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N° 275

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 14 mars 1996.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, sur la proposition de décision du Conseil concernant un programme d'action communautaire pour la promotion des organisations non gouvernementales ayant pour but principal la défense de l'environnement (E 569),

par M. Philippe FRANÇOIS,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Union européenne.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames. Messieurs,

La proposition d'acte communautaire E 569 soulève, certes, d'abord les problèmes du respect du principe de subsidiarité et de la bonne utilisation des fonds communautaires

Mais la faculté, demandée par la commission, de subventionner directement des organisations non gouvernementales (ONG) concourant à la défense de l'environnement sans apporter de précisions suffisantes quant aux critères de sélection des bénéficiaires peut également poser le problème plus large de la prise en compte des concours financiers communautaires dans le financement de la vie politique des États membres au regard des règles nationales de transparence.

I. ANALYSE DE LA PROPOSITION DE LA COMMISSION

La commission européenne propose d'instituer un nouveau programme d'intervention communautaire, destiné notamment à subventionner les activités administratives d'organisations non gouvernementales ayant pour but principal la défense de l'environnement. La décision du Conseil donnerait une base juridique aux concours que la commission alloue au cas par cas depuis quelques années à des associations de droit privé, notamment, militant en faveur de l'environnement.

A. OBJECTIFS

Le programme proposé par la commission vise à « promouvoir, spécialement en cofinançant leurs activités administratives, les organisations européennes représentatives qui opèrent dans le domaine de l'environnement et dont l'action couvre la totalité ou une partie des États membres, ainsi que les pays d'Europe centrale et orientale ou les pays riverains de la Méditerranée » .

En annexe, la commission détaille le programme d'action envisagé :

1. Au titre de « l'information sur l'environnement »


« faciliter le dialogue entre les organisations de défense de l'environnement actives au niveau européen et les institutions de la Communauté ;


• « développer des infrastructures d'information et de documentation sur l'environnement à l'usage des professionnels et des décideurs politiques et au sein de « groupes cibles prédéterminés » syndicats, responsables politiques, institutions internationales, médias, population » ).

La commission prévoit d'allouer 40 % des fonds du programme à ce type d'action.

2. Au titre de « l'analyse des actions en faveur de l'environnement »

- « encourager et coordonner des projets écologiques en renforçant les effets démultiplicateurs de leurs résultats,

- « élaborer des rapports concernant le niveau, l'étendue et la nature des problèmes écologiques solubles à l'échelon communautaire et auxquels la Communauté pourrait s `attaquer plus activement,

- « entreprendre des analyses sur la pénétration de la dimension environnementale dans les autres domaines couverts par les politiques communautaires » .

La commission envisage de consacrer également 40 % des fonds mobilisables, en faveur de ce poste.

3. Enfin, au titre de la « Coopération entre les intervenants dans le domaine de l'environnement et les ONG opérant au niveau européen »

- « promouvoir la coopération entre les partenaires désignés par le 5ème programme d'action communautaire dans le domaine de l'environnement ;

- « encourager une approche multisectorielle de la protection de l'environnement ;

- « conformément au principe de subsidiarité, assurer la complémentarité entre les programmes communautaires et les actions nationales, régionales et locales en faveur de l'environnement qui relèvent du secteur bénévole. »

B. BÉNÉFICIAIRES

La commission ne précise pas les critères auxquels devront répondre les ONG bénéficiaires ; si le texte évoque « les organisations de défense de l'environnement européennes représentatives », on doit souligner que la commission se réserve la reconnaissance de ces caractéristiques.

L'exposé des motifs précise, quant à lui, qu'il « convient de renforcer la capacité des organisations non gouvernementales, nationales, régionales et locales à participer aux débats portant sur les problèmes écologiques de dimension communautaire » .

Faute de définition des « organisations de défense de l'environnement européennes représentatives » et compte tenu de la mention des associations nationales et locales, il est à craindre que le programme ne se traduise, dans certains cas, par l'octroi de fonds communautaires à des associations dont la représentativité, le caractère européen, et la transparence de la gestion pourraient être plus apparents que réels.

C. ASPECTS FINANCIERS

Sur la base d'une résolution du Conseil du 1 er février 1993, et conformément à la demande du Parlement européen, une « ligne » a été créée au budget et dotée de crédits alloués à la Direction générale XI de la commission des Communautés.

