PROPOSITION DE LOI
N° 9
rectifié
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 7 octobre 1999
PROPOSITION DE LOI
tendant à préciser la
définition
des
délits non intentionnels,
PRÉSENTÉE
Par M. Pierre FAUCHON,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Procédure pénale. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Depuis plusieurs années, la responsabilité pénale des
élus locaux est de plus en plus souvent mise en cause pour des faits non
intentionnels.
Les maires sont désormais appelés à répondre
pénalement de toutes sortes de dommages, y compris les moins
prévisibles, survenus sur le territoire de leur collectivité.
Cette situation est très préoccupante pour la démocratie
locale. La crainte d'une mise en cause pénale peut en effet conduire
à la paralysie de la gestion locale. Par ailleurs, nombre de maires
envisagent désormais de ne pas demander le renouvellement de leur mandat.
Dès 1995, le Sénat s'est inquiété de cette
évolution. La commission des Lois, à l'initiative de son
président, M. Jacques Larché, a mis en place un groupe
de travail, qui a étudié de manière approfondie les
solutions envisageables. Le groupe de travail a écarté les
solutions qui auraient conduit à donner un statut pénal
particulier aux élus locaux, par exemple la création d'un
délit d'imprudence ou de négligence propre aux élus locaux.
Les travaux du groupe de travail ont conduit à l'adoption par le
Parlement de la loi du 13 mai 1996 qui a modifié
l'article 121-3 du code pénal pour prévoir qu'il y a
délit en cas d'imprudence, de négligence ou de manquement
à une obligation de prudence ou de sécurité "
sauf
si l'auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas
échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses
compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il
disposait "
. Il s'agissait d'inviter le juge à apprécier
in concreto
la faute d'imprudence ou de négligence.
Il est encore difficile aujourd'hui de mesurer les effets de la loi du
13 mai 1996. Certains commentateurs notent que les décisions
récemment rendues à propos de faits d'imprudence ou de
négligence auraient été exactement identiques si
l'article 121-3 du code pénal n'avait pas été
modifié. On observe néanmoins que les jugements rendus sont mieux
motivés que par le passé. En outre, et c'est peut-être le
plus important, le nouveau texte peut conduire les parquets à ne pas
mettre en mouvement l'action publique dans des situations où ils
l'auraient fait sous l'empire du texte antérieur. Cet effet dissuasif
n'est évidemment pas mesurable. En tout état de cause, plusieurs
années encore seront nécessaires pour que la portée de la
loi du 13 mai 1996 puisse être sérieusement
mesurée.
*
* *
Quoi
qu'il en soit, il paraît aujourd'hui souhaitable d'aller plus loin.
Est-il normal en effet qu'un préfet puisse être mis en examen
trente ans après avoir délivré un permis de construire
parce que l'édifice en cause a été inondé, qu'un
maire puisse être condamné pour la défectuosité d'un
lampadaire ou la chute d'un obus décoratif d'un monument aux morts ?
La recherche d'une solution dans ce domaine doit éviter certains
écueils. La mise en place de procédures spécifiques
tendant à faire des décideurs publics, et notamment des
élus locaux, des justiciables spécialement protégés
ne serait pas comprise par l'opinion malgré son caractère
très explicable.
Dans ces conditions, il convient de s'interroger sur la notion même de
délit d'homicide involontaire et de blessures involontaires, aujourd'hui
définis de manière très large. Rappelons qu'en principe,
aux termes mêmes de l'article 121-3 du code pénal :
"
il n'est point de crime ou de délit sans intention de le
commettre "
. Les délits involontaires constituent donc une
exception à ce principe, dont les limites devraient être
précisées.
La présente proposition de loi a donc pour objet de modifier la
définition des infractions d'homicide involontaire et de blessures
involontaires. Actuellement, l'homicide involontaire est défini comme
" le fait de causer, par maladresse, imprudence, inattention,
négligence ou manquement à une obligation de
sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les
règlements, la mort d'autrui ".
Les peines encourues pour cette
infraction sont aggravées en cas de manquement
délibéré à une obligation de sécurité
ou de prudence imposée par la loi ou les règlements. Pour que
l'infraction soit caractérisée, il suffit donc qu'il y ait une
faute, fût-elle une simple négligence, et qu'il existe un lien de
causalité entre cette faute et le décès de la victime. Il
n'est pas nécessaire que le lien de causalité soit direct ni que
la faute soit caractérisée.
Une solution pourrait être de caractériser la faute susceptible
d'engager la responsabilité pénale en cas d'infraction non
intentionnelle. Toutefois, l'exigence d'une faute " lourde " ou
" inexcusable " pourrait avoir pour conséquence de faire
échapper à la qualification d'homicide ou de blessures
involontaires un nombre considérable de comportements, notamment dans le
domaine de la sécurité routière. Dès lors que le
texte envisagé doit concerner l'ensemble de la délinquance non
intentionnelle, il convient d'être attentif à ne pas passer d'un
système trop répressif à un système laxiste.
On est ainsi conduit à opérer une distinction entre les
hypothèses dans lesquelles la faute a
directement
causé la
mort ou les blessures et celles dans lesquelles la faute n'a causé
qu'
indirectement
la mort ou les blessures, ces dernières
correspondant en fait le plus souvent à la situation des élus.
