L'encadrement financier du processus électoral



Table des matières


Ouverture
Jean-Jacques HYEST,
Président de la Commission des lois du Sénat

Monsieur le Président,

Chers collègues,

Mesdames et Messieurs les professeurs,

Mesdames et Messieurs,

C'est toujours avec un grand plaisir que j'ouvre les travaux de ces rencontres sur le processus électoral ; elles constituent désormais un rendez-vous annuel, puisque le Sénat les accueille pour la cinquième fois consécutive !

Je tiens en premier lieu à remercier le Président Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, Professeur honoraire de l'Université de Paris II, les responsables de l'Université de Paris 1, représentée notamment par son Président, le Professeur Jean-Claude COLLIARD, sans oublier Bernard OWEN, secrétaire général du Centre d'Études comparatives des élections, pour leur active contribution à l'organisation de ce colloque.

Je salue aussi tous les intervenants et les experts qui animeront vos travaux ce matin et cet après-midi.

Comme vous le savez, notre pays va aborder une échéance électorale majeure ; et comme avant chaque élection, les partis politiques et les candidats ont dû prendre en compte une dimension importante dans leur campagne, en l'occurrence la législation sur le financement des activités politiques.

Dans ce domaine, le législateur français s'est engagé, depuis un peu plus de 20 ans, dans un triple effort de moralisation, de rationalisation et de clarification des rapports entre la politique et l'argent.

Je reconnais que la tâche a été assez laborieuse -une bonne dizaine de lois sont venues retoucher et compléter le texte initial des lois de mars 1988- et malgré ça, le système actuel souffre encore de quelques lacunes.

Mais dans l'ensemble, le législateur est parvenu aux objectifs essentiels qu'il s'était assignés, en particulier dans le sens d'une réduction des dépenses de campagne, d'une plus grande transparence dans la collecte des ressources et, en contrepartie du transfert, d'une large part de la charge financière de la vie politique au budget de l'État.

Ainsi, les partis politiques et les candidats aux élections qui acceptent de se conformer aux contraintes légales -somme toute assez légères- peuvent bénéficier d'un financement public qui, pour les grandes formations, représente aujourd'hui une part essentielle de leur budget. Les cotisations militantes, en revanche, n'y participent plus que marginalement.

La France a par ailleurs mis en place un régime de déclarations de patrimoine, lui aussi issu des lois de 1988.

Il ne faut pas se méprendre : les déclarations de patrimoine n'ont jamais eu pour but d'instaurer un dispositif inquisitoire, mais plutôt de permettre aux élus de couper court aux suspicions inutiles et malveillantes. Il n'y a qu'à consulter ces déclarations pour constater qu'en France, la politique n'enrichit pas ceux qui s'y lancent, bien au contraire.

Deux commissions forment l'ossature du système de contrôle : d'un côté, la Commission des comptes de campagne et des financements politiques, de l'autre la Commission pour la transparence financière de la vie politique. La commission nationale des comptes de campagne a émis quelques suggestions  pour améliorer le système actuel: ainsi la brutalité de l'inéligibilité, automatique pour certaines élections et non pour d'autres, pourrait ainsi faire l'objet d'un débat. Quoi qu'il en soit, la tâche de ces deux commissions n'est pas facile, et leur jurisprudence est pour beaucoup dans l'équilibre auquel la France est parvenue. Je crois légitime de rendre hommage à leur travail.

Mais si cette question de la politique et de l'argent a trouvé un solide début de réponse en France, tel n'est pas encore le cas partout.

Ainsi, la nébuleuse des ONG s'invite parfois dans certains processus électoraux, pour ne pas dire qu'elle s'y immisce, sans que leur intervention -financière notamment- soit toujours contrôlable ni contrôlée.

C'est le cas, en particulier, dans certaines démocraties nouvelles qui expérimentent leurs procédures avec l'aide de consultants internationaux : comment faire la part entre l'ingénierie démocratique et l'ingérence proprement dite ?

Par ailleurs, les spécialistes des élections voient apparaître de nouvelles formes de communication politique dont le modèle économique gagnerait à être mieux cerné par le législateur : la télématique hier, Internet et le téléphone mobile aujourd'hui, les réseaux sociaux demain...

C'est aussi le mérite d'une rencontre comparatiste comme celle d'aujourd'hui : mettre en commun des expériences électorales variées, et constater que la « bonne gouvernance électorale » n'est jamais un combat gagné d'avance, pas plus en France qu'à l'étranger ! Là encore, le renforcement et le perfectionnement des systèmes électoraux passent notamment par une bonne coopération européenne et internationale.

Avant de céder la parole aux experts qui se succéderont à cette tribune toute la journée, permettez-moi de conclure en vous souhaitant, en mon nom personnel et au nom du Président Gérard LARCHER, la bienvenue au Sénat.

Je vous souhaite des travaux fructueux en rappelant qu'ils serviront aussi au législateur.

Les travaux de la matinée seront placés sous la présidence de Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, Professeur honoraire de l'Université Panthéon-Assas Paris II.

Présentation de la journée

Bernard OWEN,
Secrétaire général du CECE

Notre équipe travaille ensemble depuis des années, et pour cette cinquième édition de nos rencontres, j'espère que nous parviendrons à vous transmettre notre enthousiasme.

Nous traiterons aujourd'hui des différentes dimensions de la prise en comptes des finances dans les processus électoraux. Ce matin, nous nous concentrerons essentiellement sur la France et certaines organisations européennes. Nous y estimons de manière générale que les candidats, s'ils ne doivent pas nécessairement concourir selon une égalité parfaite, doivent le faire en suivant des règles claires.

Depuis la constitution non appliquée de Condorcet, le lien entre élections et démocratie a fait l'objet de nombre de réflexions. Le modèle français auquel nous avons abouti est-il exportable ? En réalité, il convient de travailler à partir et en fonction de l'endroit concerné, en fonction des réussites et échecs connus.

Au cours de l'après-midi, nous aborderons le cas des ONG. A l'issue de la Guerre froide et de la réunion de Copenhague, les ONG internationales ont été dotées de droits exorbitants, puisqu'elles peuvent agir dans d'autres pays que le leur et véhiculer des sommes considérables. Or certaines exercent une activité politique indéniable. Elles peuvent contribuer, dans certains cas, à renverser des gouvernements en agissant selon une méthodologie quasi militaire, comme l'a récemment montré la technique très élaborée déployée lors des « révolutions de couleurs », en Géorgie, par exemple.

Actualité du financement électoral en France

Jean-Louis MERE,
Directeur juridique,
commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

Qu'entendons-nous par le terme d'actualité ? Certaines questions, bien qu'anciennes, demeurent sans réponse : Les frais de la campagne officielle doivent-ils intégrer les comptes de campagne ? Comment intégrer à ces comptes la publication d'ouvrages à compte d'éditeur, sans coût pour le candidat ? Quid des candidats déclarés, ayant reçu des soutiens financiers, mais n'allant pas au terme de leur démarche ? Comment régler les difficultés des candidats à ouvrir un compte bancaire ?

D'autres questions sont nouvelles en ce qu'elles portent sur de nouveaux moyens de communication, notamment depuis la campagne de Barack OBAMA. La problématique des réunions tenues dans un cercle privé, mais auxquelles le candidat n'a pas nécessairement donné son accord, se trouve démultipliée par les réseaux sociaux du web. Par ailleurs, le paiement d'un soutien par carte bancaire sur le web ne permet pas de vérifier que le donateur est bien une personne physique.

L'actualité la plus brûlante est évidemment celle des prochaines élections régionales. Les campagnes des Conseils généraux sur la réforme des collectivités territoriales ou la taxe professionnelle constituent-elles des dépenses de campagne ? La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rappelé le principe selon lequel une collectivité ne peut faire campagne en faveur d'un candidat, d'un de ses thèmes de campagne ou de son programme sous peine qu'on considère qu'il s'agit d'un concours en nature de personne morale. Toutefois un candidat peut rémunérer une collectivité pour une campagne et faire figurer ces frais dans ses comptes de campagne.

Cette présentation se limitera aux dernières décisions importantes de la CNCCFP.

1. Règles de procédure

Le candidat à une élection est tenu à deux obligations.

