B. UNE NOUVELLE POLITIQUE DE SÉCURITÉ DICTÉE PAR LA COOPÉRATION MILITAIRE AVEC LES ETATS-UNIS

L'après 11 septembre a conduit les autorité yéménites à durcir leur politique de sécurité intérieure et à participer à la lutte antiterroriste, parfois sous la pression des Etats-Unis. Dans les faits, certaines actions apparaissent comme de purs gages donnés au gouvernement américain. Néanmoins, la coopération militaire américano-yéménite a pris une indéniable ampleur.

1. Une nouvelle politique sécuritaire

La nouvelle politique sécuritaire se fonde premièrement sur la reconnaissance des graves problèmes de sécurité que connaît le Yémen. Le bilan sécuritaire du gouvernement n'est pas bon. Le ministère de l'intérieur a publié au mois de janvier 2002 un rapport soulignant l'augmentation de la criminalité au Yémen pour l'année 2001. Le conseil des ministres du 5 février 2002 a dès lors souhaité que l'interdiction 4( * ) du port d'armes dans les villes du Yémen soit effective. Le nombre d'armes au Yémen est évalué à 50 millions, pour 17 millions d'habitant, soit trois armes par habitant. Cette mesure d'interdiction, qui apparaît comme un gage de sécurité, ne correspond néanmoins qu'à une interdiction de port d'armes en ville et non à un désarmement général de la population.

La nouvelle politique sécuritaire s'est manifestée deuxièmement par des restrictions à l'accès du territoire yéménite 5( * ) . Officiellement pour éviter l'infiltration de membres d'Al-Qaeda, tous les consulats du Yémen à l'étranger ont reçu pour instruction de ne plus accorder de visas touristiques à titre individuel depuis la mi-novembre 2001. Seuls les groupes organisés partant avec des voyagistes peuvent obtenir des visas.

Elle a consisté troisièmement dans la réalisation d'un « cordon sanitaire » autour de Sanaa pour prévenir les enlèvements d'étrangers. Des points d'entrée et de sortie obligatoires autour de la ville ont été établis. De même, les manifestations anti-américaines, sans être interdites, ont lieu en dehors de la capitale, loin des caméras.

Elle se définit quatrièmement par une répression accrue des éléments islamistes radicaux. Des écoles coraniques ont ainsi été fermées et des instructions à la modération données aux imams des mosquées. De manière très symbolique, l'université privée islamique Al-Iman (la foi), dirigée par cheikh Al-Zindani, membre influent du parti d'opposition islamique al-Islah, a été fermée sine die . Située dans le nord de Sanaa, cette immense université ressemble à un véritable camp retranché. Quelque 350 étudiants étrangers d'Al-Iman auraient été renvoyés dans leurs pays.

Ces informations sont à prendre au conditionnel néanmoins : interrogé par l'AFP, cheikh Abdallah Al-Ahmar, dirigeant d'Al Islah et président du parlement yéménite, a estimé que la fermeture de cet établissement n'était qu'une "précaution" dictée par les circonstances. De même, dès l'annonce du renvoi dans leurs pays de 350 étudiants étrangers, le cheikh Al-Zindani a démenti la nouvelle, assurant qu'aucun n'avait été expulsé et que l'université n'avait pas été fermée par crainte de bombardements américains, mais que son ouverture avait seulement été « reportée d'un mois, pour envoyer les étudiants faire des exercices pratiques dans les villages » . Par ailleurs, l'annonce que des dizaines, voire des centaines, d'anciens « afghans » avaient été arrêtés après le 11 septembre, et expulsés s'ils étaient étrangers, a été mise en doute par des journalistes locaux.

Cinquièmement, des membres supposés d'Al Qaeda sont recherchés, sans grand succès jusqu'à maintenant. Un grand mouvement de troupes a notamment eu lieu fin décembre 2001 dans la région de Marib pour rechercher trois Yéménites suspectés d'appartenir à Al-Qaeda. Le 18 décembre dernier, au cours d'un affrontement avec des villageois, une vingtaine de militaires aurait trouvé la mort. Un malentendu serait à l'origine de cet épisode sanglant. Pour intimider des hommes de la tribu des « Abida », l'aviation militaire aurait passé le mur du son au-dessus du village d'Al-Hassoun : se croyant attaqués, ses habitants ont ouvert le feu contre les militaires avec lesquels des pourparlers étaient en cours pour la fouille du village. Jusqu'à présent, la recherche de membres d'Al-Qaeda a été vaine au Yémen.

