LA REGULATION DES MARCHES DE MATIERES PREMIERES :
VERS DAVANTAGE DE MAÎTRISE ET DE TRANSPARENCE

( le 30 mai 2011)

Sous l’impulsion de la présidence française du G20, la lutte contre la volatilité des prix des matières premières, en particulier agricoles, constitue l’une des priorités de la réflexion inscrite sur l’agenda international.

Bien que l’impact de facteurs structurels sur l’équilibre offre/demande soit essentiel, le phénomène de financiarisation des marchés de matières premières n’est pas contestable : les volumes négociés d’instruments dérivés sur ces marchés ont ainsi connu une forte augmentation ces dernières années. L’utilité de tels instruments est avérée mais ils nécessitent un encadrement par des règlementations adaptées. Dans ce contexte, il est urgent de réguler plus efficacement les marchés de matières premières et de mieux prévenir le risque de crises financières comme celui de crises alimentaires.

Alors que les ministres de l’agriculture du G20 se retrouveront les 22 et 23 juin 2011 à Paris pour un sommet ad hoc, la présente contribution du Parlement français présente quelques propositions en vue d’améliorer le fonctionnement des marchés physiques et des marchés financiers de matières premières, en mettant l’accent sur la question des produits dérivés.


PROPOSITIONS AU NIVEAU DU G20 :


→ Améliorer l’information sur la production et les stocks de matières premières, en particulier agricoles (ressources, perspectives de récolte, état des stocks, demande prévisible à court et moyen termes…). A la suite de la « Joint organisations data initiative » (JODI) initiée en 2001 pour le pétrole, une démarche de transparence accrue sur les marchés physiques de matières premières doit être recherchée. A défaut de la mise en place d’un forum mondial pour la stabilité agricole, une telle démarche pourrait, en particulier, conduire à faire évoluer les missions de la FAO. Il doit ainsi être dévolu à cette dernière un rôle de prévention et d’alerte dans ses statuts. Par là, elle aurait également pour rôle de « contribuer par les informations qu’elle diffuse à la connaissance et à la stabilité des marchés de matières premières agricoles ».

→ Constituer des stocks mondiaux conséquents de produits agricoles, sous la forme de stocks d’urgence gérés par le Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM) en direction des pays les plus exposés au risque de crise alimentaire, mais aussi de stocks de précaution dans les grands pays producteurs exportateurs.

→ Lancer une concertation internationale pour limiter les facultés d’intervention unilatérale contreproductive, telles que les embargos et les contingentements, susceptibles d’être décidées par les États. Ces décisions non concertées peuvent, en effet, avoir de graves conséquences sur les marchés de matières premières, en provoquant des hausses rapides et considérables des cours.

→ Elargir les missions du Conseil de stabilité financière (CSF) au pilotage de la réglementation  portant sur les dérivés sur matières premières.

→ Définir les matières premières « essentielles », qui répondent à la satisfaction d’un besoin vital (blé, riz, électricité, pétrole, gaz…) ou sont déterminantes pour l’économie d’un pays (cacao, café…), et devront faire l’objet d’un cadre de régulation renforcé associant toutes les dimensions : physique, commerciale et financière.

→ Promouvoir deux principes pour les marchés de dérivés sur matières premières : une transparence et un reporting extensifs sur toutes les transactions, et une standardisation aussi étendue que possible des instruments.

→ Améliorer la connaissance des acteurs par la mise en place d’une classification harmonisée au niveau international. La typologie pourrait être la suivante : acteurs commerciaux exerçant majoritairement une activité de production, transformation, livraison ou commercialisation ; négociateurs et courtiers financiers (pour compte propre ou pour compte de tiers) ; investisseurs financiers (pour compte propre ou pour compte de tiers).

→ Améliorer la connaissance des opérations et limiter l’arbitrage réglementaire en formalisant au niveau mondial la transparence des transactions, y compris celles réalisées de gré à gré. Sur le modèle du Commitment of Traders de la CFTC, les données recueillies par les autorités nationales et référentiels centraux seraient transmises au CSF qui les publierait selon une périodicité mensuelle ou trimestrielle, de manière agrégée et en distinguant les sous-jacents et places de négociation.