Lors de sa première présentation individualisée à la ligne B4-306 du budget communautaire, les crédits inscrits : 8 millions d'Écus, ont accusé une très sensible sous-consommation qui s'est un peu réduite les années suivantes. Cette sous-consommation explique sans doute que la dotation annuelle ait été diminuée en 1994. Selon le projet de décision contenu dans le Document E 569, les perspectives (indicatives) de financement seraient de 10,6 millions d'Écus sur 4 ans (2,5 millions d'Écus en 1996, 2,6 en 1997, 2,7 en 1998 et 2,8 en 1999). En fait, en raison du « poids du passé » accumulé dans l'exécution de cette ligne budgétaire, la tranche 1995 de crédits de paiements s'établit à 6,75 millions d'Écus tandis que celle de 1996, aux termes du budget général pour 1996, est fixée à 7,5 millions d'Écus, et celles de 1997 et 1998 respectivement à 5,7 et 2,36 millions d'Écus (Cf J.O.C.E. du 29 janvier 1996, p. 1064 à 1067). Les crédits effectivement inscrits au Budget de la commission apparaissent donc singulièrement plus importants que ceux qui figurent dans la « fiche financière » jointe au Programme pluriannuel qui fait l'objet de la Proposition de Décision du Conseil, soit un total de crédits d'engagement d'ores et déjà prévus au budget de 1996 de 23 millions d'Écus à dépenser entre 1995 et 1998, contre, selon la « fiche financière », de modestes prévisions de 10,6 millions d'Écus à dépenser entre 1996 et 1999. Il y a là une discordance qui révèle l'ambiguïté d'exercices dissociés, le vote du budget d'une part, le lancement de programmes pluriannuels d'autre part.

Les crédits communautaires ainsi alloués à des associations ayant pour but principal la défense de l'environnement figureraient désormais à la ligne B4-3060 « sensibilisation et subventions » du budget communautaire. Cette présentation budgétaire en tranches annuelles de programmes s'étendant sur plusieurs années doit désormais répondre à l'« accord interinstitutionnel » conclu entre la commission, le Parlement européen et le Conseil au sujet des programmes pluriannuels financés dans un tel cadre.

En effet, le Conseil, dans le souci de maîtriser ce type de dépenses, avait pris l'habitude de ne donner son accord aux programmes pluriannuels lancés par la commission que s'ils étaient assortis d'un échéancier des crédits prévisionnels. La commission et le Parlement européen y ont vu toutefois un empiétement sur leur compétence budgétaire. Une solution, longuement négociée, a finalement été adoptée. Cette procédure, arrêtée par la Déclaration commune des trois institutions du 6 mars 1995 (publiée au J.O.C. n° 293-4 du 8 novembre 1995) introduit une distinction entre :

- les actes législatifs concernant les programmes pluriannuels adoptés en codécision par le Conseil et le Parlement européen : la définition d'une enveloppe financière peut y être inscrite, ne constituant cependant qu'une « référence privilégiée pour l'autorité budgétaire dans le cadre de la procédure budgétaire annuelle » .

- les programmes pluriannuels non soumis à codécision : l'acte lui-même ne comporte alors aucun « montant estimé nécessaire » ; le Conseil peut seulement introduire une « référence financière » qui, toutefois, ne revêt qu'un « caractère illustratif de la volonté du législateur et n'affecte pas les compétences de l'autorité budgétaire définies par le Traité » .

S'appuyant sur l'article 130 S du Traité, qui prévoit qu'en matière d'environnement le Conseil statue selon la procédure de l'article 189 C, la proposition E 569 appartient à la catégorie des actes législatifs non soumis à codécision, et ne pouvant donc comprendre de « montants estimés nécessaires » . Elle ne comporte donc qu'une « fiche financière » sans portée normative.

Ce programme pluriannuel, une fois adopté, est ainsi susceptible de faire l'objet d'une discussion annuelle, dans le cadre de la délibération budgétaire entre le Conseil et le Parlement européen, la ligne B 4-3060 « sensibilisation et subvention » ressortissant aux dépenses non obligatoires pour lesquelles le Parlement européen dispose du « dernier mot ».

Il n'est donc pas exclu que les montants, relativement modestes, qui sont mentionnés dans la « fiche financière » annexée à la proposition E 569 ne soient substantiellement augmentés au fil des discussions budgétaires, compte tenu de l'attitude traditionnellement favorable du Parlement européen vis-à-vis de ce type de dépenses.

Sans doute, cette proposition de décision du Conseil se présente-t-elle comme une simple régularisation d'une ligne budgétaire afin de donner une base juridique et de prévoir des modalités de vote des crédits annuels plus conformes au Traité et au droit budgétaire de la Communauté, en établissant un programme de quatre ans.

