N° 239

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 4 mars 2004

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 mars 2004

PROPOSITION DE LOI

tendant à modifier les modalités de paiement de la redevance d' occupation du domaine public ,

PRÉSENTÉE

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur.

( Renvoyée à la commission des Finances sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

Domaine public.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les projets visant à une meilleure gestion du domaine public immobilier, notamment des parcs de logements domaniaux, se heurtent à différents obstacles issus du droit positif. Il est devenu aujourd'hui nécessaire de modifier les dispositions du code du domaine de l'État qui entraîneraient l'irrégularité à droit constant des montages envisagés.

Parmi ces opérations, celle relative au transfert à la Société Nationale Immobilière (SNI) du parc de logements NAS 1 ( * ) de la Gendarmerie Nationale est exemplaire, à la fois par son ampleur (55 000 logements) et ses conséquences financières (l'opération rapporte plus de 500 millions d'euros à l'État).

I - Les modalités actuelles de paiement des redevances d'occupation du domaine public.

La fixation d'une redevance globale, capitalisée et payable d'avance, impose une réforme législative. Le Conseil d'État 2 ( * ) a d'ailleurs rappelé lui-même que le paiement anticipé de la redevance n'était pas compatible avec les principes de sa fixation tels que déterminés par le code du domaine de l'État.

En effet, les dispositions du code du domaine de l'État qui organisent le régime des autorisations d'occupation du domaine public constitutives de droit réel ne comportent aucune spécificité en terme de fixation des redevances domaniales. En d'autres termes, les redevances des autorisations délivrées sur le fondement des articles L. 34-1 dudit code sont régies par le droit commun.

À cet égard, l'article L. 31 du code dispose :

« Les bénéficiaires d'autorisations ou de concessions de toute nature concernant le domaine public national peuvent acquitter la redevance à leur charge par apposition d'un timbre fiscal sur le titre qui leur a été remis. Quelle que soit la date de ce titre, ils peuvent être tenus, à raison du chiffre et du mode de fixation des redevances, de se libérer soit par versement d'acomptes mensuels, soit d'avance, par périodes triennales ou pour toute la durée de l'autorisation ou de la concession, si cette durée n'excède pas cinq ans.

Des arrêtés du ministre de l'économie et des finances fixent les conditions d'application de ces différents modes de règlement ».

L'article L. 33 du même code dispose :

« Le service des domaines peut réviser les conditions financières des autorisations ou concessions, à l'expiration de chaque période stipulée pour le paiement de la redevance, nonobstant, le cas échéant, toutes dispositions contraires de l'acte d'autorisation ou de concession ».

Enfin l'article R. 56 dudit code dispose :

« Toute redevance stipulée au profit du Trésor doit tenir compte des avantages de toute nature procurés au concessionnaire » .

Il en résulte que la redevance imposée à un occupant du domaine public doit être calculée en fonction, non seulement de la valeur locative d'une propriété privée comparable à la dépendance du domaine public pour laquelle la permission est délivrée, mais aussi de l'avantage spécifique que constitue le fait d'être autorisé à jouir d'une façon privative du domaine public. Sont ainsi pris en compte le chiffre d'affaires et les bénéfices dont l'occupation du domaine doit permettre la réalisation.

Les arrêtés pris en application des articles précités encadrent les modalités de paiement. L'article A. 18 du code du domaine de l'État fixe l'exigibilité de la redevance à la date de notification du titre ou à celle de l'occupation si elle est antérieure. Cette redevance est annuelle et le titre prévoit son versement en début de période.

La seule exception de paiement d'avance introduite par l'article L. 31 et précisée par l'article A. 39 vise les redevances domaniales fixes et qui n'excèdent pas un montant annuel de 76 euros (soit 380 euros sur cinq ans).

Il est donc incontestable que le paiement d'avance tel qu'envisagé dans plusieurs montages, qui prévoient des autorisations d'occupation temporaire d'une durée excédant cinq ans, impose une réforme législative préalable.

