EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Selon la Banque mondiale, la crise économique et financière à laquelle le Liban est confronté est probablement l'une des trois pires crises que le monde ait connues depuis le milieu du XIXème siècle.

Cette crise s'ajoute au choc causé par les explosions survenues au port de Beyrouth, le 4 août 2020, qui symbolisent d'une certaine manière la déliquescence de l'État libanais.

Les conséquences sociales de cette crise financière et économique sont désastreuses. Les Libanais ont vu l'essentiel de leurs dépôts bloqués sur leurs comptes bancaires tandis que les banques pratiquaient une décote - « haircut » - élevée sur les retraits. La livre libanaise a perdu près de 98 % de sa valeur par rapport à 2019. Le taux de pauvreté s'est envolé et les services publics se sont effondrés. Les tensions liées à la présence massive de réfugiés syriens1(*) ont été attisées. De nombreux jeunes et des forces vives ont été contraints à l'exil, affaiblissant le pays.

Face à cette situation qui aurait nécessité des mesures d'urgence, la situation apparaît bloquée sur le plan politique. Le gouvernement expédie les affaires courantes depuis mai 2022, date des dernières élections législatives qui ont été marquées par l'émergence d'un nouvel équilibre au sein du Parlement libanais. Le Président de la République, M. Michel Aoun, a quitté ses fonctions le 31 octobre 2022 et aucun successeur n'a pu être élu par le Parlement depuis lors. Quant aux élections municipales, élément important du système démocratique, elles ont été reportées à deux reprises.

Les enquêtes sur l'explosion survenue au port de Beyrouth et sur l'établissement des responsabilités dans la crise financière, dont les résultats sont attendus par la population libanaise mais aussi par les bailleurs internationaux, progressent difficilement, mettant à mal le système judiciaire libanais. Plusieurs actions ont ainsi été intentées à l'encontre du juge chargé de l'enquête, M. Tarek Bitar, jusqu'à une demande de révocation désormais en attente, l'assemblée générale de la Cour de cassation compétente pour se prononcer étant elle-même paralysée, faute de quorum.

Le gouverneur de la Banque centrale pendant 30 ans, M. Riad Salamé, qui fait l'objet d'enquêtes pour corruption et enrichissement illicite et de sanctions de la part de plusieurs États, a fini par quitter ses fonctions le 31 juillet 2023 mais n'a pas été remplacé2(*), alors que le système financier libanais n'est pas stabilisé.

Quant à l'armée libanaise, pilier de l'État qui demeure dans un contexte régional particulièrement tendu, son commandant en chef, M. Joseph Aoun, devait quitter ses fonctions le 10 janvier 2024, alors que le poste de chef d'état-major appelé à assurer son intérim est également vacant depuis décembre 2022, laissant craindre la perspective d'un vide à la tête de l'armée. Un tel vide aurait été particulièrement dangereux dans le contexte actuel. Après le constat d'une situation de blocage au niveau du gouvernement, qui peine également à s'accorder sur la nomination d'un nouveau chef d'état-major, le Parlement libanais a finalement voté, le 15 décembre 2023, une loi permettant de proroger d'un an le mandat du commandant en chef de l'armée libanaise ainsi que celui des chefs des services de sécurité. Cette solution, qui permet d'éviter de déstabiliser l'armée libanaise à un moment de tensions, apparaît toutefois comme un pis-aller permettant de différer une nouvelle fois l'élection du Président de la République.

La Banque mondiale qualifiait en 20213(*) la crise actuelle de « dépression délibérée », les réponses politiques apportées étant délibérément inadéquates, en raison d'un manque de consensus politique à l'égard d'initiatives de politiques effectives et, a contrario, d'un consensus politique pour défendre un système économique en faillite, qui a profité à certains pendant longtemps.

Cette situation perdure hélas, au détriment de la population libanaise. Comme le souligne le Fonds monétaire international, « le Liban se trouve à un carrefour dangereux et, sans réformes, il s'enlisera dans une crise interminable. La pauvreté et le chômage resteront élevés et le potentiel économique continuera de reculer. Un maintien du statu quo continuerait de saper la confiance dans les institutions du pays et de nouveaux retards dans la mise en oeuvre des réformes maintiendraient l'économie en crise, avec des conséquences irrémédiables pour l'ensemble du pays, mais surtout pour les ménages à revenu faible à moyen »4(*).

