Le mardi 18 octobre 2022, le groupe interparlementaire d’amitié France-Pays du Cône Sud, présidé par M. Victorin LUREL (Guadeloupe – SER) auditionnait S.E. M. José Miguel CAPDEVILLA VILLARROEL, Ambassadeur du Chili en France, S.E. Mme Cynthia FILARTIGA, Ambassadrice du Paraguay en France et Mme Silvana MURPHY, Ministre-Conseillère de l’Ambassade d’Argentine en France. Étaient également présents M. Rémy POINTEREAU (Les Républicains, Cher), M. Bruno BELIN (Les Républicains, Vienne), Mme Isabelle BRIQUET (SER, Haute-Vienne), Mme Hélène CONWAY-MOURET (SER, Français établis hors de France), Mme Sabine DREXLER (Les Républicains, Haut-Rhin), M. Christian BILHAC (RDSE, Hérault), M. Michel CANÉVET (UC, Finistère), M. Claude RAYNAL (SER, Haute-Garonne, en visioconférence) ; Mme Denise SAINT-PÉ (UC, Pyrénées-Atlantiques) et Mme Nadège HAVET (RDPI, Finistère).

M. Victorin LUREL et Mme Nadège HAVET co-présidant l’audition du 18 octobre

M. Victorin LUREL a introduit l’audition en rappelant le soin attentif porté par le Sénat à l’Amérique latine, une région souvent délaissée par la diplomatie française malgré l’ancienneté de ses liens historiques et culturels avec la France. Il a rappelé que la présence française en Amérique latine est à la fois géographique, par le biais de la Guyane, démographique, grâce aux expatriés français et aux descendants d’émigrants installés au XIXe siècle, ainsi que par la francophonie encore présente.

Cet intérêt du Sénat s’est manifesté par divers déplacements, la tenue de nombreuses auditions, la création de la semaine de l’Amérique latine ainsi que par l’accueil de nombreuses personnalités, la prochaine en date étant l’accueil de M. Luis CASTIGLIONI, ministre de l’Industrie et du Commerce du Paraguay, prévu le 26 octobre.

M. LUREL a demandé aux ambassadeurs présents d’exposer brièvement la situation politique de leurs pays respectifs, en souhaitant aborder la question des rapports de force dans la région, et leurs visions de l’élection présidentielle brésilienne en cours. Notant le gel actuel des négociations sur l’accord de libre-échange Union européenne (UE) – Mercosur, il a souhaité connaitre la position des pays représentés sur cette question.

Le président a tenu à interroger M. CAPDEVILLA VILLARROEL sur les implications et les raisons de l’échec du référendum constitutionnel porté par M. Gabriel BORIC, élu président du Chili en mars 2022, malgré le caractère progressiste, féministe et écologiste de ce projet. Il s’est également questionné sur les marges de manœuvre du président de la République après cet échec.

M. LUREL a ensuite interrogé Mme Cynthia FILARTIGA sur les éventuelles pistes existantes pour densifier la coopération franco-paraguayenne.

Enfin, il est revenu sur la très forte inflation sévissant en Argentine, s’enquérant auprès de Mme Silvana MURPHY des capacités de résilience de ses concitoyens ainsi que de l’état d’avancement des négociations avec le FMI.

Mme Silvana MURPHY a rappelé la tenue d’une séquence de travail à l’ambassade d’Argentine le 17 novembre, qui sera l’occasion de revenir sur les réussites du déplacement du groupe d’amitié de juin 2022. S’agissant de l’inflation, laquelle tend à devenir mondiale, elle a souligné à quel point le peuple argentin a fait preuve de résilience, tandis que le Fonds monétaire international (FMI) n’a pas formulé de nouvelles exigences lors des négociations sur la restructuration de la dette, ce qui démontre au besoin le caractère sérieux du plan de remboursement en cours.

S.E. M. CAPDEVILLA VILLARROEL a regretté le recul de la présence de la France en Amérique latine, alors qu’elle dispose selon lui d’un espace entre l’activisme de la Chine et des États-Unis qui suscite toujours une certaine forme de méfiance. Le président français, M. Emmanuel Macron, ne s’est rendu qu’une seule fois sur le continent depuis 2017. Avec 7 Alliances françaises, 240 entreprises implantées au Chili et une importante diaspora chilienne ayant fui sous la dictature installée sur son sol, la France entretient pourtant des liens forts avec le Chili. Laboratoire social, premier pays sud-américain à renverser sa dictature par la voie des urnes en 1988, le pays compose aujourd’hui avec les revendications du mouvement social d’octobre 2019. Après être brièvement revenu sur le lourd tribut payé par l’Amérique du Sud à la pandémie de Covid-19 – un tiers des décès mondiaux pour 8% de la population terrestre -, l’ambassadeur a livré son analyse de l’échec du référendum constitutionnel. Malgré le consensus politique et populaire autour de la nécessité de tourner la page de l’ère Pinochet, qui s’est traduit par un « oui » à 80% à l’élection d’une assemblée constituante et la large victoire – 3 millions de voix – du président Gabriel BORIC, 62% des Chiliens ont en effet rejeté un projet constitutionnel risquant de mettre en péril l’unité nationale et étatique. Il a conclu son propos en rappelant les défis économiques, financiers et sociaux auxquels fait toujours face le Chili.