• Désigner un mandataire financier

Ce mandataire reçoit les fonds et paye les dépenses. Le candidat ne peut le faire directement, mais la jurisprudence prévoit une souplesse : il peut régler directement des menues dépenses, faibles par rapport au total des dépenses et négligeables par rapport au plafond des dépenses autorisées. L'imprécision demeure dans cette terminologie.

La CNCCFP a tenté de quantifier ces montants, même si la fixation de seuils est toujours dangereuse. Elle estime qu'ils doivent être inférieures à 10 % des dépenses globales et à 3 % du plafond. Par ailleurs, il faut tenir compte de la nature des dépenses afin d'éviter une multiplication incontrôlée de petits frais.

C'est sur la base de ces règles que les comptes de campagne du député FENECH ont récemment été rejetés. En réalité, la dépense importante qui a motivé cette décision avait été payée par un tiers pour le compte de ce candidat, mais il ne s'agissait pas d'un don et elle a été considérée comme un paiement direct de sa part. Le Conseil constitutionnel, n'ayant pas le pouvoir d'apprécier la bonne foi de l'accusé, a dû confirmer le rejet du compte.

Cette affaire conduit à penser d'une part que le Conseil devrait être pourvu de la faculté d'apprécier la bonne foi et d'autre part que la sanction ne devrait pas être disproportionnée par rapport à la faute. La CNCCFP pourrait alors sanctionner pécuniairement un candidat sans avoir à rejeter son compte.

• Déposer un compte de campagne visé par un expert comptable

A la date de son dépôt, le compte doit être visé par un expert comptable. La Commission n'admettait initialement pas de régularisation, mais une jurisprudence a reconnu que rien n'empêchait un candidat de régulariser son compte tant que la Commission n'avait pas statué. Cette dernière y voit une rupture d'égalité entre les candidats, dans la mesure où ils ne disposeront pas des mêmes délais selon qu'il y aura ou non contentieux.

2. Notion de dépenses électorales

Le Code électoral définit les dépenses électorales comme des dépenses engagées ou effectuées lors d'une élection et dont la finalité est l'obtention du suffrage des électeurs. Cette définition est peu précise et mêle deux types de comptabilité.

Les frais de déplacement de représentants de formations politiques entrent-ils dans ces dépenses ? Une jurisprudence du Conseil constitutionnel répond négativement, arguant de la difficulté même à définir un représentant de formation politique. Est-il une personne pouvant engager le parti, figurant dans son organigramme, disposant d'un mandat ? Un ministre est-il le représentant d'un parti ou de l'Etat ? Est-il un expert ? Par ailleurs, comment contrôler les partis ne bénéficiant pas des fonds publics, dont les frais de déplacement ne sont pas remboursés sur les comptes de campagne mais qui peuvent avoir été réglés par une collectivité ? Dans ce cas, la Commission a intégré à un compte les fais de déplacement du Premier ministre et sanctionné le candidat, mais elle a été contredite par le Conseil constitutionnel.

S'agissant des frais de restauration, la Commission a longtemps eu une position très restrictive : ils ne pouvaient être intégrés que s'il était prouvé que le candidat avait invité des personnes pour les convaincre. L'invitation de son équipe au restaurant n'entrait donc pas dans ce champ. Un arrêt d'avril 2009, autorisant un buffet pour des militants déjà convaincus, lui a donné tort.

La Commission a adopté une position nuancée sur les intérêts d'emprunt des partis politiques : ils pouvaient figurer aux comptes de campagne s'ils visaient à financer la campagne d'un candidat, mais non si le parti prêtait ensuite des fonds à ce candidat. En effet, les campagnes sont financées publiquement, au travers des partis, et le contribuable n'a pas à payer deux fois. De la même manière, le parti ne peut refacturer au candidat l'occupation de locaux ou l'utilisation de personnels fixes. La Commission n'a pas été suivie par le juge dans cette interprétation. Désormais, les candidats invitent leurs soutiens à donner au parti et non à leur compte, ce qui permet en outre de donner davantage. Un risque nouveau est apparu.

Les dépenses engagées pour obtenir l'investiture du parti ne sont pas considérées comme électorales, en revanche celles engagées contre un candidat peuvent l'être lorsqu'il n'existe que deux candidats et que ce positionnement amène à favoriser l'un des deux.

Une dépense électorale est-elle nécessairement remboursable ? Certaines, figurant dans le compte, financent des actions illégales telles que l'affichage sauvage. Si le fait est prouvé, elles ne doivent pas être remboursées. Qu'en est-il des gadgets et t-shirts distribués ? De nature indiscutablement électorale, ils ne participent pas au débat politique. La Commission estime qu'elle ne doit pas autoriser leur remboursement lorsque leur montant est trop élevé.

3. Rôle du juge de l'élection

Le juge électoral n'est pas un juge de plein contentieux : il doit seulement se prononcer sur l'éligibilité du candidat, et n'a pas compétence pour contester une décision de la Commission.

En cas de contestation sur le bienfondé de la décision, le candidat doit saisir à nouveau la Commission, et parfois aller jusqu'au recours contentieux classique, ce qui implique des frais élevés. Nombre de candidats ne se lancent donc pas dans cette démarche. Dès lors, ne serait-il pas envisageable de permettre au candidat un recours pour excès de pouvoir en lieu et place d'un contentieux ? Il peut par ailleurs advenir qu'un candidat, dont le compte a été accepté par la Commission, soit sanctionné par le Conseil. Déclaré inéligible, il bénéficie néanmoins d'un remboursement de son compte car le juge ne peut se substituer à la décision de la Commission.

Ces deux cas de figure posent la question du pouvoir d'interprétation de la Commission. La création de la notion de dépenses non remboursable montre qu'elle peut dépasser son rôle, mais le juge adopte souvent une position très restrictive. Il en est allé ainsi lorsque la Commission a suggéré qu'un non respect des obligations légales (ou la répétition trois années d'affilée des mêmes réserves de la part des Commissaires aux comptes) n'entraîne que la perte de l'avantage fiscal et de la possibilité pour le mandataire d'accorder des dons. Hier, le Conseil d'Etat a considéré que ce positionnement outrepassait les pouvoirs de la Commission.

Patrimoine des élus : avez-vous quelque chose à déclarer ?

Bernard MALIGNER

CERSA Université Panthéon-Assas Paris II

Ainsi que le rappelait Philippe SEGUIN en 1994 dans le groupe de travail Politique et argent, la Convention a décrété le 4 vendémiaire an IV de la République (26 septembre 1795) : « Chaque représentant du peuple sera tenu, dans le délai d'une décade et dans celui de deux décades pour ceux qui sont négociants ou marchands, de déposer la déclaration de fortune qu'il avait au commencement de la Révolution et de celle qu'il possède actuellement ». Il aura fallu deux siècles pour que ce décret trouve un début d'application !

1. Le dispositif actuel

Les Etats-Unis se sont dotés d'un code d'éthique en 1978, l'Italie en 1982 et la France en 1988. Ce dispositif a ensuite été complété en 1995 et 2000. Tous les décideurs publics doivent faire connaître l'état de leur patrimoine à leur entrée en fonction et lors de leur sortie, au travers de déclarations de patrimoine contrôlées par la Commission pour la Transparence financière de la Vie politique, la procédure, en cas d'irrégularités constatées, pouvant déboucher sur différentes sanctions dont, le cas échéant, la saisine des juridictions répressives. Les personnes concernées sont :

• des personnalités non élues, notamment les membres du Gouvernement ;

• les titulaires de certaines fonctions dans le secteur public (présidents, P-DG et directeurs adjoints des entreprises nationales, EPIC et organismes publics d'habitations à loyer modéré) ;

• des candidats non élus, notamment à l'élection présidentielle (la déclaration de patrimoine fait partie des conditions de recevabilité de la candidature, mais seule celle du Président élu est publiée au Journal officiel au lendemain de l'élection) ;

• le Président de la République ;

• des élus (membres du Parlement, présidents des conseils régionaux, présidents des conseils généraux, Président de l'Assemblée de Corse, Président du Conseil exécutif de Corse, présidents des assemblée territoriale d'Outre-mer, maires des communes et présidents des groupements de communes de plus de 30 000 habitants, députés européens, futurs conseillers territoriaux).

