Réuni le mardi 17 janvier 2023, sous la présidence de M. André REICHARDT (Les Républicains – Bas-Rhin), président, le groupe d’amitié France – Afrique de l’Ouest s’est entretenu, par visioconférence, avec M. Alexandre GARCIA, Ambassadeur de France en Mauritanie.

Ont également participé à la réunion : MM. Bruno BELIN (Les Républicains – Vienne), président délégué pour le Burkina Faso, Jean-Yves LECONTE (Socialiste, Écologiste et Républicain – Français établis hors de France), président délégué pour la Guinée, Olivier CADIC (Union centriste – Français établis hors de France), secrétaire, et Lucien STANZIONE (Socialiste, Écologiste et Républicain –Vaucluse), secrétaire.

M. Alexandre GARCIA a rappelé que la Mauritanie est un pays de 1 million de kms² comptant 4,5 millions d’habitants, soit 4 habitants au km², et dont la démographie est maîtrisée. De ce point de vue, elle diffère de nombreux pays de la région, tels que le Niger. Son principal voisin est le Mali, avec lequel elle partage une frontière de 2 300 km. La Mauritanie présente des spécificités qui en font à la fois un pays arabe et un pays africain, notamment sa population, composée, à 30 % de Maures blancs, qui sont des Arabes et qui, historiquement, constituent l’élite du pays, à 30 %, de Négro-mauritaniens surtout dans la région frontalière du Sud, parlant d’autres langues que l’arabe (le wolof, le soninké et le fulfuldé) et qui sont souvent francophones, et, à 40 %, de Haratines (ou Maures noirs), culturellement homogènes avec les Maures blancs et arabophones, qui dans leur immense majorité sont les descendants d’anciens esclaves affranchis. Bien que située en Afrique de l’Ouest, la Mauritanie entretient des liens nombreux et forts avec les pays arabes, les Émirats arabes unis en particulier.

L’Ambassadeur a indiqué que le Président GHAZOUANI, ancien chef d’État-Major des armées, avait été élu en juin 2019, dès le premier tour, avec 52 % des suffrages exprimés. Il s’agissait de la première transition démocratique de l’histoire du pays. Le chef de l’État a clairement exprimé une volonté d’apaisement entre les partis politiques et avec l’opposition, celle-ci étant aujourd’hui divisée. D’importantes échéances électorales sont attendues : les élections législatives et locales en mai prochain, puis l’élection présidentielle, en mai ou juin 2024. Il est à noter que l’ancien Président AZIZ, après avoir fait l’objet d’une enquête parlementaire pour des faits de corruption, sera jugé à la fin de ce mois ; son procès, qu’il présente comme un procès politique, constituant un élément de potentielle déstabilisation politique du pays.

En réponse à une question de M. Jean-Yves LECONTE, président délégué pour la Guinée, M. Alexandre GARCIA a répondu que les autorités mauritaniennes cherchaient à se détacher de toute approche passionnelle de la relation avec la France, même si les liens avec notre pays restent forts. Aussi, contrairement à ce que l’on peut observer dans certains pays de la région où les thématiques « panafricanistes » prospèrent, n’existe-t-il pas vraiment de sentiment antifrançais dans l’opinion publique mauritanienne. Si la Mauritanie faisait bien partie de l’Afrique occidentale française, il n’y a guère aujourd’hui d’affrontements autour de l’histoire coloniale et de l’héritage postcolonial. Il n’en demeure pas moins que l’opinion publique formule certains reproches à la France, en particulier sur l’appréhension du fait religieux, de l’islam en particulier, en lien avec la question de la laïcité (la Mauritanie est une République islamique qui interdit la consommation d’alcool et forme de nombreux imams ; plusieurs idéologues de groupes terroristes intervenant au Sahel ces dernières années étaient d’ailleurs mauritaniens). Ainsi, la situation s’est un peu tendue après le discours du Président MACRON à la Sorbonne consécutif à l’assassinat de Samuel PATY en octobre 2020.

