N° 565

SENAT

PREMIÈRE SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1997-1998

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 8 juillet 1998.

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 septembre 1998.

PROPOSITION DE LOI

relative aux apports en industrie,

PRÉSENTÉE

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Sociétés. - Parts bénéficiaires - Code du commerce.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS

Dans la période actuelle où il apparaît plus que jamais nécessaire la création d'entreprises, notre législation ne permet pas une juste rémunération des associés qui apportent non une part du capital social, mais leur crédit, leur expérience, leur initiative individuelle et leur savoir-faire dans la société. Elle défavorise donc le travail - les apports en industrie -par rapport au capital.

De fait, les apports en industrie ont pu être considérés par la doctrine comme dotés d'une « faiblesse congénitale ». Ils ne comptent pas pour la détermination du capital social (article 1843-2, alinéa 2 du code civil). De plus, la part des bénéfices réservée aux apporteurs en industrie est égale à celle de l'associé qui a le moins apporté (article 1844-1 du code civil). Enfin, les droits des apporteurs en industrie sont incessibles.

Le rôle des apports en industrie est encore plus effacé en ce qui concerne les sociétés par actions et les SARL puisqu'ils ne confèrent pas la qualité d'associé dans ces sociétés et qu'ils ne peuvent être représentés ni par des parts sociales de SARL (article 38, alinéa 2 de la loi du 24 juillet 1966) ni par des actions (article 75, alinéa 4 de la même loi). Concrètement, les personnes qui mettent à la disposition d'une telle société leurs connaissances techniques, leur travail ou leurs services se lient à elle par un contrat de travail ou un contrat de prestations de services, qui peuvent d'ailleurs prévoir un intéressement aux bénéfices.

Certes, la loi de 1966 a prévu une exception en ce qui concerne les SARL dont l'objet porte sur l'exploitation d'un fonds de commerce ou d'une entreprise artisanale apportée à la société ou créée par elle à partir d'éléments corporels ou incorporels qui lui sont apportés en nature. Elle autorise alors l'apporteur en nature ou son conjoint à apporter son industrie lorsque son activité principale est liée à la réalisation de l'objet social. Néanmoins, la quote-part de l'apporteur en industrie ne pourra pas, là non plus, être supérieure à celle de l'associé qui a le moins apporté, tout en étant déterminée par les statuts.

Naturellement, le régime juridique singulier des apports en industrie s'explique : le fait que la libération de ces apports ne peut être que successive, au fur et à mesure des services rendus, et qu'ils sont inaptes à servir comme droit de gage des créanciers sociaux, leur confère une nature bien différente des apports en capital. En outre, ils posent des problèmes en droit social, car ils sont susceptibles d'apparaître comme un salaire fictif qui engendrerait alors des requalifications par l'administration et le juge social, d'où une exigibilité des charges et des cotisations sociales...

Tout cela a conduit, dans la pratique, à rechercher des- moyens mieux adaptés de rémunérer les apports en industrie. C'est tout le sens de la notion de valeurs mobilières privilégiées , c'est-à-dire des actions dites de priorité, qui confèrent à leurs titulaires plusieurs avantages par rapport aux autres actions : augmentation du droit aux bénéfices annuels, soit sous forme d'une quote-part des bénéfices supérieure à celle revenant aux autres actions, soit sous la forme d'un dividende préciputaire (dividende versé aux actions privilégiées par préférence aux actions ordinaires, qui peuvent ainsi se retrouver privées de toute distribution en cas d'insuffisance des bénéfices) soit encore sous la forme d'un dividende cumulatif. Il est également possible d'augmenter les droits pécuniaires de certains actionnaires au jour de la liquidation de la société.

Il est aujourd'hui acquis que l'octroi par tes statuts sociaux d'une fraction de bénéfices à une ou plusieurs personnes ayant rendu des services à la société (ou appelés à les lui rendre) est licite. La création d'actions privilégiées est même l'un des cas les plus fréquents en pratique de la stipulation d'avantages particuliers. Toutefois, la formulation générale des avantages particuliers doit permettre l'octroi de toute faveur, de nature pécuniaire ou autre, attribuée à un actionnaire ou à un tiers, y compris sous la forme d'une fraction des bénéfices.