Se pose dès lors la question des cibles de la nouvelle politique anti-terroriste yéménite. Alors que tout kidnapping est désormais considéré comme un acte terroriste, les cibles du gouvernement restent floues. Sont visés évidemment les activistes présumés, dont les noms auraient été fournis par les services américains et qui seraient des éléments rentrés récemment d'Afghanistan, sans que leur nombre soit évalué avec précision, mais aussi les activistes potentiels, qui sont des « Afghans » présents au Yémen et susceptibles d'appartenir ou d'avoir appartenu à Al-Qaeda. Un officiel yéménite a rapporté qu'il s'agirait de quelques dizaines de personnes et non de quelques centaines comme indiqué par plusieurs sources. Dans le même temps, le Président Saleh négocierait avec le Pakistan le rapatriement de 400 yéménites d'Afghanistan. Il donnerait ainsi satisfaction à son opinion publique qui réclame de l'attention pour ces « laissés pour compte » du changement de régime en Afghanistan. Il engagerait aussi une action préventive contre des activistes potentiels sur lesquels il serait possible de garder un étroit contrôle et dont certains pourraient être traduits en justice si leur implication dans des actes terroristes seraient avérés. Au-delà sont visés d'éventuelles « cellules dormantes » d'Al-Qaeda, mais aussi les opposants islamistes, qui contrairement aux autres pays arabes où ils ont subi une répression féroce étaient intégrés dans le jeu politique yéménite. Le Premier Ministre Abdelkader Bajammal a ainsi appelé à la responsabilité des oulémas et des intellectuels pour « clarifier le sens de l'Islam et refuser l'extrémisme ».

Enfin, les tribus rebelles des marges orientales du pays, dans les gouvernorats du Jawf, de Marib et de Shabwa, à l'origine de 70 % des enlèvements d'étrangers pourraient être visées, tant certains responsables, soutenus par les Etats-Unis, jugent qu'il faut en finir avec « ces bandes rétrogrades », le prétexte du terrorisme pouvant aussi être utile pour juguler certains partis politiques, comme Al-Islah. Le Président de la République yéménite a ainsi mis en garde « tous partis, groupes, mouvements ou notables qui chercheraient à profiter des opérations en cours dans le pays ».

2. Des gages donnés aux Etats-Unis

Cette politique constitue un gage majeur vis à vis des Etats-Unis : la sécurité fait l'objet d'une coopération inédite entre les deux pays. La lutte anti-terroriste constitue évidemment l'axe majeur de cette coopération. Symbole de cette priorité, la nomination comme ambassadeur d'Edmund Hull, ex-responsable de la lutte anti-terroriste au département d'Etat.

Celui-ci maintient une pression constante sur les autorités yéménites, autour à la fois de la recherche des coupables de l'attentat contre le USS Cole et de la traque d'éléments pouvant appartenir à Al-Qaeda. Les Yéménites ont accepté la demande américaine d'un ajournement du jugement des suspects de l'attentat contre le USS Cole, et d'un complément d'enquête, notamment dans l'identification de certains auteurs présumés de l'attentat, qui leur permette de remonter des filières extrémistes. Les suspects seraient ré-interrogés directement par les agents américains, les autorités yéménites n'ayant pas accédé auparavant à cette demande. L'ambassadeur américain entend peser sur la politique de sécurité yéménite. Dans une interview, il déclare : « le rapt d'étrangers par les tribus sape les efforts du gouvernement destinés à développer les zones tribales. Les enlèvements dissuadent les investisseurs étrangers. En recourant à la violence (...) pour réaliser leurs objectifs, les ravisseurs entravent le développement démocratique du Yémen », ce qui n'a pas manqué d'indisposer les forces tribales du pays pour lesquelles les enlèvements restent une pratique courante.