Cette déclaration comporte 12 rubriques : immeubles bâtis et non bâtis ; valeurs mobilières ; assurances vie ; comptes bancaires ; meubles meublant ; collections, objets d'art, bijoux, pierres précieuses, or ; véhicules ; fonds de commerce, charges et offices ; autres biens ; biens immobiliers et comptes à l'étranger ; passif ; observations.

Les assujettis doivent la transmettre dans les deux mois suivant leur entrée en fonctions et dans les deux mois qui précèdent leur échéance. Ils peuvent également informer la Commission sur des évolutions sensibles de patrimoine en cours de mandat.

Instituée en 1988, la Commission pour la Transparence financière de la Vie politique est une autorité administrative indépendante mais qui siège dans les locaux du Conseil d'Etat. Elle comporte trois membres de droit (vice-président du Conseil d'État, président de la commission ; premier président de la Cour de cassation ; premier président de la Cour des comptes) et 12 membres titulaires ou suppléants (4 présidents de section ou conseillers d'État, en activité ou honoraires, élus par l'assemblée générale du Conseil d'État ; 4 présidents de chambre ou conseillers à la Cour de cassation, en activité ou honoraires, élus par l'ensemble des magistrats du siège hors hiérarchie de la Cour ; 4 présidents de chambre ou conseillers maître à la Cour des comptes, en activité ou honoraires, élus par la chambre du Conseil). Elle est assistée d'un Secrétaire général et de 9 rapporteurs pour mener ses investigations. Elle fonctionne en formation ordinaire ou plénière et les assujettis peuvent être invités à comparaître devant elle. Elle est investie d'une mission d'information auprès des ministres du non respect par les assujettis de leurs obligations, dispose de la possibilité de lancer des actions pour obtenir ces informations, et est tenue à la plus grande discrétion. Les sanctions potentielles comprennent l'inéligibilité temporaire d'un an aux fonctions exercées, l'absence de remboursement forfaitaire des dépenses électorales et la nullité de la nomination. Un volet pénal repose en outre sur l'incrimination pour faux et usage de faux.

2. Quelques voies d'amélioration

L'obligation de déclarer son patrimoine pourrait être étendue aux maires des 187 communes de 20 000 à 30 000 habitants. M. DAUZIERES, député, recommande de réduire le nombre de décideurs publics locaux susceptible de répondre devant la Commission. Il est rejoint sur ce point par la Commission elle-même dans son rapport de 2009. Son Président, M. SAUVE, indique en outre qu'un temps considérable pourrait être gagné s'il était possible de recouper les déclarations de patrimoine et les déclarations de revenu. Il souhaite également la création d'une sanction en cas de déclaration mensongère. Paradoxalement en effet, l'absence de déclaration est lourdement sanctionnée par la perte du mandat et l'inéligibilité, mais des lacunes manifestes ne le sont pas. De manière plus générale, trois types d'amélioration sont possibles.

• Une modification de la déclaration patrimoniale du chef de l'Etat

M. DAUZIERES a récemment proposé qu'une nouvelle déclaration de patrimoine soit établie en cas de rupture ou modification de la communauté. Dans un tel cas de figure en effet, il devient impossible de comparer les déclarations initiale et finale. Par ailleurs, la simple information du public pourrait être dépassée si la variation du patrimoine faisait l'objet d'un véritable contrôle, par exemple de la part de la Commission pour la Transparence. Enfin, le chef de l'Etat pourrait, comme d'autres, signaler toute évolution notable de son patrimoine auprès de la Commission. En revanche, la possibilité de le rendre inéligible ou passible d'une sanction pénale demeure difficile d'application.

• Un accroissement des compétences de la Commission :

Depuis 1993, il est proposé d'élargir le champ des informations à la disposition de la Commission. Celle-ci devrait également disposer de moyens pour recouper les informations dont elle dispose, notamment grâce aux déclarations d'impôt sur le revenu ou la fortune. Tout refus devrait être sanctionné et, dans des situations douteuses, les investigations devraient pouvoir s'étendre au patrimoine des proches de l'assujetti. L'action de la Commission pourrait également être renforcée par davantage de sévérité. L'application stricte de la sanction d'inéligibilité d'un an amènerait à sanctionner 30 % des élus locaux assujettis, et nombre de parlementaires nationaux et européens. Le mécanisme de la sanction pourrait au moins être simplifié : il existe pour l'heure un long processus de transmission par la Commission au Premier ministre puis au ministre de l'Intérieur et au Préfet, alors que la Commission pourrait directement saisir la juridiction compétente.

• Un renforcement de l'arsenal des sanctions

La Commission se trouve souvent paralysée par l'inaction des juridictions répressives, car le Parquet n'aboutit presque jamais à une sanction pénale en l'absence d'incrimination idoine. M. DAUZIERES et la Commission suggèrent donc d'instituer une nouvelle incrimination dans la législation, celle de déclaration de patrimoine manifestement insincère, fausse ou mensongère. La proposition de loi déposée en ce sens prévoit en outre de conférer au juge pénal la possibilité de prononcer des inéligibilités ou privations de certains droits électoraux. L'enquête récemment lancée par M. SAUVET permettra de disposer d'un panorama complet des dispositifs étatiques.

Echanges avec la salle

De la salle

Vous avez évoqué le problème du contrôle lors des versements par carte bancaire sur Internet. Le portail pourrait demander à l'internaute de certifier qu'il s'agit d'un versement personnel et que la somme ne sera pas imputée à une société. Le contrôle des engagements des sociétés et collectivités me semble également possible au travers d'un rapport spécial des Commissaires aux comptes, dans le respect des normes IFRS et IPSAS. Quant aux gadgets distribués en campagne, un candidat présentant deux factures, l'une pour la fourniture des objets et l'autre pour leur impression, pourrait être partiellement remboursé.

Jean-Louis MERE

Les paiements en ligne font déjà l'objet d'une déclaration sur l'honneur de la part du donateur, attestant qu'il est une personne physique. Toutefois le secret bancaire ne permet pas de procéder à des vérifications très poussées.

Quant aux gadgets, la seule impression pourrait en effet entrer dans les dépenses électorales, mais il me semble difficile de la distinguer totalement de l'achat des T-shirts qu'elle présuppose.

Jean-Claude COLLIARD

La législation et son application sont devenues trop complexes et reposent sur des jurisprudences raffinées. Il conviendrait de les simplifier. De la même manière, la notion de dépense électorale, initialement claire, doit le demeurer : ces dépenses visent à gagner des suffrages. A cet égard, la jurisprudence de la Commission sur les gadgets électoraux me semble erronée et ce type de précision pourrait conduire à terme à des cas de figure absurdes.

S'agissant du rapport entre la Commission et le Juge électoral, il devrait selon moi correspondre au rapport entre un juge d'instance et un juge d'appel.

Enfin, il n'existe aucune raison pour que des collectivités avancent de l'argent à des candidats. Le remboursement et le respect des normes n'absolvent pas cette faute.

Paul GALAND

La déclaration de patrimoine tient-elle compte du capital restant à rembourser des emprunts immobilier pour déterminer une valeur nette ?

Bernard MALIGNER

Oui. Tel est par exemple le cas dans la déclaration de M. SARKOZY.

Jean-Claude MASCLET

Le terme de crédibilité n'a pas été prononcé au cours de ces diverses présentations. Les travaux de la Commission pour la Transparence de la Vie politique sont-ils crédibles aux yeux de l'opinion publique ? Sans lancer une chasse aux sorcières, elle devrait peut-être atténuer son principe de discrétion pour prouver son existence et son efficacité. Par ailleurs, existe-t-il une vraie volonté de réforme ?

Bernard MALIGNER

Tout se passe dans le climat feutré du Conseil d'Etat. La Commission a émis 14 rapports très détaillés, ne comportant aucun élément nominatif la loi de 1988 interdit de les transmettre à quiconque hormis le Parquet et les assujettis mais pouvant être lus entre les lignes. Certaines situations sont manifestement anormales et la Commission regrette que les juges répressifs ne répondent pas à ses attentes. Une évolution sur l'incrimination de déclaration mensongère de patrimoine peut être espérée. Le Premier ministre l'inscrirait dans un projet de loi organique et une évolution jurisprudentielle pourrait suivre.

