EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Quelques chiffres permettront de mieux comprendre l'importance des contrôles opérés par les URSSAF dans les entreprises : on constate trois fois plus de contrôles URSSAF que de contrôles fiscaux ; 9/10 e des contrôles des PME se soldent par un redressement ; depuis 10 ans, dans le cadre du contrôle, pour une mesure favorable au cotisant, trois mesures l'ont été en faveur des URSSAF.

Alors que le Président de la République a affirmé le 9 octobre 2018 que l'URSSAF devait être notre « amie », beaucoup de chefs d'entreprise affirment cependant que les rapports URSSAF/Entreprises sont particulièrement tendus.

Il suffit pour s'en convaincre de consulter le site lecerclelafay.fr qui pointe les dérives de certains organismes tout en prônant une amélioration des « relations URSSAF/Entreprises ».

Les dispositions qui figurent dans la présente proposition de loi ne prétendent pas régler toutes les difficultés dans le cadre du contrôle. En effet, les principales dispositions en la matière sont réglementaires et sont contenues aux articles R. 243-59 à R. 243-60-3 du code de la sécurité sociale. Toutefois, la proposition de loi apporte les modifications suivantes.

L'article 1 er prévoit la création d'un code de déontologie des agents chargés du contrôle, établi par décret en Conseil d'État, qui fixerait les règles que doivent respecter ses agents ainsi que leurs droits dans le respect des prérogatives et garanties qui leurs sont accordées pour l'exercice de leurs missions. De telles dispositions ont déjà été prévues par le décret n° 2017-541 du 12 avril 2017 s'agissant des droits et devoirs des inspecteurs du travail (articles R. 8124-1 et suivants du code du travail).

L'article 2 apporte une précision technique au deuxième alinéa de l'article L. 244-3  du code de la sécurité sociale. En effet, à l'issue d'un contrôle, l'agent chargé du contrôle adresse à la personne contrôlée une lettre mentionnant, s'il y a lieu, les observations constatées au cours du contrôle et engageant la période contradictoire préalable à l'envoi de toute mise en demeure (loi de financement de la sécurité sociale - article L. 243-7-1-A du code de la sécurité sociale). Dans le cas d'une vérification, le délai de prescription des cotisations, contributions, majorations et pénalités de retard est suspendu pendant la période contradictoire (loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 - deuxième alinéa de l'article L. 244-3 du code de la sécurité sociale). Toutefois, il n'est pas indiqué pendant combien de temps ce délai est suspendu (1 mois, 12 mois, 5 ans... ?). Cela ne contribue ni à la transparence ni à la sécurité juridique. Une entreprise contrôlée est en droit de recevoir les résultats du contrôle dans un délai raisonnable, d'autant que les majorations de retard courent pendant cette période. Or, la disposition introduite par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 ne va pas dans ce sens et n'incite guère les organismes à « presser le mouvement » puisque toute la période depuis les observations jusqu'à la mise en demeure est suspendue. Or, justement la loi est là pour prévenir les abus. Il est raisonnable de prévoir que le délai de prescription des cotisations, contributions, majorations et pénalités de retard soit suspendu pendant la période contradictoire et pour une durée maximale de six mois. Il est cependant proposé que la durée maximum de six mois ne joue pas :

- lorsque la période contradictoire est prolongée en application du second alinéa de l'article L. 243-7-1 A du code de sécurité sociale, à savoir lorsque le cotisant lui-même le demande (ce qui devrait le dissuader de jouer la montre), soit lorsque sont constatées de graves infractions au code du travail (travail dissimulé, marchandage, prêt illicite de main-d'oeuvre, emploi d'étranger non autorisé à travailler) ;

- en cas d'obstacle mis à l'accomplissement du contrôle au sens de l'article L. 243-12-1 du même code.

L'article 3 propose d'inscrire dans le code de la sécurité sociale une mesure simple. Les dispositions de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale traitent du contrôle sur place. Ces dispositions concernent la majorité des contrôles effectués par les URSSAF. Or, faute de position claire de la loi ou de la jurisprudence, on constate certaines pratiques d'emport de documents qui se concilient difficilement avec la notion de vérification « sur place » et avec le respect de la procédure contradictoire. Cette notion d'emport de documents peut revêtir certains aspects : photocopie de documents pour les exploiter directement à l'organisme, enregistrement des données comptables sur clé USB pendant le contrôle ou pire encore, demande de pièces par l'inspecteur via internet avec demande de retour sous la même forme à une date précise. Le seul problème est que cette procédure pour le moins rapide ne respecte pas le caractère oral et contradictoire du contrôle. Dans un souci de transparence et avant que des contentieux ne se fassent jour, une clarification des textes mériterait d'être apportée. L'arrêt du 6 juillet 2017 (Paris, Pôle 6, Chambre 12. RG°15/12849) a donné un début de réponse à cette question : « les inspecteurs de l'URSSAF ne peuvent ni rechercher eux-mêmes les documents nécessaires à leur contrôle, ni emporter ou saisir des documents sans autorisation du cotisant. La demande de document peut être exprimée dans l'avis de passage, mais peut également résulter de requêtes formulées directement sur place auprès de l'employeur qui est alors dans l'obligation de communiquer lesdits documents » . Un début de solution pourrait être trouvé dans le domaine du contrôle fiscal puisqu'un arrêt de principe du Conseil d'État du 21 mai 1976 (n° 94052) a défini les trois conditions strictes et cumulatives permettant le déplacement de tout ou partie de la comptabilité des contribuables, sachant que le non-respect de ces dernières entraîne l'irrégularité de la vérification :

