N° 54

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 26 octobre 2000

PROPOSITION DE

RÉSOLUTION

présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne (1), en application de l'article 73 bis du Règlement, sur la directive du Parlement européen et du Conseil concernant les dispositions relatives à l' heure d'été (E 1568),

Par M. Lucien LANIER,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement)

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ;
Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. James Bordas, Claude Estier, Pierre Fauchon, Lucien Lanier, Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; Nicolas About, Hubert Durand-Chastel, Emmanuel Hamel, secrétaires ; Bernard Angels, Robert Badinter, Denis Badré, José Balarello, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Jean Bizet, Maurice Blin, Xavier Darcos, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jean-Paul Emin, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Philippe François, Yann Gaillard, Daniel Hoeffel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Paul Masson, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Simon Sutour, Xavier de Villepin, Serge Vinçon, Henri Weber.

Union européenne.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En octobre 1996, notre délégation s'était penchée sur la question du système de l'heure d'été au moment où le gouvernement français envisageait très sérieusement de ne plus appliquer ce mécanisme horaire sur notre territoire.

Nous y avions consacré un rapport d'information soutenu par notre collègue Philippe François, tandis que, dans le même temps, M. François-Michel Gonnot, député, s'était trouvé chargé, par le Premier ministre, d'une mission d'études portant sur le même thème. Les deux rapports concluaient, dans un sens identique, à l'inutilité de laisser perdurer un dispositif finalement très perturbant pour de multiples aspects de la vie sociale et n'emportant plus vraiment la conviction quant à son intérêt en termes d'économies d'énergie.

Par ailleurs, il avait été signalé, à l'époque, que la question du choix de l'heure nationale relevait clairement de la compétence de chaque Etat membre au nom du principe de subsidiarité. La Commission elle-même en convenait - c'est ainsi, d'ailleurs, que le Portugal avait alors décidé unilatéralement de changer son heure légale, quittant la zone horaire espagnole pour adopter l'heure britannique en vigueur dans son fuseau horaire géographique -. Seule la fixation des dates de changement effectif devait être déterminée par les instances européennes afin d'organiser l'harmonisation de celles-ci sur le territoire des pays ayant souhaité adhérer au dispositif. Juridiquement donc, rien n'empêchait un Etat membre d'y renoncer pour l'avenir.

Or, quelque temps après la présentation de ces travaux parlementaires, une huitième directive relative à l'heure d'été prorogeait le système de changement semestriel pour la période 1998-2001.

Si l'on en croit l'exposé des motifs proposé par la Commission dans le présent projet de « neuvième » directive, « les Etats membres, sur la base d'une consultation juridique approfondie et au terme d'une discussion étendue, ont refusé à une très large majorité d'insérer dans la directive une dérogation permettant à un Etat membre de ne pas appliquer le régime d'heure d'été ». Cette approche des choses apparaît très contestable car, ainsi qu'il est précisé par la Commission elle-même « ... en vertu du principe de subsidiarité, la fixation de l'heure en vigueur dans chacun des Etats membres relève d'une décision purement nationale ».

Elle en conclut, de manière plus incohérente encore semble-t-il, que, en s'opposant à ce système de dérogation parfaitement superflu, « les Etats membres ont considéré que la directive portait à la fois l'obligation d'appliquer un régime d'heure d'été et celle d'observer le calendrier des dates de début et de fin de la période dite de l'heure d'été ». Il serait donc totalement et définitivement impossible à un Etat membre de se retirer du dispositif.

Pour vaincre les réticences françaises lors de l'examen de la huitième directive, la Commission s'était engagée à commanditer l'élaboration d'un rapport d'information faisant le point des avantages et des inconvénients du système de l'heure d'été. Des extraits de ce rapport sont joints au projet de texte : le moins qu'on puisse dire est qu'il n'apporte aucun élément nouveau.

Il en ressort, pour le monde agricole , que les vaches autrichiennes et françaises souffrent du passage à l'heure d'été, mais pas leurs homologues allemandes ; que les agriculteurs écossais supportent des risques accrus d'accidents de tracteurs, tandis que les paysans du sud de l'Europe se réjouissent de disposer d'une heure de clarté supplémentaire le soir.

Le bilan environnemental est apparemment plus négatif puisqu'on observerait un accroissement de l'émission d'azote dans l'air européen imputable à l'heure d'été, sauf pour de mystérieuses raisons, en Allemagne et en Grèce.

Pour ce qui concerne l 'énergie -objectif originaire du dispositif- les économies induites vont, selon les pays, d'insignifiantes (0,1 pour mille) à très limitées (0,3 %), et chiffrées, en tout, à 200 millions d'euros, étant précisé que « compte tenu du nombre d'hypothèses considérées sur lesquelles se fondent les estimations, il ne semble pas possible d'aboutir à des résultats offrant une réelle fiabilité et précision ».