Quoi qu'il en soit il apparaît que la solution la plus adaptée et performante pour rémunérer les apports en industrie consisterait à réintroduire dans le droit français positif la notion de parts bénéficiaires. Tel est r objet de la présente proposition de loi

Rappelons en premier lieu que cette notion est ancienne puisqu'elle a fait son apparition dans notre pays en 1858, dans les statuts de la Compagnie de Suez, pour rémunérer les fondateurs de la Compagnie et les autorités françaises et égyptiennes qui avaient facilité sa création. L'institution, issue de la pratique, a, dès lors, connu un succès très significatif, non d'ailleurs sans donner lieu à quelques abus.

Ces parts bénéficiaires ont permis en tout cas de rémunérer les personnes qui avaient pris l'initiative de créer une société grâce à leurs compétences et à leur esprit d'entreprise, et de tenir compte des apports en industrie qu'elles avaient effectués. Elles ont aussi permis d'intéresser à l'avenir des entreprises les équipes qui avaient pris le risque de participer à leur création. La nature juridique des parts bénéficiaires a été organisée par la loi du 23 janvier 1929, en particulier son article 1 er . Ce texte disposait en particulier que les porteurs de parts bénéficiaires n'avaient pas la qualité d'associés, mais celle d'associés créanciers, ce qui leur permettait notamment d'assister aux assemblées générales sans disposer d'une voix délibérative. Les droits patrimoniaux de ces associés-créanciers étaient réglés par les statuts et un droit leur était habituellement reconnu à une quote-part du super dividende et à une quote-part du boni après remboursement du capital en cas de liquidation. Après la Seconde Guerre mondiale, certaines sociétés anonymes cotées avaient encore des porteurs de parts bénéficiaires, en particulier l'Air Liquide et Les Chargeurs Réunis. Ces parts ont été généralement échangées contre des actions, lors de la refonte du droit des sociétés et à l'interdiction pour l'avenir de ces titres particuliers par l'article 264 de la loi de 1966. Le législateur a été conduit à agir de la sorte, à l'époque, en raison de l'importance du contentieux qui a opposé les actionnaires ordinaires des sociétés par actions aux parts bénéficiaires, à partir de cas de distribution de parts bénéficiaires sans raison valable, et du caractère instable de l'équilibre actionnaires / porteurs de parts bénéficiaires instauré par la loi de 1929.

Mais, il est à noter que des parts bénéficiaires peuvent être encore créées dans les SARL, selon une doctrine assez unanime, l'interdiction édictée par la loi de 1966 ne concernant que les sociétés par action. Ainsi, les services rendus pour la création de la société ou le crédit personnel d'un associé, peuvent y donner lieu à distribution de parts bénéficiaires. Cela est d'autant plus facile que l'égalité entre les associés n'y constitue pas une prérogative obligatoire des associés mais une simple modalité d'organisation sociale qui peut leur être reconnue. Ainsi, une clause statutaire peut stipuler l'octroi à certains associés d'un dividende supérieur à celui que reçoivent les associés ordinaires, ou encore l'octroi à certains associés d'un dividende prioritaire, sous réserve des seules clauses léonines, évidemment prohibées.

On le voit, la rémunération des apports en industrie est actuellement très imparfaite dans notre droit positif. Outre la complexité de leur évaluation, la rémunération de ces apports reste source de nombreux problèmes juridiques puisqu'elle peut apparaître comme un salaire fictif et engendrer une requalification à coût social élevé, pour la société comme pour l'apporteur. La renaissance des parts bénéficiaires, valeurs mobilières de nature spécifique, apparaît donc nécessaire et urgente. Mais cela suppose que les motifs qui ont entraîné leur quasi-disparition du droit des sociétés soient au préalable traités.

