Les risques roumain et moldave

Jean-Pierre TAILLARDAT
Président directeur général, Lafarge Romcin

J'ai trois raisons de vous parler ce matin :

· je dirige une entreprise roumaine privatisée, pour 200 millions de dollars ;

· je préside en Roumanie l'association des investisseurs ;

· Lafarge a investi pour 10 millions de dollars en Moldavie.

Pour autant, je n'ai pas la prétention de faire une analyse de risques sophistiquée.

Il est indéniable que la qualité de la main d'oeuvre constitue un atout non-négligeable. Cependant, les Roumains sont marqués par leur passé : ils ont notamment appris à travailler d'une certaine manière, qui répond à des critères qui ne sont pas nécessairement les nôtres. Je souscris donc aux propos de Monsieur Garcia. Cela étant, la situation peut évoluer, pour autant que la formation soit au rendez-vous. Par ailleurs, le risque lié aux opérations de restructurations et aux réductions d'effectifs me semble limité, si tant est que les aspects humains et communicatifs soient correctement traités, comme en France. J'avancerais même que faire bouger une entreprise de 8 000 personnes en Roumanie est sans doute plus facile que de faire évoluer une société comme EDF. Les pouvoirs publics attendent d'ailleurs de notre part un certain tact dans le traitement des dossiers sociaux.

Concernant la fiscalité, nous avons abordé les risques de passif dans les acquisitions ; sachez également que tout investissement dans un pays mal connu ne vous dispense pas d'un travail préalable d'étude, bien au contraire. Cela dit, les textes sont encore peu clairs. Certains règlements ne sont pas publiés. Dans le cas d'un contrôle fiscal, vous pouvez donc vous retrouver dans une situation très inconfortable. Il importe, par conséquent, de vous entourer de fiscalistes et autres spécialistes. En outre, je vous conseille d'entretenir des contacts avec les Ministères, pour savoir par exemple -et par écrit si possible-, si votre interprétation de tel texte est acceptable.

Sous ces conditions, et dès lors que votre organisation est adaptée au pays, il est possible de travailler en Roumanie sur le plan fiscal. La lourdeur administrative pose certes parfois problème, les délais sont parfois synonymes d'incertitudes, mais malgré tout, les affaires iront à leur terme. Et j'ajoute que les dossiers français sont parfois lents en France, règles du Conseil de la Concurrence obligent. L'importance des contacts personnels -rencontrer les personnes, sans attendre que les rouages administratifs se mettent en place, connaître les dossiers...- est réelle.

L'expérience de Lafarge, au cours des dernières années, montre qu'il est possible de mener à bien des opérations en Roumanie. Pour notre part, Nous avons, par exemple, acheté un site privatisé et effectué des restructurations.

Le risque de défaillance de la dette externe, comme en 1999, fut sans doute un moment périlleux. Mais il n'y a pas eu de défaillance. Je crois, en outre, que ce risque n'est pas aujourd'hui majeur, en dépit de ce qu'allègue Standard & Poors , par exemple. La fragilité du système bancaire illustre simplement le fait que le processus de réforme n'a pas été à son terme. Mais la privatisation des grandes banques permettra d'améliorer la donne et de gommer des pratiques anciennes. En outre, l'acquis communautaire devrait renforcer cette bonne orientation.

Les questions de propriété sont également importantes pour les investisseurs. De petites difficultés administratives et juridiques subsistent toutefois sur ce plan.

Cela dit, je conclurai sur une note optimiste, que je n'aurai sans doute pas eu il y a cinq mois. La perspective d'adhésion de la Roumanie à l'Europe se concrétise peu à peu, notamment au travers de jumelages. Cette intégration détermine un axe d'action pour les prochaines années. Dès lors, quels que soient les résultats des prochaines élections roumaines, les marges de manoeuvre seront réduites. En outre, cette intégration oblige la Roumanie à penser au moyen terme. Ainsi, certains textes s'inscrivent aujourd'hui dans la durée. Nous avons ainsi pu apprécier l'importance de la déclaration politique de mars 2000, sur la société de l'information, mentionnée par Vlad Tepelea.

L'expérience de Lafarge en Moldavie est réduite : les réformes sont moins avancées qu'en Roumanie, les privatisations sont juste entamées, la position de la Moldavie entre l'Union et l'Europe de l'Est est floue. Courant 1999, nous avons cependant acquis une usine, proche de la République autoproclamée de Transnistrie. Cette usine est, en outre, en compétition avec un site voisin. Mais cela participe de notre prise de risque. Je souligne que la main d'oeuvre locale est comparable à celle de la Roumanie. En revanche, s'agissant de la privatisation, une décision de l'Etat est contestée par la justice du pays...Les résultats des élections ont parfois de curieuses conséquences.

En définitive, nous manquons d'éléments d'informations sur le fonctionnement de l'administration moldave dans la durée. Notons simplement qu'il est vrai ce pays est plus proche de la Russie, tant géographiquement que culturellement !