Réuni le jeudi 12 janvier 2023, sous la présidence de M. André REICHARDT (Les Républicains – Bas-Rhin), président, le groupe d’amitié France – Afrique de l’Ouest s’est entretenu avec MM. Xavier MURON, directeur du bureau de l’Agence française de développement (AFD) à Abuja, et Ludovic JONCHERAY, coordonnateur pays des programmes développés au Nigéria et auprès de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Ont également participé à la réunion : MM. Jean-Yves LECONTE (Socialiste, Écologiste et Républicain – Français établis hors de France), président délégué pour la Guinée, et Abdallah HASSANI (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants –Mayotte), vice-président.

M. Xavier MURON a rappelé que le Nigéria était un « géant » en Afrique. Ce pays est la première puissance économique du continent, avec un produit intérieur brut (PIB) de 429 milliards de dollars en 2020, soit 18 % du PIB africain et 60 % de celui de la CEDEAO. Il est le pays le plus peuplé du continent, avec 220 millions d’habitants et une croissance démographique soutenue (2,6 % par an, soit six millions d’habitants supplémentaires chaque année). 43,7 % de la population ayant moins de 15 ans, il devrait compter, en 2050, environ 400 millions d’habitants, soit le troisième pays le plus peuplé du monde, après l’Inde et la Chine. Le Nigéria est un pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, avec un PIB par habitant d’environ 2 000 dollars, stable toutefois depuis 2016 ; il figure cependant parmi les pays les moins avancés au monde.

M. Ludovic JONCHERAY a indiqué que l’AFD était présente au Nigéria depuis 2008, intervenant au niveau fédéral, mais aussi auprès de vingt-trois des trente-six États fédérés, des institutions financières, des organisations non gouvernementales et de la société civile. Sa filiale PROPARCO, spécialisée sur le secteur privé, est présente à Lagos depuis 2007. Enfin, Expertise France est également présente dans le pays par l’intermédiaire de sa coordination régionale dans le Golfe de Guinée, basée à Abidjan, en Côte d’Ivoire.

M. Xavier MURON a précisé que l’AFD entretenait des relations institutionnelles avec l’État fédéral, mais que ses projets étaient mis en œuvre au niveau fédéré.

M. Ludovic JONCHERAY a fait observer que le montant des engagements de l’AFD au Nigéria s’établissait à 2,2 milliards d’euros sur la période 2010-2022, essentiellement sous la forme de prêts souverains, ce qui représente trente-sept projets en cours pour un montant de 1,7 milliard d’euros. Quant à PROPARCO, son montant d’engagements s’y élève à 858 millions d’euros.

M. Xavier MURON a ensuite présenté la stratégie du groupe AFD au Nigéria, sur la base d’un diagnostic de la situation dans le pays, qui prend en compte plusieurs constats :

- la gouvernance y est réputée faible, compte tenu du niveau élevé de la corruption (154e position, sur 181, dans le classement de Transparency International) ;

- l’insécurité est très importante, et prend diverses formes telles que des conflits intracommunautaires entre agriculteurs sédentaires et éleveurs transhumants, du banditisme, du terrorisme islamique, du sabotage de sites pétroliers et des agitations sécessionnistes, surtout dans le Sud du pays ; par ailleurs, la société nigériane est multiethnique et marquée par le poids de la religion, douze États du Nord-Est et du Nord-Ouest appliquant la charia ;

- la pression démographique est très forte : la population nigériane devrait doubler d’ici à 2050, mais l’espérance de vie n’est que de 55 ans ; la population est paupérisée, 92 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté ; le taux de chômage, ou de sous-emploi, des jeunes est particulièrement élevé, atteignant 55 % ;

- le pays est très vulnérable au changement climatique ;

- les difficultés d’accès aux infrastructures de base sont importantes : près de la moitié de la population n’a pas accès à l’électricité, et 84 % des ménages sont mécontents de leur accès à l’eau ;

- le secteur agricole est capital, mais mal structuré : il emploie plus de la moitié de la population active et représente 22 % du PIB, mais 20 millions de personnes sont en insuffisance alimentaire.

M. Xavier MURON a indiqué que, dans ce contexte, le Nigéria était confronté à cinq grands enjeux de développement :

- l’employabilité des jeunes et la création d’emplois : 18 millions d’enfants sont exclus du système scolaire, 38 % des 15-24 ans sont sans emploi, et les inégalités entre les sexes y sont très importantes ;

- la lutte contre le changement climatique : la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique est actuellement de 18 % pour un objectif à horizon de 2030 de 30 % et la mobilité urbaine doit être sensiblement améliorée – 30 % des émissions de gaz à effet de serre provenant des transports ;

- l’accès aux services de base : les besoins en accès à l’eau et en infrastructures d’assainissement sont très importants, en particulier dans les zones rurales, mais aussi en milieu urbain compte tenu de la pression démographique ;

- le secteur agricole : les rendements agricoles restent faibles, et l’adaptation au changement climatique est indispensable ; 30 % à 40 % des récoltes seraient perdues sur site chaque année par manque de routes et de marchés ;

- la gouvernance : les institutions ont besoin d’être renforcées, et les droits humains promus.