Le financement de la vie politique de l'Union européenne (partis européens, élections européennes)

Marie-France TCHAKALOFF

Université Panthéon Sorbonne Paris I

Une forme d'ambiguïté demeure au sein de l'Union européenne, qui préfère parler de « partis politiques au niveau européen » plutôt que de partis européens. Un parti national n'est pas un parti européen, et les partis européens ne sont pas encore ceux qu'ambitionnaient l'Union.

Dès 1953, des groupes politiques ont commencé à émerger, afin de dénationaliser les affinités politiques. D'abord dotés de maigres moyens (frais de gestion, dépenses administratives, journées d'études), leurs budgets se sont développés à partir de 1979 et de la première élection parlementaire au suffrage universel direct. Des fonds ont alors été alloués pour des actions d'information sur l'Union.

Les textes fondateurs s'avèrent pourtant silencieux sur ce thème et cette carence institutionnelle est longtemps demeurée dans une communauté de plus en plus démocratique, motivant sans doute une forte abstention. Les différents courants politiques ont tenté de créer des partis, mais sans succès jusqu'au statut imposé par le règlement de 2003, revu en 2007. Ils ont alors obtenu un financement en liant à leur statut leur caractère de conducteurs de l'intégration européenne. Le Traité de Lisbonne les mentionne dans son article 224.

Les partis doivent respecter certains critères pour être reconnus :

• avoir la personnalité juridique dans l'État membre de leur siège;

• être représenté, dans au moins un quart des États membres, par des membres du Parlement européen ou dans les parlements nationaux ou régionaux ou dans les assemblées régionales, ou avoir réuni, dans au moins un quart des États membres, au moins 3 % des votes exprimés lors des dernières élections au Parlement européen;

• respecter les principes fondateurs de l'Union européenne (liberté, démocratie, droits de l'homme, libertés fondamentales, État de droit) ;

• avoir participé aux élections au Parlement européen ou en avoir exprimé l'intention

Leurs dépenses doivent être directement liées aux objectifs de leur programme. Leur financement répond à plusieurs préoccupations : le principe de transparence ; l'absence de confusion entre partis nationaux et partis européens ; l'autonomie des partis, notamment en termes de financement. La provenance et l'usage des fonds font l'objet de diverses interdictions : les dons anonymes, les dons de plus de 12 000 euros par an et par donateur et les dons de partis politiques, d'entreprise sous l'influence directe ou indirecte d'autorités politiques ou de personnes morales d'autorité publique ne sont pas acceptables. Les fonds ne doivent pas non plus servir à financer les partis nationaux, mais seulement couvrir les dépenses d'un candidat. La campagne électorale européenne étant payée nationalement, les fonds servent en fait la fonction européenne des partis politiques. Par ailleurs, les cotisations des partis nationaux ne doivent pas excéder 40 % du budget annuel.

Le Bureau du Parlement européen étudie la candidature de chaque parti avant de décider du montant global de financement des partis et de sa répartition. En retour, chaque parti adresse un audit certifié de ses comptes. La sanction éventuelle réside dans l'arrêt des financements au bénéfice du budget général de l'Union. Une sanction politique est également possible à l'initiative du Parlement européen en cas de manquement aux principes de l'Union. La compétence des Etats n'en demeure pas moins respectée. Ainsi la France, l'Espagne et le Royaume-Uni interdisent le financement des partis nationaux par des fonds étrangers.

Les prises en charge de l'Union s'étendent de deux manières. Les sommes allouées s'accroissent, afin de permettre une existence pérenne des partis, dégagée des systèmes nationaux. En 2007, la prise en charge des frais des partis est passée de 75 % à 85 %. En 2010, la contribution globale sera de 13,954 millions d'euros, contre 10,850 millions en 2009. 15 % seront répartis à parts égales entre les 10 partis éligibles et 85 % proportionnellement au nombre de sièges, une prime étant prévue pour les partis les plus représentés. Le Parti populaire recevra donc 4,959 millions d'euros, le Parti socialiste européen 3,395 millions, le Parti européen des Libéraux démocrates et de Réforme 1,5 million et le Parti vert européen 1,54 million.

Par ailleurs, la réglementation financière de l'Union s'étend aux fondations politiques. Reconnues en 2007, elles rassemblent des réseaux nationaux pouvant alimenter la réflexion des partis. Il s'agit par exemple du CEC pour le Parti populaire et de la Fondation pour les Etudes européennes de Progrès pour le Parti socialiste. 9 fondations sont éligibles en 2010 et elles recevront au total 8,777 millions d'euros, finançant jusqu'à 85 % de leurs frais. Ces fondations doivent avoir un statut et un organe de Direction avec une composition géographique équilibrée ; être affiliées à l'un des partis politiques au niveau européen ; avoir la personnalité juridique dans l'Etat membre de leur siège, distincte de celle du parti ; ne pas poursuivre un but lucratif ; respecter les principes de l'Union ; publier leurs recettes et dépenses ; refuser les dons de plus de 12 000 euros ; ne pas financer un candidat ou une fondation nationale.

L'Europe souhaite par ce dispositif poursuivre l'information sur l'Union, indispensable au regard de l'abstention observée lors des élections. Des progrès restent à accomplir pour accroître le débat politique et sensibiliser les citoyens aux enjeux européens.

L'apport de la mission Mazaud sur le financement électoral

Jean-Claude COLLIARD,
Président de l'Université Panthéon Sorbonne Paris I,
ancien membre du Conseil constitutionnel

Notre législation en matière de financement politique a désormais 22 ans, mais des imperfections sont apparues au fil des années, justifiant plusieurs retouches. Elle n'est pas parfaite, mais s'avère de qualité en comparaison d'autres, et elle fonctionne de façon satisfaisante. Le poids de l'argent sur les élections s'est réduit et le remboursement généreux des campagnes presque indépendamment des résultats permet de mener une campagne uniquement sur des fonds publics. La législation française s'avère également originale par la sanction lourde d'inéligibilité qu'elle prévoit. Paradoxale, cette sanction frappe peu le candidat non élu et ne vaut que pour l'élection en cause, ce qui laisse impunis des cas graves de fraude électorale.

Cette sanction a suscité l'émotion sur quelques cas particuliers de disproportion avec la faute commise. L'affaire HOGUET puis l'affaire FENECH, reposant sur le paiement de 8 % des dépenses de campagne hors mandataire, ont ainsi entraîné la constitution de la mission MAZAUD. En effet, alors que l'esprit de la loi vise à faire respecter le fond, c'est-à-dire l'honnêteté des dépenses électorales, les sanctions portent essentiellement sur la forme.

L'idée initiale de plafonnement des dépenses électorales a disparu, tant les cas de dépassement sont devenus rares. Il en va de même des dons irréguliers. Les aides en nature des collectivités se multiplient en revanche, grâce à une jurisprudence permissive effaçant la faute en cas de remboursement. La mission MAZAUD pointe 20 points d'amélioration, répartis en 3 axes :

• Le périmètre du contrôle

Il conviendrait d'étendre la législation sur le financement des campagnes électorales aux élections sénatoriales. Bien qu'indirectes, elles génèrent souvent des frais de bouche importants.

Les représentants des Français de l'Etranger doivent voir leurs plafonds de campagne revus au regard des frais de transport qu'ils supportent.

La place des tierces parties doit être clarifiée car il est possible d'intervenir dans une campagne pour porter une idée ou un enjeu mais sans devenir candidat.

La période considérée pour le contrôle des dépenses, d'un an, est trop longue. Elle pourrait être réduite à 6 mois car une campagne ne débute le plus souvent qu'à la rentrée précédant l'élection.

L'article R. 38 du Code électoral ne fait plus sens. Il distingue en effet deux types de remboursements alors que la condition des 5 % vaut pour les deux. Il existe là un risque de confusion non justifié.

Il conviendrait également de supprimer l'interdiction de distribuer des tracts et de procéder à des affichages durant la campagne officielle. Dans les faits, ces pratiques existent et sont largement remboursées.

Enfin, les candidats réalisant moins de 1 % des suffrages législatifs ne devraient sans doute pas être contrôlés. Une éventuelle sanction ne pèserait pas sur le financement public des partis politique ou sur les élections à venir, mais le travail de la Commission se trouverait allégé d'un tiers des comptes de campagnes. Une exception pourrait toutefois être maintenue en cas de dons, afin de vérifier leur déductibilité fiscale.

