Service des Commissions

M. ALAIN RICHARD PRÉSENTE DEVANT LES SÉNATEURS
LA SITUATION ACTUELLE AU KOSOVO

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a entendu le mercredi 20 janvier 1999, M. Alain Richard, ministre de la défense.

M. Alain Richard a tout d'abord rappelé que le groupe de contact sur le Kosovo, à l'initiative des Européens, avait élaboré un cadre politique en vue d'aboutir à un accord sur un futur statut d'autonomie substantielle du Kosovo dans le cadre de la Fédération yougoslave. L'Alliance atlantique avait décidé d'exercer une pression militaire en préparant des frappes aériennes sur des infrastructures militaires. Ce dispositif et les menaces de frappes avaient été repris par la résolution 1203 du Conseil de sécurité des Nations unies.

Le ministre de la défense a rappelé que, dans un premier temps, les termes de l'accord conclu entre M. Milosevic et l'Ambassadeur Holbrooke en vue d'ouvrir une négociation entre l'ensemble des parties ont été relativement respectés : le gouvernement yougoslave a ramené au-dessous d'un certain seuil son dispositif militaire au Kosovo alors que l'UCK a respecté le cessez-le-feu ; parallèlement s'était effectuée, à un rythme cependant assez lent, la mise en place des vérificateurs du cessez-le-feu relevant de l'OSCE, dont l'effectif dépasse aujourd'hui à peine le tiers du niveau prévu.

M. Alain Richard a souligné qu'à partir du mois de décembre dernier, les entorses au cessez-le-feu se sont multipliées, avec des attaques, par l'UCK, de policiers ou de militaires serbes, entraînant de brutales réactions des forces serbes. Depuis lors, l'importance des moyens militaires serbes au Kosovo a été nettement renforcée et n'est plus conforme aux engagements pris initialement. Dans ces conditions, la capacité des vérificateurs de l'OSCE à accomplir leur mission apparaît incertaine.

Pour le ministre de la défense, le retour au premier plan des facteurs militaires, qui prennent désormais le pas sur les facteurs politiques au Kosovo, a pour conséquence de priver une éventuelle négociation sur le statut de la province de tout partenaire albanophone crédible, l'influence de M. Rugova se trouvant amoindrie par rapport à celle des forces les plus intransigeantes. A ce propos, M. Alain Richard a souligné la cohérence de la communauté internationale qui, comme en Bosnie, a écarté la solution de la partition et de l'indépendance pour privilégier une coexistence des différentes communautés, dans le cadre d'un statut d'autonomie.

Un débat s'est alors instauré avec les commissaires.

M. Michel Caldaguès a demandé au ministre s'il disposait d'informations concernant le massacre de Kosovars albanais perpétré dans la ville de Racak, certains commentateurs ayant évoqué l'hypothèse d'une mise en scène.

Mme Josette Durrieu a déploré que le temps qui passe joue contre la perspective d'autonomie du Kosovo longtemps préconisée par les plus modérés et favorise au contraire l'objectif de l'indépendance. Elle s'est interrogée sur la capacité des vérificateurs de l'OSCE à agir efficacement contre les décisions du président Milosevic.

M. André Rouvière a demandé au ministre si les puissances occidentales s'accordaient sur l'avenir de la province : la majorité albanaise avait-elle le droit de choisir son destin ? Puis, le sénateur s'est interrogé sur l'attitude de l'Albanie à l'égard de la crise kosovare.

M. André Boyer s'est également inquiété des réactions de l'Albanie à l'égard de la crise du Kosovo et de celle de la communauté albanaise de Macédoine.

M. Robert Del Picchia a demandé au ministre quel était le rôle réel de la force d'extraction basée en Macédoine et si ses moyens étaient adaptés à sa mission.

M. Christian de la Malène a relevé l'absence d'issue à la situation actuelle. Il a estimé que la mission de l'OSCE pouvait être considérée comme un alibi à l'inaction et s'est déclaré gravement préoccupé par l'évolution de la crise.

M. Bertrand Delanoë a souhaité savoir si à la complexité politique révélée par la crise du Kosovo ne s'ajoutait pas une complexité technique et militaire dans l'hypothèse d'un éventuel recours à la force.

Enfin, M. Xavier de Villepin, président, a interrogé le ministre sur la chaîne de commandement applicable à la force d'extraction. Il s'est par ailleurs enquis de l'éventuelle nécessité d'une nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l'ONU dans l'hypothèse de frappes aériennes contre les forces serbes. Il s'est enfin déclaré très préoccupé par les risques encourus par les observateurs de l'OSCE.

M. Alain Richard, ministre de la défense, a alors apporté, en réponse aux commissaires, les précisions suivantes :

- le ministre a déclaré disposer de très peu d'éléments pour se prononcer sur les circonstances du massacre de Racak.