L’Ambassadeur a fait observer que la politique étrangère mauritanienne était marquée par la prudence et la neutralité ; le pays s’entend bien avec ses voisins et cherche à multiplier les partenariats. Pour ce qui concerne le Maroc, les autorités cherchent à garder l’équilibre entre ce pays et l’Algérie. La Mauritanie est contrainte d’entretenir de bonnes relations avec le Mali : elle n’a pas appliqué les sanctions décidées par la CEDEAO en 2021, elle accueille environ 80 000 réfugiés maliens, dans le camp de M’Béra, au Sud-Est du pays, et a toujours maintenu des relations avec la junte au pouvoir à Bamako, même si elle redoute la milice Wagner – dont les hommes sont sans doute impliqués dans l’assassinat de 40 Mauritaniens début 2022. La Mauritanie est fortement engagée au sein du G5 Sahel, dont elle héberge le secrétariat exécutif et le collège de défense. Les autorités mauritaniennes ne ménagent pas leurs efforts pour que se tienne dès que possible un sommet du G5 (de fait réduit à quatre pays après le retrait du Mali). La Mauritanie entretient également d’excellentes relations avec l’Union européenne, avec l’Espagne – les Canaries sont le territoire européen le plus proche du pays –, avec l’OTAN et, bien sûr, avec les pays arabes qui sont d’importants bailleurs et qui exercent une forte influence religieuse. Elle a développé des partenariats plus récents avec la Chine, qui est désormais son principal client, mais dont la présence culturelle est discrète, avec la Turquie et avec la Russie, même si la Mauritanie a voté la résolution de l’ONU condamnant l’invasion de l’Ukraine.

Répondant à une question de M. Olivier CADIC, secrétaire, M. Alexandre GARCIA a rappelé que la Mauritanie avait connu une vague d’attaques terroristes à la fin des années 2000 et au début des années 2010. Elle a toutefois repris le contrôle de son territoire et contrôle ses frontières, même si quelques  inquiétudes demeurent, en particulier à la frontière malienne, en raison de mouvements djihadistes  réguliers faisant toujours peser un risque d’incursion en territoire mauritanien. La lutte antiterroriste a été marquée par une forte montée en puissance de l’armée depuis une dizaine d’années. Le pays dispose ainsi de 30 000 hommes en uniforme, dont 15 000 militaires et 5 000 policiers, et le budget de la sécurité s’élève à 140 millions d’euros, soit le plus important de la région par rapport au nombre d’habitants. En l’absence de base militaire française en Mauritanie, le redéploiement de Barkhane n’est pas un sujet mobilisant véritablement l’opinion. La relation de sécurité et de défense avec la France est ancienne et assumée : plusieurs coopérants français sont intégrés dans la police, la gendarmerie et l’armée mauritaniennes, et les actions de coopération et de formation sont quotidiennes. L’Espagne, l’OTAN et les États-Unis sont d’autres partenaires militaires importants.

En réponse à des questions de MM. Lucien STANZIONE, secrétaire, et Jean-Yves LECONTE, président délégué pour la Guinée, M. Alexandre GARCIA a expliqué que la Mauritanie faisait preuve d’une grande prudence sur la question du Sahara occidental compte tenu des nombreux liens, familiaux et commerciaux notamment, avec le Maroc ; pour autant, la frontière avec ce territoire est ouverte, ce qui n’a pas toujours été le cas. Les relations avec l’Algérie sont néanmoins aussi de très bonne qualité. Le collège de défense du G5 Sahel forme chaque année depuis quatre ans une quarantaine d’officiers des pays qui le constituent, ce qui contribue à créer une culture de la sécurité dans la région.

Abordant les questions économiques, l’Ambassadeur a indiqué que le produit intérieur brut mauritanien s’établissait à 8,5 milliards de dollars, et que la croissance économique du pays s’élevait à 5,5 % en 2022, avec des projections optimistes pour l’avenir : 4,5 % en 2023, 5,7 % en 2024 et 6,6 % en 2025. Cette croissance est tirée, pour l’essentiel, par le secteur minier – les mines de fer se situent à la frontière avec le Sahara occidental –, exploité par la puissante Société nationale industrielle et minière (SNIM). D’importants gisements de gaz ont été récemment découverts au large du Sénégal et de la Mauritanie, et seront exploités par British Petroleum, Total étant présente sur l’exploration d’autres sites. Le taux d’inflation devrait s’établir à 10 % en 2023 ; il s’agit essentiellement d’une inflation importée, notamment d’Ukraine et de Russie. La dette publique est stable, et la dette externe est viable, détenue surtout par l’Arabie saoudite et les bailleurs internationaux. Le marché mauritanien reste difficile d’accès pour les entreprises étrangères : le secteur bancaire est très fragile, la main-d’œuvre qualifiée peu abondante et les tracasseries administratives nombreuses. La Mauritanie n’est que le 13e client de la France en Afrique sub-saharienne, et le pays ne représente que 2,7 % des exportations françaises (produits pharmaceutiques et céréales) ; la France lui achète du minerai de fer. La présence économique française y est modeste, avec une cinquantaine d’entreprises. Le groupe Meridiam est l’entreprise française ayant le plus investi dans le pays, en particulier sur un projet structurant, d’un montant de 300 millions d’euros, dans le port de Nouakchott. Le groupe CMA-CGM est présent dans le secteur du transport maritime. De nombreux sous-traitants français travaillent dans le secteur de l’énergie. Total investit dans l’exploration gazière. La Société générale est la seule banque de dimension internationale présente en Mauritanie, dont le secteur bancaire est atomisé en de nombreux petits établissements. Le pays possède un potentiel considérable en énergies renouvelables ; Total y investit, mais ce secteur est dominé par les Anglo-Saxons. L’hydrogène vert, en particulier, constitue un secteur d’avenir.