• Les formes du financement

La Commission approuve l'interdiction des de personnes morales et accepte de la part du candidat des dépenses directes faibles et négligeables.

Il est proposé de faire de la désignation du mandataire une condition de recevabilité de la candidature afin de rendre cohérent le droit en la matière. Le couple candidat/mandataire pourrait également constituer une personne différente, avec droit au compte bancaire.

Le délai de dépôt, variable en fonction du moment où l'élection a été acquise, pourrait également être unifié. Il s'achèverait au plus tard le 9 ème vendredi à partir du deuxième tour.

Le texte de loi prévoit la présentation des comptes par un expert comptable, mais non leur certification. La Commission nationale et l'Ordre des experts comptables pourraient établir un référentiel dans ce domaine.

• Le contrôle

Il a été proposé de compléter la composition de la CNCCFP par la nomination de membres de l'opposition et de la majorité. L'idée de la consultation du compte s'avère plus intéressante. Alors que la contestation de l'élection par le vaincu ne vaut que pendant 10 jours, le vainqueur a 2 mois pour déposer son compte. En cas d'accusation de fraude, il dispose donc de temps pour maquiller les faits. Il serait intéressant d'introduire un droit de consultation des comptes d'une durée de 10 jours après leur publication, qui ne serait ouvert qu'aux candidats ayant préalablement introduit un recours en annulation.

Enfin, la mission MAZAUD s'est concentrée sur la question de la bonne foi. Le Conseil d'Etat peut relever un candidat de son inéligibilité en raison de sa bonne foi depuis 1996 mais le Conseil constitutionnel ne le peut car les textes dont il assure la mise en oeuvre sont de nature organique. On assiste de ce fait à la mise en place d'un droit électoral à deux niveaux, alors que dans ce domaine une harmonisation serait aisée. La définition de la bonne foi repose essentiellement sur le principe selon lequel l'argent ne doit pas influer sur la sincérité du scrutin. Lorsqu'une anomalie du compte ne joue pas sur les résultats, elle ne devrait pas entraîner une inéligibilité.

Quelques autres réflexions de bon sens ont été émises, sur le délit de déclaration mensongère du patrimoine ; l'articulation Outre-mer/Métropole, qui permet des failles ; l'augmentation du plafond pour les conseillers généraux ; l'apparition des conseillers territoriaux ; et la vérification du nombre total de candidats, qui ne doit pas excéder celui des 577 circonscriptions.

Les élections et l'argent

Jean BAECHLER
Membre de l'Institut (Académie des Sciences morales et politiques)

S'agissant du lien entre les élections et l'argent, une doctrine juste ne saurait être recherchée du côté de l'argent, extrinsèque à la politique, mais plutôt du côté des élections, qui entretiennent avec elle un lien direct. La fin du politique réside dans le bien commun (paix, justice, prospérité, etc.), et la finalité des élections consiste à déléguer, à titre circonscrit et temporaire, des compétents putatifs chargés de réaliser ce bien commun. Comme toute activité humaine, elles consomment des ressources et de l'argent. La technique de délégation qu'est l'élection consomme même une masse importante de ressources. Toute dénonciation de l'argent en politique est cependant hypocrite ou illégitime, car ce sont moins ces ressources que leur origine qui posent question. La recherche d'une doctrine juste passe donc par un examen de ces sources et des éventuelles inégalités affectant les délégations et le bien commun.

Les sources de l'argent peuvent être privées. Dans ce cas, les candidats eux-mêmes financent leurs campagnes. Ils peuvent recourir à leurs seules ressources propres : le personnel politique est alors composé de notables et affiche une tendance oligarchique. Tout jugement idéologique étant exclu de ce raisonnement, la seule question valable consiste à savoir si un tel régime compromet le bien commun. Une autre possibilité de financement privé consiste pour les candidats à faire appel aux contributions des électeurs. Les ressources de ces derniers étant inégales, deux options se présentent. Soit chaque électeur contribue à hauteur du même montant, faible. Chacun disposerait donc de deux vote, un vote en tant qu'acteur privé au travers de l'argent et un vote en tant qu'acteur public au travers du bulletin. Cette possibilité ne soulève aucune objection de principe. Soit les contributions sont libres, donc inégales. Une fois encore, la seule question valable réside dans la compromission ou non du bien commun.

Les sources de l'argent peuvent également être publiques. Dans ce cas les élections, considérées comme utiles au bien commun, sont financées par la fiscalité. Cet argument de bon sens se voit opposer quatre objections. Tout d'abord il ne faut pas confondre l'organisation du scrutin, qui relève de la fonction publique, et la campagne électorale des candidats, résultant de leur décision privée de se porter candidat. Par ailleurs, les élections ne mobilisent pas uniquement des candidats mais aussi des partis. Doivent-ils dès lors être financés grâce à l'argent public et leurs agents devenir des fonctionnaires ? Cela semble illégitime. Il est en outre à noter que si tous les candidats perçoivent la même subvention, les citoyens se voient privés de l'un de leurs deux votes. Si en revanche la subvention varie selon les candidats, le seul critère légitime réside dans leur compétence. Or elle ne s'apprécie que par l'exercice du pouvoir. Enfin, quel montant fixer et en fonction de quels critères ? Dans tous les cas, la compétition fera qu'aucune limite légale ne sera respectée.

En conséquence, le financement public des élections doit être rejeté au profit d'un financement privé. Il convient désormais d'analyser les conséquences de chacune de ses options sur le bien commun.

Le recours des candidats à leurs seuls biens propres favorise les élites sociales, disposant de davantage de richesses, de prestige et de pouvoir. Or s'il est juste de sanctionner les richesses mal acquises, il est injuste de punir les riches. De plus, il est plus probable de trouver des compétences parmi ceux qui ont réussi. La reproduction sociale, inévitable, favorise les compétences par la transmission d'expériences, et ce dans nombre de domaines. Malgré tout, la fermeture totale de l'accès aux élites doit rester illégitime, car elle s'avère contre-productive.

Le recours des candidats à des contributions, versées de façon libre, comporte pour sa part un risque. Les plus importants contributeurs attendront sans nul doute de ceux qu'ils ont aidés des faveurs en retour, renforçant le marché politique et la corruption de la démocratie. La fin du politique réside dans la réalisation de l'intérêt commun et non de l'intérêt de certains, et les positions distribuées ne doivent l'être qu'à la lumière de la compétence. Il en découle que les contributions des citoyens doivent être égales, donc faibles. Considérées comme un second vote, elles ne doivent pas être accaparées par d'autres, non électeurs ou intervenants extérieurs. Les candidats ne sauraient faire appel qu'à des ressources techniques, si tant est qu'elles demeurent sans effet sur l'issue du scrutin.

En conclusion, les seules ressources d'argent légitimes en matière électorale sont l'argent personnel des candidats et une contribution égalitaire et faible des citoyens.

Echanges avec la salle

John LAUGHLAND, Institut de la Démocratie et de la Coopération

L'Union européenne interdit à ses partis de financer des candidats, mais se garde le droit de mener des campagnes d'information. Or ces dernières se sont révélées clairement partisanes lors du référendum sur la Constitution européenne, notamment en Irlande. Quel cadre juridique permettait d'empêcher la confusion entre les deux types de campagnes, d'information et électorale ?

Marie-France TCHAKALOFF

La campagne de l'Union en faveur du traité était clairement affichée et il n'y a eu aucune immixtion des partis dans son financement. J'en ignore le montant global, mais je suppose que ses crédits provenaient des directions de l'Information de la Commission et du Parlement. J'ajoute que tous les partis européens représentatifs sont financés, y compris les eurosceptiques.

Les travaux de l'après-midi seront placés sous la présidence de Jean-Claude MASCLET, Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne Paris I.

La question du financement international non régulé
de la vie politique

Bernard OWEN,
Secrétaire général du CECE

La loi française régit depuis 1901 les associations. A une époque d'opposition politique puissante, cette loi apparemment très libérale permettait en réalité aux autorités de garder la main sur les agissements de ces associations.