Puis M. Xavier MURON a présenté le plan national de développement du gouvernement nigérian sur les années 2021-2025, approuvé fin décembre 2021. L’objectif gouvernemental d’une croissance annuelle de 5 % paraît très ambitieux. Il implique de créer 21 millions d’emplois sur la période, de sortir 35 millions de personnes de la pauvreté et d’accroître la part des recettes fiscales dans le PIB de 7 % à 15 %.

En réponse à une question de M. Jean-Yves LECONTE, président délégué pour la Guinée, M. Xavier MURON a indiqué que le Nigéria ne remplissait pas, et de loin, ses objectifs au titre de son appartenance à l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), étant passé du premier au quatrième rang des pays africains producteurs de pétrole, à défaut d’investissements publics dans ce secteur depuis une vingtaine d’années. Par ailleurs, les revenus du pétrole ne profitent qu’à une part réduite de la population.

Répondant à une question de M. Abdallah HASSANI, vice-président, M. Xavier MURON a estimé que la part réduite des recettes fiscales dans le PIB tenait à la fois au niveau élevé de corruption dans le pays et au manque de ressources des services fiscaux, mais aussi à l’importance de l’économie informelle.

À M. Jean-Yves LECONTE, président délégué pour la Guinée, M. Xavier MURON a répondu que les défauts de gouvernance du secteur pétrolier avaient souvent fait fuir les investisseurs étrangers, à l’exemple de Total, qui limite désormais ses activités au off-shore, mais aussi de Shell et BP.

Enfin, M. Xavier MURON a exposé la nouvelle stratégie 2022-2025 du groupe AFD au Nigéria, qui avait été présentée au comité local de développement réuni à l’ambassade de France, le 30 novembre dernier. Le plan national de développement reposant sur un programme d’investissement de 850 milliards de dollars, financé à 85 % par le secteur privé, les niveaux d’intervention du groupe AFD seraient de l’ordre de 250 millions d’euros par an, compte tenu des règles prudentielles applicables. Du fait de l’ampleur des enjeux de développement, une approche partenariale est indispensable, notamment avec l’Union européenne, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et la Banque islamique de développement.

En réponse à des questions de M. André REICHARDT, président, M. Xavier MURON a indiqué que les États fédérés faisaient remonter leurs besoins auprès de l’AFD, au premier rang Lagos, véritable « ville-État » de 25 millions d’habitants, qui, si elle était indépendante, serait la 7économie africaine. Les contrats sont signés avec le ministère fédéral des finances, qui porte le risque de change et qui reprête aux États fédérés par une convention de rétrocession. L’AFD n’intervient pas, pour des raisons de sécurité, dans la zone des frontières. Boko Haram est présent dans le Nord-Est du pays, mais la région frappée par le terrorisme et le banditisme s’étend de plus en plus vers l’Ouest ; quant au Sud-Ouest, qui est la région pétrolifère, elle est touchée par la piraterie. Les Chinois sont certes présents au Nigéria, mais ce n’est pas dans ce pays que la présence chinoise en Afrique est la plus importante.

Répondant à M. Jean-Yves LECONTE, président délégué pour la Guinée, M. Xavier MURON a indiqué que le Nigéria n’avait pas un rôle moteur dans le fonctionnement de la CEDEAO, bien qu’il accueille son siège à Abuja, les autorités nigérianes adoptant un positionnement globalement protectionniste. La CEDEAO fonctionne bien, et notre ambassade à Abuja est en relation étroite avec cette communauté économique régionale. Elle intervient principalement en matière d’interconnections énergétiques et de sécurité alimentaire. L’AFD se doit d’accompagner les projets dans ces domaines, mais elle est sans doute pour l’instant insuffisamment présente sur la zone de la CEDEAO, eu égard à l’importance de ses besoins et des enjeux géopolitiques. L’AFD est amené à gérer des fonds de l’Union européenne dans le cadre de projet dans le pays, ce qui contribue à alimenter la relation partenariale. Peu de pays européens, en dehors de la France et de l’Allemagne, entretiennent des relations bilatérales avec le Nigéria. Le sentiment anti-français n’existe pas dans ce pays, d’autant plus que la France y soutient des projets intéressant la société civile, la jeunesse et les activités culturelles. L’enseignement supérieur nigérian est de bonne qualité ; de nombreux diplômés arrivent chaque année sur le marché du travail, mais, faute de perspectives dans le pays, ceux-ci s’expatrient souvent vers des pays africains anglophones ou vers le Royaume-Uni, en particulier dans le secteur de la santé.

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