EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Commission européenne a présenté le 4 mars 2020 sa proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant le règlement (UE) 2018/1999, dite loi européenne sur le climat.

Il s'agit d'un élément politiquement et symboliquement important du « pacte vert pour l'Europe », qui affiche clairement les ambitions de l'Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique. Cette proposition de règlement fixe ainsi un cap ambitieux : l'atteinte de la neutralité carbone à l'horizon 2050.

Les politiques en matière d'environnement, dont la lutte contre le changement climatique, et d'énergie relèvent des compétences partagées entre l'Union et les États membres, en application de l'article 4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Cette proposition de règlement a donc été transmise par la Commission européenne aux parlements nationaux pour qu'ils examinent sa conformité au principe de subsidiarité défini à l'article 5 du traité sur l'Union européenne 1 ( * ) , selon les modalités prévues au protocole n° 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité annexé aux traités.

La commission des affaires européennes du Sénat avait tracé en 2018 2 ( * ) certaines lignes directrices concernant son approche du contrôle de subsidiarité, qu'elle rappelle à l'occasion de cet examen. Elle avait notamment dénoncé le court délai imparti aux parlements nationaux pour exercer leur contrôle. De fait, en l'espèce, ce contrôle a été rendu particulièrement difficile dans ce délai en raison du confinement imposé par l'épidémie de COVID-19.

Le Vice-président de la Commission européenne en charge des relations interinstitutionnelles et de la prospective, M. Maro efèoviè, a adressé au Président du Sénat, le 8 avril 2020, une lettre précisant la manière dont la Commission prendra en compte ce contexte particulier. Elle relève que le délai de huit semaines fixé dans le protocole n° 2 annexé aux traités pour permettre aux parlements nationaux d'évaluer la conformité des projets d'actes législatifs de la Commission avec les principes de subsidiarité et de proportionnalité ne peut pas être prorogé. Elle indique toutefois que la Commission s'engage à tenir compte autant que possible des résolutions des parlements nationaux exprimant des préoccupations quant à la conformité d'un texte avec ces principes et à y répondre publiquement, même si ces résolutions devaient lui parvenir après l'expiration du délai de huit semaines à cause de la crise du COVID-19. De tels avis tardifs ne pourraient en revanche pas être légalement pris en compte en vue d'atteindre les seuils de déclenchement de la procédure du carton jaune ou du carton orange.

La commission des affaires européennes réitère donc à cette occasion son souhait que ce délai soit porté de huit à au moins dix semaines et qu'un délai de douze semaines soit imparti à la Commission pour répondre à un avis motivé. Une suspension de ces délais pourrait en outre être prévue en cas de circonstances exceptionnelles comme celle de l'épidémie de COVID-19. La mise en oeuvre de ces propositions nécessiterait une modification du protocole n° 2 précité.

S'agissant plus spécifiquement de l'appréciation de la proposition de règlement COM(2020) 80 final au regard du principe de subsidiarité, plusieurs éléments peuvent être relevés :

1. la Commission propose d'inscrire dans la législation européenne, selon la procédure législative ordinaire, l'objectif de neutralité climatique de l'Union européenne d'ici 2050. Cet objectif serait évalué globalement au niveau de l'Union. Cette appréciation globale implique, à un degré à ce stade inconnu, une solidarité entre les États membres : certains pourraient ainsi ne pas atteindre l'objectif, tandis que d'autres le dépasseraient.

Pour sa part, la France a déjà retenu un objectif identique au niveau national dans la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat.

Les conclusions du Conseil européen du 12 décembre 2019 précisent que « le Conseil européen fait sien l'objectif consistant à parvenir d'ici 2050 à une UE neutre pour le climat, conformément aux objectifs de l'accord de Paris. Un État membre, à ce stade, ne peut s'engager à mettre en oeuvre cet objectif en ce qui le concerne, et le Conseil européen reviendra sur ce point en juin 2020 ».

Le Parlement européen avait, pour sa part, adopté le 28 novembre 2019 une résolution demandant à l'Union européenne de fixer la neutralité carbone à l'horizon 2050 comme objectif à long terme pour le climat.

