EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

À l'initiative de la commission des affaires européennes, le Sénat avait adopté, le 11 février dernier, une première résolution européenne sur le cadre financier pluriannuel de l'Union européenne pour la période 2021-2027 1 ( * ) .

Un Conseil européen s'était ensuite tenu, les 20 et 21 février 2020, sur la base de propositions formulées par le Président du Conseil Charles Michel. Il n'avait pu aboutir à un accord.

Ø Un cadre financier bouleversé par la pandémie de Covid-19 et ses conséquences

Depuis lors, la pandémie de Covid-19 , qui a entraîné le décès de près de 130 000 citoyens de l'Union 2 ( * ) et provoqué une crise économique historique 3 ( * ) , a rebattu les cartes et amené les différentes institutions de l'Union à prendre des mesures d'urgence de grande ampleur.

Ces mesures sont retracées de manière précise dans les flash info de la commission des affaires européennes sur la réponse de l'Union européenne à la crise de la Covid-19, disponibles en ligne sur le site Internet du Sénat 4 ( * ) . Signalons en particulier que l'Eurogroupe élargi a acté, le 9 avril, un compromis sur le déclenchement d'un plan d'aide aux États membres à hauteur de 540 milliards d'euros au travers de trois instruments : l'activation du mécanisme européen de stabilité (jusqu'à 240 milliards), un fonds de garantie paneuropéen hébergé à la Banque européenne d'investissement (200 milliards) et l'instrument SURE de soutien aux dispositifs nationaux de chômage partiel (100 milliards), sans que le montant de la garantie apportée par les États membres soit précisée à ce stade. La Banque centrale européenne a de son côté mis en oeuvre un programme d'urgence de rachat d'actifs pandémie (PEPP), dont l'enveloppe atteint désormais 1 350 milliards d'euros.

Compte tenu de l'ampleur de la crise économique résultant de la pandémie, un débat est rapidement apparu pour aller au-delà de ces premières mesures d'urgence, afin de mettre en place un plan de relance très significatif.

Le 15 mai, le Parlement européen adoptait une résolution enjoignant la Commission à présenter un plan de relance de 2 000 milliards d'euros, en insistant pour que le fonds de relance soit « lié au CFP actuel et futur et aligné sur sa structure et ses objectifs ». La résolution demandait également que « le plan de relance s'inscrive dans un CFP revu à la hausse qui comporte de nouvelles ressources propres » et prônait « l'augmentation immédiate et permanente du plafond des ressources propres afin de répondre aux besoins du CFP et du Fonds de relance et de transformation et de tenir compte de la baisse prévisible du RNB après la récession provoquée par la crise ». Le Parlement européen mettait en garde la Commission contre des annonces pouvant apparaître trompeuses et émettait des réserves sur la temporalité des mesures de relance. Sa résolution relevait ainsi que « la concentration des ressources en début de période peut contribuer à atténuer les effets immédiats de la crise, notamment dans le cadre de la politique de cohésion, mais qu'elle ne permet pas de disposer de moyens supplémentaires et qu'il ne faut donc pas affirmer publiquement que c'est le cas ».

Le Parlement européen soulignait à cet égard « qu'une concentration trop importante des ressources en début de période affaiblira le budget, ce qui empêchera l'Union d'investir dans son avenir commun et la rendra plus vulnérable à d'autres crises ».

Le 18 mai 2020, le Président de la République française et la chancelière allemande dévoilaient une « initiative franco-allemande pour la relance européenne face à la crise du coronavirus ». Celle-ci indiquait en particulier que « pour soutenir une reprise durable qui rétablisse et renforce la croissance dans l'UE, l'Allemagne et la France soutiennent la création d'un Fonds de relance ambitieux, temporaire et ciblé, dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel (CFP), et une augmentation du CFP concentrée sur ses premières années. Compte tenu du caractère exceptionnel des difficultés que la pandémie de COVID-19 fait peser sur les économies dans l'ensemble de l'UE, la France et l'Allemagne proposent d'autoriser la Commission européenne à financer ce soutien à la relance en empruntant sur les marchés au nom de l'UE sur une base juridique respectant pleinement le Traité européen, le cadre budgétaire de l'UE et les droits des parlements nationaux ». L'initiative franco-allemande proposait ainsi de doter ce fonds de « 500 milliards d'euros en dépenses budgétaires de l'UE pour les secteurs et régions les plus touchés, sur la base des programmes budgétaires de l'UE et dans le respect des priorités européennes ».

