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N° 56

SÉNAT

PREMIERE SESSION ORDINAIRE DE 1986-1987

Annexe au procès-verbal de la séance du 30 octobre 1986.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête chargée d'examiner l' utilisation des fonds publics dont ont bénéficié les chantiers navals et plus généralement des entreprises relevant de la filière maritime, et de faire toutes proportions portant d'une part réparation des détournements de fonds et d'autre part en vue d'une nouvelle efficacité économique et sociale de la filière maritime.

PRÉSENTÉE

Par MM. Louis MINETTI, Ivan RENAR, Hector VIRON, André DUROMÉA, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Paulette FOST, Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS, MM. Jean GARCIA, Charles LEDERMAN, Mme Hélène LUC, MM. Paul SOUFFRIN, Robert VIZET et Henri BANGOU,

Sénateurs.

(Renvoyée a la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, et pour avis à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale en application de l'article 11, alinéa 1, du Règlement.)

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Industrie. -- Commissions d'enquête - Construction navale - Fonds publics - Ports maritimes -Transports maritimes.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

L'existence même d'une industrie de la construction navale dans notre pays est gravement compromise.

Poursuivant sans répit notamment depuis 1978, année du plan Davignon, une oeuvre destructrice, le grand patronat des chantiers navals a décidé de liquider progressivement cette industrie pour se consacrer à des restructurations dans d'autres secteurs et notamment à la spéculation financière.

Ce processus s'est accompli et se poursuit avec ce qu'il faut bien appeler une véritable complicité des Gouvernements successifs qui n'ont pas hésité à injecter des milliards de francs de fonds publics en refusant de contrôler leur utilisation, permettant ainsi de démanteler l'outil de production au lieu de le moderniser et de sauvegarder l'emploi.

Aujourd'hui le nouveau pouvoir de droite a décidé d'aller plus vite et de sacrifier immédiatement trois des cinq grands sites de la navale, ceux de Normed, à Dunkerque, La Ciotat et la Seyne-sur-Mer.

Ce sont ainsi près de 7.000 salariés dont les emplois sont menacés et par voie de conséquence, sont également menacés plusieurs dizaines de milliers d'emplois induits par les activités de construction navale.

Dans le même temps, plusieurs autres chantiers de taille moyenne dans la construction ou la réparation navale sont eux aussi sur le point de fermer ou licencient sans compter.

Les établissements ARNO licencient 600 salariés. Les Ateliers et Chantiers Breheret sont en liquidation de biens. Trois cents suppressions d'emplois sont annoncées aux Ateliers et Chantiers de la Manche qui disposent d'établissements à Saint-Malo, Grand Quevilly et Dieppe.

Enfin la presse spécialisée se fait l'écho de rumeurs inquiétantes concernant le chantier Dubigeon à Nantes et celui des A.C.H. de La Pallice (650 salariés).

Ces ambitions destructrices du pouvoir et du grand patronat sont totalement inacceptables.

Inacceptables au plan humain, au regard de ces dizaines de milliers de salariés et de leurs familles qui - travaillant dans la navale ou pour la navale - sont laissés pour compte, sans grande perspective de retrouver un emploi dans des régions déjà sinistrées et dans un contexte d'aggravation de la crise capitaliste.

Inacceptables au plan régional, car les chantiers constituent pour les régions concernées de véritables poumons, liés à l'ensemble des activités maritimes dont la synergie serait ainsi brisée.

Inacceptables au plan économique et technique : la navale contribue à l'équilibre de la balance des paiements avec un excédent annuel moyen depuis 1976 d'environ 2 milliards de francs. Au plan technique, dans le monde entier est reconnue l'extraordinaire compétence et qualification des travailleurs de la navale et le niveau technologique de pointe qui caractérise cette industrie, handicapée cependant par le refus chronique du patronat d'apporter les investissements nécessaires pour moderniser l'outil de travail.

Inacceptables enfin au plan stratégique. La construction navale, comme les autres maillons de la filière maritime, est indispensable pour la sécurité de nos approvisionnements en matières premières et en énergie et joue un rôle important dans la défense nationale.