Répondant à M. Jean-Yves LECONTE, président délégué pour la Guinée, M. Alexandre GARCIA a indiqué que les principaux investisseurs dans l’hydrogène vert étaient les Australiens et les Britanniques. Les Mauritaniens voudraient développer des aciéries dans leur pays, projet requérant des investissements très importants, pour lequel l’ambassade cherche à aider des entreprises françaises à se positionner.

En réponse à des questions de M. Olivier CADIC, secrétaire, M. Alexandre GARCIA a noté qu’il existait quelques entraves aux flux bancaires de la Mauritanie vers la France, ce qui avait pu conduire à fermer des comptes bancaires en France de personnes résidant en Mauritanie. Plusieurs sociétés françaises de cimenterie, souvent dirigées par d’anciens officiers français, sont installées dans le pays.

À plusieurs questions de M. André REICHARDT, président, M. Alexandre GARCIA a répondu que l’aide publique au développement française avait pour objectif de répondre aux priorités mauritaniennes, à savoir le renforcement du processus de démocratisation, la cohésion nationale et la construction de l’État de droit. Les actions menées à ce titre se heurtent toutefois à des difficultés structurelles : le climat des affaires, la pauvreté – le pays se situe à la 161e place sur 189 en termes d’indice de développement humain –, de fortes disparités régionales, des difficultés d’accès aux services de base (eau et électricité), des services de santé déficients, la proximité de la frontière malienne ou encore les conséquences du changement climatique (succession d’inondations et de sécheresses extrêmes).

L’Ambassadeur a précisé que la stratégie française d’aide au développement poursuivait quatre objectifs : le renforcement du développement du capital humain (éducation, santé, protection sociale), l’appui au développement des territoires, le soutien de la dynamique économique (jeunes entrepreneurs, femmes, formation professionnelle) et la gouvernance et l’État de droit (justice et presse). Le portefeuille de l’Agence française de développement en Mauritanie comprend 22 projets, soit un total de 80 millions d’euros – ce qui fait du pays le premier bénéficiaire de l’aide publique au développement française par habitant – et un engagement de 37 millions en 2022, des dons exclusivement ; il convient d’y ajouter 3,5 millions d’euros au titre de l’aide alimentaire en 2022. La probable amélioration prochaine du classement de la Mauritanie par le FMI (passage de risque d’endettement élevé à modéré) ouvrira des perspectives de soutiens internationaux supplémentaires à la Mauritanie sous forme de prêts souverains. L’AFD y prendra sans aucun doute une place importante (notamment en matière d’énergie).

La stratégie d’influence française en Mauritanie repose sur :

- la francophonie : le lycée français Théodore Monod de Nouakchott accueille 1 280 élèves et les inscriptions sont croissantes ; le pays est doté de cinq Alliances françaises ; toutefois, la pratique de la langue française faiblit, la loi d’arabisation de l’enseignement adoptée à l’été 2022 renforçant la place de l’arabe, tandis que les moyens alloués aux programmes en français dans l’enseignement primaire diminuent ;

- l’encouragement de la mobilité étudiante vers la France (quelque 1 200 Mauritaniens étudient en France et l’enveloppe des bourses d’étude est de 350 000 euros par an) ;

- la soutien à la société civile, en particulier les femmes et les associations œuvrant en faveur de l’environnement ;

- le développement du sport, peu pratiqué dans le pays, qui constituera un gros axe d’effort de l’ambassade et de l’AFD sur la période 2023-2026.

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