Le 23 mai, quatre États dits « frugaux » - l'Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède, présentaient une contre-proposition refusant la perspective d'une mutualisation de dettes au niveau de l'Union, prônant la mise en place à titre temporaire (deux ans) d'un fonds octroyant des prêts plutôt que des subventions afin de favoriser la reprise économique et appelant à une modernisation du cadre financier pluriannuel, afin de contenir le montant des contributions nationales au financement de l'Union.

Ø Une nouvelle proposition de la Commission européenne comprenant à la fois un cadre financier pluriannuel révisé et un instrument de relance de l'Union

C'est dans ce contexte que la Commission européenne a présenté, le 27 mai, à la fois une nouvelle proposition de cadre financier pluriannuel pour les années 2021-2027 et une proposition de plan de relance de 750 milliards d'euros , intitulé « Next Generation EU », pour faire face aux conséquences de la crise de la Covid-19.

Cet instrument de relance « Next Generation EU », qui reprend de nombreux points de l'initiative franco-allemande, viendrait compléter et « renforcer », à titre exceptionnel et temporaire, pour des engagements au cours de la période 2021-2024, les dépenses inscrites dans le cadre financier pluriannuel.

La Commission souhaite utiliser ces montants exceptionnels pour rendre l'Europe plus verte, plus digitale et plus résiliente . Face aux critiques de certains États membres, elle réaffirme donc ses priorités politiques et en particulier l'ambition du pacte vert pour l'Europe.

Les trois piliers du plan « Next Generation EU »

La commission des affaires européennes considère qu' une réaction rapide et ambitieuse de l'Union, dans le respect des compétences des États membres, est légitime et pertinente. Au travers de cet effort d'une ampleur inédite, l'Union fait ainsi preuve de réactivité et d'innovation, réaffirme ses valeurs de solidarité, veille à apporter aux États membres un soutien pertinent au regard des priorités de l'action de l'Union et préserve le marché unique, tous les États membres n'ayant pas la même capacité à répondre aux conséquences économiques et sociales de la crise.

Elle souhaite affirmer à cette occasion que la transition vers une économie plus verte ne doit pas être synonyme de décroissance et souligne la nécessité de concilier lutte contre les dérèglements climatiques, développement durable, développement économique et inclusion sociale. L'Union européenne ne doit ainsi se priver d'aucune technologie, que ce soit en matière d'énergie, d'industrie ou d'agriculture, afin d'atteindre les objectifs ambitieux qu'elle s'est assignés , en particulier en termes de neutralité climatique et de sobriété énergétique.

Elle insiste également sur la nécessité de renforcer la résilience de l'économie et de la base industrielle de l'Union européenne , ce qui suppose notamment une modernisation de la politique de la concurrence ainsi qu'une optimisation et une réactivité accrue des outils de défense commerciale face aux pratiques commerciales déloyales . Il apparaît en effet essentiel que les entreprises et les citoyens de l'Union soient pleinement bénéficiaires des moyens financiers nouveaux proposés par la Commission européenne.

Elle souligne enfin que la concentration des engagements de dépenses exceptionnelles sur une période relativement courte (2021-2024), justifiée au regard de la nécessité de relancer rapidement l'économie européenne, soulève des enjeux importants en termes de capacité de mise en oeuvre, d'ingénierie et d'absorption de ce volume de dépenses ainsi que de concordance entre la réponse de court terme et son inscription dans une stratégie de long terme.

Ø Des enjeux qui demeurent concernant le cadre financier pluriannuel « socle »

Le cadre financier pluriannuel « socle » serait arrêté à 1 100 milliards d'euros (prix 2018), soit une voie intermédiaire entre la proposition initiale que la Commission avait présentée en mai 2018 (1 134,6 milliards d'euros) et la proposition de la présidence finlandaise du Conseil en décembre 2019 (1 087,3 milliards d'euros), très proche de celle proposée par le Président du Conseil européen Charles Michel, mi-février (1 094,8 milliards d'euros). Elle est en tout état de cause très en deçà des propositions formulées à l'origine par le Parlement européen, qui prônait des dépenses atteignant 1 324 milliards d'euros.

