Réuni le mercredi 23 juin 2021, sous la présidence de M. Cédric PERRIN (Les Républicains – Territoire de Belfort), président, le groupe d’amitié France – Pays de la Corne de l’Afrique s’est entretenu avec S.E. M. Henok TEFERRA, Ambassadeur d’Éthiopie en France.

Ont également participé à la réunion : MM. Olivier CIGOLOTTI (Union Centriste – Haute-Loire), président délégué pour Djibouti, Hugues SAURY (LR – Loiret), président délégué pour le Soudan, et Michel CANÉVET (UC – Finistère), et Mme Vivette LOPEZ (LR – Gard).

S.E. M. Henok TEFERRA a insisté sur le fait que l’Éthiopie vivait en ce moment une période de transition difficile. Son pays est un État fédéral dont le régime parlementaire est bicaméral, même si la Chambre de la Fédération n’a pas de pouvoir législatif, mais détient une fonction de maintien d’équilibre entre les régions et communautés du pays et d’interprétation de la Constitution. Les élections législatives, qui avaient été reportées du fait de la crise sanitaire, se sont tenues deux jours auparavant dans un contexte de réelle compétition électorale, sous la supervision d’une commission électorale indépendante, présidée par une personnalité qui appartenait à l’opposition. Cette commission avait estimé que les conditions pour un scrutin équitable n’étaient pas réunies dans des circonscriptions très limitées, sur 547, et avait décidé du report de ce scrutin, qui s’y tiendra début septembre prochain. La participation a été forte, et de nombreuses femmes devraient être élues – des femmes occupent d’ailleurs des positions éminentes en Éthiopie, à commencer par la Présidente de la République, mais aussi les présidentes du Conseil constitutionnel et de la commission électorale.

Sur la question sensible du barrage de la Renaissance, l’Ambassadeur a indiqué que l’Égypte, considérant que le remplissage du barrage portait préjudice à son accès à l’eau, avait porté le contentieux devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Il a toutefois rappelé que ce barrage avait pour objectif de produire de l’électricité, grâce à un remplissage reposant sur la pluviométrie, et non de soutenir des projets d’irrigation. Selon lui, les Égyptiens veulent des garanties sur l’absence de projets futurs affectant le débit du Nil, des engagements pour le futur que l’Éthiopie ne peut pas prendre, mais ils souhaitent aussi se mettre d’accord avec les Éthiopiens et les Soudanais sur un partage des eaux. L’Éthiopie ne peut accepter ce second point, qui relève d’après lui d’une approche dépassée, de type « colonial », l’eau appartenant à tous les pays riverains. Conformément à son droit souverain, elle est déterminée à remplir le barrage chaque année grâce aux pluies, même si, naturellement, elle n’a pas l’intention de nuire aux intérêts égyptiens.
En réponse à une question de M. Cédric PERRIN, président, l’Ambassadeur a indiqué que les discussions sur le barrage se poursuivaient à Kinshasa, sous la présidence de l’Union africaine (UA). Toutefois, l’Égypte ne souhaite pas une médiation de l’UA, mais préférerait l’implication des États-Unis et de l’Union européenne, à laquelle l’Éthiopie n’est, elle, pas favorable car elle considère qu’il s’agit d’une question africaine qui doit donc être traitée par l’UA et ne pas faire l’objet d’ingérences géopolitiques extérieures. Dans ce contexte, l’Égypte a de nouveau saisi le Conseil de sécurité, mais les grandes puissances sont mal à l’aise sur ce dossier. Elle a impliqué la Ligue arabe, dont le siège se trouve au Caire ; or, le barrage n’est pas une question arabe, mais africaine.

En réponse à une question de M. Olivier CIGOLOTTI, président délégué pour Djibouti, sur la situation sanitaire en Éthiopie, S.E. M. Henok TEFERRA a indiqué que son pays avait souffert de l’épidémie de Covid-19 à partir de la deuxième vague, avec des victimes surtout parmi les personnes âgées. Les autorités ont, dès le début, pris des mesures telles que le port du masque obligatoire et la distanciation sociale, mais ont préféré ne pas confiner le pays. Mais la population est jeune et peu atteinte de comorbidités. Le coronavirus n’a pas entraîné de surmortalité ni de saturation du système hospitalier. La campagne de vaccination a débuté, visant notamment les personnes âgées à domicile et les enseignants, en particulier avec les vaccins AstraZeneca et Sinopharm.