Lorsque la faute a
directement
causé la mort ou des blessures, il
paraît nécessaire de considérer que le délit est
constitué dès lors qu'il y a faute, quelle que soit la
gravité de celle-ci.
En revanche, lorsque le lien n'est qu'
indirect
entre la faute et le
dommage, il paraît plus approprié d'exiger une faute
caractérisée pour que le délit soit constitué. Dans
ce dernier cas, les notions de faute lourde ou de faute inexcusable n'existant
pas en droit pénal, il semble cohérent d'utiliser la
définition du délit de mise en danger d'autrui, qui fait
référence à la "
violation manifestement
délibérée d'une obligation particulière de
sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le
règlement
".
Dans cette perspective, la présente proposition de loi a pour objet de
modifier la définition de l'homicide involontaire et des blessures
involontaires en intervenant à la fois sur la définition de la
faute et sur le lien de causalité.
Deux situations seraient désormais constitutives de l'homicide
involontaire (ou des blessures involontaires) :
- Le fait de causer
directement
la mort d'autrui (ou des blessures) par
maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à
une obligation de sécurité ou de prudence (les peines seraient
aggravées en cas de manquement délibéré à
une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la
loi ou les règlements) ;
- le fait de causer
indirectement
la mort d'autrui (ou des blessures),
par la violation
manifestement délibérée
d'une
obligation de sécurité imposée par la loi ou les
règlements.
Ainsi, une faute simple continuerait à être exigée pour
caractériser le délit lorsqu'il existe un lien direct entre la
faute et le décès (ou les blessures). Au contraire, la violation
manifestement délibérée d'une obligation de
sécurité ou de prudence serait nécessaire pour
caractériser le délit lorsque le lien n'est qu'indirect entre la
faute et le décès (ou les blessures). Une simple imprudence ne
constituerait donc plus un délit en cas de lien indirect entre cette
imprudence et le dommage.
Le Président du Sénat, M. Christian
Poncelet, a témoigné de son intérêt pour une telle
solution devant les états généraux des élus locaux
récemment organisés par lui à Lille.
Cette modification devrait permettre, sans bouleverser les équilibres du
nouveau code pénal, d'apporter une solution aux difficultés
rencontrées par les élus locaux, en ce qui concerne la mise en
cause de leur responsabilité pénale pour des faits non
intentionnels. La modification proposée s'appliquerait à tous les
justiciables, afin de respecter l'égalité des citoyens devant la
loi pénale. La rédaction de la présente proposition est
sans doute perfectible et le dépôt de celle-ci a pour premier
objet de provoquer la réouverture du dossier par le législateur
et le gouvernement en vue de dégager une solution plus équitable.
*
* *
La
présente proposition de loi tend également à modifier
l'article 121-2, afin de faire disparaître les limites à la
responsabilité pénale des collectivités territoriales et
de leurs groupements. Actuellement, ces collectivités ne sont
responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice
d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de
délégation de service public. Si cette limitation s'explique par
une volonté de ne pas porter atteinte à la séparation des
pouvoirs, elle a cependant des conséquences fâcheuses puisque,
pour les activités ne pouvant faire l'objet de conventions de
délégation de service public, seules les personnes physiques, et
notamment les élus locaux, peuvent être mis en cause
pénalement. Il en va ainsi en ce qui concerne par exemple les
activités des polices municipales. Dans ces conditions, il paraît
souhaitable d'étendre la responsabilité pénale des
collectivités territoriales et de leurs groupements.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi qu'il vous est
demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter.
PROPOSITION DE LOI
Article premier
L'article 221-6 du code pénal est ainsi
rédigé :
" Art. 221-6. - Le fait de causer directement, par maladresse, imprudence,
inattention, négligence ou manquement à une obligation de
sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le
règlement, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de
trois ans d'emprisonnement et de 300.000 F d'amende. En cas de violation
manifestement délibérée d'une obligation
particulière de sécurité ou de prudence imposée par
la loi ou le règlement, les peines sont portées à cinq ans
d'emprisonnement et à 500.000 F d'amende.
" Le fait de causer indirectement, par la violation manifestement
délibérée d'une obligation particulière de
sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le
règlement, la mort d'autrui est puni de trois ans d'emprisonnement et de
300.000 F d'amende. "
Article 2
L'article 222-19 du même code est ainsi
rédigé :
" Art. 222-19. - Le fait de causer directement à autrui, par
maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à
une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la
loi ou les règlements, une incapacité totale de travail pendant
plus de trois mois est puni de deux ans d'emprisonnement et de 200.000 F
d'amende. En cas de manquement délibéré à une
obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi
ou le règlement, les peines encourues sont portées à trois
ans d'emprisonnement et à 300.000 F d'amende.
" Le fait de causer indirectement, par la violation manifestement
délibérée d'une obligation particulière de
sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le
règlement, une incapacité totale de travail pendant plus de trois
mois est puni de deux ans d'emprisonnement et de 200.000 F d'amende. "
Article 3
Le deuxième alinéa de l'article 121-2 du même code est supprimé.