Cette comparaison doit toutefois être analysée avec précaution, certaines dépenses du cadre « socle » étant complétées par les crédits inscrits au titre du plan de relance de 750 milliards d'euros, même si celui-ci présente un caractère extraordinaire et temporaire. La Commission européenne présente d'ailleurs les sommes au titre de la période 2021-2027 de manière agrégée, en cumulant les sommes inscrites dans le cadre financier pluriannuel « socle » et celles de l'instrument de relance « Next Generation EU ».

Si l'attention semble désormais se porter davantage sur ce nouvel instrument, la commission des affaires européennes considère que le caractère novateur de l'instrument de relance ne doit pas conduire à négliger les négociations relatives au cadre financier pluriannuel « socle » pour les années 2021 à 2027.

Comparaison des propositions présentées par la Commission européenne en mai 2018 et en mai 2020

(en engagements,
en millions d'euros, prix de 2018)

Sources et remarques méthodologiques : Tableau simplifié. Les données relatives aux propositions de mai 2018 et mai 2020 ont été établies à partir des « niveaux globaux des engagements par programme pour toute la durée du cadre financier pluriannuel » présentés par la Commission européenne dans ses communications du 2 mai 2018 (« Un budget moderne pour une Union qui protège, qui donne les moyens d'agir », COM(2018) 321 final) et du 27 mai 2020 (« Le budget de l'Union : moteur du plan de relance pour l'Europe », COM(2020) 442 final). Les données relatives au CFP 2014-2020 sont issues de la note du secrétariat de la commission des budgets du Parlement européen intitulée « A preliminary analysis of President Michel's figures », en date du 18 février 2020, et des tableaux détaillés annexés.

Au cours des précédentes étapes de négociation, les montants de crédits et les comparaisons entre les différentes propositions avaient souvent été exprimées en pourcentage du revenu national brut (RNB) de l'Union à 27 États membres (UE-27). Le RNB ayant été réduit par la crise de la Covid-19, si l'on retient cette méthode, les 1 100 milliards d'euros de mai 2020 correspondraient à 1,12 % du RNB de l'UE-27 (les propositions de la Commission s'élèveraient même à 1,17 % du RNB en prenant en compte les instruments hors plafond), alors que les 1 134 milliards de mai 2018 correspondaient à 1,11 % du RNB de l'UE-27. Les débats actuels s'appuient donc moins sur cette approche rapportant les crédits au RNB, et davantage sur les montants réels.

La baisse des crédits inscrits dans la proposition de CFP « socle » par rapport à la proposition de mai 2018 est par ailleurs tempérée à certains égards par l'abondement de certaines lignes budgétaires via le plan de relance de 750 milliards d'euros, même si celui-ci présente un caractère extraordinaire et temporaire.

Par rapport aux enjeux mis en avant par le Sénat dans sa résolution européenne du 11 février 2020, l'évolution du cadre financier pluriannuel « socle » appelle plus particulièrement les observations suivantes.

Le premier pilier de la PAC gagne 4 milliards d'euros par rapport à la proposition initiale de la Commission qui était jugée décevante, et le second pilier 5 milliards d'euros. En outre, le second pilier bénéficierait de 15 milliards d'euros supplémentaires à titre exceptionnel dans le cadre du plan de relance, afin de favoriser la transition verte affirmée dans la « stratégie de la ferme à la table ». L'augmentation des crédits de la PAC, et singulièrement la revalorisation du premier pilier que le Sénat appelait de ses voeux, va indéniablement dans le bon sens. L'effort demeure toutefois insuffisant pour répondre aux orientations défendues par le Sénat , qui entend réaffirmer le caractère stratégique de la PAC, alors que la stratégie « de la ferme à la table » suscite des interrogations sur l'approche économique du développement de l'agriculture européenne, ainsi que la nécessité de renforcer le premier pilier, dont elle souligne l' importance pour les régions ultra-périphériques .

La politique de cohésion demeure une politique stratégique et voit son importance accrue par les crédits exceptionnels du plan de relance, au titre du nouveau programme intitulé REACT-EU doté de 50 milliards en 2021 et 2022 (auxquels s'ajouteraient 5 milliards en 2020). Néanmoins, on observe, par rapport à la proposition initiale de mai 2018, que les crédits inscrits sur le CFP socle au titre du FEDER, des fonds de cohésion et du FSE diminuent globalement de près de 8 milliards d'euros : les 50 milliards d'euros issus du plan de relance ne correspondent donc pas à un gain net. La communication de la Commission précise qu'afin de garantir un soutien suffisant aux États membres et aux régions qui en ont le plus besoin, un réexamen des dotations nationales au titre de la cohésion serait opéré en 2024, tenant compte des statistiques les plus récentes disponibles, et pourrait donner lieu à des ajustements à la hausse uniquement, dans la limite de 10 milliards d'euros pour l'ensemble des États membres.

