PROMOTION DE M. GEORGES GOMBAULT

au grade de Grand Officier de la Légion d'Honneur 

(Discours prononcé le 5 janvier 1954)


Mesdames, Messieurs,

Notre ami LAZAREFF avait raison de le rappeler tout à l'heure :

Nous ne sommes pas venus assister à une remise de la plaque de Grand Officier de la Légion d'Honneur, Monsieur le Président de la République ayant déjà très officiellement décerné à notre ami les insignes de sa nouvelle dignité.

Ce n'est pas non plus pour entendre un nouveau discours de parlementaire que vous vous êtes réunis, et ce n'est point en cette qualité que je prends la parole, mais simplement au titre de l'amitié.
Au titre de l'amitié, parce qu'il y a quelque trente ans, un jour que, jeune avocat au Barreau de Paris, patronné intellectuellement par un très grand avocat, je me familiarisais avec la galerie marchande, j'ai fait la connaissance de Georges GOMBAULT.

Cet avocat était son ami. Il était comme lui un homme d'une haute et vaste culture, d'une exquise sensibilité sous une apparence un peu sèche et assez froide : c'était mon maître César CAMPINCHI.

Georges GOMBAULT et lui étaient depuis longtemps deux amis. Avec cette gentillesse qui confondait ses collaborateurs, CAMPINCHI me présenta Georges GOMBAULT en lui disant : "Voici un jeune homme qui est venu à Paris - comme si on l'attendait ! - avec l'espoir de conquérir le Palais de Justice".

Il exagérait. Mais l'homme qui est à ma droite en ce moment, avec une affabilité que je n'ai jamais oubliée, me parla avec bonté et délicatesse. De ce jour, je l'ai appelé "le Florentin", en raison de son aspect physique - Madame, ne disiez-vous pas qu'il a la plus jolie barbe du monde ... - en raison de ce sourire qui lui montait jusqu'aux yeux et dans lequel on lisait avec l'intelligence, une grande finesse d'esprit et beaucoup de bonté.

Pendant des années, alors que j'étais au Palais le collaborateur de César CAMlPINCHI, je l'y ai rencontré souvent, bien qu'il ne fût point un chroniqueur judiciaire mais parce qu'il y venait suivre quelques uns des grands procès de la Cour d'Assises, ceux où plaidaient les MORO-GIAFFERI, les TORRES et les CAMPINCHI, il y venait parce que rien de ce qui est humain ne l'a jamais laissé indifférent.

C'est alors que je l'ai bien connu - et je peux le dire publiquement - c'est alors que j'ai commencé à l'aimer ... ma présence ici ce soir n'est donc pas celle d'un Président d'Assemblée parlementaire, mais celle d'un ami.

Charles et lui m'ont fait la grande amitié de me faire présider ce dîner, me plaçant sans me le dire - mais je l'ai senti, et cela me fut très doux en même temps que cela me confondait - me plaçant sous l'égide du grand ami disparu, à la mémoire duquel je sais que Georges GOMBAULT est resté si fidèlement, si amicalement attaché.

Je le remercie de me donner l'occasion de le féliciter et de rappeler ces quelques années lointaines pour moi - non pour lui puisqu'il reste éternellement jeune - ces quelques années où au Palais de Justice de Paris, prenant contact avec une ville que je ne connaissais pas, j'ai eu la chance de recevoir l'accueil d'hommes intelligents, cultivés et humains.

Je fus ensuite quelque peu au fait de sa vie familiale. LAZAREFF a tout dit, avec quel esprit, quel talent !

Pourrais-je simplement rappeler quelques confidences ... mais ces confidences inconnues alors de tout le monde, peut-être ne le sont-elles plus aujourd'hui.

Du temps où il vivait à Montmorency, avant l'époque dont je vous parlais à instant, une jeune fille, le voyant un jour en train de scier du bois s'exclama :

" qu'il est beau! mais quel dommage qu'il soit menuisier !"

Il a prouvé qu'il était mieux que cela : un grand journaliste en même temps qu'un grand français, et c'est la raison pour laquelle nous sommes tous réunis ici.

