Colloque Sénat-UbiFrance sur les Balkans- 25 novembre 2004


Fragilité et interdépendance

Jean-François TERRAL,
Directeur Europe continentale, Ministère des Affaires étrangères

Le terme « Europe continentale » veut tout et rien dire. Il concerne dans le même temps l'Ukraine et les Balkans. Je suis donc quelque peu embarrassé par mon titre. Sans compter que Monsieur Peretti a déjà tout dit !

La fragilité des Balkans est évidente. Elle résulte avant tout du poids du passé. Mais elle tient aussi à la lente mise en oeuvre du processus de transition, avec d'importantes variations suivant les pays. La faiblesse des structures étatiques est, elle aussi, criante. Vous avez dit un mot du poids de la criminalité organisée et de la corruption qui altère leur fonctionnement.

Vous l'avez dit également, il importe de considérer les pays de la région au cas par cas, sans perdre de vue leurs points communs. Dans l'analyse française, la Serbie-et-Monténégro apparaît comme un acteur majeur - que nous avions pourtant mis entre parenthèses à cause de Monsieur Milosevic et du Kosovo- et un partenaire de premier ordre, avec un marché de 8,5 millions d'habitants quand les autres pays en ont plutôt 3. C'est lui qui a été l'instrument de la transition. Il est au centre, géographiquement mais aussi dans les esprits. Mais, là plus qu'ailleurs, le passé pèse. Les retards sont nombreux et ils sont de taille. Solder le passé passe par la coopération avec le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Cet élément peut paraître accessoire, pourtant il commande tous les autres. Il s'agit d'un point de passage obligatoire. Deux autres questions doivent être résolues : celle du Kosovo et celle du Monténégro. Le pays ne sait pas où sont ses frontières. Ce n'est pas rien. C'est même le coeur du sujet.

La relation avec Belgrade reste donc le problème numéro un. Cela m'amène à parler du Kosovo, véritable trou noir. Nous sommes au lendemain d'une crise sérieuse. Les violences du mois de mars dernier, dont les origines sont obscures, ont fait une vingtaine de morts. La fragilité de l'action de la communauté internationale a ainsi été mise en lumière. Mais, dans le même temps, la communauté internationale s'est réveillée, elle s'est re-mobilisée. Nous avons rouvert le débat sur ce que sera le statut final du Kosovo. La définition du statut ne pourra passer que par la négociation. A défaut, les pays de la région ne sauront cohabiter pacifiquement. L'équation est terriblement difficile à résoudre, mais c'est un exercice dont nous ne pourrons faire l'économie. Les populations concernées ne supporteront pas longtemps le statu quo . La communauté internationale considère que le statut, quel qu'il soit, devra répondre à trois critères : la protection des minorités, le maintien de l'équilibre régional et ce que l'on appelle l'« euro-compatibilité ».

En Bosnie, la tutelle internationale est forte. Mais la structure étatique de ce pays est totalement baroque, associant d'un côté un ensemble unitaire et une fédération de l'autre, fédération elle-même divisée en une dizaine de cantons.

L'Albanie a certainement un grand potentiel. C'est en outre un vrai pays, avec une personnalité forte. Mais il est aussi le pays de tous les retards, sortant d'un très long régime d'enfermement. Il faudra du temps pour rattraper tous ces retards.

En Macédoine, la communauté internationale et européenne a su jouer les pompiers en temps et en heure et éteindre la crise.

J'ai évoqué des cas difficiles, mais n'ignorons pas que nous sommes en train de remonter la pente. Pour l'illustrer, je souhaite parler d'une success story , celle de la Croatie. Ce pays s'est vu reconnaître le statut de candidat à l'Union européenne. Nous pouvons être pleinement optimistes, à mon sens. L'affaire de la Croatie va très loin, compte tenu des liens étroits qui existent entre les différents pays. Je ne peux pas croire que l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne n'aurait aucun effet sur la Serbie-et-Monténégro. Cela explique le rôle très important que nous accordons à la Croatie. Ce pays est le principal levier pour les pays du théâtre balkanique.

L'Union européenne, vous l'avez dit, a offert une véritable perspective européenne à la région. Cette démarche est réaliste, à condition que nous ayons conscience des délais - qui seront longs - et que nous soyons stricts, clairs et fermes. La conditionnalité est le maître mot. Nous devons en outre avoir bien conscience de la dimension politique de l'accès de ces pays à l'Union européenne. Pour la première fois, une force militaire a été remplacée par une force européenne dans cette zone - en Macédoine. C'est aussi en Bosnie qu'a été installée la première force de police européenne. Enfin, l'Otan s'apprête à passer la main à l'Union européenne au Kosovo.

Ces considérations politiques rétroagissent sur vos intérêts d'investisseurs. La situation est difficile. Ne le cachons pas. Mais le champ d'action est prioritaire pour la France et pour la communauté européenne tout entière. La mobilisation est réelle. J'insiste, je crois beaucoup au levier croate, en vertu de l'interdépendance qui préside entre ces pays. En la matière, notre stratégie devra être celle des dominos positifs.

Si nous sommes déterminés et si nous arrêtons des conditionnalités, nous avancerons significativement.

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