EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans son discours prononcé le 1 er octobre 2020 à la suite de sa reconduction à la présidence du Sénat, Gérard Larcher défendait avec conviction la nécessité de « réfléchir à une procédure (...) qui permette au Parlement de saisir le juge administratif lorsqu'un décret d'application manque à l'appel ».

Les auteurs de la présente proposition de loi souscrivent pleinement à ces propos, d'autant qu'ils s'inscrivent dans la continuité de la proposition de loi n° 203 (2010-2011) déposée le 23 décembre 2010 par notre ancien collègue Yvon Collin et l'ensemble des membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, dont l'objectif était précisément de donner intérêt à agir aux membres de l'Assemblée nationale et du Sénat en matière de recours pour excès de pouvoir pour renforcer les prérogatives se rattachant à leur mission de contrôle de l'action du Gouvernement.

Si à l'époque ce débat pouvait apparaître prématuré, il a acquis aujourd'hui une vigueur nouvelle au vu de la nécessité de donner au Parlement des moyens concrets et effectifs d'assurer ses prérogatives constitutionnelles, à commencer par sa mission de contrôle de l'action du Gouvernement. Débattre chaque année de l'application des lois devant un hémicycle trop souvent clairsemé n'est en effet pas suffisant pour garantir un véritable « droit de suivi » par le Parlement des lois qu'il vote.

De fait, il importe d'aller plus loin en donnant aux membres de l'Assemblée nationale et du Sénat à titre individuel, un outil de contrôle de la pleine application de la loi qui s'étendrait au-delà du seul rôle d'information qui relève d'un contrôle politique.

Or, en l'état, l'une ou l'autre des assemblées parlementaires ne peuvent enjoindre au Gouvernement de prendre une mesure réglementaire d'application d'une loi, pas plus que ne peut être fixé de façon coercitive un délai d'édiction d'une mesure réglementaire d'application. Cette carence est à l'évidence un frein à l'action du Parlement, d'autant que la voie du recours pour excès de pouvoir se révèle particulièrement complexe.

Comme l'a relevé le Professeur Olivier Renaudie, « le juge administratif se montre en effet très circonspect s'agissant du fait parlementaire » 1 ( * ) . L'analyse de la jurisprudence montre ainsi que le Conseil d'État a longtemps contourné la difficulté de répondre clairement à la question de l'intérêt à agir des parlementaires soit en tirant cet intérêt d'une autre qualité (usager de service public, contribuable...), soit en rejetant les recours sans trancher la question. Il a cependant fini par statuer qu'un parlementaire ne peut exciper de cette seule qualité pour justifier d'un intérêt à agir ou d'une présomption d'intérêt à agir contre le refus du Premier ministre de prendre une mesure réglementaire d'application de la loi 2 ( * ) .

Le Conseil d' État est même allé plus loin, en considérant qu'un parlementaire se prévalant de cette seule qualité ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir par la voie du recours pour excès de pouvoir contre une ordonnance prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution en arguant du fait que celle-ci porterait atteinte aux droits du Parlement en méconnaissant le champ de l'habilitation conférée au Gouvernement, alors même que les dispositions qu'elle abroge sont issues d'une loi dont il a été le rapporteur à l'Assemblée nationale 3 ( * ) .

Quelles que soient les raisons de fond relevées par le juge administratif au regard des principes généraux du droit et du contentieux administratif, force est de reconnaître que cette jurisprudence n'est pas satisfaisante au regard de l'évolution du contexte politique et de la nécessité de renforcer les moyens du Parlement.

La présente proposition de loi se veut donc une réponse pragmatique et juridiquement encadrée à une question fondamentale, celle des moyens de garantir le respect de l'intention du législateur au travers du contrôle des mesures d'application d'une disposition législative. En aucun cas elle ne vise à poursuivre le débat parlementaire, par essence politique, par la voie juridictionnelle.

À cette fin, la présente proposition de loi crée une forme de recours sui generis inspiré de la proposition de loi précitée et des débats qui ont suivi 4 ( * ) , ainsi que de l'évolution de la jurisprudence intervenue depuis.

Elle envisage ainsi trois formes de recours :

- Contre la carence du pouvoir réglementaire à prendre une mesure d'application de la loi dans un délai raisonnable, ce délai étant souverainement apprécié par le juge administratif

- Contre une ordonnance lorsque le moyen unique soulevé est tiré d'une violation du champ de l'habilitation législative.

- Contre un acte réglementaire autorisant la ratification ou l'approbation d'un traité lorsque le moyen unique soulevé est tiré de ce que cette autorisation aurait dû relever de la compétence du législateur, le juge administratif ayant déjà dénié l'intérêt à agir à des parlementaires ayant fait valoir cette seule qualité 5 ( * ) .

Tel est l'objet de la présente proposition de loi.


* 1 Olivier Renaudie, « Permettre au Parlement de saisir le juge administratif ? Une mise en perspective », Revue générale du droit, Etudes et réflexions, 2020.

* 2 Par exemple CE, 23 novembre 2011, M. Masson, req. n° 341258

* 3 CE, 31 décembre 2020, req. n° 430925

* 4 Débats du 17 février 2011.

* 5 CE Ass., 9 juillet 2010, Fédération nationale de la libre pensée , req. n° 327663.

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