Madame, si nous sommes à vos côtés ce soir, c'est pour fêter, certes, un journaliste de grand talent, mais aussi pour rendre hommage à un homme dont la vie toute entière a été de désintéressement, de labeur, de volonté, de patriotisme, de dévouement à son pays et à la chose publique. 

Je sais qu'il a eu le privilège - et peu d'hommes l'ont eu - de voir décorer à la fois son père et son fils.

On disait tout à l'heure qu'il est le collaborateur du fils qui est devenu son patron. Il a connu tous les bonheurs : un ménage uni et heureux, un fils et une fille à son image et je me plais à rendre hommage à ce quatuor si parfait.

Nous sommes ce soir tous autour de vous, mon cher ami,- et je te dis "vous" parce que les convenances l'exigent - et autour de vous, Madame, et de toi Charles, que j'ai connu tout jeune et qui m'a voué une amitié dont les échos se faisaient sentir dans les paroles que ta maman me répétait ce soir pour rendre hommage à une vie privée, une vie morale, une vie civique, une vie professionnelle.

Je voudrais cependant, comme parlementaire, mon cher GOMBAULT, parler d'un aspect de votre vie professionnelle.

Tous ceux qui vous ont connu ont rendu hommage au journaliste que vous êtes, à sa finesse d'esprit, à sa largeur de vue, au journaliste qui prend le temps de penser et qui pense.

On reconnaît là, l'agrégé de philosophie aux idées simples et claires, qui sait, des grands discours parlementaires, tirer une leçon dont s'inspirent ceux-mêmes qui les ont prononcés.

Sans doute, avons-nous au Parlement "le Journal Officiel" mais c'est bien peu et ce n'est point à travers ses comptes rendus que l'on peut saisir et dépeindre exactement l'esprit parlementaire.

On me permettra même de dire que, s'il est le miroir de nos pensées et de nos paroles, il en est parfois un miroir déformant.

Il n'en est pas de même de la presse parlementaire qui est en relations continuelles avec le Parlement lui-même. Vous observez le Parlement, vous le décrivez, vous l'analysez et vous le critiquez sans mesure quand il en est besoin.

Pour notre part, croyez-le bien, nous observons la presse parlementaire, nous la suivons, nous la lisons et nous savons nous inspirer parfois des enseignements qu'elle peut nous donner.

Mon cher ami, s'il était besoin de justifier la liberté de la presse, votre vie et vos écrits suffiraient amplement. C'est l'hommage que je voulais vous rendre ce soir au nom des parlementaires présents. (Applaudissements).

La liberté de la presse a été souvent critiquée et même attaquée, mais nous savons tous qu'elle est le fondement de la liberté tout court.

On rappelait que vous êtes de ces hommes qui n'ont jamais changé d'idée ni varié de doctrine. On prétend que les hommes qui ne changent pas d'idée ou d'opinion sont des hommes sans intelligence.

Quel démenti vous donnez à cet aphorisme qui, comme tous les aphorismes se révèlent faux : votre vie est une vie de vérité en ce sens que, resté fidèle aux idées auxquelles vous avez donné votre adhésion dès votre jeunesse, resté fidèle également à cette grande loi de la République qui est de tolérance, de compréhension, de respect pour les idées des autres, vous avez toujours été un écrivain objectif, un homme de bonne volonté et de bonne foi.
Aujourd 'hui, je pense que peut-être, le titre le plus éclatant d'un écrivain est d'être un homme de bonne foi.

Tous ceux qui vous connaissent depuis de longues années, qu'ils soient vos confrères, qu'ils soient, du Parlement, qu'ils appartiennent à la Littérature ou qu' ils soient simplement vos lecteurs, rendent hommage à l'objectivité de votre plume.

Vous êtes éditorialiste. Je pense que dans un journal, surtout s'il s'agit d'un journal d'opinion, c'est l'éditorialiste qui donne - si je puis dire - l'accent aux faits du jour et traduit la pensée de l'opinion en même temps qu'il la guide, sait interpréter à la fois ce qu'il pense, ce qu'il a entendu et ce qu'il convient objectivement, loyalement, honnêtement, de dire à l'opinion qui est en alerte et qui demande à être éclairée.

