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N° 215

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 6 février 1997.

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 février 1997.

PROPOSITION DE LOI

relative au droit de mourir dans la dignité,

PRÉSENTÉE

Par MM. Pierre BIARNÈS, Mmes Monique ben GUIGA, Maryse BERGÉ-LAVIGNE, MM. Jean-Louis CARRÈRE, Gilbert CHABROUX, Michel CHARASSE, Michel CHARZAT, William CHERVY, Raymond COURRIÈRE, Jean-Pierre DEMERLIAT, Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD, M. Michel DREYFUS-SCHMIDT, Mme Josette DURRIEU, MM. Léon FATOUS, Aubert GARCIA, Guy LÈGUEVAQUES, Jean-Pierre MASSERET, Gérard MIQUEL, Michel MOREIGNE, Jean-Marc PASTOR, Guy PENNE, Daniel PERCHERON, Jean PEYRAFITTE, Louis PHILIBERT, Mmes Danièle POURTAUD, Gisèle PRINTZ, MM. Roger QUILLOT, Gérard ROUJAS, André ROUVIÈRE, Claude SAUNIER, Michel SERGENT, René-Pierre SIGNÉ, André VÉZINHET, Marcel VIDAL et Henri WEBER,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Mort. - Euthanasie.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

À l'exception des femmes et des hommes de grande foi que jamais n'effleure le doute, la mort éveille en nous la crainte, la peur sinon l'angoisse. En cela, elle nous questionne sur notre destin d'homme dans l'Univers, sur le pourquoi et le comment. Plus que le façonnage des outils ou la maîtrise permanente du feu, c'est le respect porté au mort qui a signé la règle d'une spiritualité naissante. La dépouille ne fut plus alors une res nullius laissée à l'abandon, mais devint l'objet de rites - cris, chants, pleurs, cortèges, fleurs, etc. -, des sépultures individuelles ou collectives abritant celle ou celui qui venait à disparaître. Cette prise de conscience jouera plus tard un rôle majeur dans la cité. Le deuil personnel et social est bien alors l'expression de l'attachement et de l'appartenance à une famille et à un groupe !

Aujourd'hui, dans nos sociétés évoluées, la mort est occultée, rejetée. Elle dérange. Nous voulons l'ignorer. Les progrès de la médecine, de la biologie, l'industrie des médicaments, les prothèses, les greffes d'organes, par exemple, reculent les limites de « l'inéluctable ». L'homme ose concevoir son immortalité.

Toutefois, ces avancées scientifiques et techniques posent à la conscience des questions redoutables. Trop souvent, en effet, les derniers instants de l'existence sont si indignes qu'ils ne s'apparentent plus qu'à un naufrage !

Chacun admet aujourd'hui la nécessité de calmer au mieux la douleur des patients, qu'ils soient ou non en fin de vie. Le Sénat s'en est déjà saisi, relayé par l'Assemblée nationale et le Gouvernement puisque, à la suite d'un rapport de sa commission des Affaires sociales ( ( * )1) , a été votée la loi n° 95-116 du 4 février 1995 : elle affirme l'obligation pour les établissements de soins de mettre en oeuvre tous les moyens propres à assurer une réelle prise en charge de la douleur et insiste sur la formation des médecins. Le nouveau code de déontologie médicale dispose en son article 37 « qu'en toutes circonstances, le médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances de son malade, l'assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique ».

Or, de même que tous les moyens, nombreux, dont on dispose maintenant pour apaiser ces dernières souffrances doivent être proposés au patient qui le souhaite, dussent-ils abréger son existence, de même aucun traitement ne devrait être entrepris ou suivi contre son gré, par simple respect dû à chaque personne humaine.