Il est important de souligner que le Conseil d'État n'y est pas opposé. En effet, dans l'étude précitée, il s'exprime de la manière suivante 3 ( * ) :

« Les règles régissant le rythme de paiement des redevances [...] ne sont pas satisfaisantes, notamment en raison du caractère strict du cadre dans lequel sont actuellement enfermées les possibilités de paiement d'avance. C'est en particulier ce qu'ont fait apparaître les difficultés auxquelles le Gouvernement s'est heurté lorsqu'il a voulu obtenir le versement anticipé d'une partie des redevances dues au titre de l'attribution de licences de télécommunication mobile de troisième génération.

Il paraît donc souhaitable d'assouplir de manière générale le dispositif actuel et d'en permettre la généralisation, pour faire face à d'autres situations que celle-ci, dans laquelle le législateur est intervenu pour déroger ponctuellement aux dispositions de l'article L. 31 du code du domaine de l'État, sans en modifier la rédaction.

Alors que le premier alinéa de cet article prévoit actuellement que les bénéfices peuvent être tenus de se libérer par périodes triennales ou pour toute la durée de l'autorisation ou de la concession si cette durée n'excède pas cinq ans, cet encadrement trop contraignant pourrait être remplacé par une disposition plus générale » .

Le Conseil d'État propose d'introduire au premier alinéa de l'article L. 31 une phrase ainsi rédigée 4 ( * ) :

« Ils peuvent être tenus de se libérer soit par versement d'acomptes, soit d'avance, pour tout ou partie de la durée de l'autorisation ou de la concession » .

À cet égard, il est utile de citer la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 2001 5 ( * ) , dont l'article 36 prévoit l'échelonnement des versements de la redevance due par chaque titulaire d'une autorisation d'établissement et d'exploitation de réseau de téléphonie mobile de troisième génération :

« Considérant que l'utilisation des fréquences radioélectriques sur le territoire de la République constitue un mode d'occupation privatif du domaine public de l'État ; qu'ainsi, la redevance due par le titulaire d'une autorisation d'établissement et d'exploitation de réseau mobile de troisième génération est un revenu du domaine qui trouve sa place dans les ressources de l'État prévues au deuxième alinéa de l'article 5 de l'ordonnance susvisée du 2 janvier 1959 ; que la délivrance de l'autorisation ouvre, pour une période de quinze ans, le droit d'occupation des fréquences ; qu'elle confère ainsi à son bénéficiaire, dès son intervention, un avantage valorisable ; que, dès lors, il est loisible au législateur de prévoir que la redevance est déterminée de façon forfaitaire pour l'ensemble de la période d'autorisation ; qu'il peut également prévoir des versements non identiques pour chacune des quinze années ; que l'échelonnement de ces versements peut tenir compte de l'avantage immédiat lié à l'autorisation ; ».

Le législateur peut donc instituer une redevance forfaitaire payable d'avance à la condition que l'avantage octroyé par l'autorisation soit valorisable d'emblée.

II- Les dispositions à modifier

2.1 Il convient donc de modifier l'article L. 31 du code du domaine de l'État, lequel, on le rappelle, dispose :

« Les bénéficiaires d'autorisations ou de concessions de toute nature concernant le domaine public national peuvent acquitter la redevance à leur charge par apposition d'un timbre fiscal sur le titre qui leur a été remis. Quelle que soit la date de ce titre, ils peuvent être tenus, à raison du chiffre et du mode de fixation des redevances, de se libérer soit par versement d'acomptes mensuels, soit d'avance, par périodes triennales ou pour toute la durée de l'autorisation ou de la concession, si cette durée n'excède pas cinq ans.

Des arrêtés du ministre de l'économie et des finances fixent les conditions d'application de ces différents modes de règlement » .

Le Conseil d'État (cf. supra) a proposé la modification suivante :

« Les bénéficiaires d'autorisations ou de concessions de toute nature concernant le domaine public national peuvent acquitter la redevance à leur charge par apposition d'un timbre fiscal sur le titre qui leur a été remis. Quelle que soit la date de ce titre, ils peuvent être tenus de se libérer soit par versement d'acomptes, soit d'avance, pour tout ou partie de la durée de l'autorisation ou de la concession .