En cela, la modification de présentation eût pu échapper aux dispositions de l'article 88-4 de la Constitution française.

Aussi faut-il se féliciter de l'avis du conseil d'États et de la décision du Premier ministre de transmettre au Parlement français la proposition de décision du Conseil au motif qu'elle contient des dispositions sur le « contrôle sur place d'organismes privés », ressortissant donc au domaine de la loi.

Cette saisine nous fournit l'occasion d'examiner cette proposition, et avec elle la pratique qu'elle met en conformité, tant du point de vue de la régularité que de l'opportunité, et, par conséquent, le bien-fondé de ce qui est un nouveau programme communautaire pluriannuel.

II. ÉVALUATION DE LA PROPOSITION DE DÉCISION

Le projet transmis par le Gouvernement au Parlement français doit être évalué d'un triple point de vue : au regard du principe de subsidiarité, en termes de bonne gestion des fonds communautaires, et enfin dans le cadre des préoccupations de transparence des financements de la vie politique nationale et communautaire.


Le projet n'est pas justifié du point de vue du principe de subsidiarité

La commission n'apporte nullement la démonstration de la nécessité d'une intervention communautaire en faveur du fonctionnement des ONG de défense de l'environnement, alors que la compétence communautaire en matière d'environnement est tout entière dominée par le principe de subsidiarité.

Il est même expressément prévu par le Traité que « sans préjudice de certaines mesures ayant un caractère communautaire, les États membres assurent le financement et l'exécution de la politique en matière d'environnement » (article 130 S).

Si les États membres jugent opportun de subventionner les associations de défense de l'environnement, il leur appartient de le faire. La participation de ces associations à des réunions communautaires ne saurait légitimer de telles subventions ; en effet, la participation à des réunions liées à des programmes dûment décidés sont déjà financées dans le cadre des crédits alloués à ces programmes qui prévoient des « frais de mission » et autres remboursements pour les participants.

Il convient de noter, surtout, que les subventions au fonctionnement des associations ayant pour but la protection de l'environnement n'entrent pas dans le champ des compétences communautaires résultant des traités. Or, conformément au principe de subsidiarité tel qu'il est défini à l'article 3 B du traité instituant la Communauté européenne, ces compétences doivent faire l'objet d'une interprétation stricte.

On observera, enfin, que tous les objectifs qui seraient assignés au nouveau programme entrent déjà dans les missions confiées tant à l'Agence Européenne de l'Environnement par le Règlement 1210-90 qui l'a instituée (collecte de données utiles aux décisions communautaires et « mise en réseau » des informations et des « points focaux nationaux » désignés comme correspondants, publication et « large diffusion d'informations environnementales fiables ») qu'à l'Instrument Financier pour l'Environnement - LIFE (Règlement 1937-92, en cours de modification) qui ne regroupe pas moins de treize programmes différents, ou encore à l'égard de l'Irlande, l'Espagne, le Portugal et la Grèce, au Fonds de cohésion (promotion des politiques locales en faveur de l'environnement, y compris menées en partenariat avec des ONG) (cf. Règlement n° 1164-94 instituant le fonds de cohésion). On trouvera l'énoncé des objectifs de tous ces programmes en faveur de l'environnement dans le Doc. E-434 « Proposition d'acte communautaire relatif à un règlement du Conseil modifiant le règlement n° 1973-92 portant création d'un instrument financier pour l'environnement -LIFE (déposé au Sénat le 22 juin 1995).

On notera cependant que, tandis que les mesures communautaires, d'ores et déjà mises en application (au moins un milliard d'Écus en 1991 selon la Cour des Comptes européenne, montant à peu près doublé depuis, soit environ 13 milliards de francs), prévoient une association des représentants des autorités nationales aux prises de décision et à la sélection des projets subventionnés, le nouveau programme communautaire permettrait à la commission de désigner discrétionnairement les associations bénéficiaires...

L'institutionnalisation d'un tel circuit d'intervention (et de financement) mettant directement en rapport la commission et les associations bénéficiaires, parallèle aux autres mesures communautaires (et largement redondant vis-à-vis de celles-ci) semble d'ailleurs devoir rencontrer les réserves du Comité économique et social de la Communauté qui, dans son Avis (96-C-18/25 publié au J.O.C. du 22.1.1996) sur le 5 e programme d'action communautaire en matière d'environnement, observe : « la politique de l'environnement doit rester fondée sur les règles émanant de la puissance publique », appelant la commission à une définition claire « pour la concrétisation du principe de subsidiarité » en cette matière.

