EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les récentes attaques terroristes en Israël nous rappellent douloureusement que le terrorisme demeure actif et constitue un risque permanent pour nos sociétés.

La question de son financement est essentielle.

L'argent dans ce domaine reste le nerf de la guerre terroriste.

En 2010 et 2011, le Sénat s'était attaqué, le mot n'est pas trop fort, à la fraude et l'évasion fiscale, via deux commissions d'enquête1(*) auxquelles j'avais activement participé, rapportées par mon excellent collègue Eric Bocquet, sénateur communiste du Nord. Le sujet n'a cessé d'être le fil rouge de mon activité parlementaire.

En juin 2014, alerté par un ouvrage du journaliste David Thomson, « les Djihadistes français », six mois avant que les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher n'endeuillent la France, le Sénat avait déclenché une commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe2(*).

Cette commission fut suivie en 2015, et grâce à l'intuition du président du groupe Union Centriste, François Zocchetto, alors Sénateur de Mayenne, par une mission d'information sur l'Islam en France3(*).

Le lien entre la criminalité organisée, et le financement du terrorisme, était une évidence, confortée par un travail au sein de l'Assemblée parlementaire de l'Otan.

Le 30 octobre 2015, l'auteur de la présente proposition déposait, en qualité de vice-présidente de la commission économique de l'AP-OTAN, un rapport sur le financement du terrorisme4(*).

La communauté internationale avait bien entendu identifié la lutte contre le terrorisme par les prismes militaires et géostratégiques.

La question du financement du terrorisme comme sujet à part entière, autonome, est apparue tardivement et peut être datée des attentats du 11 septembre 2001.

Des progrès spectaculaires ont été faits ces 10 dernières années

Les nombreuses mesures, les contrôles prudentiels et de compliance ont singulièrement compliqué les activités illicites des terroristes, rendant les circuits financiers de plus en plus transparents et coordonnés. Les échanges de données automatiques ont joué un rôle déterminant dans ce contrôle du financement du terrorisme.

Les terroristes utilisent les mêmes circuits que ceux de la criminalité organisée et de la délinquance financière. Pas surprenant dès lors, que dans les moyens de financement, on retrouve l'arsenal de la grande délinquance : blanchiment d'argent, corruption, trafics de drogues ou d'êtres humains, trafics d'oeuvres d'art, trafics d'armes, enlèvements, tout est bon pour que l'argent sale finance des actions terroristes.

Comme chaque fois, on assiste à une guerre de l'obus et du blindage. Dans cette course folle, dopée par l'usage du numérique et des réseaux sociaux, le législateur va moins vite que le délinquant.

Il semble intéressant de faire un point d'étape de la lutte contre le financement du terrorisme. Entre acteurs internationaux et nouveaux moyens de financements comme les cryptoactifs utilisés massivement par le Hamas ou les NFT non fongible tokens (jetons non fongibles).

La prise de Kaboul par les Talibans en août 2021 est un sujet d'inquiétude, comme l'est la situation en Afrique de l'Ouest, qui ne cesse de se détériorer. Mali, Burkina Faso, Nigéria. L'Afrique de l'Ouest constitue sans doute, le réservoir le plus actif de terroristes, proche de l'Europe. Les groupes armés qui sèment la peur et la mort doivent faire l'objet de toute notre attention. Couper leurs sources de financement constitue un impératif.

Le rapport d'Europol 2021 « Terrorisme situation and Trend report » nous rappelle l'actualité de la menace terroriste, djihadiste et également, des extrêmes, droite ou gauche, d'ethno-nationalistes ou de séparatistes.

Commettre un attentat coûte de moins en moins cher.

Les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis auraient entraîné un coût de 3 300 milliards de dollars en dommages physiques, conséquences économiques, mesures de sécurité intérieure, financement de la guerre et des conflits ultérieurs, et soutien aux anciens combattants.

Le coût de cette opération pour Al-Qaeda n'a, quant à lui, représenté qu'environ 500 000 dollars (Carter & Cox). Cette asymétrie suscite évidemment de graves préoccupations. À une époque où les sociétés évoluées sont étroitement liées par des réseaux hautement intégrés, leur vulnérabilité est manifeste. La capacité pour des individus de semer le chaos s'accroît substantiellement en raison de l'interconnexion croissante des réseaux d'information et des infrastructures.

Il va de soi qu'un certain nombre d'opérations terroristes d'envergure ont eu un coût nettement moindre que les attentats du 11 septembre. C'est ainsi, par exemple, que les explosions qui ont touché les transports publics londoniens en juillet 2005 n'ont probablement pas coûté plus de 8 000 livres et les experts estiment à quelque 10 000 dollars le coût des attentats contre des trains à Madrid (FATF, 2008).

Interrogé sur le coût des attaques djihadistes de 2015 en France, François Molins, alors Procureur de la République, estimait que « les terroristes ont eu besoin de 25 000 euros pour organiser les attentats de janvier 2015 (contre le journal Charlie Hebdo et le supermarché Hyper Cacher) et 80 000 pour ceux du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis (130 morts). ».

Les coûts de plus en plus faibles des attaques terroristes et le terrorisme low-cost, et l'argent de plus en plus facile, voici l'équation à laquelle nous sommes confrontés.

Assécher les circuits de financement du terrorisme constitue le centre névralgique de la lutte contre le terrorisme. Endiguer les réseaux de financement du terrorisme c'est aussi lutter contre la corruption, la fraude et l'évasion fiscale.

Dans le contexte actuel d'une société de plus en plus polarisée et « dématérialisée », dans laquelle les individus sont isolés et affaiblis, les risques de radicalisation et d'endoctrinement augmentent.

Agir aujourd'hui contre le financement du terrorisme est donc essentiel.

No Money for Terror !

Ce slogan rassemble la communauté internationale désormais très mobilisée.

Sujet important, sujet d'une actualité brûlante et constante, le financement du terrorisme est multiforme. Une commission d'enquête devrait permettre de mieux en comprendre les multiples facettes et d'identifier les circuits de financement, d'établir aussi l'implication de certains états, et de proposer des mesures au plan national, européen et international pour l'endiguer.

* 1 Éric Bocquet rapports https://www.senat.fr/salle-de-presse/communiques-de-presse/presse/cp20120717d.html et aussi https://www.senat.fr/notice-rapport/2011/r11-673-1-notice.html

* 2 http://www.senat.fr/commission/enquete/reseaux_djihadistes.html

* 3 http://www.senat.fr/commission/missions/islam_en_france/index.html

* 4 https://www.nato-pa.int/document/2015-171-escter-15-e-bis-terrorism-financing-goulet-report