EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

A chaque scrutin présidentiel, le dispositif de parrainage fait l'objet de critiques, voire d'instrumentalisation à des fins de communication : soit parce qu'il empêche certaines candidatures, soit parce qu'il en autorise trop. Ce constat était déjà établi par la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidée par Lionel Jospin en 2012.

Plutôt que de faire valoir des propositions à la veille d'un scrutin, il serait pourtant plus opportun que le débat ait lieu devant le Parlement en cours de législature. C'est ce que les sénateurs socialistes ont tenté de faire en février 2021 à l'occasion de l'examen du projet de loi organique portant diverses mesures relatives à l'élection du président de la République, sans être entendus.

En février 2022, à quelques semaines du délai limite de dépôt des parrainages, l'inquiétude a été telle que le Premier ministre s'est livré à un appel aux parrainages pour le moins contestable, alors que lui-même a jusqu'à présent toujours refusé toute forme de modernisation de notre droit électoral. Il a en outre tenté d'organiser une réunion avec les associations d'élus locaux qui s'est soldée par un échec, celles-ci ayant refusé de participer au motif de la tardiveté de son organisation.

Pour autant, et malgré l'allongement significatif de la période de recueil des parrainages en 2022, ce système de qualification révèle une forme d'épuisement qui se traduit notamment par une tendance au tarissement des parrainages. Alors que l'on décomptait 16 900 parrainages en 2007, 14 790 en 2012 et 14 296 en 2017, 13 427 élus ont donné leur parrainage en 2022, parmi les 47 000 élus habilités à le faire. Au surplus, 2 000 parrains de 2017 qui pouvaient de nouveau parrainer en 2022 ne l'ont pas fait.

Certains arguent que l'absence d'anonymat en serait la cause et qu'il faudrait donc le rétablir pour que tout reprenne son cours normal. Ces objections viennent principalement de la droite qui vise à critiquer la réforme mise en place sous le quinquennat de François Hollande.

Cette assertion a été déconstruite par Jean-Jacques Urvoas, alors auteur de la proposition de loi ayant conduit à cette réforme. Nous en reprenons les principaux arguments :

- Tout d'abord, la levée de l'anonymat répondait à une demande du Conseil constitutionnel de publication intégrale des parrainages depuis 1974 pour des raisons de transparence : « La présentation d'un candidat à l'élection du président de la République est un acte politique grave. Il importe donc de l'entourer de toute la solennité nécessaire. A cette fin, il y aurait lieu (...) de rendre publique, pour chaque candidat, la liste des auteurs de présentation. »

- De 1976 à 2017 : la publicité des parrainages est en vigueur, mais uniquement pour les 500 parrainages de chaque candidat tirés au sort parmi ceux obtenus. Un candidat comme José Bové avait donc le nom de tous ses parrains publiés, contrairement à Nicolas Sarkozy qui en avait 14,4 %. En plus de la transparence, le Conseil constitutionnel a souligné un problème d'égalité ;

- Le nombre de candidat et leur origine partisane à chaque scrutin depuis 1976 montre que la publicité ne freine pas le nombre de candidats. Le pluralisme est bien assuré : 10 candidats en 1981, 9 en 1988 et 1995, 16 en 2002, 12 en 2007, 10 en 2012, 11 en 2017 et désormais 12 en 2022 ;

- Du point de vue du droit comparé, si l'on observe les pays pratiquant un système de filtre comparable au notre, c'est en France que le nombre de candidats est le plus important. Ils étaient 5 en Autriche en 2016 et 8 en Finlande en 2018 ;

- En 2007, le Conseil constitutionnel avait reçu 16 900 actes de présentation, 14 790 en 2012 et 14 296 en 2017. La publicité n'a donc pas retenu les élus ;

- C'est une exigence de transparence à partir du moment où la décision n'est plus collective, mais individuelle et confiée à une titulaire du fait de son élection au suffrage universel.

Instaurer un anonymat, qui n'a d'ailleurs jamais véritablement existé, ne nous semble pas justifié du point de vue de l'efficacité, ni justifiable du point de vue de la transparence démocratique.

C'est pourquoi, cette proposition de loi organique, s'inspirant en partie des travaux de la commission présidée par Lionel Jospin, propose une autre solution. Elle vise à mettre en place un système de parrainage mixte : chaque candidat(e) à l'élection présidentielle devra recueillir, en complément des parrainages des élus, des parrainages de citoyens.

Cette proposition a été formulée par la voie de deux amendements lors de l'examen du projet de loi organique portant diverses mesures relatives à l'élection du président de la République au mois de février 2021. Ils ont été balayés par la majorité sénatoriale et le Gouvernement.

L'argument invoqué par le rapporteur portait d'une part sur la difficulté technique liée à la mise en place d'un système de recueil de parrainage citoyens, d'autre part, sur le risque de prolifération de candidature qui nuirait à l'intelligibilité des débats. La commission présidée par Lionel Jospin a abondamment démontré que les difficultés techniques pouvaient être levées.

