N°75

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 5 novembre 1997.

PROPOSITION DE RESOLUTION

tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences pour l'économie française de la réduction de la durée dit travail à trente-cinq heures hebdomadaires ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Maurice BLIN, Henri de RAINCOURT, Josselin de ROHAN, Louis SOUVET et Jean ARTHUIS,

Sénateurs,

(Renvoyée à la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation et pour avis à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel. du Règlement et d'administration générale, en application de l'article 11, alinéa 1 du Règlement.

Travail.

EXPOSE DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

A l'occasion de la conférence sur l'emploi du vendredi

10 octobre 1997, le Gouvernement a annoncé le passage de la durée légale du travail de trente-neuf heures à trente-cinq heures hebdomadaires au ["janvier 2000.

Cette mesure s'appliquerait dans un premier temps à toutes les entreprises comportant plus de dix salariés. Dès 2002, les très petites entreprises seraient également concernées.

Sur une longue période, on note que la baisse du temps de travail a pu s'effectuer dans notre pays grâce au progrès technologique et aux gains de productivité.

Ainsi, la durée annuelle effective du travail en France est passée de 2022 heures en 1938 à 1 529 heures en 1996.

Cette évolution est d'autant plus importante et solide qu'elle s'effectue en harmonie avec la croissance économique et l'amélioration de la rentabilité du secteur productif.

Ainsi, de 1973 à 1982, la durée annuelle du travail a pu être réduite de deux cent quatre heures.

A contrario, en 1982, la décision brutale du gouvernement socialiste de l'époque d'introduire les trente-neuf heures payées quarante a freiné cette tendance.

Dans la perspective en 1999 de l'éventuelle confirmation par voie législative d'un passage à une durée de travail de trente-cinq heures qui nous ferait cumuler les records de brièveté de ta durée hebdomadaire du temps de travail et de la durée de la vie professionnelle,

11 convient préalablement d'évaluer les conséquences pour l'économie 'française d'une telle décision sur la base, en particulier, des expérimentations en cours.

La première conséquence, la plus dommageable pour l'avenir de notre pays, risque d'être une sensible détérioration de la compétitivité des entreprises et donc de la situation de l'emploi : en effet, sans compensation salariale et malgré l'aide structurelle annoncée par le Gouvernement, une augmentation des coûts salariaux en France est malheureusement fort probable.

Ces coûts salariaux sont d'ores et déjà plus élevés que chez la plupart de nos concurrents au sein de l'OCDE : ainsi, pour un salarié de l'industrie, la dépense totale à la charge de l'employeur est 35 % plus importante qu'aux Etats-Unis, et 65 % plus élevée qu'au* Royaume-Uni. Le partage de la valeur ajoutée depuis 1991 est la traduction de cet état de fait. La part du travail a augmenté de 0,9 % alors que dans le même temps, celle du capital reculait de 0,5 %.

Le surcoût sera particulièrement insupportable pour les petites et moyennes entreprises dont la situation est de plus en plus fragile. Par ailleurs, on peut s'interroger sur le caractère réellement applicable du passage aux trente-cinq heures au sein d'unités de production comportant un petit nombre de salariés, où l'organisation du travail est donc relativement rigide.

La deuxième conséquence sera un risque accru de délocalisations d'activités. Dans ce contexte, les PME seront très désavantagées par rapport aux grands groupes internationaux, naturellement plus flexibles.

Dans le contexte actuel de concurrence internationale accrue, la réforme annoncée par le Gouvernement, faute de créer des emplois, risque au contraire de susciter de nouvelles délocalisations et donc d'accroître le chômage, ou pour l'économie de proximité, d'encourager le basculement progressif vers le travail clandestin.

La troisième conséquence risque d'être une baisse d'attractivité de la France en tant que terre d'accueil des investisseurs étrangers.

Actuellement, cette attractivité est en nette perte de vitesse, au bénéfice de pays proches tels que le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou l'Irlande. La France est déjà mal placée vis-à-vis de ses voisins en termes d'environnement fiscal et social : une charge fiscale élevée combinée à un coût du travail aggravé, et à des horaires moins flexibles, risquent de dissuader pour de bon les implantations d'entreprises étrangères.

La quatrième conséquence concerne le niveau de vie des salariés ;

L'effet logique de la réduction du temps de travail devrait être un blocage des salaires pendant plusieurs années et donc une régression en francs constants.

En outre, la réforme devrait s'accompagner de mesures tendant à limiter le recours aux heures supplémentaires, d'où une perte sévère de pouvoir d'achat pour de nombreux salariés et notamment pour les titulaires de bas salaires.

Au total, le coût du passage aux trente-cinq heures devra faire l'objet d'un bilan chiffré : quelle sera la perte de recettes pour le budget de l'Etat, des délocalisations, des baisses de résultats des entreprises ? Quel sera le coût du passage aux trente-cinq heures pour la fonction publique ?

Il convient, en effet, de s'interroger sur l'impact de la transposition de la durée du travail à trente-cinq heures à la fonction publique d'Etat, donc à tous les services publics, aux personnels des collectivités territoriales, au secteur hospitalier ainsi qu'à toutes les entreprises nationales. Compte tenu du caractère limité des éventuels gains de productivité dans les secteurs concernés, nous risquons d'assister à terme à une forte croissance des dépenses publiques de fonctionnement. S'agissant des collectivités locales, cette nouvelle charge s'ajouterait à l'accroissement dans les années à venir de leurs charges sociales (en l'occurrence les cotisations de retraite versées à la CNRACL).

Une commission d'enquête permettrait d'évaluer précisément les conséquences économiques, financières et budgétaires du passage aux trente-cinq heures.

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la résolution suivante.

PROPOSITION DE RESOLUTION

Article unique

En application de l'article 11 du Règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête de vingt et un membres chargée de recueillir des informations sur les conséquences de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires.

Page mise à jour le

Partager cette page