Le fonds européen de la défense se verrait doter de 8 milliards d'euros, soit 3,4 milliards d'euros de moins que dans la proposition initiale de la Commission européenne , les crédits consacrés à la mobilité militaire étant par ailleurs sabrés (1,5 milliard d'euros contre 5,7 initialement). Même si la nouvelle proposition de la Commission est plus satisfaisante que celles présentées par la présidence finlandaise du Conseil puis par le Président du Conseil européen, le montant de crédits que la Commission propose désormais d'allouer à ce fonds n'apparaît à la hauteur de l'ambition affichée visant à affirmer l'autonomie stratégique européenne.

La commission des affaires européennes considère que le fonds européen de la défense ne peut pas être une variable d'ajustement et réaffirme les positions adoptées par le Sénat en février 2020, en vue de relever le montant des crédits alloués à ce fonds à la hauteur de l'ambition initiale de la Commission.

La politique spatiale européenne bénéficierait de 13,2 milliards d'euros, soit un milliard de moins qu'envisagé en mai 2018. Même si la nouvelle proposition de la Commission est plus satisfaisante que celles présentées par la présidence finlandaise du Conseil puis par le Président du Conseil européen, compte tenu de l'importance de la politique spatiale européenne pour l'autonomie stratégique de l'Union, la présente proposition réitère le souhait du Sénat de voir ces crédits relevés à hauteur de l'ambition initiale de la Commission.

Le Sénat avait salué l'accord de principe intervenu pour mettre en place un instrument budgétaire de convergence et de compétitivité (IBCC) au sein de la zone euro, même s'il avait regretté que son volume ainsi que les modalités d'allocation des crédits soient incompatibles avec l'objectif initial d'instaurer un instrument budgétaire à vocation de stabilisation macroéconomique. La nouvelle proposition de CFP, loin de remédier à ce manque d'ambition, supprime purement et simplement la ligne dédiée à l'IBCC , qui serait d'une certaine manière remplacé par la nouvelle facilité pour la reprise et la résilience incluse dans le plan de relance, même si celle-ci ne comporte pas à ce stade de cadre d'analyse et de gouvernance spécifiquement dédié à la zone euro. Il convient donc de faire preuve de vigilance sur ce point. Il apparaît nécessaire à la commission des affaires européennes de réinstaurer un mécanisme de gouvernance et un cadre d'analyse propres à la zone euro, et ce de manière durable, les outils du plan de relance n'ayant qu'une durée limitée.

La présente proposition de résolution regrette la réduction des crédits consacrés au programme Erasmus + , par rapport à la proposition de mai 2018, alors qu'il s'agit d'un programme emblématique de la politique européenne, qui contribue à la rendre concrète auprès des populations. Elle salue en revanche la création d'un programme « UE pour la santé » , conformément aux préconisations de l'initiative franco-allemande. Doté de 1,7 milliard d'euros dans le CFP socle, il bénéficierait de 7,7 milliards d'euros supplémentaires provenant du plan de relance.

Elle réaffirme enfin les positions adoptées par le Sénat concernant la nécessité :

- de consacrer des crédits adéquats au financement du projet « International Thermonuclear Experimental Reactor » (ITER) devra bénéficier des crédits adéquats pour permettre, dans le respect des engagements pris, la conduite de ses travaux en vue de créer, pour l'avenir, une source durable d'énergie sûre et respectueuse de l'environnement. Or, selon les données recueillies lors des auditions, une réduction de l'enveloppe consacrée à ce programme est envisagée ;

- de dédier à l' agence Frontex un budget lui permettant de mettre en oeuvre le mandat renforcé qui lui a été confié en 2019.

Ø Un instrument de relance comprenant à la fois des subventions, des garanties et des prêts

Les 750 milliards d'euros de l'instrument de relance seraient répartis en 500 milliards d'euros de subventions et garanties et 250 milliards d'euros de prêts. Ils se décomposent schématiquement en deux blocs.