La France a apporté un soutien constant à la population libanaise, à son armée, à ses écoles, par le biais du fonds de soutien aux écoles chrétiennes d'Orient qui bénéficie en très grande majorité aux écoles libanaises5(*).

Elle a mobilisé la communauté internationale à de très nombreuses reprises. Elle contribue de manière directe, via l'action de l'Agence française de développement, à la remise en marche de certaines infrastructures essentielles, comme l'hôpital de la Quarantaine, mais aussi de manière indirecte via sa quote-part au financement du Fonds monétaire international6(*) et de la Banque mondiale, bailleurs de fonds multilatéraux qui sont indispensables au redémarrage de l'économie libanaise, sous réserve que des réformes structurelles soient entreprises. Elle a aussi accueilli un nombre important de Libanais quittant leur pays en faillite7(*).

Le Président de la République a également dépêché au Liban l'ancien ministre de l'Europe et des affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian, pour essayer de débloquer la situation politique et parvenir, enfin, à l'élection d'un Président de la République, première étape dans la remise en fonctionnement normal des institutions. Les résultats obtenus jusqu'à présent ont malheureusement été limités.

La société libanaise a su affronter avec un courage et une patience remarquables la situation difficile du Liban. Il est temps, désormais, que les responsables politiques du pays prennent leurs responsabilités et s'attaquent à la racine des problèmes, en commençant par remettre les institutions en ordre de marche.

Le Président de l'Assemblée nationale du Liban, M. Nabih Berry, a annoncé l'organisation de séances électorales ouvertes, précédées d'un dialogue élargi réunissant les chefs des groupes parlementaires dans l'hémicycle pendant sept jours, afin de parvenir à un consensus sur un candidat. Cette démarche, qui pouvait laisser enfin entrevoir une issue favorable, a hélas été ajournée du fait de l'attaque terroriste menée par le Hamas contre Israël et de la riposte israélienne dans la bande de Gaza.

Dans une interview accordée au journal Le Figaro, le Premier ministre démissionnaire, M. Najib Mikati, relevait que « Le Liban a tous les moyens de sa résurrection, il ne tient qu'à sa classe politique de le permettre »8(*).

La remise en ordre institutionnelle apparaît encore plus urgente aujourd'hui, alors que les attaques terroristes commises par le Hamas contre Israël et le soutien apporté par le Hezbollah au Hamas, matérialisé par des échanges de tirs à la frontière israélo-libanaise, présentent un risque sérieux pour le pays.

La situation tendue à la frontière entre le Liban et Israël fait également courir un risque supplémentaire9(*) aux militaires de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), à laquelle participe un important contingent français de plus de 700 soldats.

La présente proposition de résolution appelle les responsables politiques libanais à agir rapidement pour remettre les institutions en ordre de marche et invite le Gouvernement français à poursuivre les efforts diplomatiques engagés, en activant tous les leviers nécessaires.

Elle appelle les responsables politiques du Liban à ne pas laisser entraîner le pays dans un conflit avec Israël. Elle juge également nécessaire qu'à la suite de l'accord signé le 27 octobre 2022 concernant la délimitation de la frontière maritime entre le Liban et Israël, un accord soit également trouvé concernant la frontière terrestre, selon les principes et éléments définis par la résolution 1701 (2006) du Conseil de sécurité des Nations Unies10(*).

Elle rappelle qu'après la résolution 1559 (2004)11(*) qui demandait la dissolution de toutes les milices armées, la résolution 1701 (2006) demande une zone d'exclusion des personnels armés non autorisés entre la Ligne bleue et le Litani et réaffirme que seul l'État libanais doit être autorisé à détenir des armes et à exercer son autorité au Liban. Elle constate que le Hezbollah n'a pas déposé les armes.

* 1 Selon les données de l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), le Liban est, avec la Jordanie, le pays au monde qui accueille le plus de réfugiés par rapport à sa population nationale (1 sur 4) si l'on prend en compte à la fois les réfugiés venant de Syrie et de Palestine (487 300). Le nombre de réfugiés syriens, souvent évalué à 1,5 million de personnes, n'est pas connu avec exactitude, le gouvernement libanais ayant demandé au HCR de cesser d'enregistrer les réfugiés à partir de 2015.