• Certaines formalités doivent être remplies préalablement à l'emport des documents (demande écrite du contribuable et délivrance d'un reçu par le vérificateur) ;

• Le déplacement des documents comptables ne doit pas avoir pour effet de priver le contribuable du débat oral et contradictoire auquel il a droit ;

• La restitution des documents doit intervenir avant la clôture des opérations de contrôle.

Ainsi, en matière de contrôle URSSAF, il pourrait être tout simplement rappelé que lorsque le contrôle est effectué au sein de l'entreprise, les documents ou supports d'information ne peuvent être emportés par l'inspecteur à l'organisme qu'après autorisation du cotisant.

L'article 4 propose d'inscrire dans le code de la sécurité sociale, et ce dans un souci de dialogue, l'obligation pour l'URSSAF de proposer au cotisant un entretien de fin de contrôle au terme de la vérification. Ainsi, il serait souhaitable de prévoir que lorsqu'il envisage de mentionner des observations, l'agent doit, préalablement à l'envoi de cette lettre à la personne contrôlée, lui proposer un entretien. À défaut de réponse de sa part dans un délai de quinze jours à compter de cette proposition, la personne contrôlée est présumée avoir renoncé à cet entretien.

L'article 5 traite du contenu de la mise en demeure. Le code de la sécurité sociale ne contient pas de précisions particulières quant à l'énoncé des voies de recours dans la mise en demeure. Il convient donc de les préciser, comme cela est le cas dans le régime agricole (article R. 725-6 du code rural ; Besançon, Chambre sociale, 30 janvier 2018, RG n° 16/01682) tout en mentionnant la possibilité de se faire assister d'un conseil.

L'article 6 traite de la commission de recours amiable. Cette commission constitue la première étape obligatoire du contentieux général de la sécurité sociale (article R. 142-1 du code de sécurité sociale). Comme l'a considéré le rapport Fouquet, « les commissions de recours amiables constituent un élément essentiel du dispositif des prélèvements obligatoires sociaux et les entreprises » (voir Cotisations sociales : stabiliser la norme, sécuriser les relations avec les URSSAF et prévenir les abus . Rapport d'Olivier Fouquet. Juillet 2008. Page 37). L'appréciation portée sur ces commissions est différente suivant le type d'organismes concerné (CPAM - CARSAT - CAF). En effet, dans ces dernières entités, les commissions de recours amiable jouent un rôle social et humain qu'il ne faudrait pas sous-estimer. En revanche, le rôle de ces commissions semble beaucoup plus contesté dès lors qu'une contestation apparaît sur le fond d'un dossier et qu'un enjeu financier est en cause. Le rapport Fouquet précité le relevait en notant que « la procédure suivie est imparfaite et respecte peu les exigences du contradictoire » (rapport précité p. 37). On notera, en effet, que la procédure est uniquement écrite et qu'il sera statué sur le dossier en l'absence du cotisant (contrairement à ce qui existe en matière fiscale où le contribuable est convoqué - V. liv. proc. fisc, art. R. 60-1 pour la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires - liv. proc. fisc, art. R. 59 B-1 pour la Commission départementale de conciliation). On comprend, dans ces conditions, que la doctrine ait émis des propos parfois sévères sur cette institution. Ainsi, pour H.G. Bascou, « le législateur devrait abandonner cette phase qui n'a, comme seul intérêt, de permettre aux URSSAF, compte tenu de la lenteur des décisions, de demander aux cotisants, en cas de résultats défavorables, de plus importantes majorations de retard » (Droit et Patrimoine. Avril 1999, n° 70, p 33 s). De même, pour le conseiller à la Cour de Cassation, J. Favard, « la Commission de recours amiable a été créée dans le but d'éviter les contentieux. Pour cela, elle doit trancher les situations qui se présentent à elle de manière impartiale. Si elle ne remplit pas cette condition, elle ne pourra qu'être abandonnée. » (voir Contrôle URSSAF : vers une charte du cotisant vérifié. Colloque à l'Assemblée nationale, 10 mars 1999, p 14). Les propositions, qui rejoignent celles formulées par les députés Bernard Gérard et Marc Goua (« Pour un nouveau mode de relations URSSAF/Entreprises » Avril 2015) sont les suivantes :