Répondant à une question de M. Cédric PERRIN, président, l’Ambassadeur a indiqué que, certes, des candidats aux récentes élections législatives se trouvaient effectivement en prison, mais qu’ils avaient été arrêtés bien avant la campagne électorale et pour des motifs sans lien avec celle-ci mais en rapport avec des manifestations qui avaient provoqué plusieurs morts. Il a noté que ces personnes, sur décision de justice, avaient précisément pu faire campagne, confirmant ainsi le caractère démocratique des élections.

En réponse à une question de M. Cédric PERRIN, président, sur l’évolution de la situation au Tigré, S.E. M. Henok TEFERRA a reconnu que cette région constituait une « tache noire » de la transition éthiopienne, que les autorités ont voulue pacifique, ce qui ne s’était jamais produit dans l’histoire du pays. Il a rappelé que le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) s’était replié au Tigré, d’où il avait lancé une attaque contre les forces armées éthiopiennes et volé des armes. Toutefois, il a subi une déroute militaire, et plusieurs de ses dirigeants ont été arrêtés. Ce conflit a considérablement aggravé la situation humanitaire, déjà mauvaise auparavant – près de trois millions de personnes vivaient de l’aide humanitaire au Tigré avant le conflit. L’assistance de la communauté internationale a été sollicitée, mais les autorités éthiopiennes ont apporté une aide importante aux Tigréens. L’aide humanitaire internationale, qui transite le plus souvent par Djibouti, est acheminée au Tigré en toute sécurité.

Répondant à M. Cédric PERRIN, président, l’Ambassadeur a estimé que le conflit militaire était aujourd’hui terminé, mais que la situation humanitaire, aggravée par des invasions de criquets récurrentes, restait très délicate. Il a reconnu des violations des droits de l’Homme, malheureusement fréquentes en cas de conflit, mais qui se sont produites des deux côtés. Il a indiqué que, depuis le 16 mai, des enquêteurs du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, qui travaillent avec des enquêteurs éthiopiens, se trouvaient sur place, leur rapport pouvant être rendu public cet été. Le gouvernement éthiopien a déjà reconnu des excès et pris des mesures pour les sanctionner. L’Ambassadeur a fait observer que le FLPT dispose de beaucoup de moyens et qu’il les utilise aussi à mener des campagnes de désinformation.

En réponse à une question de Mme Vivette LOPEZ sur la situation du tourisme en Éthiopie, l’Ambassadeur a indiqué qu’elle s’était dégradée dès la pandémie de Covid-19. Avant cela, l’Éthiopie accueillait chaque année environ un million de touristes, mais le tourisme, quoiqu’en hausse, contribue de façon secondaire au développement économique de l’Éthiopie, qui repose sur l’agriculture, l’industrialisation et la construction.

Répondant à des questions de MM. Hughes SAURY, président délégué pour le Soudan, et Cédric PERRIN, président, sur l’influence, respectivement, chinoise et russe en Éthiopie, S.E. M. Henok TEFERRA a indiqué que la Chine et la Russie s’impliquaient effectivement de plus en plus en Afrique, et dans la Corne de l’Afrique en particulier, y voyant le reflet de la compétition mondiale entre grandes puissances. Les Chinois, qui planifient généralement leurs actions sur le long terme, apportant ainsi de la stabilité, participent à la construction d’infrastructures telles que des routes, des chemins de fer et des tramways, dans le cadre de leur projet de « nouvelles routes de la soie ». En Éthiopie, les Chinois investissent surtout dans les parcs industriels, par exemple dans le secteur textile, qui créent des emplois parmi la population éthiopienne. Pour autant, les autorités éthiopiennes ont choisi un consultant suédois pour superviser la réalisation de ces infrastructures. En effet, l’Éthiopie se voit comme une puissance régionale d’équilibre qui ne veut pas être alignée sur les intérêts de l’une ou l’autre puissance mondiale.

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