Le Gouvernement, quant à lui, a considéré que le système de parrainage « permet d'ores et déjà de s'assurer que les candidats à l'élection présidentielle possèdent une envergure nationale : sinon, ils n'auraient pas convaincu tant d'élus, en particulier de maires, pour se présenter aux suffrages. » Si l'on peut accorder un intérêt à cette argumentation, sa lecture à l'aune de l'appel du Gouvernement aux maires pour parrainer des candidats, peut apparaître somme toute cocasse.

Le mécanisme actuel qui repose sur les parrainages d'un collège d'élus - un seuil initialement fixé à 100 par la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la République au suffrage universel puis rehaussé à 500 depuis la loi organique du 18 juin 1976 - ne correspond plus aux exigences d'une démocratie moderne. Le rapport de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidée par l'ancien Premier ministre Lionel Jospin, souligne la double fragilité du dispositif actuel. D'une part, une grande incertitude sur la possibilité pour certains courants significatifs de la vie politique du pays d'être représentés au premier tour de l'élection présidentielle, certains candidats ayant franchi avec difficulté le seuil des 500 parrainages requis. D'autre part, le système en vigueur ne prémunit pas contre le risque d'un nombre de candidatures trop élevé, à l'image de l'élection présidentielle de 2002 qui comptait seize candidats au premier tour.

Surtout, le système actuel apparait de moins en moins légitime aux yeux des citoyens, qui se trouvent écartés de cette phase de qualification au profit d'élus locaux qui, de leur côté, reprouvent les pressions dont ils sont l'objet, en particulier ceux des communes peu peuplées (57% des élus habilités à parrainer sont des maires de communes de moins de 1 000 habitants).

Il nous parait dès lors pleinement justifié que les citoyens puissent désormais habiliter directement les candidats à l'élection présidentielle. Cela s'inscrirait dans une tendance de fond d'implication croissante des citoyens à la vie démocratique qui s'est déjà exprimée au niveau local par la mise en place de multiples dispositifs, mais également par l'instauration du référendum d'initiative partage dans la Constitution en 2008.

Pour autant, il ne nous semble ni nécessaire ni justifié d'écarter le système actuel de parrainage des élus au profit d'un dispositif reposant sur les seuls parrainages des citoyens. Parce que la France est un régime bicaméral, le dispositif de parrainage peut, d'une certaine façon, traduire cette double légitimité, citoyenne et territoriale.

C'est pourquoi nous proposons la mise en place d'un système de parrainages dual. Pour être valable une candidature à l'élection présidentielle devrait recueillir 250 parrainages d'élus et 150 000 parrainages citoyens, avec une clause de représentativité. Le seuil de 150 000 parrainages citoyens est celui recommandé par la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique qui le juge à la fois suffisamment élevé pour limiter le risque de candidatures qui n'auront pas leur place dans un scrutin présidentiel, mais sans l'être excessivement pour ne pas exclure des candidats se réclamant d'un courant politique représentatif. Toujours d'après la commission, ce seuil correspond à la part moyenne des électeurs observée dans les États membres de l'Union Européenne qui ont institué un mécanisme de parrainage citoyen pour l'élection présidentielle (soit à titre exclusif pour le Portugal, la Pologne ou la Lituanie ; soit à titre complémentaire pour l'Autriche, la Finlande ou la Slovaquie). Nous estimons enfin que dès que les 150 000 signatures sont atteintes, les parrainages citoyens en faveur d'un candidat ne sont plus comptabilisés pour ne pas transformer cette procédure en « pré-vote ».

L'introduction des parrainages citoyens autorise en contrepartie une diminution du nombre de parrainages d'élus, ce qui devra permettre de limiter la pression qui pèse sur eux, tout en assurant que la candidature bénéfice d'une assise territoriale réelle et diversifiée.

La règle en vigueur selon laquelle les parrainages doivent être issues d'au moins 30 départements ou collectivités d'outre-mer est maintenue et étendue aux parrainages citoyens.

Si le calendrier de recueil des parrainages et les modalités de présentations restent inchangés, plusieurs modifications sont apportées à l'occasion de cette réforme.

D'une part, le collège des élus est élargi pour y intégrer les présidents de conseils consulaires, en cohérence avec la loi du 27 décembre 2019 « Engagement et proximité » qui a confié cette fonction à un élu.

D'autre part, il est précisé qu'un individu ne peut parrainer qu'une seule fois. Il ne peut y avoir de parrainage au titre du collège des élus et au titre du collège des citoyens.

La transmission des parrainages se fera par voie numérique, via une plateforme dédiée sécurisée, à l'instar de celle mise en place pour le référendum d'initiative partagée.

Enfin, s'agissant de la publicité, il est proposé, conformément aux recommandations de la commission dite JOSPIN, de prévoir qu'elle ne s'applique pas aux parrainages citoyens. Comme le souligne le rapport, la question de la transparence du dispositif de parrainage ne se pose pas dans les mêmes termes que dans le cas d'un parrainage par les élus. Dans la configuration actuelle, le parrainage d'un candidat à l'élection présidentielle constitue un acte de responsabilité politique qui doit, à ce titre, pouvoir être connu des électeurs. S'agissant des parrainages par un citoyen, l'acte de parrainer se rapprocherait davantage de l'expression d'un suffrage et devrait par conséquent revêtir le caractère secret du vote.

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