D'une part, 190 milliards d'euros de crédits divers viendraient renforcer à titre exceptionnel les politiques inscrites au cadre financier pluriannuel, dans le cadre des programmes préexistants ou de nouveaux programmes : outre les éléments déjà relevés concernant la PAC, la cohésion, et la santé, les programmes InvestEU (+ 30 milliards d'euros) et Horizon Europe (+ 13,5 milliards d'euros) et le Fonds européen d'investissement stratégique (+ 26 milliards d'euros) bénéficieraient de cette nouvelle enveloppe afin de favoriser les investissements stratégiques et de soutenir la solvabilité des entreprises. Les crédits inscrits au titre du plan de relance ne correspondent toutefois pas à des majorations nettes, les crédits inscrits sur le CFP « socle » enregistrant des baisses.

Cet accent mis sur les investissements stratégiques et la solvabilité des entreprises apparaît essentiel pour la résilience de l'économie européenne. La nouvelle facilité d'investissement stratégique, qui formera un nouveau volet d'InvestEU, devrait en effet contribuer à renforcer l'autonomie du marché unique de l'Union en contribuant à mettre en place des chaînes de valeur indépendantes, fortes et résilientes, dans des domaines tels que les infrastructures critiques, les technologies écologiques et numériques et les soins de santé. Les garanties prévues en faveur de la Banque européenne d'investissement, dont il convient de souligner le rôle important, permettront ensuite de mobiliser des capitaux privés en exerçant un effet de levier.

Le fonds pour une transition juste bénéficierait de 30 milliards d'euros en complément des 10 milliards d'euros inscrits dans le cadre financier pluriannuel « socle ». Ce complément apparaît nécessaire en vue d'accompagner la transition vers une économie plus verte et les mutations socio-économiques indispensables dans les territoires les plus touchés. Dans sa résolution du 11 février 2020, le Sénat soulignait en effet la nécessité d'accompagner certains territoires et certaines filières confrontés à d'importants défis de reconversion.

Le plan de relance viendrait également renforcer les dépenses de « résilience » , notamment la sécurité civile (RescEU, + 2 milliards d'euros, dont 1,9 milliard net compte tenu d'une baisse de 100 millions d'euros par rapport à la proposition de mai 2018), et les crédits consacrés à l'instrument de voisinage , de coopération au développement et de coopération internationale (IVCDCI, + 10,5 milliards d'euros soit + 6,8 milliards d'euros net par rapport à la proposition de mai 2018) ainsi qu'à l'aide humanitaire (+ 5 milliards d'euros).

D'autre part, un nouvel instrument de grande ampleur, pièce maîtresse du plan de relance, serait créée : la facilité pour la reprise et la résilience, dotée de 560 milliards d'euros. Elle comprendrait deux enveloppes : 310 milliards d'euros de subventions et 250 milliards d'euros de prêts.

Cette « facilité » servirait à financer des dépenses en phase avec les priorités de l'Union (transition écologique et numérique, résilience des économies nationales), et s'inscrirait dans le cadre du Semestre européen. Cette inscription dans le cadre du Semestre européen impliquera donc un dialogue exigeant entre les États membres et la Commission lors de l'examen des programmes nationaux de réforme. Les programmes nationaux de réforme intégreront en effet à l'avenir des plans nationaux pour la reprise et la résilience. La Commission précise qu'elle évaluera ces plans « au regard de leurs effets sur la durabilité compétitive, la résilience économique et sociale, la croissance durable et les transitions écologique et numérique des États membres ». Compte tenu de l'importance de ce dialogue, la commission des affaires européennes demande un renforcement de l'implication des Parlements nationaux dans la mise en oeuvre et le suivi du Semestre européen.

La Commission indique, s'agissant des subventions, qu'« un montant maximum par État membre sera déterminé sur la base d'une clé de répartition prédéfinie, qui tient compte de la population, du PIB par habitant et du chômage. La clé sera particulièrement bénéfique pour les pays les plus touchés par la crise, notamment ceux caractérisés par un faible revenu par habitant et un chômage élevé ».

Selon les informations recueillies auprès de la direction du Budget, la France pourrait ainsi bénéficier de 10,4 % des subventions de cette facilité, soit environ 32 milliards d'euros, et serait le troisième État membre bénéficiaire du volet subventions de cette facilité , après l'Italie et l'Espagne qui en recevraient environ 20 % chacune.