On vous a rendu hommage, mais je crois que pour vous, comme pour tous les journalistes, le plus bel hommage ne vient pas seulement de vos confrères. Il doit venir de vos lecteurs. Je suis, nous sommes tous de ceux-ci et notre présence a pour but de rendre hommage à l'éditorialiste.

La liberté coule à plein bord à France-Soir, et lorsqu'on lit vos articles, on se rend compte que le civisme n'y est pas moins étincelant, ce civisme républicain que nous voudrions voir tous les jours, non point seulement dans les journaux, mais dans les actes quotidiens des hommes.

Une admirable leçon nous a été donnée par notre grand ami Edouard HERRIOT qui m'a chargé de vous dire non seulement combien il regrette de ne pas être à vos côtés, mais surtout de ne pouvoir vous dire ici ce qu'il pense de vous.

Il m'a chargé de vous dire qu'il vous tient non seulement pour un grand journaliste, mais pour un grand coeur, pour un grand français et l'hommage du Président de l'Assemblée nationale rejoint celui des parlementaires présents.

A l'"Aurore" autrefois, à "l'Oeuvre", à "La Lumière", à Londres à "La France", on a retrouvé Georges GOMBAULT comme on l'avait connu au moment de l'affaire Dreyfus.

On vous a retrouvé au moment où la patrie était en deuil, dans la souffrance et dans le malheur, on vous a retrouvé debout, sans insolence et sans faconde, mais résolu et fidèle.

Non pas d'une manière spectaculaire, mais travaillant au redressement de la France par tous les moyens en votre possession: votre plume, votre conviction, votre don de persuasion, la dignité de votre vie, prêchant à chacun que la France ne saurait rester agenouillée et que l'éclipse qu'elle subissait ne pouvait être que de courte durée.

Vous avez été de ceux qui ne désespéraient pas et c'est encore un dernier hommage que je tiens à vous apporter : à l'heure où certains pensent que la République était finie parce que nous trouvions sur notre sol la rancoeur, la sottise et la violence, vous avez été de ceux qui disaient : "La France ne meurt pas".

Vous avez continuellement combattu partout où vous vous êtes trouvé : à Londres d'abord, puis à votre retour en France, pour remettre sur pied la République, avec la liberté de pensée, la liberté d'opinion, le respect de l'individu. 

Vous continuez sans concession à qui que ce soit à défendre la République que ce soit Ière, la IIème,la IIIème ou la IVème, pour vous elle est la manifestation du génie permanent de la France, la manifestation de cette volonté de liberté dont vous êtes, permettez-moi de vous le dire, l'un des exemples.

Celui qui vous parle est l'un de vos cadets. Il vous a toujours suivi et c'est pour lui un honneur ce soir que de prendre la parole devant cette assemblée.

Je voudrais dire en terminant, très simplement, que vous avez eu raison à toutes les heures de votre vie, à tous les moments de votre activité, de confondre démocratie et liberté, pour nous ces deux concepts ne sauraient être isolés.

LAMARTINE disait: "Baillonner la liberté de la presse, c'est baillonner à la fois le mensonge et la vérité" .

Il avait raison. "Les gouvernements libres, ajoutait-il, ne le sont pas toujours par elle, mais ils ne seraient jamais libres sans elle".

Le Parlement, au nom duquel j'ai l'honneur de parler avec l'assentiment de tous ceux qui sont présents tient à vous féliciter d'avoir toujours combattu pour cette liberté de la presse à laquelle nous sommes tant attachés et à travers votre vie et votre oeuvre, rendre hommage à toute la presse libre de la IVème République qui s'est donné pour tâche de continuer l'oeuvre que la IIIème avait commencée, rendre hommage au patriotisme d'hommes qui, comme Georges GOMBAULT n'ont jamais désespéré de la patrie.

Gaston MONNERVILLE.

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