En pleine Guerre froide, l'accord d'Helsinki a tâché de rapprocher en 1975 les Etats-Unis, l'URSS et l'Europe. Il prévoyait notamment que les Etats membres de la CSCE n'interviendraient en aucune façon, directement ou indirectement, individuellement ou collectivement, dans les questions internes et externes relevant de la juridiction des Etats. Les actions de coopération et de sécurité étaient donc strictement encadrées.

A la suite de l'effondrement de l'URSS, l'OSCE a réuni ses membres à Copenhague en 1990. A cette occasion, le statut des ONG s'est trouvé élargi : elles pouvaient désormais se rendre au-delà de leurs frontières, en étant admises dans l'État d'accueil au même statut que celui de leur pays d'origine ; elles étaient aussi admises à transporter des fonds sans limite. Quelques mois plus tard a été créé à Varsovie l'ODIHR (Office for Democratic Institutions and Human Rights). Emanation de l'OSCE. Cette ONG quasi institutionnelle a, en réalité, beaucoup moins agi dans le domaine de la sécurité collective que dans celui de la démocratie et des élections.

En Europe, le Conseil de l'Europe a reconnu en 1986 la personnalité légale des ONG, qui seraient désormais admises automatiquement comme telles par les Etats membres aux mêmes conditions. En mars 2003, il a autorisé la libre circulation de fonds et donc rejoint les dispositions de Copenhague. Par ailleurs, les ONG peuvent créer ou accréditer des succursales et sont considérées comme pouvant représenter l'expression réelle des citoyens contre des groupes de pression. Cette affirmation pose question, dans la mesure où ces ONG ne sont pas élues.

Les ONG intervenant dans le domaine de la démocratie travaillent en théorie selon des méthodes d'observation neutres, toutefois leurs conférences de presse et rapports préliminaires ne sont pas exempts de considérations politiques. Elles interviennent également dans l'assistance électorale et rendent des avis sur des projets de loi ou de codes dans le domaine des élections. Le plus souvent, elles travaillent en lien avec l'OSCE ou le Conseil de l'Europe, mais les positionnements de chacun ne sont pas clairement distingués. En 1999 à Séville, il avait été proposé de voter sur la question, mais elle n'a pu être tranchée.

Un autre mode d'action, souvent méconnu, réside dans les actions « spontanées non violentes ». En 1972, Gene SHARP publie The politics of nonviolent actions et crée une véritable bible en 198 articles sur la manière de réagir face à des autorités dont on souhaite l'échec à des élections. Son organisation, de taille modeste, est présidée par Robert HELVEY, ancien colonel de l'armée américaine. Dans les faits, ses principes ne sont pas applicables contre des gouvernements totalitaires, qui les contrent par la brutalité, et ne valent que dans des pays en voie de démocratisation, où les autorités n'osent pas agir contre ces actions non violentes en apparence spontanées. Le déroulement des opérations est quasi-militaire. Les activistes sont présents sur place deux ans avant une élection majeure. Ils recourent au lobbying, à des défilés utilisant le sens de l'humour, à des couleurs symboliques, à la fraternisation et à la pression sur les individus, mais aussi à une installation très organisée et bloquante dans la ville. Des dérapages peuvent toutefois intervenir, comme en Arménie en 2008 lorsque des personnes ont été tuées au moment de la dispersion par les autorités. De manière générale, le fait de privilégier le jeu de la rue au jeu des élections interroge.

Ce type d'actions est financé par des organisations comme la NED (National Endowment for Democracy), USAID, l'OSI (Open Society Institute) ou encore les fondations SOROS. Ces organismes ont pour la plupart été créés par des personnes s'étant enrichies de façon obscure suite à des investissements dans des fonds spéculatifs, et qui se permettent de remplacer les gouvernements qui ne leur conviennent pas. Ils mettent alors en avant une flagship philantropy . Les sommes en jeu sont considérable : US AID dispose d'1 milliard de dollars par an et l'OSI de 400 millions. Le passage de ces sommes de l'obscurité des fonds spéculatifs à la société ouverte demeure peu transparent, car masqué par nombre d'associations écrans qui empêchent de remonter jusqu'à la source. Ce phénomène est d'autant plus gênant que ces associations ne sont pas soumises aux règles qui s'imposent aux partis politiques proprement dits.

En conclusion, il est important de revenir sur le caractère éminemment particulier de chaque système électoral. La France possède un dispositif élaboré, mais elle ne peut l'exporter tel quel et n'a pas à donner de leçon dans ce domaine. Elle ne peut que suggérer et se poser en médiateur. On pourrait souhaiter que cette attitude inspire aussi les ONG !

Le financement public et privé international
de la vie politique : un cas d'école

Olivier GUILMAIN,
Enseignant (Belgique), CECE

La NED (National Endowment for Democracy) est une ONG qui promeut la démocratisation depuis sa création en 1982 par l'administration Reagan. Association sans but lucratif, elle se présente comme indépendante du gouvernement américain, mais est en réalité financée à 95 % par le Département d'Etat américain. Les 5 % restant proviennent de sources complexes et parfois peu claires. Alors que les fonds distribués n'étaient que de 40 millions de dollars au début des années 2000, ils atteindront en 2010 105 millions de dollars, versés dans 101 pays pour environ 4 100 projets. Les fonds SOROS participent souvent à ces projets. Ainsi en 2004, ils ont consacré 40 millions au renversement du Président de la Géorgie, M. CHEVARDNADZE.

Quels sont les projets financés et cofinancés par la NED ? Quelle est sa capacité d'influence concrète sur les gouvernements ? Ses actions constituent-elles de l'ingérence politique ? Quelle est la nature concrète de la démocratie que la NED propose à l'exportation ?

Nul ne conteste le rôle fondamental qu'ont joué les ONG dans la gestion de dossiers importants, notamment dans l'innovation institutionnelle. Elles proposent une expertise appréciable et aident à l'élaboration et à la surveillance de la norme. 2 000 ONG ont ainsi participé à la rédaction des statuts de la Cour pénale internationale, qui n'aurait pas abouti en 1998 sans leur appui. Elles ont acquis une notoriété positive et représentent souvent un exemple moral universel pour le public.

Les ONG américaines sont favorisées sur le plan fiscal, et leurs donateurs peuvent déduire de leurs impôts leurs dons. Par ailleurs, elles peuvent financer des ONG à l'extérieur. Des doutes se sont insinués depuis les Révolutions de Couleur. Des plaintes ont été déposées par certaines Etats à l'encontre d'ONG et le Venezuela, la Russie et le Kirghizstan ont même expulsé des organisations. Depuis 2006, la Russie exige le réenregistrement des ONG et leur interdit l'usage de fonds étrangers. Ces derniers sont donc considérés comme un danger.

La NED est d'autre nature que les ONG humanitaires et ses actions sont régulièrement critiquées en ce qu'elles influencent les processus électoraux. Est-il admissible ou souhaitable qu'une organisation privée aux revenus publics finance des partis, syndicats et mouvements de jeunesses, en Russie, en Iran ou en Afrique ? Dans ce domaine, les ONG agissent parfois comme des partis politiques, sans être redevables devant quiconque. Le Conseil de l'Europe, la CSCE et les Etats-Unis idéalisent le rôle des ONG comme acteurs de promotion de la démocratie, mais la circulation libre de leurs fonds dans le monde facilite des dérapages et leurs rapports ne sont pas toujours dénués d'amateurisme et de partisianisme. Il est ainsi avéré qu'une coalition d'ONG, financée à 100 % par le think tank NDI au travers de la NED, a influé sur les processus électoraux du Kirghizstan en 2005. Une solution consisterait à établir une classification d'ONG en fonction de leurs actions sur le terrain et d'en suivre le financement. Les Etats pourraient dès lors dénoncer les pratiques abusives au lieu d'avoir à expulser ces organisations.

Le Département d'Etat américain souhaite faire croire qu'il s'agit d'organisations privées indépendantes, alors qu'en réalité il finance des partis politiques étrangers. Cette attitude fait suite aux scandales des années 1960 et 1970, au cours desquels l'interventionnisme de la CIA dans le monde a été vivement critiqué. La NED, fondée en 1982 par le Congrès, se veut plus respectable. Elle part du principe que ce qui est bon pour l'Amérique est bon pour le monde.

