EXPOSÉ DES MOTIFS

Madame, Monsieur,

Alors que l'urgence climatique n'a jamais été aussi prégnante, il a fallu attendre les ultimes semaines du quinquennat précédent pour que soit présenté, avec deux ans de retard, le nouveau contrat de performance de SNCF Réseau. Ce contrat cadre n'est ni plus ni moins que le document qui détermine les investissements sur l'ensemble du réseau ferroviaire français pour la décennie à venir. Le gouvernement a même réussi l'exploit de faire l'unanimité de tous les acteurs concernés contre ce projet : Régions de France, Alliance 4F, Association Française du Rail (AFRA) 1 ( * ) , associations d'usagers 2 ( * ) , le Sénat à travers la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable 3 ( * ) et même de l'autorité de régulation des transports dont le président est allé jusqu'à qualifier le document d'« occasion manquée » 4 ( * ) tant il maintient la tête de la SNCF sous l'eau financièrement, empêchant de fait une amélioration conséquente de l'état du réseau. Dans ces conditions, il sera impossible de doubler la part modale du train en 2030 comme le souhaite Jean-Pierre Farandou 5 ( * ) , PDG de la SNCF, et donc d'atteindre nos objectifs climatiques ! Alors qu'il revêt une importance capitale, le journal Contexte 6 ( * ) révélait le 9 juin dernier que ce contrat avait été signé en catimini à quatre jours du premier tour de l'élection présidentielle, et ceci sans prendre en compte les remarques des acteurs précités.

Cette péripétie est un énième épisode de la politique d'à-coups ferroviaires du quinquennat passé qui doit pourtant être menée sur le temps long. Preuve en est le double tête-à-queue opéré ces derniers mois un, nouvelle déclinaison du « en même temps » ?

Un premier, en juillet dernier, lorsque le président Macron a remis en cause la priorité aux transports du quotidien en annonçant la construction de quatre nouvelles lignes à grande vitesse. Si elles peuvent présenter des intérêts localement, ces lignes restent non financées et viennent déséquilibrer la programmation des infrastructures de la LOM, déjà insuffisante. Pire, elles ne sont même pas traduites dans le contrat de performance !

Le second tête-à-queue est directement contenu dans ce document cadre : une très forte augmentation des prix des péages ferroviaires, alors qu'ils sont déjà les plus chers d'Europe ! Après la crise des gilets jaunes, la pandémie et ses confinements, et alors qu'il faut plus que jamais relever le défi climatique, comment le gouvernement pense-t-il pouvoir relancer le ferroviaire en le rendant plus cher pour l'ensemble de ses usagers ?

S'il est appliqué en l'état, ce n'est pas seulement l'impossibilité de respecter la parole donnée à propos de l'entretien des « petites lignes », les fameuses UIC 7 à 9 pointées dans le rapport Spinetta de 2018, qui sera à constater mais bien la mise en danger du réseau secondaire qui irrigue l'ensemble de nos territoires (UIC 5 et 6) ! Plusieurs journaux spécialisés et articles de presse grand public ont commencé à alerter sur la réelle mise en péril de notre système ferroviaire par le contenu d'un tel contrat ! La Gazette des Communes 7 ( * ) reprenait d'ailleurs dans un article du 12 juillet 2022 l'expression de « malthusianisme ferroviaire » en ce que « le nouveau contrat de performance signé par l'État avec SNCF Réseau conduit inéluctablement à l'abandon d'une partie du réseau » déjà vétuste dans de très nombreux endroits comme l'ont pointé Hervé Maurey et Stéphane Sautarel dans leur rapport sur la « situation financière de la SNCF ses perspectives » 8 ( * ) : 29 ans de moyenne d'âge pour le réseau français contre 17 en Allemagne. Dans un article pour Alternatives Économiques , Vincent Grimault mettait en avant que si les lignes UIC 5 et 6 devaient fermer, « le réseau ferré breton s'arrêterait à Rennes » ; et en se basant sur la carte ci-dessous 9 ( * ) , chaque parlementaire et citoyen peut se rendre compte des risques encourus.

