EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La maîtrise du numérique conditionne de plus en plus l'accès aux droits et aux devoirs de nos concitoyens : accès à l'éducation, aux soins, au travail, aux services publics, aux droits sociaux et à la citoyenneté.

La numérisation de notre environnement constitue un progrès lorsqu'il ne crée pas de nouvelles fractures au sein de notre société : 14 millions de Français sont éloignés du numérique et 40 % de la population ne se sentirait pas à l'aise pour accomplir des démarches en ligne. L'illectronisme renvoie à une difficulté ou à une incapacité à utiliser les appareils et outils numériques. Les évolutions en la matière intervenant sans cesse, toute personne peut rapidement atteindre son degré d'incompétence et être touchée par l'illectronisme à tout moment.

La modernisation de l'État par la dématérialisation des services publics, est une conséquence du principe d'adaptabilité et de mutabilité du service public qui implique de réaliser des efforts sans précédent en matière de formation au numérique à tous les niveaux, notamment par l'école et par les entreprises, ainsi que de médiation numérique afin de favoriser l'autonomisation de l'usager ou son accompagnement lorsque cela est nécessaire. Les initiatives sont nombreuses mais elles manquent de lisibilité.

La dématérialisation de l'action publique ne doit pas aboutir à la suppression des guichets et à la déshumanisation du service public. Conformément au principe d'égalité devant le service public, il convient de garantir l'accès de tous nos concitoyens à un accueil physique, ainsi qu'au choix de ne pas recourir à des démarches dématérialisées lors des échanges avec l'administration. Certaines situations complexes nécessiteront une intervention humaine ainsi qu'un maillage fin des services publics sur l'ensemble du territoire.

La présente proposition de loi reprend une partie des 45 propositions du rapport d'information sénatorial intitulé « L'illectronisme ne disparaîtra pas d'un coup de tablette magique ! » 1 ( * ) de la mission d'information sur la lutte contre l'illectronisme et pour l'inclusion numérique 2 ( * ) , créée à l'initiative du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, présidée par M. Jean-Marie MIZZON et rapportée par notre ancien collègue M. Raymond VALL.

Les auteurs de la proposition de loi entendent faciliter l'accès de tous à leurs droits et à leurs devoirs afin d'inclure plutôt que d'exclure. L'accès effectif au service public participe au sentiment d'appartenance à la République. C'est ce service public « à la française » qu'il est impératif de défendre et de préserver. Tel est l'objet de la présente proposition de loi.

Parce qu'il est fondamental de disposer d'un état des lieux précis de l'illectronisme pour adapter l'action publique en la matière, le Chapitre Ier de la proposition de loi propose deux mesures.

L' article 1er , prolongeant l'initiative conduite par l'INSEE propose de procéder à une évaluation biannuelle des capacités numériques de nos concitoyens à partir d'un référentiel commun.

Afin de détecter en amont les publics fragiles, l' article 2 introduit la réalisation d'un test d'évaluation des compétences numériques lors de la journée « défense et citoyenneté ».

Le Chapitre II a pour objectif de rendre les services publics 100 % accessibles, reprenant une partie des préconisations du rapport du Défenseur des droits « Dématérialisation et inégalités d'accès aux services publics » publié en 2019. Il reconnaît ainsi à tout usager :

- Un « droit au guichet » pour la réalisation de toute démarche administrative dans un délai raisonnable , au plus tard dans les deux mois à compter de la date de la saisine ( article 3 ). Cet article reprend la jurisprudence du Conseil d'État précisant que « l'existence d'un téléservice n'emporte aucune obligation de saisine par voie électronique de l'administration » 3 ( * ) ;

- Une liberté de choix de l'usager des services publics en ce qui concerne les moyens de correspondance et de paiement ( article 4 ). Les décisions d'attribution ou de révision des droits comportant des délais et des voies de recours devront être notifiées sous support papier ou électronique au choix de l'usager. L'accord de l'usager devra être recueilli préalablement aux échanges dématérialisés ;

- Un droit à l'erreur lors de la réalisation d'une démarche dématérialisée en cas d'erreur de saisie ( article 5 ).