Au sein de son Conseil d'administration sont représentés les deux principaux partis, les fédérations syndicales et la Chambre de commerce. Ses dotations sont reversées à 4 instituts reprenant les intérêts de ces acteurs. Ses objectifs sont au nombre de 5 pour 2010 : ouverture de l'espace politique dans les régimes autoritaires (Iran, Cuba, Chine) ; aide au processus démocratique dans des régimes semi- autoritaires (CEI, Russie) ; aide aux nouvelles démocraties (Europe orientale) ; reconstruction démocratique après un conflit armé (Irak, Afghanistan) ; aide à la démocratie dans le monde musulman (Pakistan). La NED est animée par une idée transnationale. Elle met en question le rôle et la légitimité de l'Etat souverain, favorise la présence massive d'acteurs non étatiques, dépasse le cadre territorial et participe à la recomposition de l'espace politique et social.

Au-delà de ces activités de financement, elle rassemble des intellectuels de haut rang et publie un Journal of Democracy . Les débats de grande qualité qui s'y tiennent contrastent du reste avec le prosélytisme simple mené sur le terrain. Les actions, souvent qualifiées de soft power , reposent sur la capacité d'attraction d'un modèle de bonne gouvernance et de démocratie de marché. Il n'est évidemment pas négatif, mais l'influence sur les résultats des élections pose question.

La Bulgarie a constitué en 1990 le premier exemple d'une révolution de couleur. Malgré l'activisme américain, les élections parlementaires avaient abouti à la victoire des communistes. Les Européens avaient déclaré le vote juste, mais les opposants, soutenus par les Américains, ont crié à la fraude électorale. La NED a alors mobilisé 3 millions de dollars. S'ensuivent 6 mois de chaos total, jusqu'à ce que le Parlement élise le candidat proaméricain à la présidence.

Les projets soutenus par la NED en Géorgie en 2008 fournissent également une idée de ses buts. 34 000 dollars ont été consacrés à « La Géorgie pour l'OTAN », programme visant à éduquer le public sur les réformes nécessaires avant l'entrée du pays dans l'OTAN, au travers de tables rondes et d'une émission de télévision hebdomadaire. « Association des jeunes juristes démocrates géorgiens » bénéficie de 68 000 dollars pour assurer le contrôle des élections. Il fournit également des informations sur la loi électorales aux journalistes et au public et propose une hotline sur ce thème. Enfin, un programme vise à développer les capacités de compréhension des politiciens et partis pour faire face aux problèmes politiques, conduire des enquêtes d'opinion et se former afin de restaurer la confiance dans les institutions. D'autres projets visent la promotion des femmes en politique ou encore l'égalité des citoyens devant la loi électorale. Ce type d'ONG finance sur place des postes de travail, les personnels locaux devenant presque de facto des fonctionnaires américain.

En dépit des lois adoptées en 2007 pour limiter le poids des ONG, la Fédération de Russie reste dotée de 5 millions de dollars et des projets y sont menés. Ils concernent la promotion de la liberté d'association, le respect des droits sociaux, l'assistance aux travailleurs migrants, l'extension du réseau d'ONG, les jeunes manquant de repères idéologiques, le développement du secteur privé ou encore l'aide aux mères de Tchétchénie dans leurs recherches et leurs poursuites contre les autorités russes.

Des fonds importants financent des coalitions d'ONG surveillant les processus électoraux aux côtés de l'OSCE. Ce phénomène a été particulièrement flagrant en Ukraine et au Kirghizstan. Les projets financés présentent donc une nature politique incontestable. Toutefois la tentative d'influence demeure mitigée et connaît des échecs. Les actions de la NED sont souvent perçues comme une ingérence et conduisent à de nombreuses expulsions. Le Conseil de l'Europe considère que les activités des ONG contribuent à la réalisation des buts des Nations Unies, mais que les Etats peuvent les contester si elles outrepassent cette mission. Il s'agit là d'un début dans la remise en cause de la carte blanche laissée aux ONG.

Quant à la démocratie que propose la NED, les débats à son sujet ne sont pas achevés. Les programmes de promotion de la démocratie ont favorisé l'universalisation de l'assistance à la démocratie, mais contribue-t-elle à la généralisation de la démocratie ? Le soft power ne risque-t-il pas de susciter une réaction purement négative, au nationalisme parfois fort, de rejet définitif des ONG et de mise au pas des sociétés ? Les missions d'observation électorale ont-elles à gagner en partageant leur travail avec des ONG partisanes ? Ces questions demeurent en suspend.

Nouvelles technologies électorales :
petit coût, gros rendement !

Bertrand SIMON,
CECE

Les technologies et applications variées du « web 2.0 » ont en commun un contenu dissocié de sa mise en forme, transmissible d'un média à un autre. Les facultés de production de contenu sont démultipliées, de même que les possibilités d'entrer en relation avec d'autres, d'échanger et de constituer un réseau aisément mobilisable. La notion même de réseau est modifiée. Les réseaux deviennent moins hiérarchiques mais davantage distribués. L'information passe directement à tous les membres grâce à des liens plus capillarisés. En ce sens, Internet ne constitue pas une bibliothèque mais une plateforme d'informations et d'opérations, et pourrait permettre l'émergence d'une intelligence collective.

Cette technologie entraîne des changements certains dans le paysage médiatique. Il s'accélère, rythmé par des buzz . L'information se diversifie et sa consommation change. Enfin, le processus de mobilisation devient plus rapide et plus large. La porosité entre les nouveaux médias et les nouveaux acteurs politiques s'accentue. Auparavant, politiques comme ONG peinaient à passer la barrière journalistique, mais ils recherchent désormais le buzz , générateur d'enthousiasme parfois à leurs dépens. Internet remet en cause les médias institutionnels, présentés comme porteurs d'une parole frelatée, surtout lorsqu'ils entretiennent une relation forte avec le pouvoir. Il apparaît également une forme de concurrence dans la course au scoop, non plus entre médias mais entre internautes et médias. Ils peuvent se révéler complémentaires, et participer d'une meilleure information du public.

Le web 2.0 permet désormais à des événements locaux de se trouver projetés au niveau international et inversement, et ce d'autant que les principaux réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Myspace) sont gratuits. Grâce à divers outils, l'internaute produit de l'information, la filtre et la partage. Une photographie prise lors d'une manifestation peut donc aisément être envoyée sur Twitter, reprise sur Facebook puis sur un blog, relayée sur des évaluateurs, et finalement faire boule de neige.

Après les élections de juin en Iran, et en dépit des accusations de fraudes portées par certains, les révoltes et leur répression n'ont pu être retransmises par les médias traditionnels. Twitter a permis de combler cette lacune. Il est devenu après une semaine seulement la principale source de recherche d'information sur le sujet, avant même Google. Une masse d'informations importantes était donc en train de se diffuser et de s'autoalimenter. L'enjeu était tel qu'il a été demandé au site de reporter sa maintenance, demande relayée par l'administration OBAMA elle-même. Une vidéo amateur, demeurée anonyme, a récemment reçu un prix de journalisme. Une nouvelle forme de journalisme apparaît. Il est parfois repris par les médias traditionnels, laissés sans images.

Les informations diffusées n'en sont pas pour autant toujours fiables. Constatant le phénomène, le régime iranien s'est lui aussi emparé de l'outil pour ouvrir des comptes Twitter et diffuser de fausses informations. Il s'est également employé à bloquer les accès. En réaction, les opinions publiques internationales se sont mobilisées. Il a d'abord été recommandé aux internautes iraniens, au travers d'un Manifeste du cyber-manifestant, de ne jamais diffuser leurs noms et adresses sur le web. D'autres internautes leur ont ensuite fourni les serveurs proxy pour les protéger davantage. Un appel a été lancé pour que le plus grand nombre possible d'utilisateurs de Twitter modifient leur lieu de résidence pour Téhéran. Il s'agissait de noyer les dissidents dans la masse et de compliquer la traque des autorités. Enfin, une attaque a été menée contre le serveur de requêtes de l'administration iranienne afin de le saturer. Les équipes en charge de la traque Internet ont alors dû s'en détourner pour régler ce problème majeur. Twitter a permis de mobiliser la diaspora et l'opinion publique internationale, de contourner la censure et de se substituer à des médias traditionnels.

