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N° 482

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 27 juin 1996.

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juillet 1996.

PROPOSITION DE LOI

relative à l'examen des plaintes déposées contre les titulaires de mandats publics électifs

PRÉSENTÉE

par M. Jacques LARCHÉ,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Procédure pénale. c ommission des poursuites,Responsabilité pénale des élus.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'actualité judiciaire l'a confirmé une fois de plus : même si le Garde des Sceaux s'abstient volontairement d'intervenir dans l'examen de la recevabilité ou de l'opportunité de poursuites visant un homme politique, comme M. Pierre Méhaignerie, puis M. Jacques Toubon s'y sont engagés solennellement, le soupçon pèsera toujours sur une décision de classement sans suite, dans la mesure où le ministère public est juridiquement subordonné au pouvoir hiérarchique de la Chancellerie.

Faut-il pour autant modifier en profondeur le statut du Parquet de telle sorte que la carrière du procureur ne relève plus du pouvoir exécutif mais purement et simplement du Conseil supérieur de la magistrature, dont l'indépendance organique a été confortée par la révision constitutionnelle de 1993?

Une telle réforme -qui supposerait une nouvelle modification de la Constitution- ne peut être acceptée car elle serait contraire à notre tradition constitutionnelle et remettrait en cause l'actuel équilibre entre le pouvoir exécutif et l'autorité judiciaire. Les partisans de cette thèse citent souvent l'exemple de l'Italie où, effectivement, le Parquet est indépendant du pouvoir exécutif. C'est oublier que les procureurs de la République italiens ne disposent pas de l'opportunité des poursuites : seul le tribunal peut classer, « archiviare », une affaire, ce qui a provoqué un engorgement du rôle des tribunaux. Mais surtout, la relation entre le ministre de la Justice et les 134 procureurs de la République doit être maintenue car elle est le vecteur naturel des orientations de la politique pénale générale définie par le Gouvernement sous le contrôle du Parlement.

Faut-il modifier l'article 36 du code de procédure pénale, comme le suggèrent certains magistrats, pour interdire désormais au ministre de la Justice de donner des injonctions de classement ?

Une telle modification serait à la fois inutile et inopportune. Inutile, car le doute continuerait à planer sur une décision prise par le magistrat placé sous la dépendance hiérarchique du ministère de la Justice. Inopportune, car il faut laisser au Garde des Sceaux la faculté de donner des instructions négatives pour des motifs liés à l'ordre public ; pour prendre un seul exemple, la décision de ne pas engager des poursuites contre des manifestants, auteurs de violences physiques ou de dégradations matérielles, peut répondre, de la part des pouvoirs publics, à un légitime souci d'apaisement d'un conflit en cours.

A la vérité, la question de l'appréciation de l'opportunité des poursuites par le procureur de la République doit être ramenée à de plus justes proportions.

Dans la plupart des cas, en effet, la victime d'un crime ou d'un délit peut se constituer partie civile, ce qui a pour effet de mettre en mouvement l'action publique, si bien que le procureur de la République n'est plus en mesure de classer la plainte sauf irrecevabilité manifeste de celle-ci.

En revanche, si le plaignant ne peut invoquer un dommage particulier, le procureur de la République apprécie discrétionnairement les suites à donner à sa plainte ; seul le ministre de la Justice peut alors enjoindre au procureur général d'engager ou de faire engager les poursuites.

Telle est la situation pour la plus grande part des crimes et des délits prévus par le livre IV du code pénal au nombre desquels figurent notamment la concussion, la corruption, le trafic d'influence, la prise illégale d'intérêts ou le favoritisme dans les marchés publics.

Dans tous ces cas, le plaignant est désarmé face à une décision de classement.

Le Garde des Sceaux est alors placé face à un dilemme.

Soit il persévère dans son refus de s'immiscer dans le cours d'une affaire, mais cela n'empêchera nullement d'aucuns de voir dans la décision du ministère public la marque de l'influence de la Chancellerie ou de la volonté de bien faire d'un magistrat nommé par le Garde des Sceaux.