Cette coopération ne va donc pas sans difficultés et ambiguïtés. Le Congrès populaire général (CPG), parti du Président Saleh, a ainsi accusé l'ambassadeur des Etats-Unis à Sanaa, Edmund Hull, d' « ingérence » dans les affaires internes du pays et l'a menacé d'expulsion. Le journal Al-Mithaq, organe du CPG, écrit ainsi « depuis sa nomination (en septembre 2001), l'ambassadeur Edmund Hull ne se comporte pas (...) comme un diplomate dans un pays qui s'oppose à toute ingérence étrangère, Edmund Hull adopte une attitude très hautaine, loin de tout comportement diplomatique, en parlant à certains dirigeants yéménites ». Selon le journal, M. Hull « n'hésite pas à donner des conseils aux dirigeants yéménites sur les moyens de lutter avec les Etats-Unis contre le terrorisme, en prétendant que le Yémen est en danger. Il oublie que le Yémen est un pays libre, indépendant et souverain et s'oppose à toute ingérence dans ses affaires internes ». Le journal appelle le diplomate américain à « respecter le Yémen afin qu'il ne devienne pas persona non grata ».

Le respect de la souveraineté yéménite constitue en effet une pierre d'achoppement de la coopération américano-yéménite. Dans la recherche de suspects appartenant à Al-Qaeda, le gouvernement entend, du moins officiellement, garder la main et conduire les opérations militaires seul. En vérité, des militaires américains sont présents au Yémen. Leur nombre n'est pas précisément connu. Leur rôle est tu.

Alors qu'en mars 2002, le Pentagone indiquait que les Etats-Unis disposaient d'une équipe de vingt militaires au Yémen pour évaluer les besoins de Sanaa dans le cadre de sa coopération militaire avec Washington, leur nombre devait être porté en avril jusqu'à 125, 150 ou 200 selon les sources pour entraîner et conseiller les forces gouvernementales dans le cadre de la campagne contre le terrorisme. Selon certains milieux du renseignement, les Etats-Unis prépareraient pour octobre 2002 le déploiement de 800 militaires et une dizaine d'hélicoptères sur la base française de Djibouti pour ensuite mener des actions contre Al-Qaeda au Yémen.

Les ambiguïtés de la coopération entre Yémen et Etats-Unis se manifestent particulièrement dans les appréciations que portent les américains sur la bonne volonté de leurs partenaires. Soufflant le chaud et le froid, les officiels américains maintiennent une pression constante sur le gouvernement yéménite. Se sont succédés au Yémen depuis le 11 septembre 2001 le commandant des forces américaines dans le Golfe, le général Tommy Franks, commandant des opérations spéciales au commandement central américain, le vice-amiral Albert Calland, mais aussi Williams Burns, secrétaire d'Etat adjoint pour le Proche-Orient et Dick Cheney, le Vice-Président en tournée dans la région 6( * ) . Chacun a porté son appréciation sur la coopération franco-yéménite. Le vice-président américain a ainsi exprimé « sa profonde reconnaissance à M. Saleh pour sa détermination à éradiquer la présence d'Al-Qaeda au Yémen », selon l'ambassade américaine dans un communiqué diffusé à l'issue des entretiens.

Les commentaires viennent de tous les officiels américains. Ils se veulent, en public du moins, encourageants.

Ari Fleischer, porte-parole de la maison blanche : « Le Yémen a fait preuve d'un sursaut d'énergie utile dans sa coopération avec les Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme ».

Colin Powell « salue les efforts déployés par le Yémen dans la lutte antiterroriste . Il déclare soutenir le Yémen dans sa lutte antiterroriste et est disposé à lui offrir l'aide nécessaire pour consolider ses capacités dans ce domaine », a ajouté l'agence.

Georges Bush « affirme la volonté des Etats-Unis d'accorder toute aide au Yémen dans le domaine de la sécurité et incite les pays donateurs à fournir à Sanaa toute assistance (financière) pour l'aider dans ses projets économiques et de développement et dans sa lutte contre le terrorisme ».

Dans le même temps néanmoins, Paul Wolfowitz, secrétaire d'Etat appelait dans le New York Times au « maintien de la pression sur les pays douteux qui font semblant de coopérer comme c'est le cas du Yémen »...

Ces commentaires ont un seul but : faire pression sur les autorités yéménites pour que les marges de manoeuvre américaines dans la recherche des terroristes d'Al-Qaeda soient les plus grandes possibles.

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