S.E. Mme Cynthia FILARTIGA a elle aussi regretté l’éloignement progressif de la France à l’égard de l’Amérique latine, malgré l’importance de ses établissements scolaires dans la formation des élites paraguayennes et d’une immigration française remontant à 1855. Pays peu connu, indépendant depuis 1811, le Paraguay a composé avec une histoire tourmentée et subit aujourd’hui les contrecoups de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine. Il a en effet perdu des marchés d’exportation de viande et de fertilisants vers la Russie. Sa monnaie demeure cependant la plus stable d’Amérique latine, et le pays ne cesse de se développer et d’attirer les investissements étrangers, notamment suédois et britanniques dans la production de cellulose et d’hydrogène. Les plans de lutte contre la faim et la pauvreté, soutenus par les aides européennes, devraient contribuer à l’établissement d’un système unifié de protection sociale. Au nombre des priorités politiques, l’ambassadrice a cité le développement durable, l’éducation et l’inclusion sociale.

Les deux ambassadeurs ont rappelé leur attachement au multilatéralisme, tout en notant que l’intégration régionale sud-américaine demeurait difficile, empêchant le sous-continent de s’exprimer d’une seule voix dans le concert des nations.

S.E. Mme FILARTIGA a ensuite présenté l’actualité politique de son pays, qui verra se dérouler des élections présidentielles et législatives en avril 2023, précédées de primaires en décembre 2022. Deux alliances s’affronteront. D’un côté, le parti présidentiel, Colorado, divisé en deux grands courants, la Fuerza Republicana du président de la République et l’ANR-Colorado de son prédécesseur. De l’autre, la Concertation, coalition d’opposition de 38 partis et mouvements, au sein de laquelle pas moins de six tickets président–vice-président, comprenant plusieurs femmes, se disputeront l’investiture. Les élections seront l’occasion de déployer des machines à voter et d’appliquer de nouvelles règles de financement de la vie publique ; elles verront la mise en place d’un système de vote préférentiel avec listes ouvertes, qui risque d’affecter négativement les quotas de représentation féminine.

Sur le plan diplomatique, elle a rappelé que son pays n’entretient pas de relations diplomatiques avec Pékin. Interrogée par Mme HAVET sur les mobilités étudiantes franco-paraguayennes, elle a détaillé le programme de bourses « mastérisantes » et doctorantes mises en place par le gouvernement pour financer les études de ses étudiants méritants dans les 100 meilleures universités mondiales.

Revenant à l’invitation du président Victorin LUREL sur la question du développement durable, de l’agriculture et de la déforestation, principaux points de critiques des détracteurs de l’accord UE-Mercosur, l’ambassadrice a expliqué que son pays produit 100% d’électricité renouvelable, produit de l’hydrogène, et développe l’agriculture biologique grâce aux fonds verts internationaux.

Répondant à une question de Mme DREXLER, les deux ambassadeurs sont revenus sur les difficultés causées par la pandémie de Covid-19.

S.E. M. CAPDEVILLA VILLARROEL a ainsi rappelé que son pays a été le premier d’Amérique latine à vacciner toute sa population avec quatre doses. Interrogé par M. CANEVET, il a reconnu les difficultés sociales causées par la Covid-19 – hausse de la pauvreté de 8 à 14% – et les marges budgétaires contraintes du gouvernement chilien.

S.E. Mme FILARTIGA s’est montrée critique sur l’absence de solidarité internationale dans la distribution des vaccins, l’échec du dispositif COVAX et l’incapacité d’un pays peu peuplé comme le Paraguay à sécuriser des contrats d’achats de doses. C’est grâce à la Corée du Sud, à Taïwan et au Chili que son pays a surmonté la crise, a-t-elle estimé.

M. CANEVET et S.E. M. CAPDEVILLA VILLARROEL ont évoqué les opportunités de coopération dans la recherche astronomique dans le désert de l’Atacama et un jumelage avec échange de statues de la Vallée des Saints dans les Côtes d’Armor et l’île de Pâques, les mers et l’Antarctique, avant d’aborder la question de la décentralisation chilienne, principal point d’achoppement lors du référendum. L’ambassadeur a souligné la difficulté à décentraliser le Chili sans basculer dans la « multinationalité », tout en affirmant la dimension multiculturelle en vue de concilier les revendications des peuples indigènes, au premier rang desquels le peuple mapuche au Sud du Chili.

Après quelques échanges sur le projet d’accueil de la Coupe du monde de 2030 par les quatre pays du Cône Sud, M. Victorien LUREL, président, a conclu l’audition en rappelant le caractère exceptionnel de l’échec du référendum constitutionnel chilien, où des élus se sont montrés plus radicaux que leurs électeurs.

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