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N° 292

SÉNAT

SECONDE SESSION ORDINAIRE DE 1994-1995

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 mai 1995.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 92/50/CEE portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, la directive 93/36/CEE portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures et la directive 93/37/CEE portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, ainsi que la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 93/38/CEE portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (n° E 404),

par MM. Henri REVOL et Robert LAUCOURNET,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Union européenne . Marchés publics.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Parallèlement à la conclusion du cycle d'Uruguay, l'Union européenne a signé, le 15 avril 1994, à Marrakech, l'accord plurilatéral sur les marchés publics, dit AMP. Cet accord a été ratifié avec l'acte final du cycle d'Uruguay auquel il se trouve désormais annexé. Il a pour objet d'élargir, de manière significative, l'ouverture des marchés publics des pays signataires à la concurrence internationale.

L'AMP vise, d'abord, les marchés passés par les États et les collectivités locales. Cependant, son champ d'application englobe également les marchés des entreprises soumises à l'influence dominante des pouvoirs publics et opérant dans des secteurs limitativement énumérés (distribution de l'eau potable et de l'électricité, ports et aéroports, transports urbains), c'est-à-dire des entreprises intervenant dans des industries dites de réseau.

Bien avant l'intervention de l'AMP, la CEE avait -notamment suite à un accord de portée plus restreinte passé dans lé cadre du GATT en 1979- construit progressivement un droit commun des marchés publics, visant à favoriser l'accès des entreprises de chaque État membre à ceux de ces marchés ouverts par les collectivités publiques ou les entreprises de leurs partenaires. Ce droit communautaire, d'ores et déjà en grande partie transcrit dans l'ordre juridique français, présente une particularité majeure au regard du dispositif de l'AMP : il distingue très nettement les dispositions applicables aux marchés des collectivités territoriales (État, régions, départements, communes) et des organismes publics dépendant fortement d'elles (établissement publics à caractère administratif, scientifique, technique ou culturel) des règles auxquelles sont soumises les entreprises des industries de réseau, sur lesquelles les pouvoirs publics exercent simplement une « influence dominante ». Cette distinction, qui s'explique par le spécificité de ces entreprises, est d'ailleurs si prononcée que, de façon générique, ce second corpus des règles a toujours été désigné comme relatif aux « secteurs exclus » du premier ensemble de règles.

Au vu de ce contexte juridique, il serait donc apparu logique que la transposition des mesures prévues par l'AMP soit opérée par les instances de l'Union européenne au moyen, exclusif de tout autre, d'une adaptation des directives en vigueur aux exigences de l'AMP sur les points où cela se serait révélé nécessaire.

Une telle solution eut eu le mérite de la simplicité. Tous les États de l'Union auraient eu à se conformer aux mêmes normes. Elle eut aussi présenté l'avantage d'une parfaite cohérence juridique, puisqu'au regard des termes de l'AMP et de la décision du Conseil l'ayant approuvée, il apparaît difficilement contestable que l'AMP n'est pas directement applicable dans l'Union européenne sans mesures de transposition. Enfin, en apportant les seules modifications strictement nécessaires aux directives concernant les secteurs exclus, cette solution aurait garanti la compatibilité de la réforme avec le bon déroulement des appels d'offre lancés par les industriels concernés.

Or, contrairement à ce que pourrait laisser supposer certains aspects de leur présentation, tel n'est pas le sens dans lequel s'orientent les propositions de directive -figurant dans la proposition d'acte communautaire référencée E/404- qui ont pour objet de modifier les différentes directives régissant les procédures de passation des marchés publics au sein de l'Union européenne.

En effet, l'exposé des motifs de chacune de ces propositions affirme, de manière péremptoire que l'accord AMP « fait partie intégrante de l'ordre juridique communautaire sans qu'un acte de transposition soit nécessaire » et que « les pouvoirs adjudicateurs visés à la fois par les directives et par l'accord doivent appliquer, à propos du même marché, deux régimes juridiques différents ». Il en résulte, à l'évidence, un risque de confusion juridique pouvant favoriser des distorsions de concurrence entre les entreprises de l'Union européenne et entre ces entreprises et celles des pays tiers. Ceci est donc de nature à entraîner une multiplication des contentieux peu propice à l'indispensable sécurité des transactions.

Au plan juridique, il est aussi quelque peu surprenant -voire inquiétant- que ces mêmes exposés des motifs précisent que « ce qui détermine l'applicabilité de l'accord, c'est le statut juridique » des entreprises. En effet, une telle affirmation apparaît non seulement contraire au texte d'une des annexes de l'AMP mais, également, radicalement opposée au droit communautaire régissant les marchés publics des secteurs exclus puisque celui-ci repose sur le rejet d'un critère d'applicabilité fondé sur le statut juridique des personnes morales intervenant dans ces secteurs. Ce point est d'importance car si cette interprétation contestable était confirmée, elle serait tout à fait préjudiciable aux entreprises françaises concernées pour une raison simple : celles-ci ayant un statut public elles seraient assujetties à des obligations que n'auraient pas à respecter leurs homologues européennes qui exercent leurs activités dans des conditions équivalentes mais avec un statut de droit privé.