Le souci de respecter sa volonté est déjà présent dans la législation de plusieurs pays. Aux États-Unis, la loi fédérale sur l'autodétermination du malade, qui date du 1 er décembre 1991, impose à tous les établissements de soins d'informer chaque malade de ses droits et, s'il a rédigé une déclaration de volonté et nommé un mandataire, d'en faire mention dans son dossier. Les provinces canadiennes de la Colombie-Britannique, du Manitoba, de la Nouvelle-Écosse, de l'Ontario et du Québec se sont dotées de législations reconnaissant la légalité du testament de vie. Le 30 novembre 1995, l'État d'Australie du Sud a admis le refus de traitement en phase terminale et l'administration d'antalgiques pouvant hâter le décès, si telle est la volonté du patient. Au Danemark, une loi votée le 14 mai 1992 oblige les médecins à se conformer aux dispositions contenues dans les déclarations de volonté et encourent des sanctions s'ils y contreviennent. En Suisse, une loi du 28 mars 1996, votée par le Grand Conseil du canton de Genève, édicte : « les directives anticipées rédigées par le patient avant qu'il ne devienne incapable de discernement doivent être respectées par les professionnels de la santé s'ils interviennent dans une situation thérapeutique que le patient avait envisagée dans ses directives ».

En Grande-Bretagne, en Allemagne et en Autriche, c'est la jurisprudence qui reconnaît l'obligation de se conformer au testament de vie.

Toutefois, nombreuses sont les personnes qui souhaitent aller plus avant et obtenir que leur soit accordée une aide active à mourir quand elles estimeront que la qualité de leur vie est définitivement et réellement amoindrie. Pour elles, la distinction entre euthanasie passive et active relève surtout d'une discussion sémantique. Débrancher un appareil respiratoire entraîne une fin de vie à court terme tandis que l'instillation d'un cocktail létal aboutit à une mort immédiate. Or, ne sont-ce pas là des processus identiques ?

De nombreuses personnalités ont été, à leur demande, euthanasiées. Georges V, roi d'Angleterre. Malraux. Tito. Franco. Hirohito. Et bien d'autres encore, tel, par exemple, il y a deux semestres, un Président qui « ferme les rideaux blancs de sa chambre et, refusant tous les soins prodigués, attend avec sérénité l'ultime instant ».

Les Pays-Bas ont été le premier pays à avoir autorisé la pratique de l'euthanasie, par une loi codifiant la pratique de la mort douce, votée le 30 novembre 1993 et entrée en vigueur le 1 er juin 1994, le Parlement ayant mis une touche finale en adoptant le 14 avril 1994 le texte d'un formulaire très détaillé que les médecins ayant aidé activement à mourir un de leurs patients seront tenus de remplir, afin de permettre un contrôle a posteriori par le procureur de leur intervention. Aux États-Unis, c'est sur la Côte Ouest, dans l'État de l'Oregon, qu'a été votée le 8 novembre 1994 une loi autorisant, selon une procédure très rigoureuse, le suicide médicalement assisté pour les malades de plus de dix-huit ans, atteints d'une pathologie incurable et dont la survie est estimée à six mois au maximum. D'autre part, ce droit au suicide médicalement assisté vient d'être reconnu conforme à la Constitution par les cours d'appel du 9 e et du 2 e circuit, ayant juridiction sur douze États des États-Unis.

En France, différents sondages SOFRES - pour l'Association pour le droit de mourir dans la dignité ou pour le journal Le Figaro - révèlent que plus de 80 % des personnes consultées sont favorables à l'euthanasie et que 65 % l'envisagent pour elles-mêmes, tandis que, selon le sondage d'un journal professionnel des médecins (le MAPI), près de 50 % des médecins âgés de moins de cinquante ans l'admettent comme une nécessité, certains déclarant l'avoir pratiquée malgré l'interdiction pénale.

Il s'agit là d'ailleurs d'une pratique de plus en plus souvent mise en oeuvre, y compris dans des établissements de soins, publics ou privés. Le rationnement des médicaments, l'insuffisance de matériels très coûteux sont des formes d'euthanasie administrative. Dans ce domaine singulièrement difficile, une véritable transparence n'éviterait-elle pas des désordres inacceptables ? Si on ne veut pas continuer à s'en tenir à une interdiction brutale accompagnée de sanctions pénales, la réglementation est de plus en plus nécessaire. Mais elle suppose la liberté préalablement reconnue. C'est la même problématique qu'en matière d'interruption volontaire de grossesse.

