N°61

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 29 octobre 1997.

PROPOSITION DE RESOLUTION

tendant à créer une commission d'enquête chargée d'examiner le devenir des grands projets d'infrastructures terrestres d'aménagement du territoire, dans une perspective de développement et d'insertion dans l'Union européenne,

PRÉSENTÉE

Par MM. Maurice BLIN, Henri de RAINCOURT, Josselin de ROHAN, Jean FRANÇOIS-PONCET et Gérard LARCHER,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan et pour avis à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, en application de l'article 11, alinéa 1, du Règlement)

Aménagement du territoire.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Les infrastructures de communication sont au centre des objectifs d'aménagement du territoire définis par la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.

Le Parlement, et singulièrement le Sénat, furent étroitement associés au débat national qui précéda la discussion et l'adoption de cette loi. Chacun garde en mémoire la contribution éminente de la « Mission d'information », chargée d'étudier les problèmes de l'aménagement du territoire et de définir les éléments d'une politique de reconquête de l'espace rural et urbain, créée en décembre 1992 et qui remit son rapport au mois d'avril 1994.

Les auteurs du rapport ont notamment constaté « le retard français » en relevant par exemple que la France venait au 9 e rang pour le kilométrage d'autoroutes rapporté à la superficie et au 7 e rang pour leur longueur rapportée à la population.

La volonté de relancer l'aménagement du territoire s'est traduite par la définition de priorités :

«En 2015, aucune partie du territoire français métropolitain continental ne sera située à plus de 50 kilomètres ou de quarante-cinq minutes d'automobile soit d'une autoroute ou d'une route express à deux fois deux voies en continuité avec le réseau national, soit d'une gare desservie par le réseau ferroviaire à grande vitesse » énonce, ainsi, l'article 17, paragraphe premier, de la loi.

Or, des décisions ou prises de position du nouveau Gouvernement formé le 4 juin 1997 ont jeté le trouble en semblant mettre en cause un certain nombre de priorités, qu'il s'agisse de la voie d'eau, de la route ou du fer.

Parmi les premières décisions gouvernementales, on relève ainsi l'abandon du projet de liaison fluviale Rhin-Rhône.

Cette décision a été prise manifestement sans concertation ni études préalables.

Le 9 juin, M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement, annonçait le gel de la procédure d'enquête d'utilité publique concernant le projet d'autoroute A 51 (Sisteron-Grenoble).

En déclarant «qu'aucun chantier ne sera arrêté» mais que «ceux qui font l'objet d'une contestation seront soumis à un réexamen » (2 juillet), M. Jean-Claude Gayssot fait peser des hypothèques sur la poursuite du programme autoroutier prévu par le schéma directeur leur routier national du 1 er avril 1992 et corrigé - dans le sens d'une accélération - en 1994.

Le développement des grands chantiers que sont, par exemple, l'A 24 (Lille-Amiens), l'A 104 (Ile-de-France), l'A 89 (Bordeaux-Clermont-Ferrand), l'A 28 (Alencon-Tours) exigent cependant des pouvoirs publics une volonté claire et soutenue et non des déclarations ambiguës ou des propos sibyllins.

Dans le même temps, Mme Dominique Voynet annonce une réforme des procédures de reconnaissance de l'utilité publique qu'elle juge « vieilles d'un siècle et demi » et «ne permettant pas défaire émerger l'intérêt public » (9 juillet).

N'est-il pas légitime de s'interroger sur l'avenir de grands projets arrêtés à la suite de procédures considérées comme désuètes ou archaïques ?

Par ailleurs, selon des rameurs concordantes, le Gouvernement se disposerait à envisager une réforme de notre système routier qui, en faisant coiffer notre réseau routier classique et nos sociétés d'autoroutes - transformées en simples opérateurs - par un établissement public baptisé «Routes de France», chargé d'assurer la péréquation des financements, pourrait avoir pour conséquences l'assèchement des ressources du réseau autoroutier et la débudgétisation des routes.

Dans le domaine ferroviaire, le ministre des transports appelait de ses voeux, le 2 juillet, une « réforme de la réforme » du 13 février 1997 et déclarait qu'il n'y aura «ni statu quo ni retour en arrière » ; par ailleurs, il restait laconique sur les quatre grands chantiers TGV : le TGV Est, le TGV Tours - Bordeaux, le TGV Méditerranée, le TGV Rhin-Rhône. Le 26 septembre dernier, M. Jean-Claude Gayssot annonçait pourtant que la ligne nouvelle TGV Est « se ferait dans son intégralité » sans d'ailleurs préciser d'échéance.

Cependant, le 9 juillet, sur ce même dossier, Mme la Ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement considérait le projet comme « un exemple défaille démocratique administrant la preuve de la nécessité d'améliorer la concertation en amont des décisions ».

Tous ces atermoiements ou positions contradictoires sur de nombreux grands choix d'infrastructures ne laissent pas d'inquiéter.

Les dossiers concernés sont lourds, « structurants », et doivent s'inscrire dans un projet global et une programmation pluriannuelle rigoureux.

Ils exigent la lisibilité des choix et la continuité des actions dans une véritable vision stratégique de développement économique, d'équilibre des territoires et d'insertion dans le cadre européen.

Or, les positions gouvernementales, faites de décisions ponctuelles et de propos contradictoires, remettent totalement en cause, et cette lisibilité et cette continuité. Elles ne semblent aujourd'hui relever d'aucune vision cohérente d'ensemble - à moins que cette cohérence n'existe mais ne soit volontairement masquée, notamment à la représentation nationale.

Quant à la remise en cause ou au gel soudain de décisions antérieures longuement et ouvertement étudiées, préparées et débattues - y compris par le législateur - au motif d'une prétendue «faille démocratique», elle ne manque pas de susciter les plus vives interrogations.

La France occupe en Europe une position centrale. Il serait insensé qu'elle laisse passer la chance d'en tirer tous les bénéfices, à l'heure où l'Union européenne approfondit son intégration économique et monétaire et prépare son élargissement.

Nos voisins - singulièrement l'Allemagne ou les Pays-Bas -paraissent mieux maîtriser la vision stratégique d'ensemble tout en respectant les impératifs de l'environnement et du développement durable par des processus de décision associant étroitement les associations et mouvements de défense de la nature. N'y aurait-il pas lieu de tirer, aussi, certains enseignements de leurs expériences ?

Une commission d'enquête parlementaire devrait donc examiner les conditions dans lesquelles semblent aujourd'hui remis en cause certains choix concernant les infrastructures de communication, et les incidences qu'une telle remise en cause pourrait avoir sur l'aménagement et le développement de notre territoire, dans le cadre européen.

PROPOSITION DE RESOLUTION

Article unique

Conformément à l'article 11 du Règlement du Sénat et à l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est créé une commission d'enquête de vingt et un membres chargée d'examiner les conditions dans lesquelles semblent aujourd'hui remis en cause certains choix stratégiques concernant les infrastructures de communication, et les incidences qu'une telle remise en cause pourrait avoir sur l'aménagement et le développement du territoire français, notamment du point de vue de son insertion dans l'Union européenne.

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