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N° 256

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 décembre 2012

PROPOSITION DE LOI

portant actualisation de certaines dispositions de la loi n°2010-2 du
5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l' indemnisation des victimes des essais nucléaires français ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Richard TUHEIAVA, Maurice ANTISTE, Jean-Étienne ANTOINETTE, Jacques CORNANO, Félix DESPLAN, Jacques GILLOT, Serge LARCHER, Thani MOHAMED SOILIHI, Georges PATIENT, Michel VERGOZ et Mme Karine CLAIREAUX,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a été promulguée le 6 janvier 2010 au Journal Officiel de la République française.

Ainsi qu'il ressort des débats parlementaires, ce texte dont la vocation indemnitaire affichée s'inscrivait quelque peu en marge de la politique d'austérité budgétaire du Gouvernement, était néanmoins encadré dans le respect de deux critères de fond qu'étaient l'objectivité et l'équité, d'après les termes du ministre de la défense M. Hervé Morin.

Cette loi faisait toutefois suite directe à deux propositions de loi déposées sur le Bureau de l'Assemblée nationale en 2002 (n° 3542 du 17 janvier 2002 de Mme Marie-Hélène Aubert) puis en 2006 (n° 3025 du 12 avril 2006 de Mme Christiane Taubira et du groupe socialiste et apparentés) , tendant toutes les deux à interpeller le Gouvernement sur la problématique extrêmement sensible de l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français en Algérie et en Polynésie française, et du suivi de leurs conséquences environnementales.

Bien que l'adoption au Parlement de cette loi ait représenté une avancée notable dans le processus de reconnaissance des conséquences sanitaires des essais nucléaires réalisés par le Gouvernement sur les sites du Sahara algérien et en Polynésie française, près de 13 années après le dernier essai nucléaire français réalisé le 27 janvier 1996 sur l'atoll de Fangataufa dans l'archipel des Tuamotu (Polynésie française), il n'en demeure pas moins que l'application de ce texte laisse apparaître de graves limites dans son but même et ce moins de deux années après son entrée en vigueur.

En effet, ainsi qu'il avait été anticipé conjointement par les associations de vétérans des essais nucléaires en Polynésie française et dans l'Hexagone, et ainsi que l'opposition parlementaire l'avait discerné en y exprimant ses plus vives réserves, le système d'indemnisation organisé par le comité d'indemnisation mis en place par la loi précitée a conduit à des résultats concrètement décevants.

En effet, il ressort de la réunion de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires qui s'est tenue le 11 décembre 2012 à Paris que sur un total de 786 dossiers d'indemnisation déposés sous le régime de la loi du 5 janvier 2010, seuls 400 ont été examinés par le comité d'indemnisation, qui en a rejeté 391 et a recommandé seulement 9 indemnisations.

Ce résultat excessivement faible contraste avec les objectifs de la loi affichés par le Gouvernement de l'époque. Il est la conséquence de restrictions intrinsèques à l'articulation même du texte législatif tel qu'il ressort des débats parlementaires de 2010 qui sont à l'origine de dysfonctionnements du dispositif indemnitaire.

Tout d'abord, ce dysfonctionnement trouve sa source dans les dispositions in fine de l'article 4 paragraphe II de la loi précitée ( « à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable » ) qui est de nature à permettre le rejet des dossiers de demandes d'indemnisation, par dérogation au principe de présomption de causalité contenu dans l'article 1 er .

Cette disposition in fine a ouvert la porte à une interprétation restrictive et arbitraire des conditions de recevabilité et de fond de chaque dossier de demande d'indemnisation, ainsi qu'il fallait s'y attendre.

La présente proposition de loi tend à revenir au strict principe de présomption, c'est-à-dire celui en vertu duquel toute personne atteinte d'une des maladies radio-induites inscrites dans la liste établie par décret en Conseil d'État et qui se trouvait sur une zone géographique et à une période telles qu'indiquées à l'article 2 de la loi, bénéficie de la présomption sans qu'il soit nécessaire d'un examen au cas par cas de son exposition aux radiations.