A ce stade, compte tenu des conditions actuelles de financement sur les marchés, il n'apparaît pas certain que la France ait un intérêt à solliciter un prêt dans le cadre de cette facilité.

Les annexes à la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant une facilité pour la reprise et la résilience (COM(2020) 408 final) fournissent une ventilation indicative des crédits de cette facilité au cours des années 2021 à 2027.

Ventilation indicative par année des prêts et subventions accordés au titre de la facilité pour la reprise en la résilience

(en millions d'euros, en prix courants)

Source : proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant une facilité pour la reprise et la résilience (COM(2020) 408 final).

Remarque méthodologique : les données figurant dans ce tableau sont exprimées en euros courants et non en euros 2018, ce qui explique que les montants soient supérieurs aux 310 milliards de subventions et 250 milliards de prêts évoqués par ailleurs, qui correspondent à des données en euros 2018.

Le taux de retour global de la France sur l'ensemble des crédits du plan de relance n'est pas connu de manière précise à ce stade. Un montant de 39 milliards d'euros de crédits pour la France a été évoqué dans la presse mais les services interrogés ne l'ont pas confirmé, certains éléments du plan restant à préciser, notamment la clé de répartition au titre du programme REACT-EU.

Ø Un financement levé sur les marchés, à une hauteur inédite, qui conduit à mettre l'accent sur le besoin de financement futur de l'Union

Pour assurer le financement de ces 750 milliards d'euros, la Commission émettrait des obligations sur les marchés financiers au nom de l'Union européenne. Les fonds empruntés seraient remboursés à partir de 2028 et potentiellement jusqu'en 2058.

Les 250 milliards d'euros de fonds empruntés, qui seraient octroyés sous la forme de prêts aux États membres dans le cadre de la facilité pour la reprise et la résilience, seraient remboursés par les États membres bénéficiaires de ces prêts. Les 500 milliards d'euros empruntés aux fins de subventions et garanties feraient pour leur part l'objet d'une mutualisation au niveau de l'Union : les États membres contribueraient à leur remboursement non pas en fonction des aides reçues mais au travers de la clé de répartition classique des contributions nationales au financement de l'Union.

La Commission propose en conséquence d' augmenter le plafond des ressources propres de l'Union (+ 0,6 point de pourcentage chacun pour le plafond des crédits pour paiements et celui des crédits pour engagements) afin d' augmenter la marge de manoeuvre , c'est-à-dire la différence entre ce plafond des ressources propres et les dépenses réelles, cette marge de manoeuvre faisant office de garantie.

La Commission européenne relève que « des ressources financières d'une ampleur exceptionnelle sont nécessaires pour faire face aux conséquences de la crise de la COVID-19, sans accroître la pression exercée sur les finances des États membres à un moment où les budgets de ces derniers sont déjà très fortement sollicités pour financer les mesures économiques et sociales liées à la crise qui sont prises au niveau national ».

La Commission précise qu'« étant donné que cet instrument est une réponse exceptionnelle à des circonstances temporaires mais extrêmes, le pouvoir d'emprunter conféré à la Commission dans le cadre de la présente décision est clairement limité en termes de volume, de durée et de portée. Cela écarte la possibilité d'utiliser les pouvoirs exceptionnels au titre de la présente proposition à d'autres fins que pour faire face aux conséquences économiques et sociales directes de la pandémie de COVID-19. »

L'échéance moyenne de la dette contractée par l'UE serait comprise entre 5 et 20 ans, des échéances plus longues (allant jusqu'à 30 ans) pouvant être envisagées. La proposition de décision du Conseil précitée prévoit également la possibilité pour l'Union de reconduire la dette lorsque cela s'avère avantageux en termes de gestion des engagements.

En tout état de cause, la proposition de décision du Conseil sur le système des ressources propres (COM(2020) 445 final) précise que le remboursement annuel de la dette, entre 2028 et 2058 au plus tard, serait plafonné à 7,5 % du montant maximal des sommes empruntées et irait en diminuant au fur et à mesure des remboursements opérés.

L'autorisation d'emprunt est bien limitée en termes de volume, de durée et de portée et, parallèlement la proposition de décision du Conseil sur le système des ressources propres précise bien que le relèvement de 0,6 point de pourcentage du plafond des ressources propres serait lui aussi limité dans le temps et strictement dédié à la couverture de ces dépenses exceptionnelles : le relèvement prendrait donc fin lorsque tous les fonds empruntés auront été remboursés et que tous les passifs éventuels liés aux prêts octroyés sur la base de ces fonds seront éteints, soit au plus tard le 31 décembre 2058.