• Le terme commission « amiable » est inadapté. En effet, la définition du dictionnaire Larousse pour ce terme est : qui a lieu par voie de conciliation, par opposition à la voie contentieuse ; qui est fait de gré à gré, directement avec la personne concernée. Or, justement, nous sommes ici dans une voie contentieuse, sans que le cotisant ne soit présent lorsque son dossier est étudié. Nous proposons donc les termes plus neutres de « commission des recours » ;

• Il parait indispensable que le cotisant non seulement, puisse présenter des observations, mais qu'il puisse s'exprimer, s'il le souhaite ;

• Il semble nécessaire d'introduire au sein de ces commissions, des personnes qualifiées eu égard à leur connaissance de la matière (experts comptables, avocats spécialisés en droit de la sécurité sociale, responsables sociaux d'entreprise...). Cela permettrait d'éviter un véritable dialogue au sein de ces entités ;

• Il est souhaitable que, durant cette phase, le cours des majorations de retard cesse de courir. En effet, il ne paraît pas logique, qu'un organisme de recouvrement puisse pratiquement profiter de son propre retard à statuer ;

• Enfin, il serait souhaitable de mettre fin à un imbroglio juridique en matière de recouvrement des cotisations. En effet, une URSSAF, dans le but d'accélérer la procédure, est-elle en droit de décerner une contrainte (contentieux du recouvrement) en cas de saisine préalable de la Commission de recours amiable par le débiteur (contentieux général) ? La réponse paraissait négative. Toutefois, faute de texte, la Cour de cassation a décidé l'inverse (Cass. soc. 31 mai 2001 pourvoi n° 99-14622 - Cass civ 2° 3 avril 2014. Pourvoi n° 13-15136), obligeant ainsi le débiteur à mener deux actions de front. Il convient donc de mettre fin à cette étrangeté...

L'article 7 se contente d'ajouter un formalisme en matière de travail dissimulé. À lire la doctrine en la matière, deux expressions reviennent souvent : d'une part, le législateur au fil des années a banalisé le travail dissimulé à tel point que beaucoup le pratiquent, sans même le savoir (ainsi en est-il du cas de Mamie Bistrot qui aide bénévolement son conjoint, du client de bar qui vient rapporter son verre au comptoir, de l'entraide entre voisins, de la personne qui vient aider son frère sur un marché, des laissés-pour-compte qui reçoivent un modeste pécule d'une communauté d'Emmaüs, de l'entraide familiale, etc.) ; qui plus est, les sanctions constituent « un arsenal d'une violence juridique et économique inouïe » (S. Coly, Travail dissimulé : gare à l'URSSAF. RH Info. 6 avril 2018). Afin que les décisions prises soient réfléchies, nous proposons que le procès-verbal soit contresigné par le directeur de l'organisme effectuant le recouvrement. Non seulement cette solution semble évidente s'agissant d'une décision grave mais, on notera de surcroît que le contreseing est déjà prévu pour des situations de moindre gravité (ex : absence de bonne foi du cotisant : article R. 243-59 III alinéa 7 du code de sécurité sociale). L'objectif de ces dispositions est d'améliorer le dialogue dans la procédure de contrôle et de transformer une administration « punitive » en une administration « aidante ».

L'article 8 a pour but de mettre fin à une discrimination en matière de prescription des cotisations. Suivant l'article L. 244-3, alinéa 1, du code de la sécurité sociale, « les cotisations et contributions sociales se prescrivent par trois ans à compter de la fin de l'année civile au titre de laquelle elles sont dues ». Quant à l'article L. 243-6, I, alinéa 1, du même code, il prévoit que « la demande de remboursement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales indûment versées se prescrit par trois ans à compter de la date à laquelle lesdites cotisations ont été acquittées ». En d'autres termes, sur 3 ans + l'année en cours, alors que la répétition de l'indu se fera sur 3 ans. En clair, cela signifie que lorsque l'URSSAF réclame de l'argent, elle le fait sur une période de 3 ans plus l'année en cours (exemple : une mise en demeure qui a été envoyée en décembre 2017 concernera toute l'année 2014, 2015, 2016 et 2017 jusqu'en décembre). En revanche, en cas de trop versé, la prescription est de 3 ans à compter de la date où les cotisations ont été versées (ainsi, imaginons qu'un employeur demande une restitution de cotisations en décembre 2017, sa demande ne concernera que la période décembre 2014 - décembre 2017). L'URSSAF peut réclamer au cotisant des sommes sur une période plus longue qu'elle n'est tenue de le faire en cas de remboursement ! C'est ce que deux décisions récentes viennent de rappeler (Bourges Chambre sociale 22 mars 2018 RG n° 17/00053 - Montpellier 4 ème B chambre sociale 21 mars 2018 RG n° 17/04013). On ne peut cependant pas reprocher aux juges d'avoir ainsi statué puisqu'ils ne font qu'appliquer une loi inique et discriminatoire. Il convient donc de créer un système uniforme en cas de redressement de cotisations et de demande de répétition de l'indu.

Telles sont les dispositions de la proposition de loi que nous vous demandons d'adopter.

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