Malgré cela, le Gouvernement pour justifier la suppression brutale des aides exceptionnelles aux chantiers, et notamment à Normed, évoque d'une part le contexte de crise internationale et d'autre part le coût pour les contribuables de ces aides.

Concernant les conséquences de la crise internationale, il est à noter que depuis 1978 le carnet de commandes mondial pour la construction navale s'est stabilisé à un niveau d'environ 30 millions de tonneaux de jauge brute.

En revanche sur la même période, la part de la construction navale française n'a cessé de décroître passant d'environ 1 million de tonneaux en 1978 à moins de 250.000 depuis 1983.

La démonstration peut être faite que la construction navale française, dans un contexte de récession mondiale, s'est nettement moins bien tenue que dans bien d'autres pays, y compris européens, où contrairement à la France, une politique d'innovation et de modernisation de l'outil de production et de recherche des marchés et des débouchés a été conduite.

Le Gouvernement évoque également dans son réquisitoire contre la navale les coûts budgétaires trop élevés. Il faut un certain cynisme pour évoquer un tel argument - qui sacrifie toute une industrie et ceux qui la font vivre - alors que dans le même temps l'impôt sur les grandes fortunes est supprimé, des avantages fiscaux exorbitants sont accordés aux affairistes et spéculateurs de toutes sortes et que les gâchis financiers s'accroissent.

Mais surtout, ni ce Gouvernement ni les précédents n'ont voulu poser la véritable question : celle de l'utilisation des fonds publics qui ont été alloués aux grandes sociétés de construction navale.

À de nombreuses reprises, avant comme après 1981 et notamment à l'occasion de l'examen de chacun des budgets du ministère de la mer, puis de celui de l'industrie, les sénateurs communistes ont renouvelé leurs mise en garde auprès des Gouvernements quant à l'utilisation des fonds publics.

Ils n'ont malheureusement pas été entendus.

La Cour des comptes, dans un rapport établi par la septième chambre, a récemment confirmé ces craintes en évoquant les « détournements de bénéfices faits par la construction navale dans les périodes de haute conjoncture et des aides dont elle a été l'objet au profit des sociétés qui ont absorbé les chantiers ».

Ainsi l'argent public a-t-il été utilisé non pour l'outil de production mais pour les profits et l'accumulation financière.

De véritables trésors de guerre ont été accumulés par les grands groupes de la navale : 8 milliards de francs disponibles chez Schneider, 7 milliards chez Alsthom.

Il convient enfin que la lumière soit faite sur la provenance, la consistance et l'utilisation des fonds publics qui ont alimenté la navale. Tel pourrait être le premier objet de la commission d'enquête parlementaire proposée.

Un second volet de la mission que nous proposons de confier à cette commission est relatif à l'ensemble des secteurs de la filière maritime.

Ce Gouvernement, comme le précédent, mène une politique d'éclatement de la filière maritime et d'atteinte à chacun de ses maillons dont les conséquences sont redoutables pour les chantiers navals. Ainsi il faudrait moderniser notre flotte de commerce, la renouveler au rythme de 30 à 35 navires par an comme le recommande le conseil supérieur de la Marine marchande, mieux adapter nos infrastructures. Au total, il faudrait faire jouer les solidarités armateurs-chargeurs-constructeurs pour construire et réparer en France, transporter sur des navires français, amenant les marchandises dans des ports français.

Au contraire de cela, Gouvernement et patronat s'emploient à briser les synergies existantes ou potentielles et à gaspiller les fonds publics. La construction navale sous le Gouvernement Fabius a été retirée des compétences du ministre de la mer. Quant aux aides publiques accordées aux armateurs, elles ont servi et servent à délaisser le trafic national, à acheter ou affréter des navires étrangers, voire comme M. Seydoux, patron des Chargeurs réunis, à s'offrir la 5e chaine de télévision...

La mise en application du rapport Lathière, commandé par le Gouvernement socialiste, autorise et institutionnalise l'hémorragie des navires français vers les pavillons de complaisance, ce qui par voie de conséquence enlève tout reste de scrupule au patronat maritime pour poursuivre les détournements de trafics, faire construire ou réparer les navires à l'étranger, pour supprimer des emplois de marins français.

