N° 132

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 28 novembre 1997.

PROPOSITION DE LOI

relative au droit du conjoint survivant et des enfants dans la succession,

PRÉSENTÉE

Par MM. Robert PAGES, Jean DERIAN, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Michel DUFFOUR, Guy FISCHER, Pierre LEFEBVRE, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme Odette TERRADE,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Successions et libéralités.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

La situation du conjoint survivant dans la succession ne correspond pas à la situation réelle de celui-ci dans la famille. En effet, en l'absence de contrat de mariage, il n'hérite pas de la même propriété qui revient aux enfants et ne bénéficie que du quart de l'usufruit.

La présence d'ascendants ou collatéraux privilégiés dans les deux lignes le prive également de droits en pleine propriété et limite au surplus son droit d'usufruit à la moitié de la succession. En l'état de la législation, le conjoint survivant n'a même pas l'assurance de pouvoir continuer à disposer, ne serait-ce qu'en usufruit, du cadre de vie qui était le sien.

Il faut tenir compte à la fois que la famille se compose souvent du couple plus des enfants et que l'essentiel des biens est acquis au cours de la vie commune, en particulier le logement, ce qui rend peu justifiables les droits-limites du conjoint en cas de succession.

Le groupe communiste avait, en 1989, dans une proposition de loi relative à l'union de fait, suggéré que le conjoint survivant ait droit à la totalité de l'usufruit pour ce qui dans la grande majorité des cas est essentiel, à savoir la résidence principale du ménage.

Il n'est pas équitable en effet que, faute d'un contrat de mariage particulier, le conjoint survivant qui a pu être marié des dizaines d'années avec le prédécédé et qui a contribué par ses activités au bien-être du ménage et des enfants se retrouve avec seulement un quart de l'usufruit. Les dispositions proposées pour le conjoint successible sont le choix entre la totalité de l'usufruit ou le quart de la propriété des biens.

Il faut assurer au conjoint survivant un minimum successoral garanti qui, dans la plupart des cas, sera la conservation des conditions d'existence dans le logement qu'il occupait avec son conjoint.

Améliorer le droit des héritiers ne doit pas laisser dans l'ombre un problème bien réel, celui de l'homme et de la femme qui vivent ensemble sans être mariés.

Souvent, c'est la jurisprudence qui cherche à remplir le vide de la loi et, à partir de l'enrichissement sans cause et de l'activité ménagère de la femme, accorde un droit à pension comme en cas de divorce à la femme pourtant non mariée.

Les difficultés sont réelles. Mais c'est sans doute en matière successorale qu'elles sont les moins complexes quand la femme et l'homme qui vivent ensemble ne sont pas mariés par ailleurs.

La loi devrait mettre le droit et le vécu en concordance.

L'union de fait doit ouvrir à un homme et à une femme exactement les mêmes droits que s'ils étaient mariés, dès lors qu'ils en ont formulé le désir.

L'union de fait doit pouvoir être prouvée par tous moyens. Elle doit résulter normalement d'un certificat signé en mairie.

En pratique, c'est surtout le droit au logement qui doit être assuré. La personne vivant en ménage doit avoir le droit de reprendre le contrat de location dans les mêmes conditions. Les dispositions sur les conditions d'existence et du cadre de vie du conjoint devraient s'appliquer en cas d'union de fait.

Enfin, l'article 5 concerne les droits des enfants adultérins.

Actuellement, les enfants adultérins voient leurs droits réduits globalement de moitié lorsqu'ils se trouvent en concours, soit avec le conjoint victime de l'adultère, soit avec les enfants légitimes.

De plus, la réserve héréditaire de l'enfant adultérin se trouve restreinte de moitié de celle à laquelle il aurait eu droit s'il avait été légitime.

Ce principe du droit de l'enfant doit être déterminant.

A notre avis, tous les enfants sont naturels et ils sont tous légitimes. Le code civil devrait traduire cette évolution des moeurs et non pas la limiter. Une avancée significative a été faite par la loi du 8 janvier 1993, mais les expressions filiation légitime, enfant légitime, enfant naturel devraient être supprimées et remplacées par des termes excluant toute connotation péjorative susceptible de porter préjudice à un enfant.

Il est important que les enfants, qu'ils soient nés ou non pendant le mariage, aient des droits égaux à la succession de leurs auteurs.

L'article 5 met strictement sur un plan d'égalité tous les enfants, qu'ils soient nés ou non alors que leurs père et mère étaient engagés dans les liens d'un mariage au temps de leur conception.

Le respect des droits de l'enfant et du conjoint survivant seront ainsi assurés d'une manière équilibrée.

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition la loi suivante.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

L'article 764 du code civil est remplacé par les dispositions suivantes :

« Le conjoint successible est appelé à la succession, soit seul, soit en concours avec les parents du défunt.

« Si le défunt laisse des enfants ou des descendants, le conjoint recueille, à son choix, l'usufruit de la totalité ou la propriété du quart des biens existants au décès.

« Si le défunt laisse des ascendants, des frères et soeurs ou descendants de frères et soeurs, le conjoint recueille, à son choix, l'usufruit de la totalité ou la propriété de la moitié des biens existants au décès. »

Article 2

Il est inséré dans le code civil un article 767-1 ainsi rédigé :

« Art. 767-1. - La succession de l'époux prédécédé doit assurer au conjoint survivant le maintien de ses conditions d'existence et notamment de son cadre de vie.

« Le cadre de vie du conjoint est constitué par l'immeuble qui, au jour du décès, était son habitation principale, ainsi que par le mobilier dont le logement était pourvu.

« Lorsque l'habitation dépend de la succession du prédécédé et que le conjoint ne peut en jouir à titre de propriétaire, de copropriétaire ou d'usufruitier, elle lui est concédée à bail par le juge sur sa demande.

« Lorsque l'habitation était assurée au moyen d'un bail à loyer, le droit au bail est attribué, outre le mobilier, au conjoint survivant dés lors que celui-ci en fait la demande.

« Dans tous les cas, la succession peut être tenue de contribuer au loyer et aux charges de l'habitation, dans une proportion que le juge détermine et qu'il peut réviser. »

Article 3

Il est inséré dans le code civil un article 767-2 ainsi rédigé :

« Art. 767-2. - Le juge peut également allouer une rente au conjoint survivant fixée en fonction de la succession. Elle est indexée ; l'indice est déterminé comme en matière de pension alimentaire. Elle est supportée par les héritiers et légataires au prorata de leur quote-part. »

Article 4

Il est inséré dans le code civil un article 915-3 ainsi rédigé :

« Art. 915-3. - Pour la femme et l'homme non mariés qui vivaient en état d'union de fait, l'union de fait produit tous les effets du mariage en matière de droits successoraux. »

Article 5

I. - L'article 757 du code civil est ainsi rédigé :

« Art. 757. - L'enfant naturel a, dans la succession de ses père et mère et autres ascendants, ainsi que des frères et soeurs et autres collatéraux, les mêmes droits qu'un enfant conçu par les père et mère mariés ensemble. »

II. - Sont abrogés les articles 759,760, 762, 763, 908, 908-1, 915 à 915-2, 1097 et 1097-1 du code civil.

III. - Dans le second alinéa de l'article 1527, les mots : « d'un précédent mariage » et « d'un précédent lit » sont remplacés par les mots : « d'une précédente union ».

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