* *

*

Dans son article 1 er , le champ d'application de la présente proposition est cerné avec précision. Tout d'abord, cette faculté sera réservée aux sociétés dont les titres ne sont pas admis sur un marché réglementé , tels que définis par la loi du 2 juillet 1996. En effet, la réintroduction dans notre droit des parts bénéficiaires a pour finalité d'inciter à la création d'entreprises et donc de faciliter la rémunération des fondateurs dont le crédit, le savoir-faire ou l'expérience ont permis la constitution de la société, apports jusqu'à présent imparfaitement pris en compte. Et c'est pour que ces parts bénéficiaires ne deviennent pas progressivement illégitimes aux yeux des actionnaires ordinaires qu'il est proposé de ne les réintroduire que dans les sociétés par actions où l' intuitus personae est encore fort, c'est-à-dire précisément dans les sociétés dont les titres ne sont pas admis sur un marché réglementé, et ce uniquement dans les dix premières années d'existence de la société, la nécessité de contrepartie d'un service fourni pouvant s'estomper avec te temps, surtout s'il a été ponctuel ou a pris fin. De plus, il convient à l'évidence d'éviter tous les obstacles significatifs à la transparence des marchés financiers.

Même s'il est prévu que la conversion des titres est automatique, une procédure d'évaluation est mise en place afin que celle-ci s'effectue dans le respect des droits de leurs détenteurs comme de l'ensemble des actionnaires.

La loi du 23 janvier 1929 a organisé les droits des porteurs de parts bénéficiaires. Elle a été modifiée par la loi n° 66-538 du 24 juillet 1966 qui visait la disparition progressive de ces titres, la loi n° 66-537 promulguée le même jour n'énonçant qu'une interdiction pour l'avenir.

Il était notamment prévu que la société pouvait procéder au rachat ou à la conversion des parts à compter de la vingtième année de leur émission. Ceci étant incompatible avec les mesures prévues par la présente proposition, un article 2 permettra que l'article 8 ter de la loi de 1929 ne s'applique qu'aux titres émis antérieurement à la promulgation de ces dispositions.

Hormis cet article, la loi de 1929 continuera à s'appliquer à toute part bénéficiaire, quelle que soit sa date d'émission, grâce à la modification de l'article 504 de la loi de 1966 prévue à l'article 3 de cette proposition.

Enfin, les dispositions pénales prévues à l'article 468 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 seront modifiées de telle sorte que soient sanctionnées les émissions de parts bénéficiaires effectuées dans des conditions autres que celles prévues par la présente proposition de loi.

Tels sont les motifs pour lesquels nous vous demandons d'adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

I. - A la fin de l'article 264 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, les mots : « est interdite à dater de l'entrée en vigueur de la présente la loi » sont remplacés par les mots : « est réservée aux sociétés dont les titres ne sont pas admis sur un marché réglementé ».

II. - Le même article de la loi précitée est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Ces titres ne peuvent être émis qu'au profit des créateurs de sociétés. Leur durée ne peut excéder dix ans. Ils sont automatiquement convertis en actions à échéance de leur terme ou lors de leur cession. L'assemblée génèrale extraordinaire des actionnaires constate alors cette conversion, qui s'opère au taux défini par un rapport spécial des commissaires aux comptes ou par voie d'expertise, selon les articles 2 et suivants du décret n° 67-452 du 6 juin 1967. »

Article 2

Dans le dernier alinéa de l'article 14 de la loi du 23 janvier 1929 sur les parts de fondateurs émises par les sociétés, les mots : « sont applicables aux » sont remplacés par tes mots : « ne sont applicables qu'aux».

Article 3

Dans l'article 504 de la loi du 24 juillet 1966 précitée, les mots : « émises avant l'entrée en vigueur de la présente loi » sont supprimés.

Article 4

A l'article 468 de la loi du 24 juillet 1966 précitée :

I. - Les mots : « à dater de l'entrée en vigueur de la présente loi » sont supprimés.

II- Après les mots : « parts de fondateur », il est inséré les mots : « dans des conditions non-conformes à l'article 264 de la présente loi ».

Page mise à jour le

Partager cette page