Ce relèvement temporaire s'ajouterait néanmoins à un autre relèvement du plafond qui serait, lui, permanent. La Commission justifie ce second relèvement en faisant valoir que « l'impact économique de la pandémie de coronavirus montre à quel point il est important de faire en sorte que l'Union dispose d'une marge de manoeuvre budgétaire suffisante en cas de chocs économiques entraînant une chute du revenu national brut.

Afin de préserver une marge suffisante sous les plafonds applicables aux ressources propres pour permettre à l'Union de couvrir ses obligations financières et ses passifs éventuels arrivant à échéance au cours d'une année donnée, y compris en cas de conjoncture économique extrêmement défavorable, la Commission propose de relever de manière permanente les plafonds applicables aux ressources propres pour les engagements et les paiements à, respectivement, 1,46 % et 1,40 % du revenu national brut de l'Union », contre respectivement 1,35 % et 1,29 % dans la proposition présentée en mai 2018 5 ( * ) .

La décision sur les ressources propres impliquant une approbation par le Parlement français, en application de l'article 211 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la commission des affaires européennes souhaite que des justifications complémentaires soient apportées concernant la nécessité de relever de manière permanente le plafond des ressources pour les engagements et les paiements en plus du relèvement temporaire prévu pour permettre le financement de l'instrument de relance.

Si l'instrument de relance soulage à court terme les finances publiques nationales des États membres, dans un esprit de solidarité entre eux, il n'en demeure pas moins que l'enjeu de financement de ces mesures à moyen terme est majeur et conduit à remettre l'accent sur deux points déjà soulignés par le Sénat dans sa résolution européenne du 11 février 2020 : les rabais et l'évolution du système des ressources propres.

Selon les informations recueillies auprès de la direction du Budget et du Secrétariat général des affaires européennes, sur le seul CFP socle, en fonction du résultat des négociations sur la suppression des rabais et sur la mise en place de nouvelles ressources propres, la contribution moyenne annuelle de la France au cours de la période pourrait atteindre entre 26 et 29 milliards d'euros (en cas de maintien intégral des rabais et d'absence de nouvelle ressources propre), contre 20 milliards d'euros environ aujourd'hui.

Le remboursement de l'emprunt découlant de l'instrument de relance induirait une pression financière supplémentaire pour les États membres. S'il est difficile de l'évaluer avec précision aujourd'hui, elle pourrait atteindre, en l'absence d'accord sur les rabais et de nouvelles ressources propres, de l'ordre de 3 à 4 milliards d'euros par an à compter de 2028.

Or, par rapport à sa proposition de mai 2018, la Commission européenne apparaît en retrait sur la suppression des rabais , puisqu'elle indique dans sa communication qu'elle « continue de considérer que la suppression progressive de tous les rabais permettra de mieux équilibrer le cadre financier pluriannuel. Toutefois, dans la situation actuelle, compte tenu de l'incidence économique de la pandémie de COVID-19, cette mesure entraînerait des augmentations disproportionnées des contributions de certains États membres sur la période 2021-2027. Pour éviter cela, les rabais actuels pourraient être supprimés progressivement sur une période beaucoup plus longue que ce qu'envisageait la Commission dans sa proposition de 2018 ».

La commission des affaires européennes ne souscrit pas à cette approche et réaffirme son souhait de supprimer l'ensemble des rabais à l'occasion de a mise en place du nouveau cadre financier pluriannuel.

Cette évolution très significative des contributions nationales, toutes choses égales par ailleurs, devrait constituer une nette incitation à trouver à l'avenir un accord sur la mise en place de nouvelles ressources propres , que le Parlement européen réclame avec force.

La Commission européenne relève ainsi qu'« afin de faciliter le remboursement des financements levés sur les marchés et de contribuer à réduire encore la pression sur les budgets nationaux, la Commission proposera de nouvelles ressources propres supplémentaires à un stade ultérieur de la période de financement ». Elle évoque de manière prudente la possibilité d'un accord sur le sujet d'ici 2024.