La commission des affaires européennes considère que la fixation d'un objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 au niveau de l'Union dans son ensemble présente une valeur ajoutée européenne, une action coordonnée au niveau de l'Union pouvant effectivement compléter et étayer les mesures prises par les États membres et ainsi renforcer l'action pour le climat. Dans son principe, cette mesure marquant une ambition élevée en matière de lutte contre le changement climatique au niveau de l'Union, cohérente avec les objectifs de l'Accord de Paris sur le climat 3 ( * ) , apparaît ainsi justifiée au regard du principe de subsidiarité.

2. le texte proposé par la Commission inclut la perspective d'une révision à la hausse de l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030, validé par le Conseil européen le 24 octobre 2014 et décliné en 2018 par le règlement sur la répartition de l'effort entre les États membres 4 ( * ) . La Commission devrait ainsi réexaminer d'ici septembre 2020 l'objectif spécifique de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'Union à l'horizon 2030, en vue de le porter de 40 % à 50 % voire 55 % par rapport aux niveaux de 1990. Des propositions de modifications législatives européennes pourraient alors être proposées en ce sens d'ici le 30 juin 2021 au plus tard.

Le Parlement européen, dans une résolution adoptée le 28 novembre 2019, a appelé à relever cet objectif de réduction des émissions à l'horizon 2030 à 55 %.

Cette perspective de rehaussement de l'ambition de l'Union à l'horizon 2030 peut apparaître cohérente avec l'objectif élevé que la proposition de règlement fixe d'ici 2050.

L'étude d'impact concernant les cibles de réduction envisagées à l'horizon 2030 aurait toutefois dû être présentée en même temps que la proposition de règlement pour apprécier la proportionnalité de cette proposition qui ne fait pas aujourd'hui l'objet d'un consensus entre les États membres.

L'Agence européenne pour l'environnement a d'ailleurs souligné l'importance des efforts nécessaires pour respecter l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % à l'horizon 2030, qui avait été validé en 2014 par le Conseil européen, à l'unanimité, avant d'être décliné dans le cadre de la procédure législative ordinaire. Par parallélisme des formes, il conviendrait que la décision de rehausser le niveau de l'ambition à l'horizon 2030 soit approuvée par le Conseil européen avant d'être validée dans le cadre de cette proposition de règlement au terme de la procédure législative ordinaire.

3. Les articles 5 et 6 de la proposition de règlement précisent, respectivement, les modalités d'évaluation des progrès et des mesures de l'Union ainsi que les modalités d'évaluation des mesures nationales, s'agissant de la réalisation de l'objectif de neutralité climatique et des progrès en matière d'adaptation au changement climatique.

Le principe d'une évaluation est nécessaire pour assurer un suivi effectif d'un objectif contraignant. Il se justifie également au regard des investissements exigés pour atteindre cet objectif et des financements qui seront octroyés à cette fin par l'Union européenne.

Les services de la Commission ont à cet égard souligné la correspondance entre les dispositions de l'article 6 de cette proposition de règlement et celles des articles 13 et 34 du règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat. Le champ de ces deux textes est toutefois différent.

La proposition de règlement COM(2020) 80 final prévoit qu'à partir de 2023 et tous les cinq ans ensuite, la Commission évalue les progrès réalisés et puisse adresser des recommandations à un État membre si les mesures qu'il a adoptées sont incompatibles avec l'objectif de neutralité climatique ou inappropriées pour améliorer la capacité d'adaptation au changement climatique.

La procédure d'évaluation des mesures nationales renvoie notamment à la trajectoire entre 2030 et 2050 que la Commission souhaite définir par voie d'actes délégués, en s'appuyant sur des éléments très larges : besoins et possibilités d'investissement ; nécessité de faire en sorte que la transition soit juste et socialement équitable ; évolution de la situation et efforts entrepris au niveau international pour atteindre les objectifs à long terme de l'accord de Paris et l'objectif ultime de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques ; meilleures données scientifiques disponibles et les plus récentes, y compris les derniers rapports du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).

Il conviendrait donc de clarifier cette procédure d'évaluation des mesures nationales, notamment au regard des stipulations de l'article 194, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui affirme le droit pour un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique.