Soit il provoque, par une instruction écrite et versée au dossier, l'ouverture des poursuites, mais une telle décision prêtera le flanc à des interprétations de nature politique, surtout si la personne mise en examen appartient à l'opposition.

Ainsi, chaque fois qu'une personnalité politique est en cause, le ministère public, du Garde des Sceaux au procureur de la République, se trouve en porte-à-faux face aux médias et à l'opinion publique qui s'interrogent tout à la fois sur les motivations ou les arrière-pensées des décisions prises.

Pour remédier à cette situation, qui risque de porter atteinte à la crédibilité de la justice, la présente proposition de loi tend à instituer, pour les plaintes visant des responsables politiques, un mécanisme inspiré des dispositions constitutionnelles relatives à la responsabilité pénale des membres du Gouvernement.

Ainsi, la plainte serait instruite non plus par le Procureur de la République mais par une commission des poursuites.

Cette commission des poursuites serait indépendante du Gouvernement car elle serait composée de trois magistrats du siège désignés pour la durée d'un an par le Premier président de la cour d'appel. Par elle-même, la collégialité de cette commission donnerait des garanties évidentes.

Cette commission apprécierait la suite à donner aux plaintes qu'elle reçoit.

Lorsque la commission des poursuites renverrait la procédure au procureur de la République, celui-ci aurait compétence liée et devrait saisir le juge d'instruction ou la juridiction de jugement.

Un tel dispositif concernerait l'ensemble des titulaires d'un mandat électif qui sont astreints au dépôt d'une déclaration de patrimoine auprès de la commission pour la transparence financière de la vie politique, à savoir, notamment, les députés, les sénateurs, les parlementaires européens et les titulaires d'une fonction exécutive au sein des collectivités territoriales les plus importantes.

Sans toucher aux principes généraux régissant l'action publique, cette proposition revient à mettre la Chancellerie à l'abri des suspicions illégitimes.

La commission des poursuites, parce qu'elle serait composée de magistrats du siège, pourra statuer sur la plainte en toute indépendance et à l'abri de toute pression de caractère politique.

A ce titre, tout en évitant une réforme inopportune du statut du Parquet, le texte qui vous est proposé a pour ambition de conforter l'indépendance de la justice et de parvenir à une plus grande clarté dans l'examen des plaintes concernant les hommes politiques. Au surplus, l'institution d'une commission indépendante présente, pour un élu injustement mis en cause, l'avantage de conférer aux yeux de l'opinion publique une valeur inattaquable à une décision de classement sans suite.

Tels sont les motifs, Mesdames, Messieurs, qui ont présidé à l'élaboration de cette proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Après l'article premier du code de procédure pénale, il est inséré un article 1-1 ainsi rédigé :

« Art. 1-1 : Par dérogation à l'article 40, une commission des poursuites près la cour d'appel reçoit, lorsqu'elles ne peuvent donner lieu à une constitution de partie civile, les plaintes visant des faits commis, dans l'exercice de ses fonctions, par une personne investie d'un mandat électif et tenue au dépôt d'une déclaration de situation patrimoniale auprès de la commission pour la transparence financière de la vie politique.

« La commission des poursuites comprend trois magistrats du siège de la cour d'appel désignés chaque année par le premier président de la cour d'appel.

« Le ministère public est assuré par le procureur général près la cour d'appel.

« La commission des poursuites apprécie la suite à donner aux plaintes qu'elle reçoit ; elle avise le plaignant de la suite réservée à sa plainte. Ses décisions ne sont susceptibles d'aucun recours.

« En cas de plainte insuffisamment motivée ou insuffisamment justifiée par les pièces produites, la commission des poursuites peut faire procéder à toutes investigations utiles selon les formes prévues par les articles 75, 76 et 77-1. Les pouvoirs conférés par ces articles au procureur de la République sont exercés par l'un des membres de la commission.

« Lorsque la commission des poursuites renvoit la procédure au procureur de la République compétent, celui-ci saisit le juge d'instruction ou la juridiction de jugement. ».

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