Plusieurs pistes, déjà connues pour plusieurs d'entre elles, sont évoquées dans la nouvelle communication de la Commission : déchets issus des emballages plastiques non recyclés, système d'échange de quotas d'émission de CO 2 , mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, impôt sur le numérique en fonction notamment des négociations en cours au sein de l'OCDE, mais aussi une possible ressource propre fondée sur les activités des grandes entreprises dont les contours apparaissent très flous à ce stade.

Ces questions ne sont pas nouvelles puisque le rapport Monti 6 ( * ) avait déjà présenté de nombreuses analyses précises. Elles prennent toutefois une dimension nouvelle compte tenu de l'emprunt auquel l'Union serait habilitée à procéder et il est essentiel que la Commission puisse clarifier rapidement ses orientations et propositions, en veillant à maîtriser la pression fiscale qui pourrait résulter pour les citoyens et les entreprises de l'Union de la mise en place de nouvelles ressources propres.

*

La double proposition présentée par la Commission le 27 mai est importante à plusieurs titres et justifie une prise de position du Sénat.

S'agit-il d'un « moment hamiltonien », comme certains commentateurs ont pu l'écrire en faisant référence au moment où en 1790, alors qu'Alexander Hamilton était secrétaire du Trésor des États-Unis d'Amérique, l'État fédéral reprit les dettes des États fédérés, dont les finances publiques étaient grevées par la guerre d'indépendance, conduisant à une montée en puissance de l'État fédéral.

Non, si l'on considère que l'Union ne reprend pas les dettes des États membres et que les dépenses inscrites au sein de l'instrument de relance ne devraient pas conduire à un accroissement pérenne du budget de l'Union. La Commission ne cesse de souligner que cet accroissement des dépenses est exceptionnel et temporaire, et uniquement conçu pour faire aux conséquences de la crise de la Covid-19. Seule une révision des compétences de l'Union pourrait ou devrait ainsi entraîner un saut significatif du volume du budget de l'Union.

Il n'en demeure pas moins que cet emprunt au nom de l'Union européenne, inédit dans son ampleur, sous réserve que celle-ci soit approuvée par les chefs d'État ou de gouvernement in fine , a pour objet de soulager les finances publiques des États membres, en particulier de ceux les plus fragilisés par la crise et qu'il donne des marges de manoeuvre nouvelles à la Commission qui confirme les priorités politiques esquissées par la Présidente Ursula von der Leyen en faveur du pacte vert pour l'Europe, de la stratégie numérique et d'une Europe plus résiliente.

Il n'en demeure pas moins aussi que la question du mode de financement de l'Union après 2028, compte tenu des remboursements à venir, va se poser avec une intensité nouvelle, qui justifie une implication forte des Parlements nationaux dans les débats à venir.

Dans cette perspective, la commission des affaires européennes soutient le principe d'une révision à mi?parcours du cadre financier pluriannuel, afin d'évaluer l'évolution des besoins à la suite de la mise en oeuvre de l'instrument de relance et, le cas échéant, d'en tirer les conséquences.

Elle demande instamment une amélioration de la transparence des trilogues afin d'assurer la bonne information des Parlements nationaux et réaffirme son souhait que les Parlements nationaux soient pleinement associés aux travaux de la Conférence sur l'avenir de l'Europe.

*

Pour ces raisons, la commission des affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui suit.


* 1 Résolution européenne du Sénat n° 60 (2019-2020) du 11 février 2020 sur le cadre financier pluriannuel de l'Union européenne (2021-2027).

* 2 D'après les données du Center for Systems Science and Engineering de l'université Johns-Hopkins, récupérées le 9 juin 2020. Compte tenu de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, le chiffre mentionné ne prend pas en compte les données relatives à cet État qui compte près de 40 000 décès.

* 3 Les prévisions économiques de printemps de la Commission européenne font état d'une prévision de recul du produit intérieur brut (PIB) de 7,5 % au niveau de l'Union européenne dans son ensemble et de 7,75 % au sein de la zone euro.

* 4 http://www.senat.fr/europe/quelle_reponse_europeenne_au_covid_19.html

* 5 COM(2018) 325 du 2 mai 2018. Cette proposition de décision intégrait déjà un premier relèvement du plafond des ressources propres. Celui-ci était fixé à 1,26 % pour les engagements et à 1,20 % pour les paiements au cours de la période 2014-2020.

* 6 Rapport final et recommandations du groupe de haut niveau sur les ressources propres, présidé par M. Mario Monti, décembre 2016.

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