* 2 Le poste de gouverneur de la Banque centrale du Liban revient à un chrétien maronite. Le premier vice-gouverneur, chiite, M. Wassim Mansouri, assure l'intérim du gouverneur depuis le départ de M. Salamé.

* 3 Moniteur économique du Liban, automne 2021.

* 4 Liban : Déclaration des services du FMI à l'issue de leur mission de 2023 au titre de l'article IV, 23 mars 2023.

* 5 Fonds public-privé entre l'État français et l'OEuvre d'Orient créé en 2020, ouvert aux contributeurs extérieurs, ce fonds est venu en aide à des centaines d'écoles chrétiennes francophones au Liban, dès la rentrée 2020. Face à l'ampleur des besoins, les moyens consacrés à ce fonds ont été doublés en 2022, pour atteindre 4 millions d'euros par an. Les trois quarts de ces fonds soutiennent les écoles au Liban.

* 6 La quote-part de la France au FMI s'élève à 4,51 %.

* 7 Samir Ayoub, « Le Liban se vide de sa jeunesse », Le Figaro, 17 août 2022. Selon les chiffres-clés 2023 de Campus France (juin 2023), le nombre d'étudiants libanais en France représentait en 2021, avec 10 469 inscrits, le 9ème contingent d'étudiants étranger en France, en croissance de 94 % sur la période 2016-2021. Le nombre d'étudiants libanais a presque quadruplé (+ 286 %) en cinq ans dans les écoles de commerce et une très forte croissance de leur nombre est également enregistrée dans les écoles d'ingénieurs (+ 86 % sur la même période). Selon la fiche mobilité Liban publiée par Campus France en octobre 2023, leur nombre a encore augmenté au cours l'année 2022-2023, pour s'élever à 11 500, contre 5 665 en 2017-2018. Le nombre de visas délivrés pour études en France est passé de 2 652 en 2019 à 4 589 en 2022.

* 8 Le Figaro, 18 septembre 2023.

* 9 Les soldats de la FINUL agissent dans un contexte difficile, mis en évidence par l'attaque subie par des casques bleus le 14 décembre 2022, qui avait causé la mort d'un soldat irlandais.

* 10 Le paragraphe 8 de la résolution 1701 (2006), adoptée à l'occasion de la guerre de 2006, « lance un appel à Israël et au Liban pour qu'ils appuient un cessez-le-feu permanent et une solution à long terme fondés sur les principes et éléments suivants :

- Strict respect par les deux parties de la Ligne bleue ;

- Adoption d'un dispositif de sécurité qui empêche la reprise des hostilités, notamment établissement, entre la Ligne bleue et le Litani, d'une zone d'exclusion de tous personnels armés, biens et armes autres que ceux déployés dans la zone par le Gouvernement libanais et les forces de la FINUL autorisées en vertu du paragraphe 11 ;

- Application intégrale des dispositions pertinentes des Accords de Taëf et des résolutions 1559 (2004) et 1680 (2006) qui exigent le désarmement de tous les groupes armés au Liban, afin que, conformément à la décision du Gouvernement libanais du 27 juillet 2006, seul l'État libanais soit autorisé à détenir des armes et à exercer son autorité au Liban ;

- Exclusion de toute force étrangère au Liban sans le consentement du Gouvernement libanais ;

- Exclusion de toute vente ou fourniture d'armes et de matériels connexes au Liban, sauf celles autorisées par le Gouvernement libanais ;

- Communication à l'ONU des cartes des mines terrestres posées au Liban encore en la possession d'Israël ; »

* 11 La résolution 1559 (2004) demandait « à nouveau que soient strictement respectées la souveraineté, l'intégrité territoriale, l'unité et l'indépendance politique du Liban, placé sous l'autorité exclusive du Gouvernement libanais s'exerçant sur l'ensemble du territoire libanais » ; demandait « instamment à toutes les forces étrangères qui y sont encore de se retirer du Liban » ; demandait « que toutes les milices libanaises et non libanaises soient dissoutes et désarmées » et soutenait « l'extension du contrôle exercé par le Gouvernement libanais à l'ensemble du territoire du pays ».

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