→ S’assurer de la transparence, l’impartialité et la bonne gouvernance des agences privées, telles Argus ou Platts, qui fournissent des informations sur les marchés et évaluent les prix des transactions physiques de gré à gré.

PROPOSITIONS AU NIVEAU DE L’UNION EUROPEENNE :

→ Assortir la future PAC d’objectifs d’accroissement de la production de matières premières agricoles.

→ Maintenir dans la future PAC des mécanismes d’intervention en mesure de traiter la volatilité des prix, en s’assurant qu’ils puissent bien être mobilisés dans les différents secteurs.

→ Mandater l’AEMF pour réaliser un suivi spécifique des fonds indiciels cotés (ETF) positionnés sur les marchés de matières premières : volumes, catégories de souscripteurs, impact réel sur la volatilité et les cours, risques systémiques éventuels.

→ Institutionnaliser la démarche de coopération entre autorités de régulation des marchés physiques et financiers, à l’instar du dispositif liant la CRE à l’AMF. Une subdivision dédiée aux dérivés sur matières premières, compétente pour collaborer avec l’ACRE (pour l’énergie) et les régulateurs des autres marchés, pourrait ainsi être créée au sein de l’AEMF.

→ Mettre en place, dans le cadre de la révision de la directive MIF, une obligation de transmission aux régulateurs et/ou au marché via des référentiels centraux (« trade repositories ») des informations sur toutes les transactions réalisées, incombant tant aux marchés organisés qu’aux acteurs du gré à gré. Ces informations devront ensuite être mises à disposition du public sous une forme agrégée. Le statut et la gouvernance des référentiels centraux, en tant que dépositaires d’un bien public informationnel, devraient également être précisés.

→ Limiter les exemptions prévues par la directive MIF au profit de certains opérateurs sur matières premières, mais maintenir une dérogation pour les coopératives agricoles, dès lors que le service de couverture par des dérivés qu’elles fournissent à leurs membres est accessoire par rapport à leur activité principale de production agricole.

→ Etablir, à l’instar des OPCVM, des limites d’emprise sur les marchés à terme pour éviter les positions dominantes susceptibles de faciliter les manipulations de cours. Le cas échéant, ces limites pourraient être calculées sous déduction des opérations dites « back to back », c’est-à-dire des opérations de sens contraire prises pour répondre au besoin de couverture d’un utilisateur final.

PROPOSITIONS AU NIVEAU NATIONAL :

→ Encourager la constitution de stocks privés de produits agricoles, par exemple la construction sur deux ans de 5 millions de tonnes de capacités de stockage nouvelles pour les céréales.

→ Renforcer la contractualisation, prévue à ce stade par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche pour les secteurs du lait et des fruits et légumes.

→ Améliorer la couverture des risques dans le monde agricole, notamment par le développement de l’assurance récolte (à laquelle la déduction pour aléa doit demeurer liée) et par la diffusion de guides et de campagnes pédagogiques en vue d’améliorer la compréhension du fonctionnement des marchés à terme, notamment le principe des appels de marge.

→ Envisager la mise en place, dans certaines configurations de marché, de limites quotidiennes de fluctuation de prix sur le marché parisien des futures.

→ Rendre accessibles, sur le marché parisien des options, de nouveaux outils simples de gestion de la volatilité des prix.

→ Garantir la pérennité et le développement du marché à terme sur les produits agricoles situé à Paris (MATIF), quelle que soit l’issue des deux offres concurrentes de fusion dans lesquelles est impliquée NYSE-Euronext. La priorité est de préserver les spécifications des contrats français, notamment les modalités de livraison eu égard à leur impact sur la logistique et les transports sur notre territoire. Le principe d’une compensation des contrats à Paris devrait également être maintenu, dans la mesure où cette compensation est aujourd’hui bien intégrée par les acteurs.