S'il est légitime, dès lors que l'Union se fixe un objectif, que la Commission veille à en assurer le respect, le principe de subsidiarité impose parallèlement de veiller à ce qu'elle n'interfère pas de manière excessive dans les compétences des États membres au travers des recommandations qu'elle pourrait leur adresser.

4. Au cours de la période allant de 2030 à 2050, la Commission propose de se voir habilitée, selon les modalités prévues par l'accord interinstitutionnel du 13 avril 2016 « Mieux légiférer » 5 ( * ) , à adopter des actes délégués pour définir la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre en vue d'atteindre l'objectif de neutralité climatique d'ici 2050. Elle considère que « la mise en place d'une gouvernance solide dans la perspective de l'objectif de neutralité climatique à l'horizon 2050 contribuera à faire en sorte que l'UE reste sur la bonne voie pour atteindre cet objectif ».

Les actes délégués et les actes d'exécution ne sont pas aujourd'hui transmis aux parlements nationaux aux fins de contrôle du respect du principe de subsidiarité, alors qu'ils constituent des compléments des actes législatifs qui, eux, sont soumis à ce contrôle.

Le recours aux actes délégués est encadré par l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Il stipule ainsi qu'« un acte législatif peut déléguer à la Commission le pouvoir d'adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif. (...) Les éléments essentiels d'un domaine sont réservés à l'acte législatif et ne peuvent donc pas faire l'objet d'une délégation de pouvoir ».

Or la définition de la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre n'est pas une définition technique ni mécanique. C'est une décision éminemment politique qui emporte, dans chaque État membre, des conséquences économiques et sociales, technologiques et industrielles, mais aussi en termes d'aménagement du territoire. Elle doit donner aux acteurs de l'économie et aux investisseurs de la prévisibilité sur la durée complète d'un cycle d'investissement. Pour être mise en oeuvre avec succès, elle doit être pleinement acceptée par les États membres. La définition de la trajectoire doit ainsi être considérée comme un élément essentiel de cette proposition de règlement, ce qui interdit le recours envisagé aux actes délégués. Cette conclusion est partagée par une étude des services du Parlement européen réalisée à la demande de sa commission ENVI.

En outre, alors que l'Union européenne s'est jusqu'à présent fixé des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre avec des points d'étape tous les 10 ans (2020, 2030), on observe que le texte proposé par la Commission ne comporte pas de mention d'un objectif spécifique à l'horizon 2040.

*

Pour ces raisons, et bien que le principe de la fixation d'un objectif de neutralité climatique de l'Union dans son ensemble à l'horizon 2050 lui paraisse justifié au regard de la répartition des compétences entre les États membres et l'Union, la commission des affaires européennes a estimé que la proposition de règlement ne respecte pas le principe de subsidiarité. Elle a, en conséquence, adopté l'avis motivé suivant :


* 1 « En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union ».

* 2 Rapport d'information du Sénat n° 456 (2017-2018) sur la contribution du Sénat au groupe de travail « Subsidiarité et proportionnalité » de la Commission européenne, fait au nom de la commission des affaires européennes par MM. Jean BIZET, Philippe BONNECARRÈRE et Simon SUTOUR, 20 avril 2018.

* 3 L'article 4 de l'Accord de Paris stipule qu'en vue de contenir l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l'action menée pour limiter l'élévation de la température à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels, « les Parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais, étant entendu que le plafonnement prendra davantage de temps pour les pays en développement Parties, et à opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux meilleures données scientifiques disponibles de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle, sur la base de l'équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté ».

* 4 Règlement (UE) 2018/842 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l'action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris et modifiant le règlement (UE) n° 525/2013.

* 5 Le pouvoir d'adopter des actes délégués serait confié à la Commission pour une durée indéterminée mais pourrait être révoqué à tout moment par le Parlement européen ou le Conseil, qui recevraient une notification de chaque acte délégué adopté par la Commission et pourraient formuler des objections dans un délai de deux mois (éventuellement prolongé de deux mois). Les experts désignés par les États membres seraient consultés avant l'adoption de tout acte délégué.

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