Cette institutionnalisation d'un financement parallèle à la discrétion de la commission, en outre, contribue à l'opacité des crédits communautaires alloués à l'environnement, qu'il avait pourtant été décidé de clarifier en 1992 à l'occasion de la création de LIFE. Les actions de caractère structurel devaient s'inscrire dans les financements alloués aux fonds structurels et au fonds de cohésion tandis que toutes les autres actions, notamment celles de démonstration, de promotion, de diffusion de l'information devaient être regroupées dans un cadre budgétaire unique, dénommé LIFE-instrument financier pour l'environnement. Ces deux cadres comportaient des modes d'octroi des fonds conformes aux compétences respectives du Conseil et de la commission.


Le projet présente des risques de mauvaise gestion des fonds communautaires

L'octroi de subventions à hauteur de « 40 % du montant annuel des dépenses de fonctionnement et administratifs » du budget annuel des associations bénéficiaires pourrait donner lieu à des abus : en effet, compte tenu de l'extrême souplesse des règles de fonctionnement des « ONG », qui sont des associations de droit privé, (certains États membres connaissent des statuts encore plus souples que ceux de la loi de 1901 en France) et, en particulier, de leurs règles financières (absence de certification extérieure des comptes, totalisation des ressources, auto-évaluation des dépenses...), il est extrêmement difficile d'apprécier objectivement le montant total de leurs « frais de fonctionnement ».

Plus généralement, on peut craindre que la commission ne soit tentée, malgré les critiques répétées de la Cour des Comptes des Communautés, de constituer à partir de ce programme un « mini-budget » où se confondraient, hors de tout contrôle, les dépenses de personnel, les dépenses opérationnelles et les frais de structure, faisant échapper l'action communautaire ainsi « sous-traitée » aux règles d'établissement, de gestion et de contrôle du budget communautaire.

D'emblée la Cour des comptes des Communautés européennes avait exprimé ses réserves à l'égard d'une pluralité de procédure dépourvue de justification, et ses réserves également vis-à-vis d'un objectif incontrôlable comme le subventionnement de frais de fonctionnement.


Le projet pourrait permettre un financement au profit d'acteurs du débat politique.

En effet, la commission européenne prévoit d'allouer des subventions à des associations de droit privé dont on sait seulement qu'elles devront avoir pour « but principal » la protection de l'environnement. Aucune participation des représentants des États à la sélection des associations éligibles n'est prévue.

La commission se réserve de sélectionner les associations bénéficiaires, après publication au Journal officiel des Communautés des « activités prioritaires » et des « critères de sélection et d'attribution » ainsi que des « procédures de candidature et d'approbation » décidés par elle.

Le risque de ce type d'intervention de la commission paraît double :

- d'une part les crédits ainsi alloués à certaines associations pourraient contribuer à fausser certains débats communautaires en matière d'environnement. On peut redouter en effet que, lors de la sélection des associations bénéficiaires, la commission n'ait tendance à favoriser celles qui relayeront ses vues. Ainsi, s'agissant d'une question controversée comme la chasse, il est à craindre que les associations favorables au maintien de la pratique de la chasse ne soient par principe écartées.

- d'autre part, les subventions de la commission pourraient, à la limite, constituer une forme indirecte d'intervention dans les débats politiques nationaux et locaux. En effet, les associations de défense de l'environnement participent au débat politique à tous les échelons, pour soutenir ou dénoncer des décisions gouvernementales, départementales, locales, voire pour présenter des candidats aux élections, ou à tout le moins leur accorder un patronage... Si ces associations, et elles seules, recevaient des subventions communautaires, on pourrait considérer qu'il y aurait là une certaine atteinte aux principes d'égalité et de transparence.

*

C'est pourquoi, il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de résolution suivante, que la Délégation pour l'Union européenne m'a chargé de déposer :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu la proposition d'acte communautaire E 569,

Considérant que l'octroi de subventions de fonctionnement aux associations ayant pour but la défense de l'environnement n'entre pas dans les compétences de la Communauté européenne telles qu'elles sont définies par le traité instituant celle-ci ;

Considérant au surplus que la commission européenne n'apporte pas, dans sa proposition, de précisions suffisantes quant aux critères de sélection des associations ou organisations bénéficiaires, ni de garanties suffisantes d'utilisation efficace des crédits demandés ;

Considérant enfin que les subventions envisagées pourraient, indirectement, avoir des conséquences sur le financement de la vie politique à l'échelon national ou local,

Invite le Gouvernement à s'opposer à l'adoption de ce texte.

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