Réunis conjointement le 26 octobre 2022, le groupe interparlementaire d’amitié France-Arménie et le groupe d'information internationale sur le Haut-Karabagh, présidés respectivement par MM. Gilbert-Luc DEVINAZ (Socialiste, Écologiste et Républicain – Rhône) et Bruno RETAILLEAU (Les Républicains – Vendée), ont auditionné Mme Muriel PERNIN, écrivaine, ancienne journaliste, coauteur d'ouvrages sur l'Arménie et le Haut-Karabagh.

Étaient également présents MM. Serge Babary (LR – Indre-et-Loire), Jérémy BACCHI (Communiste républicain citoyen et écologiste – Bouches-du-Rhône), Etienne BLANC (LR – Rhône), Mmes Valérie BOYER (LR – Bouches-du-Rhône), Marie-Arlette CARLOTTI (SER – Bouches-du-Rhône) et Jacqueline EUSTACHE-BRINIO (LR – Val-d’Oise), M. Bernard FOURNIER (LR – Loire), Mme Marie MERCIER (LR – Saône-et-Loire), M. Sébastien MEURANT (LR – Val-d’Oise), Mme Marie-Pierre MONIER (SER – Drôme) et M. Pierre Ouzoulias (CRCE – Hauts-de-Seine).

Mme Muriel PERNIN a relaté son premier voyage en Arménie et dans le Haut-Karabagh en juillet 1995, un an après le cessez-le-feu qui avait mis fin à la première guerre entre les Arméniens et les Azerbaïdjanais : les Arméniens devaient faire face au blocus, les outils de production étaient à terre, la vétusté des infrastructures rendait la vie difficile. En chemin vers Stepanakert, elle avait vu les convois de camions iraniens qui livraient des denrées manquantes et repartaient souvent en ayant prélevé sur les bâtis bombardés ce qui pouvait se monnayer ailleurs, comme l’acier. Elle s’était alors interrogée sur le temps nécessaire à cette région pour s’affranchir du modèle soviétique et pour effacer le souvenir de la guerre. Tout était à reconstruire mais aussi à repenser. À l’époque, elle avait eu le sentiment de vivre des événements exceptionnels, tenant à la construction d’un état, comme à l’avènement de la démocratie, à la refondation des modes de production et d’échanges, dans tous les secteurs de la société.

Elle est depuis souvent retournée en Arménie et au Haut-Karabagh, qu’elle a vus s’éveiller et s’engager vers leur nouveau destin ; les villes ont changé de physionomie ; des routes ont été construites ; les traces les plus douloureuses et les moins esthétiques du passé ont commencé à s’estomper ; d’autres maux, plus sournois, sont apparus toutefois, comme la spoliation des biens publics et la corruption à l’échelon local.

Au printemps 2021, après donc les combats de l’automne 2020, Mme Muriel PERNIN est retournée en Arménie et au Haut-Karabagh, difficilement atteignable, le détenteur d’un laissez-passer pouvant se heurter, une fois sur place, à une fin de non-recevoir des autorités russes et karabaghsies. Les contrôles ont été nombreux, le long du corridor de Latchine, puis sur tous les secteurs stratégiques.

Elle s’est rendue sur presque tous les points de contact, c’est-à-dire au bout des routes, en ces endroits où soudain, a-t-elle précisé, les tanks, les sacs de sable, les barrières et les soldats montrent qu’il n’est pas possible d’aller plus loin. Parmi ce qu’elle a retenu, elle a mentionné la route coupée pour aller à la cité historique de Chouchi ; la photographie de M. Vladimir Poutine, en format géant, à Stepanakert, dont elle s’est demandée si elle était destinée à rassurer les très jeunes soldats russes, ces « peace corps » sous bannière blanc-bleu-rouge, postés en tous les endroits stratégiques, à indiquer aux Arméniens et aux Azerbaïdjanais que les conditions du cessez-le-feu de novembre 2020 étaient respectées ou à donner un signal au monde ; les secteurs géographiques où il n’était plus permis d’aller car passés sous la souveraineté de l’Azerbaïdjan, amputant d’un tiers de son territoire le Haut-Karabagh et la zone de sécurité (notamment le district de Kelbajar) qui le reliait à l’Arménie ; l’encerclement, par son ennemi, du Haut-Karabagh, devenu une « île », suspendue à son bon vouloir ou à celui des forces de la paix russes, au gré des revirements de la politique internationale ; les jeunes soldats arméniens qui protégeaient les frontières, face à leur ennemi, se demandant ce qu’il adviendrait et se remémorant les bombardements des drones. Mme Muriel PERNIN a cité à cet égard un soldat de vingt ans qui avait grandi en France et témoigné de l’horreur et de la désillusion) ; les familles ayant tout perdu qui, pour certaines survivaient grâce à un lopin de terre, pour d’autres s’entassaient dans des centres pour personnes déplacées  (dans les villages proches des nouvelles frontières à la suite de l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020, elle a vu des enfants apeurés par les tirs ennemis survenant la nuit pour terroriser la population) ; tant d’histoires atroces vécues par des femmes à qui l’on avait présenté les dépouilles de leur fils ou de leur mari, des familles qui continuaient à chercher un proche dans les montagnes et des cimetières qui, de Erevan à Stepanakert, regorgeaient de corps, de fleurs et de pleurs.

Le temps a passé. À l’été et à l’automne 2022, Mme Muriel PERNIN a considéré, après l’invasion du corridor de Latchine obligeant les Russes et les Arméniens à créer une nouvelle route pour désenclaver le Haut-Karabagh, et après les bombardements survenus à la frontière ouest de l’Arménie accompagnés d’images de tortures insoutenables, que l’actualité avait donné un étrange écho à la voix des témoins rencontrés. Survenus en pleine guerre russo-ukrainienne, ces opérations menées par l’Azerbaïdjan au Haut-Karabagh et en Arménie se sont, selon elle, déroulées dans une indifférence coupable. Elle a conclu que le Haut-Karabagh était en danger de mort et l’Arménie désormais en grand péril.

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