D'autant que dans cette affaire, l'État donne le mauvais exemple. Le plan de restructuration présente par le groupe C.G.M. - qui comprend notamment les deux compagnies nationales C.G.M. et S.N.C.M. - prévoit 930 suppressions d'emplois. 12 navires désarmés sur 46. Comme l'indique la direction de la C.G.M., ce plan d'entreprise s'inscrit dans le cadre du plan de redressement approuvé par les pouvoirs publics le 15 juillet 1984.

La Cour des comptes constatait en 1985 que le groupe C.G.M. a : « incontestablement souffert de ne pas avoir reçu de son actionnaire » - c'est-à-dire l'État - « les fonds dont il avait besoin ».

Ainsi la collusion des Gouvernements successifs et du grand patronat maritime est-elle clairement mise en évidence : au grand patronat des chantiers et de l'armement naval les fonds publics et leur dilapidation, à l'armement national le refus d'accorder les fonds nécessaires pour déployer les activités et maintenir les emplois et les navires.

Il n'y a donc pas de fatalité au déclin de nos activités maritimes : tout ceci est bien, en définitive, affaire de choix économiques, politiques et sociaux.

Les sénateurs communistes formulent des propositions cohérentes et complètes pour développer la filière maritime. Ils les soumettent à la commission d'enquête dont la mission devrait être d'élaborer les moyens d'une nouvelle efficacité économique et sociale pour l'ensemble de la filière maritime.

La première proposition est que les activités de !a filière maritime soient déclarées d'intérêt national . Cela signifie que le Parlement et le Gouvernement doivent être amenés à prendre toutes mesures nécessaires au maintien et au développement de chacun des maillons de cette filière et notamment en ce qui concerne la construction navale, au maintien des cinq sites de la Normed et d'Alsthom Atlantique.

Dans l'attente des conclusions de la commission d'enquête, il est indispensable qu'aucune situation irréversible ne soit créée : le Gouvernement doit revenir sur sa décision de supprimer les aides exceptionnelles. Celles-ci doivent être maintenues. Elles pourraient être décentralisées, gérées et contrôlées dans les régions et accordées dans le cadre de conventions associant les partenaires de la filière maritime. Le produit des ventes de navires par les armateurs devrait être consigné et utilisé également à cet effet. Des pénalisations devraient frapper le passage de navires sous pavillon de complaisance. D'importantes incitations pourraient être apportées à la construction et à la réparation de navires en France, en contrepartie de l'intérêt stratégique, national et social que représente le maintien en activité d'une telle industrie.

La deuxième proposition, étroitement liée avec la première, est d'agir pour que se mette en place, notamment au niveau régional ou interrégional, une solidarité active et sans faille entre les constructeurs, les armateurs, les chargeurs, les administrateurs des ports, les élus et les syndicats ainsi que les scientifiques en vue de reconquérir les frets, fluidifier la chaîne des transports, moderniser et adapter les infrastructures portuaires, de transports et les chantiers navals, diversifier les champs d'intervention, récupérer les trafics détournés, répondre aux besoins régionaux, renouveler et moderniser la flotte. Tels pourraient être les objectifs des contrats régionaux évoqués précédemment. La législation et la réglementation devraient être adaptées afin que, dans tous les domaines, conformément aux recommandations de la C.N.U.C.E.D., 40 % au moins de nos échanges maritimes s'effectuent sous pavillon national.

Troisièmement, nous proposons au plan international la recherche de coopérations mutuellement avantageuses . Dans cet esprit, nous nous opposons aux tentatives de renforcement en matière maritime de l'intégration européenne, au renforcement des pôles de domination ouest allemand, par exemple en matière de construction navale, ou belges et hollandais en matière de trafic portuaire. En revanche le Gouvernement français devrait être porteur à Bruxelles d'une volonté de coopérations permettant la progression des débouchés et des emplois pour les régions concernées.

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique.

Conformément à l'article 11 du Règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête de vingt-et-un membres, chargée d'examiner l'utilisation des fonds publics dont ont bénéficié les chantiers navals et plus généralement les grandes entreprises relevant des activités maritimes, et de faire toutes propositions d'une part de réparation des détournements de fonds et d'autre part visant à une nouvelle efficacité économique et sociale de la filière maritime.

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