Des arrêtés du ministre de l'économie et des finances fixent les conditions d'application de ces différents modes de règlement » .

2.2 Il convient également de modifier l'article L. 33 du code du domaine de l'État.

On rappellera qu'il dispose :

« Le service des domaines peut réviser les conditions financières des autorisations ou concessions, à l'expiration de chaque période stipulée pour le paiement de la redevance, nonobstant, le cas échéant, toutes dispositions contraires de l'acte d'autorisation ou de concession ».

En conséquence, il faut envisager le cas de la redevance payable d'avance en une seule fois, lequel exclut le caractère révisable des conditions financières de l'autorisation. La modification consiste donc à exclure du champ d'application de l'article L. 33 les redevances payables d'avance.

2.3 Il faut enfin mieux définir les modalités d'indemnisation du titulaire en cas d'éviction avant terme de l'autorisation.

L'objectif est d'encadrer les modalités de fixation du calcul de cette indemnisation, lesquelles seront définitivement fixées par le titre d'occupation lui-même.

Il existe deux postes d'indemnisation :

- la restitution de la redevance versée,

- les investissements non amortis.

S'agissant de la valeur de restitution de la redevance, il convient de rappeler que la redevance payable d'avance en une seule fois n'est pas révisable et que cette valeur de restitution ne pourra donc intégrer une révision du prix payé.

Le remboursement prorata temporis de la redevance peut se faire selon deux modalités :

- une restitution « au marc le franc », laquelle peut se révéler préjudiciable au titulaire de l'autorisation ;

- une restitution actualisée qui tient compte de l'évolution des conditions économiques entre la date de paiement de la redevance et la date de remboursement.

S'agissant des investissements non amortis, il existe également différentes modalités d'indemnisation.

En principe, l'indemnisation doit réparer l'intégralité des préjudices, selon les modalités prévues au contrat. Les principaux chefs sont :

- la valeur non amortie des ouvrages, laquelle varie selon les modalités financières mises en oeuvre (fonds propres, emprunts...),

- la valeur nette comptable des biens mobiliers, stocks et approvisionnements,

- le manque à gagner dont les modalités de calcul varient selon les contrats.

Par conséquent, il vous est proposé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de loi suivante.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L'article L. 31 du code du domaine de l'État est ainsi rédigé :

« Art. L. 31. - Les bénéficiaires d'autorisations ou de concessions de toute nature concernant le domaine public national peuvent acquitter la redevance à leur charge par apposition d'un timbre fiscal sur le titre qui leur a été remis. Quelle que soit la date de ce titre, ils peuvent être tenus de se libérer soit par versement d'acomptes, soit d'avance, pour tout ou partie de la durée de l'autorisation ou de la concession .

Des arrêtés du ministre de l'économie et des finances fixent les conditions d'application de ces différents modes de règlement . »

Article 2

L'article L. 33 du code du domaine de l'État est ainsi rédigé :

« Art. L. 33. - Le service des domaines peut réviser les conditions financières des autorisations ou concessions, à l'expiration de chaque période stipulée pour le paiement de la redevance, nonobstant, le cas échéant, toutes dispositions contraires de l'acte d'autorisation ou de concession.

Ces dispositions ne sont pas applicables au cas dans lequel la redevance est payable d'avance, laquelle n'est pas susceptible d'être révisée . »

Article 3

Il est inséré dans le code du domaine de l'État un article L. 33-1 rédigé comme suit :

« Art. L. 33-1. - En cas de retrait de l'autorisation avant le terme prévu, pour tout motif, le titulaire perçoit la restitution prorata temporis de la redevance versée et une indemnité égale à la valeur nette comptable actualisée des travaux effectués à la date de l'éviction. Les modalités d'amortissement sont fixées dans le titre d'autorisation . »

* 1 NAS : nécessité absolue de service.

* 2 "Redevances pour service rendu et redevances pour occupation du domaine public", Étude adoptée le 24 octobre 2002 par l'Assemblée générale du Conseil d'État, La Documentation Française.

* 3 Op. cit. p. 85.

* 4 Idem (note de bas de page).

* 5 Décision n° 2000-442 DC - 28 décembre 2000.

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