C'est l'objet de l'article 1 er de la présente proposition de loi.

Ensuite, la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a introduit la notion de zones géographiques et de périodes à l'intérieur exclusif desquelles sont éligibles les demandeurs à une indemnisation.

L'article 2 de la loi précitée a distingué selon que les victimes souffrant d'une pathologie radio-induite aient résidé ou séjourné sur les sites d'expérimentations nucléaires du Sahara algérien (à des périodes différentes suivant les essais), ou qu'elles aient résidé ou séjourné dans les atolls polynésiens de Moruroa, Fangataufa ou Hao à des périodes différentes également.

L'analyse approfondie du rapport officiel du ministère de la défense, intitulé « La dimension radiologique des essais nucléaires français en Polynésie », permet de constater clairement qu'entre 1966 et la fin des essais en 1996, ce sont sur les atolls de Moruroa, de Fangataufa et de Hao que les travailleurs civils et militaires, voire les populations locales pour celui de Hao, ont été exposés à des rayonnements, et que c'est l'ensemble des cinq archipels polynésiens qui a été contaminé - en fonction des tirs aériens - par les retombées des essais nucléaires atmosphériques entre 1966 et 1974.

Dès lors, et sans craindre une contradiction manifeste avec les éléments techniques et scientifiques officiels décrits ci-dessus, l'article 2 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français avait pour vocation inavouée de noyauter le périmètre éligible du droit à indemnisation en ce qui concerne la Polynésie française.

Il est bien évident que cette disposition a un impact direct sur le nombre total de dossiers de demande d'indemnisation déposés en vertu de la loi. Force est d'imaginer qu'un tel montant ne serait pas le même si le périmètre géographique d'éligibilité à une indemnisation avait été élargi équitablement à celui qui ressort des éléments en possession même du ministère de la défense.

Afin de se conformer à l'esprit de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, il est donc équitable mais également cohérent d'étendre la zone géographique d'indemnisation à l'ensemble du territoire de la Polynésie française, sans préjudice des critères complémentaires qui s'y attachent.

C'est l'objet de l'article 2 de la présente proposition de loi.

De plus, les dispositions de l'article 7 de la loi du 5 janvier 2010 précitée prévoient que la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires est présidée par le ministre de la défense, c'est-à-dire l'autorité même qui assure le règlement financier final de chaque dossier d'indemnisation.

Un tel conflit d'intérêts patent entre ces deux fonctions au sein d'un régime indemnitaire spécifique, compte tenu des enjeux politiques extrêmement sensibles que recouvre la question des essais nucléaires français réalisés dans le Sahara algérien et en Polynésie française, avait été soulevé lors des débats parlementaires relatifs à la loi du 5 janvier 2010.

Compte tenu de la nature interministérielle que revêt le traitement des conséquences sanitaires des essais nucléaires, faisant appel non seulement aux attributions du ministère de la défense mais également à ceux du budget, de la santé, des affaires étrangères (Sahara algérien) et des outre-mer (Polynésie française), il est proposé présentement de confier la présidence de la commission consultative de suivi des essais nucléaires au Premier ministre.

C'est l'objet de l'article 3 de la présente proposition de loi.

Le vote de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives a définitivement clos l'accès aux archives nucléaires françaises, en ajoutant un article L. 213-2 au code du patrimoine. Cette prohibition de principe est perpétuelle et se justifiait par le fait que personne ne devait avoir accès ni être en état de diffuser des informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d'un niveau analogue.

En tout ou en partie, ces archives contiennent des données nominatives, professionnelles et médicales afférentes à d'anciens travailleurs des sites d'expérimentations nucléaires françaises qui ont pu contracter des maladies radio-induites, données ou informations qui n'ont absolument rien à voir avec les procédés de conception, de fabrication, d'utilisation ou de localisation d'armes nucléaires.