Certes la loi d'orientation des mobilités, à travers son article 182, autorise le transfert de propriété des « petites lignes » aux régions, différents protocoles ont d'ailleurs été signés depuis deux ans, mais l'effort financier qui s'annonce est hors de portée des collectivités locales. Les régions ne peuvent pas être perpétuellement à la remorque de l'État en matière ferroviaire et pallier son désengagement constant !

Bien que cela soit nécessaire, la présente proposition de loi n'a pas pour but de redonner des moyens financiers au secteur ferroviaire. Ses auteurs défendent depuis des années cette orientation dans les différents projets de loi de finances initiaux ou rectificatifs et continueront à le faire à chaque occasion ; prenant au mot la Première Ministre qui dans sa déclaration de politique générale le 6 juillet dernier affirmait vouloir que « le ferroviaire est et restera la colonne vertébrale d'une mobilité propre. Nous continuerons les investissements de ces dernières années ». La France ne peut continuer de prendre du retard sur ses voisins notamment italiens et allemands qui vont respectivement investir 6,5Mds €/an pendant 20 ans et 8,5Mds €/an pendant sur la prochaine décennie lorsque nous atteindrons péniblement 2,8Mds €/an avec l'actuel contrat de performance, alors qu'il manque au moins 1Md €/an ne serait-ce que pour garantir la régénération et la modernisation du réseau existant. Ce constat est d'ailleurs assez unanimement partagé : au Sénat par la commission ATDD et le rapport Maurey-Sautarel, par le nouveau ministre délégué aux transports qui déclarait sur France Info le 15 juillet 2022 : « pour régénérer le réseau actuel c'est entre 1 et 2Mds €/an en plus [de ce que nous faisons aujourd'hui] » 10 ( * ) , et bien évidemment par le PDG de la SNCF qui a présenté le 13 juillet dernier un plan de 100 Mds € sur 15 ans pour le ferroviaire 11 ( * ) : 13Mds pour les RER métropolitains, 15Mds supplémentaires pour la régénération du réseau (soit 1Md/an), 10Mds pour la modernisation (signalisation, commande centralisée...), 10Mds de soutien au fret ferroviaire, le reste pour la construction de nouvelles lignes dont les LGV annoncées et jusqu'à présent non financées.

Mais s'il n'est pas budgétaire, ce texte entend cependant s'attaquer à deux racines du mal ferroviaire français.

Ainsi l'article 1 a pour objectif de compléter la définition de ce qui doit être contenu dans le contrat de performance du gestionnaire d'infrastructures ferroviaires, et notamment sa compatibilité avec la stratégie nationale bas carbone et le respect des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports. Ils insistent également sur la nécessité d'en faire une évaluation, tant par SNCF Réseau que par l'Autorité de régulation des transports, et d'accroître le rôle du Parlement alors qu'il n'est aujourd'hui qu'informé de la publication du contrat. Le rôle de l'Autorité de régulation des transports est par ailleurs complété en ce qu'il est proposé que son avis doive comprendre des indicateurs quant à la compatibilité entre les engagements financiers du contrat de performance et le niveau d'investissements requis pour éviter la dégradation du réseau, et que les recommandations qu'elle émet au gouvernement lors de l'élaboration du contrat soient jointes à son avis définitif.

Cet article 1 est ainsi parfaitement complémentaire de la proposition de loi n°334 du 11 janvier 2022 de M. Philippe Tabarot qui vise à mieux intégrer les objectifs de développement du fret ferroviaire dans le contrat de performance. Les auteurs dressent le même constat que leurs collègues : le fret est le grand oublié des politiques publiques de transport de ce quinquennat (Pacte ferroviaire, loi d'orientation des mobilités, loi climat-résilience), très certainement parce que les colis ne votent pas.