Afin de garantir la parfaite information des usagers et de faciliter l'exercice de leurs droits et de leurs devoirs, l'accès aux sites internet des administrations , ainsi que les téléservices, doivent gagner en ergonomie ( article 6 ). Il est donc proposé de créer un référentiel d'ergonomie garantissant : l'intégration du point de vue des usagers tout au long de leur conception et de leur exploitation ; la prise en compte de l'ensemble des procédures et des cas de figure existants dans la réglementation permettant à l'usager de bénéficier de l'ensemble de ses droits ; la possibilité de rectifier à tout moment les dossiers en cours avant leur dépôt ; la délivrance d'un accusé de connexion et la possibilité de contacter le service compétent en cas de difficulté .

Les sites internet doivent également être rendus accessibles aux personnes en situation de handicap ( article 7 ). Le retard en la matière étant inacceptable, les sanctions sont ainsi renforcées en vue d'accélérer la mise en conformité des sites qui était prévue pour 2012. Il est proposé de sanctionner la non-conformité des sites internet au référentiel général d'amélioration de l'accessibilité (RGAA), plutôt que l'absence de mention relative à cette conformité. Les sanctions sont portées de 25 000 euros à 100 000 euros et le recours à la dérogation pour « charge disproportionnée » limitée uniquement aux petites collectivités locales .

Le Chapitre III est consacré au financement de la politique d'inclusion numérique.

L' article 8 instaure un fonds de lutte contre l'exclusion numérique , doté d'au moins 500 millions d'euros par an, ainsi qu'un chèque-équipement, sous condition de formation, à destination des ménages modestes . Alimenté essentiellement par les recettes de la taxe sur les services numériques dite « taxe GAFA ») ainsi que par le budget général de l'État ( article 9 ). Il permettra d'accroître le financement du pass numérique (et de renforcer sa valeur), la formation au numérique sur l'ensemble du territoire, la structuration d'une offre de médiation numérique de qualité, la couverture intégrale du territoire en lieux d'accompagnement numérique des usagers du service public, ainsi que le chèque-équipement nouvellement créé.

Le Chapitre IV est relatif à l'accompagnement des usagers exclus de la dématérialisation des services publics.

L' article 10 confie à l'Agence nationale de la cohésion des territoires la charge d'établir une cartographie de l'ensemble des lieux d'accompagnement des usagers et d'accompagner la structuration de l'offre de médiation numérique sous un label unique . Il complète la stratégie nationale d'orientation de l'action publique annexée à la loi n°2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, dite loi « ESSOC » en prévoyant que le Gouvernement se fixe pour objectifs, s'agissant de l'administration de l'État, de financer la lutte contre l'illectronisme et la couverture de l'ensemble du territoire en lieux d'accompagnent des usagers.

L' article 11 dispose que les établissements publics de coopération intercommunale désignent un référent « inclusion numérique » .

Le Chapitre V comporte des mesures visant à renforcer la formation des élèves, des enseignants, des salariés et des dirigeants des entreprises.

L' article 12 consacre l'illectronisme, à l'instar de l'illettrisme et l'innumérisme, comme priorité nationale prise en compte par le service public de l'éducation et les personnes assurant une mission de formation ou d'action sociale, en modification les dispositions correspondantes au sein du code de l'éducation.

L' article 13 prévoit la formation continue obligatoire au numérique des enseignants par les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) ainsi que des enseignants de l'enseignement supérieur.

L' article 14 propose un crédit d'impôt au bénéfice des PME afin de permettre la déduction de 50 % des dépenses de formation au numérique de leurs dirigeants et leurs salariés.

La date d'entrée en vigueur de la proposition de loi est déterminée à l' article 15 .

Enfin, l' article 16 constitue le gage de la proposition de loi.


* 1 Rapport d'information n° 711 (2019-2020) de M. Raymond VALL, fait au nom de la mission d'information « Illectronisme et inclusion numérique », déposé le 17 septembre 2020.

* 2 Cette mission est composée de : M. Jean-Marie Mizzon, président ; M. Raymond Vall, rapporteur ; M. Serge Babary, Mmes Martine Berthet, Viviane Artigalas, Angèle Préville, MM. André Gattolin, Pierre Ouzoulias, Emmanuel Capus, vice-présidents ; MM. François Bonhomme, Patrick Chaize, Mme Nassimah Dindar, M. Éric Gold, Mme Pascale Gruny, MM. Jean-François Husson, Xavier Iacovelli, Éric Kerrouche, Jacques-Bernard Magner, Philippe Mouiller, Cyril Pellevat, Mmes Marie-Pierre Richer, Denise Saint-Pé et Sophie Taillé-Polian.

* 3 Décision n°422516 du Conseil d'État du 27 novembre 2019.

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