« LIBERTE, CREATION CONTINUE »

(Discours prononcé pour la commémoration de la Révolution de 1848)

(1948)

Née dans les brumes de février, si la Révolution de 1848 s’effondra au soleil de juin, c’est qu’elle n’était pas, comme celle de 1789, l’aboutissement d’une évolution intellectuelle et d’un idéal qu’au XVIIIème siècle, philosophes et penseurs avaient fait pénétrer assez profondément dans le pays.

C’est une des raisons pour lesquelles, aujourd’hui encore, n’est pas achevée cette grande Révolution sociale, cette libération de l’homme de toutes les contraintes économiques à laquelle les révolutionnaires de 1848 conviaient les peuples.

Mais toute l’oeuvre de la Révolution de 1848 ne fut pas anéantie par la répression du général Cavaignac, puis par le Coup d’Etat du 2 décembre. Il en resta une pièce maîtresse : l’abolition de l’esclavage, ce grand geste maternel de la France accueillant nos ancêtres parmi ses enfants. Ce fut le premier signe visible de cette Union Française qui se cherche encore aujourd’hui.

Si le Gouvernement qui a succédé à la Seconde République n’est pas revenu sur cette mesure, c’est non seulement parce que c’eût été la révolte dans les colonies, mais aussi, et surtout, parce que cette libération avait été préparée de longue date dans l’opinion publique par une campagne anti-esclavagiste. Cette campagne fut commencée par la Société des « Amis des Noirs » de l’Abbé Grégoire, et aboutit au décret de la Convention du 16 Pluviôse, an II. Après son abrogation par Napoléon, elle fut continuée sous la Restauration et la Monarchie de Juillet par les Broglie, Tocqueville, Gasparin, Lamartine, Remusat, qui menèrent la lutte contre le rétablissement de la traite des noirs. Mais, à cette oeuvre prérévolutionnaire comme à sa réalisation révolutionnaire, est surtout attaché le nom de Victor SCHOELCHER, apôtre, instigateur et réalisateur de la libération des noirs.

Emu, dès sa jeunesse, au cours de voyages dans les colonies, par la condition d’existence dégradante faite aux noirs, SHOELCHER résolut, avec une fermeté et une ténacité extrêmes, à se consacrer à la suppression de l’esclavage. Dès le 4 mars 1848, il réussit à persuader Arago de l’intérêt qu’il y avait à faire aboutir rapidement cette réforme. Nommé Sous-secrétaire d’Etat aux Colonies, il fait créer aussitôt une commission chargée de cette question ; il la préside lui-même et, après deux mois de travaux ininterrompus, il fait promulguer, le 27 avril, les décrets abolissant l’esclavage dans les colonies, et transformant en citoyens, des hommes hier encore considérés comme une marchandise.

Mais, commémorer 1848, n’est pas s’attarder à faire revivre le souvenir de temps héroïques. Commémorer 1848, c’est mesurer l’oeuvre accomplie et surtout le chemin restant à parcourir : ah ! qu’il apparaît encore rude et long ce chemin !

En 1948, comme en 1848, le message de SCHOELCHER, du 27 avril, a toujours l’accent de l’avenir :

« La République n’entend plus faire de distinction dans la famille humaine. Elle ne croit pas qu’il suffise, pour se glorifier d’être un peu plus libre, de passer sous silence une classe d’hommes tenue hors du droit commun de l’humanité ».

Il est malheureusement dans la nature de l’esclavage de renaître sans cesse ; car, aujourd’hui encore, où, trop souvent, le droit de vivre se réduit aux dimensions du pain quotidien, les nations, comme les hommes, attendant que soit réalisé complètement le grand espoir qu’avait apporté au monde la Révolution de 1848.

Gaston MONNERVILLE