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N° 180

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 décembre 2012

PROPOSITION DE LOI

tendant à renforcer l' égalité d' accès aux fonctions électives ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Jacques MÉZARD, Jean-Michel BAYLET, Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, Robert HUE, Nicolas ALFONSI, Gilbert BARBIER, Alain BERTRAND, Christian BOURQUIN, Yvon COLLIN, Pierre-Yves COLLOMBAT, François FORTASSIN, Mme Françoise LABORDE, MM. Stéphane MAZARS, Jean-Pierre PLANCADE, Jean-Claude REQUIER, Robert TROPEANO, Raymond VALL et François VENDASI,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

S'il est un constat juste dressé par la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique dans le rapport qu'elle a remis au Président de la République le 9 novembre dernier, c'est le suivant : « Aucun responsable politique n'est regardé comme pleinement légitime au seul motif qu'il a été élu. (...) En ce qui concerne plus particulièrement l'accès aux fonctions électives, les citoyens veulent être sûrs que les modalités de l'élection permettent un débat équitable et une juste représentation ».

L'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 pose quant à lui expressément que « tous les citoyens, étant égaux [aux yeux de la loi], sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Ce principe d'égalité, qui vaut notamment pour l'accès aux fonctions électives, est une condition fondamentale de la vie démocratique et de la représentativité des élus. Les élus de la République doivent justifier d'un engagement responsable et d'une exemplarité incompatible avec la défense d'intérêts purement partisans.

Le processus de décentralisation engagé depuis 1982 a certes permis de développer les libertés locales et de donner un nouveau souffle à l'action publique locale. Mais il a également eu pour effet de créer une nouvelle catégorie de professionnels de la politique trop souvent déconnectés des réalités du terrain, et dont le parcours professionnel est imbriqué avec le parcours militant. Tout à la fois militants, membres de cabinets d'exécutifs locaux ou collaborateurs parlementaires, ils ont naturellement l'ambition légitime de devenir élus à leur tour. Or cette endogamie constitue un réel risque de sclérose pour la démocratie : non seulement elle entrave la représentativité sociale des élus, locaux comme nationaux, mais elle entraîne aussi la captation de la définition de l'intérêt général par un groupe fermé qui jouit d'un important pouvoir d'influence sur la circonscription électorale et, de ce fait, d'une « rente de situation » contraire au principe d'égalité d'accès aux fonctions électives.

Le législateur est intervenu depuis longtemps pour limiter l'éligibilité de certaines personnes qui, en raison de leurs fonctions, jouiraient d'un avantage non justifié par rapport aux autres candidats. Ainsi, la loi du 10 août 1871 relative aux conseils généraux énumérait déjà seize catégories de fonctionnaires ou de titulaires de grade qui ne pouvaient être élus membres du conseil général du fait de l'influence de leurs fonctions et du risque de fausser le jeu électoral.

Le code électoral dresse aujourd'hui la liste des différentes inéligibilités en fonction des élections concernées. Ainsi, en matière d'élections législatives et sénatoriales, l'article LO 132, et par renvoi l'article LO 296, rendent inéligibles pour trois ans les préfets dans les départements où ils ont exercé leurs fonctions. L'inéligibilité est limitée à un an pour les titulaires de nombreuses autres fonctions. Les articles L. 195, L. 231 et L. 340 du même code fixent chacun, respectivement pour les élections municipales, cantonales et régionales, une liste d'inéligibilités à raison des fonctions exercées qui s'étale de trois ans pour les préfets à six mois pour les titulaires de nombreuses autres fonctions.

Le législateur est d'ailleurs récemment intervenu par la loi du 14 avril 2011 pour renforcer les conditions d'inéligibilité. Ainsi, les membres du cabinet du président du conseil général ou du conseil régional ne peuvent désormais plus être candidats aux élections cantonales durant l'exercice de leurs fonctions ou dans les six mois suivant leur cessation.

Cette loi mérite d'être encore approfondie. Il convient davantage de fonder la représentativité des élus sur une équité réelle. Il était ainsi relevé dans le commentaire publié aux Cahiers du Conseil constitutionnel sous la décision n° 2011-628 DC du 12 avril 2011, qui se référait aux observations sur les élections législatives de 2007, que : « partant du principe que la raison d'être de l'inéligibilité liée aux fonctions est d'éviter que la qualité du candidat influe sur le scrutin et en fausse ainsi la sincérité, le Conseil a souhaité que le législateur :

- d'une part, s'attache à la réalité des fonctions, c'est-à-dire à la capacité effective d'influence et non aux titres ;

- d'autre part, en application de ce premier principe, tienne compte des évolutions de l'organisation de la France qui est maintenant « décentralisée ».