Les reproches pouvant être adressés aux propositions de directive présentées ne se limitent d'ailleurs pas à la dénonciation de ces dangereuses ambiguïtés juridiques. Ils concernent aussi l'excessive portée conférée à l'AMP dans l'ordre juridique communautaire.

L'exemple le plus flagrant est constitué par le champ d'application des projets de nouvelles directives. Alors que l'AMP ne concerne nullement les secteurs des télécommunications, du gaz et des transports ferroviaires interurbains, ils se trouvent de facto couverts par le dispositif présenté puisque, au motif d'une adaptation aux effets de l'AMP, celui-ci réforme la branche du droit communautaire qui les englobe. Dans la mesure où une telle orientation serait acceptée, les entreprises de l'Union européenne intervenant dans ces secteurs pour le moins sensible -rappelons-nous simplement l'enjeu considérable que représentent les télécommunications !- se verraient donc contraintes à des procédures que n'auraient pas à respecter leurs homologues des pays tiers. Étrange façon de concevoir la réciprocité !

En outre, nombre d'observateurs avertis des industries de réseau avancent de solides arguments pour faire valoir que, loin d'être des modifications techniques, les changements apportés à la directive visant ces industries sont substantiels et vont à rencontre des principes de flexibilité qui ont présidé à la mise en place de la réglementation communautaire initiale. Selon eux, les changements préconisés pourraient même être de nature à perturber un déroulement raisonnable des appels d'offres lancés par certaines industries de réseau.

C'est pour toutes ces raisons que la présente proposition de résolution a pour objet :

- de soulever les difficultés qui viennent d'être évoquées,

- et d'inviter le Gouvernement à demander au Conseil de prendre des dispositions permettant d'y pallier et à veiller à la bonne mise en oeuvre de ces dispositions.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 92/50/CEE portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, la directive 93/36/CEE portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures et la directive 93/37/CEE portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, ainsi que la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 93/38/CEE portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications,

Considérant que l'accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP) conclu dans le cadre du cycle d'Uruguay a été introduit dans l'ordre communautaire par la décision du Conseil de l'Union européenne en date du 22 décembre 1994 mais qu'en vertu de cette décision et des termes mêmes dudit accord, il n'est pas directement applicable dans l'Union européenne sans mesures de transposition,

Considérant que la responsabilité de cette transposition incombe à l'Union européenne en sa qualité de partie contractante aux accords du cycle d'Uruguay,

Considérant qu'une telle transposition apparaît seule à même d'assurer une mise en oeuvre claire et cohérente de l'accord AMP au sein de l'Union européenne puisque, en application de dispositions édictées par l'Union, des règles communes de passation des marchés publics existent déjà dans les différents États-membres,

Considérant que les propositions de directive susvisées ne répondent pas à ces exigences puisque, d'une part, elles affirment que l'accord AMP fait partie de l'ordre juridique communautaire sans qu'un acte de transposition soit nécessaire et que, d'autre part et par voie de conséquence, elles posent le principe que deux régimes juridiques distincts peuvent s'appliquer à un même marché public ouvert au sein de l'Union européenne, selon que les fournisseurs, entrepreneurs ou prestataires de services susceptibles d'être intéressés soient ou non originaires de l'Union,

Considérant que de telles orientations sont de nature à créer entre les pays de l'Union des divergences juridiques pouvant être source de distorsion de concurrence, notamment pour les industries dites de réseau, Considérant, en outre, que les mesures avancées par les propositions de directive précitées pour aligner certaines dispositions du droit communautaire sur celles de l'accord AMP apparaissent excéder les exigences dudit accord, tout particulièrement pour ce qui concerne son application à certains secteurs tel celui des télécommunications,

Considérant, enfin, l'importance des intérêts économiques et financiers en jeu,

Invite le Gouvernement ;

- à demander au Conseil qu'une transposition communautaire de l'accord plurilatéral sur les marchés publics soit assurée de manière à ce qu'au sein de l'Union européenne soit garantie, sans aucune discrimination relative au statut juridique des entreprises concernées, l'application d'un régime unique de passation des marchés publics quelle que soit l'origine géographique des fournisseurs, entrepreneurs ou prestataires de services pouvant y répondre,

- et à veiller à ce que cette transposition se limite au respect des seules exigences dudit accord plurilatéral.

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