D'autant que la totalité des essais nucléaires français, leur intensité, leurs emplacements géographiques et leurs retombées atmosphériques ou souterraines ont été largement documentés dans des ouvrages d'accès disponible aux pouvoirs publics.

La loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a institué un régime d'indemnisation qui impose de jure à toute victime de maladies radio-induites de justifier et produire un certain nombre de pièces et documents de nature à satisfaire aux critères légaux. Cela étant, ces pièces et documents ne sont plus en possession desdites victimes depuis longtemps ou ne l'ont jamais été pour la plupart, alors qu'elles sont conservées dans les archives nucléaires françaises qui tombent sous le coup du code du patrimoine ainsi modifié par la loi du 15 juillet 2008.

De jure , toutes les victimes des essais nucléaires français se trouvent dans une rupture d'égalité évidente puisqu'elles se heurtent à cette carence discriminatoire, résultant de la loi, dans la production des pièces déterminantes et substantielles dans le succès de leurs dossiers d'indemnisation.

Après plus de deux années d'application de la loi du 5 janvier 2010 précitée, il est apparu que cette carence entraine des résultats inacceptables en termes d'efficacité du processus d'indemnisation.

Il est donc plus qu'indispensable de faciliter le processus d'indemnisation dans des conditions qui soient les mêmes pour tous, notamment par l'ouverture d'un droit strictement individuel de consultation et de communication de copie de documents en provenance des archives nucléaires françaises avec pour conditions strictes : l'usage strictement à des fins personnelles et nominatives en vue d'une indemnisation encadrée par la loi du 5 janvier 2010, et le respect, par l'autorité délivrante, des dispositions de l'alinéa premier actuel du II de l'article L. 213-2 du code du patrimoine (c'est-à-dire de veiller à ce que les données consultables ou communiquées ne soient pas susceptibles de permettre de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, etc.), pour les besoins de sa défense, conformément au droit à un procès équitable prévu à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La présente proposition de loi tend donc à compléter le paragraphe II de l'article L. 213-2 du code du patrimoine par un alinéa qui répond à cette difficulté et encadre strictement ce droit de consultation et de délivrance de copie.

C'est l'objet de l'article 4 de la présente proposition de loi.

L' article 5 de la présente proposition de loi institue un gage destiné à assurer la recevabilité des dispositions ci-après au regard de l'article 40 de la Constitution.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous demandons d'adopter celle-ci.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Au premier alinéa du II de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, les mots : « à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable » sont supprimés.

Article 2

L'article 2 de la même loi est ainsi modifié :

1° Au 2°, les mots : « Mururoa et Fangataufa » sont remplacés par les mots : « Moruroa, Fangataufa et Hao » et les mots : « dans des zones exposées de Polynésie française inscrites dans un secteur angulaire » sont remplacés par les mots : « sur l'ensemble du territoire de la Polynésie française ».

3° Les troisième et quatrième alinéas sont supprimés.

Article 3

Aux premier et deuxième alinéas de l'article 7 de la même loi, les mots : « ministre de la défense » sont remplacés par les mots : « Premier ministre ».

Article 4

Le II de l'article L. 213-2 du code du patrimoine est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Dans le cadre de la constitution ou de l'instruction des dossiers d'indemnisation prévus par la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, tout demandeur ou ses ayants droit peut consulter ou obtenir de l'administration copie conforme de documents, étrangers à la conception, la fabrication, l'utilisation et la localisation d'armes nucléaires, provenant des archives afférentes aux essais nucléaires français réalisés dans le Sahara algérien de 1960 à 1966 puis en Polynésie française de 1966 à 1998. Ces documents sont communicables à l'administration ou aux juridictions compétentes à l'appui de la demande d'indemnisation ou du recours juridictionnel contre la décision de rejet. »

Article 5

Les dépenses de l'État induites par l'application de la présente loi sont compensées à due concurrence par une majoration des droits visés par les articles 575 et 575 A du code général des impôts.

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