L' Article 2 s'attaque quant à lui au carcan que constitue la « règle d'or » budgétaire introduite lors du nouveau pacte ferroviaire de 2018 en ce que le plafond du ratio est révisé à la hausse, de 6 à 18, revenant ainsi au niveau fixé par la loi du 4 août 2014 et permettant de couvrir le ratio actuel constaté qui est de 15. Cette augmentation du plafond incitera de facto SNCF Réseau à modifier ses statuts et par ricochet le gouvernement l'article 23 de l'annexe du décret n° 2019-1587 du 31 décembre 2019 approuvant les statuts de la société SNCF Réseau et portant diverses dispositions relatives à la société SNCF Réseau afin de prendre en compte cette nouvelle donne budgétaire. Les auteurs de la proposition de loi mettent également en avant la nécessité de revoir le ratio et le contrat de performance de Gares et Connexions, bien que ce ne soit pas l'objet de ce texte.

Dans la même logique, il est proposé de contraindre l'État à compenser tout écart constaté entre à la hausse concernant ce ratio afin de l'empêcher de continuer de donner des injonctions contradictoires au gestionnaire de réseau. Enfin, les auteurs de la présente proposition de loi disposent que pour en finir avec le malthusianisme budgétaire et être au rendez-vous de l'urgence écologique, SNCF Réseau ne doit plus être empêché de « contribuer au financement d'investissements de développement du réseau ferré national à l'exception des investissements de modernisation », quand bien même le plafond du ratio n'a pas été atteint comme le prévoit actuellement l'article L2111-10-1 du code des transports. Il en va de la survie du réseau ferré français !

Le contrat de performance de SNCF Réseau est la dernière brique de l'équilibre instable de la politique ferroviaire, et plus largement des transports, du premier quinquennat d'Emmanuel Macron. C'est pourtant la première pierre à poser pour se remettre dans la trajectoire carbone que la France et l'Union Européenne se sont fixées : -55% en 2030. Il ne peut pas être un simple « contrat d'assainissement financier » 12 ( * ) . Il faut le réviser sans attendre et déclarer un véritable état d'urgence ferroviaire !


* 1 http://www.assorail.fr/wp-content/uploads/2022/01/20220106-Avis-AFRA-sur-le-projet-de-Contrat-de-performance-Etat-SNCF-R%C3%A9seau.pdf

* 2 https://www.fnaut.fr/contrat-de-performance-de-sncf-reseau-un-grave-echec/

* 3 « Projet de contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État : encore une occasion manquée pour le développement du transport ferroviaire ! », communiqué de presse de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, 10 février 2022.

* 4 Bernard Roman, président de l'ART, lors de son audition devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat le 9 février 2022.

* 5 https://www.jean-jaures.org/publication/le-fer-contre-le-carbone-doubler-la-place-du-train-pour-une-vraie-transition-climatique/

* 6 https://www.contexte.com/actualite/transports/info-contexte-le-contrat-de-performance-de-sncf-reseau-a-ete-signe-2151883.html

* 7 https://www.lagazettedescommunes.com/817785/menace-sur-le-reseau-ferre-du-fait-dun-sous-investissement/

* 8 https://www.senat.fr/rap/r21-570/r21-5701.pdf

* 9 Carte réalisée par David Herrgott, spécialiste des questions ferroviaires, à partir des données publiques de SNCF Réseau et de l'ART.

* 10 A 19'20 https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/8h30-fauvelle-dely/tarifs-des-peages-polemique-autour-de-caroline-cayeux-et-sobriete-energetique-le-8h30-franceinfo-de-clement-beaune_5218498.html

* 11 https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/le-pdg-de-la-sncf-demande-100-milliards-sur-15-ans-pour-le-ferroviaire-1776562

* 12 https://www.senat.fr/presse/cp20220210.html

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