Les résultats sont tout aussi flous pour ce qui concerne la santé ou la sécurité routière ; ils ne sont en définitif favorables à l'heure d'été que pour les loisirs et pour les transports -encore que, sur le dernier point, le problème ne soit pas tant celui d'instaurer ou pas l'heure d'été, mais seulement d'éviter que les calendriers de changements soient anarchiques.

Tout cela n'emportant pas conviction, ni dans un sens, ni dans l'autre, on pourrait conclure à l'inutilité, pour l'Union, de jouer avec le mouvement naturel du temps.

C'est à la position inverse qu'aboutit la Commission. Et, non seulement elle propose la prolongation du système de changement d'heure deux fois l'an, mais, de surcroît, elle prévoit de le rendre définitif en ne limitant pas sa période de validité, comme par le passé, à trois ou quatre années. La justification de ce choix est assez étonnante : « toutefois, l'adoption du système sans périodicité régulière et parfois pour des périodes très courtes, deux, trois, voire quatre ans, comme cela a été le cas jusqu'à présent , a suscité les préoccupations des secteurs socio-économiques concernés. Celles-ci sont d'autant plus fortes que les discussions faisant suite à une éventuelle remise en question du système ont parfois retardé le processus d'adoption, comme on a pu le constater pour la huitième directive » ; lesdits secteurs socio-économiques étant ceux des opérateurs des transports, des fabricants de calendriers et d'agendas, de logiciels informatiques et, en particulier, des fabricants de tachygraphes électroniques.

Désormais, si le texte devait être adopté en l'état, la période de l'heure d'été commencera le dernier dimanche de mars et s'achèvera le dernier dimanche d'octobre ; par souci de clarté, un calendrier daté sera élaboré tous les cinq ans ; enfin, et l'on se demande bien pourquoi, la Commission s'engage à présenter un nouveau rapport étudiant l'incidence des dispositions du texte sur les secteurs concernés d'ici le 31 décembre 2007.

Le Sénat s'est plusieurs fois exprimé sur cette question, tant au sein de votre délégation qu'en séance publique, lors de l'adoption en 1990 d'une proposition de loi portant sur le même thème. Ses votes ont montré que notre Haute Assemblée n'était pas favorable à la poursuite de ce dispositif horaire pour notre pays. Il faut rappeler, en effet, que pour des motifs historiques, le système actuel nous conduit à être en avance sur l'heure solaire d'une heure en hiver et de deux heures en été. La France affiche donc la même heure légale qu'à Varsovie, qui se situe résolument à l'Est ou que dans les Etats baltes en été, ce qui défie toute logique géographique.

De surcroît, rendre ce système permanent l'imposerait d'autorité aux pays candidats à l'entrée dans l'Union, sans tenir compte de leurs particularismes locaux. Sur ce point, d'ailleurs, contrairement à ce qu'indique la Commission, tous les pays candidats n'appliquent pas pour l'instant ce système : c'est ainsi qu'il n'est plus désormais en vigueur dans les Etats baltes.

Pour ces raisons, votre délégation pour l'Union européenne a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui suit :

PROPOSITION DE RESOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les dispositions relatives à l'heure d'été (E 1568),

Demande au Gouvernement de s'opposer à l'adoption de ce texte, tendant à prolonger le dispositif de l'heure d'été au-delà de 2001 et ce, sans limitation de durée, pour les motifs suivants :

- le rapport scientifique sur lequel il fonde sa position n'apporte pas d'élément convaincant, notamment pour ce qui concerne les économies d'énergie induites par ce mécanisme ; l'utilité du changement d'heure n'est donc pas patente, compte tenu des inconvénients qu'il comporte par ailleurs en termes de pollution de l'air et de confort de vie ;

- le choix de l'heure en vigueur dans chacun des Etats membres relève, selon la Commission européenne elle-même, d'une décision purement nationale, en vertu du principe de subsidiarité ; il est donc inexact d'affirmer l'impossibilité pour un Etat membre de déroger au dispositif sans l'accord du Conseil ;

- l'intégration du dispositif de l'heure d'été à l'acquis communautaire imposable aux Etats candidats à l'entrée dans l'Union ne tient pas suffisamment compte de leurs spécificités géographiques.

Invite en conséquence le Gouvernement à rechercher une solution durable à ce problème récurrent de la fixation de l'heure légale :

- en renonçant au dispositif de changement d'heure et en maintenant, sur l'année, l'horaire GMT plus une heure ;

- à défaut, en conservant le système actuel, mais en réintégrant la France dans son fuseau horaire naturel conduisant à l'application de l'heure GMT en hiver et GMT plus une heure en été.

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