Il convient néanmoins de rappeler que seuls 10 000 Iraniens accèdent à Twitter, dans des conditions très dégradées. Les manifestations constatées sur place ne sont donc pas uniquement le fait de cet outil, mais découlent d'une véritable dynamique sur place. Certaines ONG, notamment des fondations SOROS, ont considérablement investi ce pays et orchestrent sans doute en partie le mouvement. Le régime en place considère d'ailleurs ces entreprises, fondations et ONG comme des ennemis et souhaite les expulser. L'activisme de ces organisations a sans doute contribué à préparer la révolte actuelle, mais elle est aussi largement spontanée.

Les nouvelles technologies présentent un coût presque nul mais ne constituent pas des solutions miracles. Elles peuvent accompagner, accélérer ou faire connaître une mobilisation, mais demeurent impuissantes sans cet élément fondamental.

Elections et ONG : les régulateurs publics internationaux (Conseil de l'Europe, OSCE, Union européenne, ...)

Maria RODRIGUEZ Mc KEY,
CECE

Les ONG américaines, à la différence des lobbies, ne payent pas d'impôts, mais leur rôle est limité à l'information du Congrès. Le Conseil de l'Europe au contraire encourage les ONG à participer au processus législatif, dans un « échange d'opinions ouvert » selon le traité de Lisbonne. Selon la Cour européenne des Droits de l'Homme néanmoins, les comportements les plus susceptibles de justifier une restriction sont de caractères financiers. L'OSCE considère pour sa part qu'une ONG soutenant un parti ou un candidat doit être soumise aux lois sur le financement des partis, notamment payer des impôts et faire inspecter ses livres comptables par une agence. Tel n'est pas l'avis de la Cour européenne. Une ONG poursuivant des objectifs politiques ne doit selon elle pas être obligée de demander le statut de parti politique s'il n'est pas régi par la même loi. En conséquence, les ONG peuvent accéder aux élections dans les pays qui l'autorisent.

Jusqu'où peut aller une ONG ? Certaines portent des revendications sur la nature constitutionnelle même d'un Etat. Tel est le cas en Turquie d'une association promouvant un modèle fédéral, pour laquelle la Cour européenne a retenu des objections mais refusé de déclarer illicite l'objectif poursuivi. Elle ne s'oppose en revanche pas à la dissolution d'une ONG si elle contrevient à la sécurité nationale. L'OSCE n'exclut pas les ONG agissant comme des partis ou soutenant des partis, dès lors qu'elles le font de façon transparente, sont reconnues en droit national et ne promeuvent pas l'utilisation de la violence ou la justification du terrorisme.

Toute personne peut créer et rejoindre une association, y compris des personnes morales. La seule exception concerne les organes publics. Aux Etats-Unis, des statuts fédéraux interdisent en outre que des étrangers financent directement ou indirectement des élections. En Europe, la Cour européenne invite les cours nationales à prévoir des conditions proportionnées au but visé. En l'absence de lobbies officiels, le Comité économique et social et le Comité des régions servent d'intermédiaires entre les institutions européennes et la société civile.

L'Union européenne considère la Commission et le Parlement comme les éléments les plus importants de l'expression démocratique, mais la Cour européenne accorde également une importance aux ONG dans la vie démocratique et le processus législatif. Dans les faits, les ONG peuvent concurrencer les partis politiques que s'ils sont très divisés.

Echanges avec la salle

Jean-Claude MASCLET

Nous n'avons pas parlé de l'Afrique, où les ONG sont très présentes dans des démocraties en transition. Nous n'avons pas non plus évoqué l'Organisation internationale de la Francophonie, qui agit avec discrétion en matière électorale, et obtient malgré des moyens modestes des résultats très positifs.

De la salle

Je vous remercie d'évoquer l'Afrique. Elle est trop souvent ignorée, au profit du Brésil et la Chine, comme si elle ne faisait pas partie du monde.

On cite souvent les dérives qu'on constate ça et là, mais on devrait plutôt rappeler le premier pays démocratisé de ce continent, qui devrait être pris en exemple, à savoir le Ghana.

Réflexions finales

Didier MAUS,
Conseiller d'État

L'intérêt de cette journée me semble évident, et nous n'avons pas épuisé le thème : depuis que des élections ont lieu, la question de leur financement et de leur organisation se pose. Elles représentent en effet un support intéressant pour la corruption.

Les élections ouvertes se développent depuis 25 ans dans toutes les régions du monde (en Europe centrale, orientale, balte et balkanique ; dans une grande partie de l'Afrique ; de nouveau en Amérique latine), même si des vides demeurent dans la carte du monde. Parallèlement, les règles relatives au financement des élections se développent, en France comme ailleurs. Des systèmes de financement plus ou moins stabilisés se dessinent.

Parmi les systèmes stables figure évidemment la France. Depuis les lois de 1988, une accumulation législative est intervenue dans le Code électoral, dont les évolutions sont permanentes, même si plusieurs intervenants ont appelé de leurs voeux des améliorations. Elles porteraient en réalité sur une marge relativement étroite et personne ne remet en cause l'architecture globale du système, fondé sur des comptes de campagne soumis à des plafonds et des sanctions. Les deux juges compétents affichent peu de désaccords, même si des questions essentielles demeurent : Comment annuler les comptes de campagne de candidats ne produisant pas de résultats ? Que faire si le Président de la République élu a notoirement dépassé le plafond des dépenses de campagne ?

Les partis européens sont trop rarement évoqués, y compris durant les élections européennes. Le système européen est en cours de stabilisation, mais s'avère d'ores et déjà perfectionné. La distinction entre les partis, dont la vocation consiste à présenter des candidats, et les fondations, menant des réflexions sans participer aux élections, demeure toutefois floue. Les différents avantages fiscaux compliquent encore l'établissement de frontières entre les deux. Par ailleurs, le système de financement européen peut conduire à financer des formations très critiques vis-à-vis de la construction européenne. Dans ce domaine, l'Union pourrait s'inspirer de l'Allemagne, qui exclut les partis trop opposés au système en place.

Des systèmes plus instables prévalent dans une grande partie du monde. Le rôle des ONG a largement été évoqué. Alors que des organismes d'Etat sont suspectés, les fondations SOROS sont admirées sans réserve, mais leur représentation de la société civile pose question. Il est néanmoins impossible de se passer de ces ONG, qui apportent un soutien conséquent, et il est difficile de rendre leur action neutre en termes de conséquences politiques. Elles sont souvent de bonne foi, mais ne disposent pas toujours d'une culture politique élargie, intégrant les modèles romain, germanique, ou encore du parlementarisme anglais. Elles devraient être équilibrées par d'autres ONG, mais leur puissance financière ne trouve pas d'équivalent, notamment en Europe.

Les nouvelles technologies de la communication n'influent pas directement sur le système de financement, mais mettent en relation les contestataires d'une façon renouvelée. Les méthodes répressives n'en demeurent pas moins des plus traditionnelles. Internet posera à terme des questions sur le contrôle des financements. S'il demeure aisé de tracer le coût du site Internet d'un candidat, les frais indirects en sa faveur sont plus diffus.

Les régulateurs publics internationaux ont eux aussi un rôle à jouer. Les normes internationales en matière électorale se développent et le rôle des organismes internationaux s'étend. Cette démultiplication du droit participe paradoxalement de l'instabilité dans ce domaine. Je proposerais donc que l'une de nos prochaines rencontres nous fournisse l'occasion de réfléchir sur la formation d'un droit international des élections et sur le rôle des différents acteurs. Peu d'ouvrages en parlent pour l'heure, mais il existe un substrat d'intérêt certain pour ce sujet.

Ce sujet nous a permis d'en évoquer beaucoup d'autres. Je tiens à remercier pour cette journée Bernard OWEN et tous ceux qui se passionnent sur cet élément de base de la démocratie. Je remercie également le Sénat de nous avoir accueillis, et plus particulièrement son Président. Enfin, je salue l'ensemble des intervenants pour leur contribution à cette journée.

Synthèse rédigée en temps réel par la société Ubiqus Reporting France
www.ubiqus-reporting.fr / 01 44 14 15 00