Le développement des soins palliatifs est hélas encore balbutiant en raison de l'ampleur des investissements financiers : en dix ans n'ont été mises en place que 38 unités pour 450 lits d'hospitalisation accueillant environ 6 000 patients et que 37 équipes mobiles de soins palliatifs pour plus de 500 000 décès annuels, dont 140 000 par cancer. La demande de soins palliatifs ne s'oppose d'ailleurs pas à une demande d'euthanasie. Certains patients, qui pourtant en bénéficient, expriment, en ces instants ultimes de détresse, le souhait d'une aide à mourir le plus vite possible, sans souffrir.

Nous sommes donc convaincus qu'il est indispensable de tenir compte de la volonté lucide et déterminée des patients et de ne faire encourir aucune sanction aux médecins qui la respecte, compte tenu de l'exemple des grandes législations démocratiques que nous avons citées. Sera ainsi consacré et protégé l'ultime espace de liberté de celui qui disparaît. En conséquence, nous vous demandons d'adopter la proposition de loi suivante.

PROPOSITION DE LOI

Article premier.

Toute personne en mesure d'apprécier les conséquences de ses choix et de ses actes est seule juge de la qualité et de la dignité de sa vie ainsi que de l'opportunité d'y mettre fin.

Art. 2.

Lorsqu'elle refuse un acharnement thérapeutique ou souhaite l'administration d'antalgiques qui pourraient hâter son décès, le médecin doit s'y conformer, sous réserve d'invoquer son cas de conscience dans les conditions prévues par l'article 8.

Art. 3.

Elle peut obtenir une aide active à mourir lorsqu'elle estime que l'altération effective ou imminente de cette dignité ou de cette qualité de vie la place dans une situation de détresse.

Art. 4.

Sa volonté, révocable à tout moment, de mettre un terme à son existence pourra être établie par tous moyens, notamment par un testament ou un procès-verbal signé de deux personnes en présence d'un officier de police judiciaire requis par le médecin.

Art. 5.

Elle peut charger un représentant ad hoc de faire connaître son souhait d'exercer la faculté prévue aux articles 2 et 3 et d'en requérir l'exécution au cas où elle ne serait plus en état de le faire elle-même.

Art. 6.

Toute personne admise dans un établissement de soins public ou privé devra être informée des facultés prévues aux articles 2 et 3.

Il doit, en outre, lui être demandé si elle a rédigé une déclaration de volonté de mourir dans la dignité et si elle a désigné un représentant ad hoc.

Une copie de sa déclaration de volonté et une copie de la désignation de son représentant ad hoc doivent être déposées, contre récépissé, auprès de l'établissement de soins.

Art. 7.

Le médecin qui fait droit à la volonté du patient dans les conditions prévues aux articles 2 et 3 peut exiger au préalable le dépôt décrit à l'article 6 ou la rédaction d'un testament ou procès-verbal mentionné à l'article 4.

Il déclarera l'acte accompli au conseil de l'ordre des médecins, qui le mentionnera dans un registre spécial.

Il n'encourt aucune sanction.

Art. 8.

Si un médecin n'entend pas, en conscience, donner suite à une demande présentée en application des articles 2 ou 3, il doit en aviser la personne concernée.

Il le fera dès le premier entretien si celle-ci a déposé une déclaration écrite conformément à l'article 6, et dès qu'il a connaissance de sa volonté si celle-ci est exprimée postérieurement à l'hospitalisation.

Il est alors tenu, si aucun médecin dans l'établissement ne souhaite accéder à la demande du patient, de pourvoir dans les meilleurs délais au transfert de celui-ci dans un autre établissement.

* (1) Rapport Sénat n° 138. 1994/1995, de Lucien Neuwirth.

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