C'est d'ailleurs en s'appuyant sur ces principes que le Conseil a déclaré constitutionnelle une des dispositions de l'article 195 du code électoral relative à l'inéligibilité des ingénieurs du génie rural 1 ( * ) .

La présente proposition de loi, complétée par une proposition de loi organique qui porte sur l'éligibilité aux élections législatives et sénatoriales, comporte deux objets.

D'une part, elle procède à une harmonisation de la durée d'inéligibilité aux élections municipales, cantonales et régionales, en portant à trois ans cette durée pour l'ensemble des fonctions concernées.

D'autre part, elle ajoute à la liste des personnes rendues inéligibles durant trois ans à raison de leurs fonctions l'ensemble des collaborateurs de cabinet du maire, du président d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, du président du conseil général et du président du conseil régional. Cette inéligibilité concernerait le ressort au sein duquel ces personnes exercent ou ont exercé leurs fonctions. En outre, sont également ajoutés à cette liste les collaborateurs parlementaires, rendus inéligibles dans le ressort du département dans lequel a été élu le parlementaire pour lequel ils travaillent. Enfin, les collaborateurs des représentants français au Parlement européen sont eux aussi rendus inéligibles dans l'ensemble de la circonscription interrégionale où a été élu leur employeur.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

L'article 195 du code électoral est ainsi modifié :

I. - Le 1° est ainsi rédigé :

« 1° Les préfets, les sous-préfets, secrétaires généraux, directeurs de cabinet de préfet ou sous-préfets chargés de mission auprès d'un préfet, ainsi que les secrétaires en chef de sous-préfecture, dans le département où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de trois ans ; ».

II. - Aux 2° à 19°, les mots : « six mois » sont remplacés par les mots : « trois ans ».

III. - Après le 19°, il est inséré un 20° ainsi rédigé :

« 20° Les collaborateurs de députés ou de sénateurs, rémunérés par les crédits alloués à cette fin par l'Assemblée nationale ou le Sénat, dans le département où a été élu leur employeur, qui exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de trois ans ; » ;

À l'avant dernier alinéa, les mots : « vingtième (19°) » sont remplacés par les mots : « vingt-et-unième (20°) ».

Article 2

Aux premier et second alinéas de l'article 196 du même code, les mots : « qu'un an » sont remplacés par les mots : « que trois ans ».

Article 3

L'article 231 du même code est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : «  les préfets de région et les préfets, depuis moins d'un an » sont remplacés par les mots : « les préfets de région, les préfets, » ;

2° Au deuxième alinéa, les mots : « six mois » sont remplacés par les mots : « trois ans » ;

3° Au dixième alinéa, les mots : « Les directeurs de cabinet du président du conseil général» sont remplacés par les mots : « Les membres du cabinet du président du conseil général » et les mots : « le directeur de cabinet du président de l'assemblée et le directeur de » sont remplacés par les mots : « les membres du cabinet du président de l'assemblée et les membres du » ;

4° Après le 9° sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Ne peuvent être élus conseillers municipaux dans les communes où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de trois ans, ou dans les communes appartenant au même établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre que la commune où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de trois ans les membres de cabinet de maire ou de président de communauté de communes, de communauté d'agglomération, de communauté urbaine ou de métropole.

« Les collaborateurs de députés ou de sénateurs rémunérés par les crédits alloués à cette fin par l'Assemblée nationale ou le Sénat, qui exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de trois ans, ne peuvent être élus conseillers municipaux dans les communes du département dans lequel a été élu leur employeur. »

Article 4

Après le premier alinéa de l'article 5 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Ne sont pas éligibles dans la circonscription comprenant le département d'élection de leur employeur les personnes visées au III de l'article LO 132 du même code. »

Article 5

La présente proposition de loi entre en vigueur, pour chaque catégorie de mandat concernée, à compter du prochain renouvellement général des conseils municipaux, des conseils généraux, des conseils régionaux et du Parlement européen.


* 1 Décision n° 2012-230 QPC du 6 avril 2012.

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