveau contexte, des sanctions contre les Talibans et les réseaux Ben Laden afin de poursuivre la lutte contre le terrorisme.

La résolution reprend certaines dispositions utiles du régime de sanctions contre les Talibans et le réseau d'Oussama Ben Laden prévues notamment dans les résolutions 1267 (1999), 1333 (2000) et 1363 (2001) du Conseil de Sécurité, tout en étendant son champ d'application au monde entier et non plus au seul ''territoire afghan contrôlé par les Talibans''. En revanche, les sanctions frappant l'Afghanistan en tant que tel sont tombées : l'embargo visant la compagnie aérienne nationale Ariana a ainsi été abrogé par le Conseil de Sécurité le 15 novembre (R 1388).

Conformément à une volonté constante de la diplomatie française le nouveau régime de sanctions est ciblé :

q il prévoit la reprise et la mise à jour de la liste d'individus et entités instituées par les résolutions précédentes, et qui comprend Ben Laden, les membres d'Al-Qaïda et les Talibans ainsi que les groupes, individus, entreprises et entités qui leur sont associés.

o Il impose aux Etats des obligations précises, à l'encontre des personnes et entités portées sur cette liste :

o gel des avoirs et des ressources financières.,

o interdiction d'entrée et de transit sur le territoire (sauf pour les nationaux de l'Etat concerné).,

o interdiction de fournir des armes, des matériels et de l'assistance technique militaires.

q Une clause de rendez-vous est fixée, dans 12 mois, pour décider de maintenir ou d'améliorer ce dispositif.

Cette résolution est importante dans la mesure où elle confirme la volonté du Conseil de sécurité de cerner précisément la question des sanctions et de la poursuite de la lutte contre le terrorisme aux individus et aux organisations responsables des attentats du 11 septembre.

Il nous semble que l'intervention de ces résolutions convergentes rendent plus difficile leur utilisation pour mener une action militaire de l'ONU contre l'Irak. L'action qui se profile et que nous ne pouvons que dénoncer ne peut ainsi s'abriter derrière la légalité internationale qui s'impose aux Etats-Unis comme à tout Etat signataire de la Charte des Nations Unies.

CONCLUSION

L'Irak est aujourd'hui en danger. Si ce phénomène n'est pas nouveau depuis maintenant onze années, les menaces qui s'accumulent sur le peuple irakien se sont singulièrement aggravées depuis le 11 septembre 2001.

A la catastrophe humanitaire scandaleuse que subit ce pays, et dont le rapport médical ci-annexé témoigne, viennent s'ajouter les menaces de plus en plus précises d'une intervention militaire unilatérale des Etats-Unis. Cette intervention si elle se réalise sera un échec pour la communauté internationale et un retour en arrière de plusieurs décennies de tentatives de substituer le droit à la force dans le cadre d'un mécanisme international de règlement des différends.

La position de votre groupe d'amitié a toujours été d'appeler et de militer activement pour une levée totale de l'embargo qui pèse sur les populations civiles. Il ne convient pas ici de revenir sur les occasions manquées, les erreurs et l'obstination des uns et des autres, mais de rechercher les voies d'une solution à une crise dont la durée est inadmissible et les effets sur la population criminels.

Sortir de l'impasse dangereuse actuelle suppose que des gestes soient faits de part et d'autre. En effet, la rhétorique unilatérale des Etats-Unis n'est pas acceptable, ni par l'Irak, ni par la communauté internationale. De même, qu'il n'est pas admissible que l'autorité du Conseil de sécurité soit contestée et remise en cause.

La sortie de crise et la levée totale de l'embargo, qui doit demeurer un objectif prioritaire, ne peuvent s'inscrire que dans une reprise des négociations entre l'Irak et l'ONU. Le dispositif de la résolution 1382 donne l'occasion de cette reprise de la négociation à la condition qu'il ne soit pas détourné et qu'il n'aboutisse pas, comme le redoutent les irakiens, à une nouvelle modalité d'un embargo sans limites.

Cela signifie qu'il est nécessaire que le Conseil de sécurité précise les conditions d'application de cette résolution non seulement en termes techniques mais aussi en termes politiques. Il faut notamment préciser les conditions de sortie définitive de l'embargo et offrir ainsi une perspective claire à l'Irak.

De son côté, l'Irak doit accepter le retour des missions d'inspection dans le cadre d'un embargo militaire qui doit évidemment demeurer. La reprise des inspections sur place est seule de nature à éloigner la menace d'une action militaire et à permettre l'élaboration de propositions globales engageant l'Irak et l'ONU dans un processus de négociation et de sortie de la crise commencée en 1991.


1 Il est à noter que cette dernière position correspond à celle de la France qui s'était abstenue, entre autres pour ces raisons, lors de l'adoption de la résolution 1284.

2 Rapport n° 3203 (2001) ONU : Les sanctions en question

3 Ces chiffres ne tiennent naturellement pas compte des exportations de pétrole non officielles

(1) Part dans le total des exportations vers le pays

(2) Part dans le total des importations en provenance du pays


4 En juin 1998, dans sa résolution 1175 (1998), le Conseil a autorisé l'importation de pièces détachées et de matériel destinés à l'industrie pétrolière d'une valeur de 300 millions de dollars pour la phase IV. Depuis la phase VI cette limite a été portée à 600 millions de dollars.  La résolution 1284 (1999) du Conseil de sécurité a éliminé entièrement le plafond mis à la quantité de pétrole que l'Iraq peut exporter dans le cadre du programme.

5 La convention du 10 janvier 2000 pour la répression du financement du terrorisme définit comme terroriste « tout acte destiné à tuer ou à blesser grièvement un civil, ou tout autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque ». De même, le 6 décembre 2001, les ministres de la justice des pays membres de l'Union européenne se sont mis d'accord sur la définition suivante : « les actes intentionnels, qui, par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale (...) lorsque l'auteur les commet dans le but de gravement intimider une population, ou contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque, ou gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d'un pays ou d'une organisation internationale ».


Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page