EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les Françaises et les Français aiment consommer du cannabis. Malgré plus de 50 ans de prohibition du cannabis, au niveau européen, la France se situe en tête de classement pour sa consommation. L'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies relève en 2022 que 47,3 % des Français ont expérimenté le cannabis au moins une fois dans leur vie, le plus haut chiffre enregistré dans l'Union européenne (la moyenne de l'Union européenne s'établit à 27 %). L'usage du cannabis au moins une fois dans l'année passée est aussi extrêmement élevé, plaçant la France en deuxième position (10,6 %) juste derrière la République tchèque (11,1 %).

Le cannabis est l'une des drogues les plus consommées en France, juste derrière l'alcool et le tabac. Selon les chiffres de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) publiés en 2022, le cannabis compte près de 1,3 million d'usagers réguliers et 850 000 quotidiens. Au total, près de 18 millions de Français ont déjà expérimenté le cannabis, dont 5 millions dans l'année.

Le cannabis n'est pas un produit anodin pour la santé des consommateurs. Pour autant, la prohibition a entravé toute politique de santé publique ambitieuse de réduction des risques. Le débat rationnel autour de sa consommation est étouffé par son interdiction. Les messages stigmatisant les consommateurs de la part des différents ministres n'offrent pas l'espoir d'une politique de prévention et de réduction des risques efficace ; les chiffres de la consommation, notamment des plus jeunes, le démontrent.

Le cannabis est un important produit d'appel pour les narcotrafiquants, en étant vendu au même endroit que d'autres produits illicites, plus nocifs. La répression, les opérations place nette, les amendes forfaitaires délictuelles ne dissuadent toujours pas les consommateurs de se rendre sur les points de deal. La France dispose pourtant d'une des législations les plus répressives à l'encontre du cannabis, aussi bien concernant son usage que son trafic. Depuis la loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie, et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses, ce sont plus d'une centaine de textes législatifs et réglementaires qui sont venus étoffer l'arsenal répressif. Conséquence directe de ces politiques, le nombre d'infractions constatées pour usage de cannabis est passé de 80 000 en 2000 à 150 000 en 2010 et 210 000 en 2021. Le dernier outil instauré en 2019, l'amende forfaitaire délictuelle, n'a donc entravé ni la consommation ni le trafic.

La prohibition a en revanche largement nourri financièrement les cartels et narcotrafiquants. Certains quartiers sont transformés en points de deal géants et les règlements de comptes pour posséder ces territoires font désormais des centaines de victimes chaque année. Les mises en scène des « opérations place nette » puis des « opérations place nette XXL », si elles peuvent soulager quelques jours les habitants de ces quartiers, n'ont aucun impact sur la disponibilité du produit, sur son prix ou sur sa consommation.

La politique française de lutte contre le cannabis est donc un échec total : échec sécuritaire et échec sanitaire.

Ce constat est partagé par le Conseil économique, social et environnemental. Dans son rapport de janvier 2023, adopté à une très large majorité, le CESE appelle à « sortir du statu quo » et à se diriger vers « une législation encadrée des usages dits récréatifs du cannabis ». Plutôt que de réprimer, le CESE appelle à réguler la production, la distribution et l'usage, à renforcer la prévention et la réduction des risques et à prévoir une taxe spécifique sur ces activités nouvellement autorisées.

Dans le reste de l'Europe aussi, les mentalités et les approches changent peu à peu. Malte a été le premier pays de l'Union européenne à légaliser la production, la détention et la consommation de cannabis - dans des limites strictement contrôlées. Le Luxembourg a suivi son exemple avec une législation similaire en juillet 2023. En avril 2024, l'Allemagne a franchi le cap et c'est de cet exemple qu'entend s'inspirer la présente proposition de loi.

Le projet de loi allemand récemment promulgué comporte un panel de mesures de bon sens, permettant à la fois de relâcher la pression sur les petits consommateurs, de concentrer les forces de l'ordre sur des missions plus importantes, de permettre la production et la distribution de cannabis sans pour autant livrer cette activité à une logique mercantile non régulée, de protéger efficacement les mineurs et de renforcer la lutte contre la prévention et les addictions, le tout, en prévoyant une évaluation des impacts de la réforme sur la société.

Ces mesures, parce qu'elles comportent un encadrement strict des quantités détenues et de la production via des associations, se prêtent tout à fait à l'expérimentation pour les territoires en France qui le souhaitent. Certaines villes françaises se sont déjà portées volontaires.

Pour sortir de l'approche binaire, la présente proposition de loi propose donc de permettre aux territoires volontaires d'expérimenter, pendant deux ans, les mesures d'encadrement de la production et de la consommation de cannabis sur le modèle de la nouvelle législation allemande. Cette approche permet d'offrir une opportunité aux consommateurs d'éviter d'avoir à nourrir les narcotrafics tout en n'ouvrant pas de marché spécifique pour le cannabis qui pourrait nourrir un trafic hors des territoires concernés. Il s'agit bien d'une expérimentation qui cible le consommateur ; elle n'obère pas une autre approche future plus générale qui pourrait ouvrir au commerce et à la fiscalisation de ce produit.

L'article premier constitue le coeur de la proposition de loi quant à l'expérimentation de la légalisation du cannabis avec plusieurs mesures :

- Définition des termes cannabis, plantes de cannabis, résines, huiles et produits de cannabis, qui ne pourront être constitués que de cannabis, sans ajout d'additif ;

- Autorisation, pour une personne majeure, de détenir jusqu'à 25 grammes de cannabis dans l'espace public et 50 grammes dans un lieu privé : des quantités qui ne permettent pas de trafic à grande échelle.

- Autorisation pour les particuliers de cultiver jusqu'à 3 plantes de cannabis maximum ;

- Autorisation de création d'associations de culture de cannabis, regroupant les particuliers désireux de mettre en commun leur production, avec interdiction de toute vente ou activité commerciale. Ces associations ne peuvent compter plus de 500 membres, elles sont autorisées à délivrer au maximum 50 grammes par mois à un de leur membre - dans la limite de 25 grammes par jour -, ne peuvent distribuer du cannabis dont le taux de tétrahydrocannabinol dépasse 10 % et ont interdiction d'accueillir des mineurs en leur sein ;

- Interdiction totale d'offrir ou vendre du cannabis à des mineurs, avec de lourdes sanctions pénales en cas de manquement ;

- Interdiction totale de la publicité pour le cannabis ;

- Interdiction totale de consommation dans l'espace public - sur ce point, la présente proposition de loi est plus restrictive que le texte allemand ;

- Création d'une Agence nationale du cannabis, chargée de mettre en oeuvre les dispositions du présent article et de coordonner la politique de prévention et de réduction des risques.

L'article 2 prévoit une évaluation de la loi, par le biais d'un rapport du Gouvernement remis au Parlement un an après sa promulgation.

L'article 3 gage les éventuelles conséquences financières de la loi pour l'État.

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