- M. Milosevic n'est pas le seul interlocuteur de la communauté internationale ; l'armée de libération du Kosovo a démontré depuis quelques semaines qu'elle est capable de modifier la réalité sur le terrain ;

- lorsque le cadre politique a été fixé par la communauté internationale au mois d'octobre dernier, elle a sans doute sous-estimé la capacité de prise de contrôle territorial de l'armée de libération du Kosovo ; si la communauté internationale devait aujourd'hui réagir par la force à une situation qui a évolué, cela nécessiterait l'accord politique de plusieurs pays et un cadre de légitimité internationale, autant d'éléments qui ne peuvent être réunis rapidement ;

- la mission de la force d'extraction est de porter secours, le cas échéant, à des vérificateurs de l'OSCE placés dans des situations d'engagement et de conflit local. La chaîne de commandement de cette force d'extraction relève, s'agissant d'un dispositif de l'OTAN, du commandement suprême allié en Europe (SACEUR) ou de ses délégués en cas d'urgence. L'Alliance planifie la mise en place d'une éventuelle force d'évacuation aux capacités plus importantes qui, en cas de dégradation de la situation, pourrait, après regroupement des vérificateurs, organiser une évacuation généralisée ;

- la population albanaise est de plus en plus solidaire de la communauté albanophone du Kosovo ; s'agissant de la Macédoine, la situation est quelque peu différente même si une sympathie analogue est perceptible à l'égard de la population du Kosovo ;

- enfin, tout recours à la force poserait à nouveau la question de la nécessité d'une nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, ce qui constituerait une difficulté supplémentaire.

M. Michel Caldaguès a alors interrogé le ministre pour savoir quelle autorité politique pourrait éventuellement décider d'engager des soldats français contre un pays souverain. Le ministre de la défense a indiqué au sénateur qu'une telle décision relèverait naturellement du Président de la République et du gouvernement français. Il a rappelé que des précédents existaient où des forces de l'ONU étaient présentes pour régler un conflit armé interne à un pays souverain. Pour le ministre, la question se posait de savoir si l'Europe laisserait se réaliser sur son sol un équilibre politique contraire à ses principes et à ses intérêts. Le ministre a reconnu que la situation au Kosovo démontrait, à ce jour, que les Européens ne disposent pas encore, à eux seuls, de la capacité de résoudre une crise de cette ampleur. La France ne saurait enfin se désintéresser ni du risque d'éclatement de la Fédération yougoslave, ni du maintien par cette même Fédération d'une logique d'oppression.

 Un débat s'est ensuite engagé avec le ministre de la défense sur d'autres sujets d'actualité évoqués par les commissaires.

M. Bertrand Delanoë a évoqué les conséquences de la fusion qui vient d'être annoncée entre British Aerospace et G.E.C. sur la restructuration de l'industrie européenne de défense. Il s'est demandé dans quelle mesure, après les engagements pris au sommet de Saint-Malo, le gouvernement britannique pouvait traduire au plan industriel sa volonté de contribuer à l'édification de l'Europe de la défense. Il a souhaité savoir si l'accélération des restructurations entre industriels français ne permettrait pas de mieux saisir les opportunités de rapprochement avec d'autres industriels européens, tels que DASA.

M. André Rouvière a demandé des précisions sur les récentes décisions gouvernementales relatives au redéploiement des forces de sécurité. S'agissant des critères retenus pour décider du maintien des brigades de gendarmerie en zone rurale, il a relativisé la pertinence des indications fournies par le nombre des délits, celui-ci étant souvent faible là où les brigades sont les plus efficaces.

M. André Dulait a interrogé le ministre sur les risques de prolifération nucléaire et balistique imputables à la Corée du Nord.

M. Xavier de Villepin, président, a souhaité connaître la situation de la consommation des crédits d'équipement du ministère de la défense au cours de l'exercice 1998. Il a par ailleurs interrogé le ministre sur les enseignements qu'il tirait de la décision du gouvernement américain d'augmenter le niveau de ses dépenses militaires.

En réponse à ces différentes questions, M. Alain Richard, ministre de la défense, a apporté les précisions suivantes :

- la nature des relations entre industriels de défense et autorités politiques est sensiblement différente en Grande-Bretagne et en France, ce qui peut expliquer le décalage entre les orientations définies au sommet franco-britannique de Saint-Malo et les décisions prises par les industriels anglais ;

- compte tenu des différents métiers exercés par les deux groupes, la fusion British Aerospace/GEC ne sera pas caractérisée par de fortes synergies industrielles, à la différence des regroupements en cours entre industriels français ;

- le calendrier des opérations de fusion entre Matra hautes technologies et Aérospatiale devrait permettre d'envisager la privatisation de cette dernière au premier semestre ;

- en ce qui concerne le redéploiement des forces de sécurité, le gouvernement n'imposera aucune réforme contre l'avis de la représentation nationale et des élus locaux ; pour autant, il faut –a souligné le ministre– être conscient que le statu quo ne pourrait entraîner qu'une aggravation des difficultés dans les zones péri-urbaines où la délinquance est la plus forte ;

- la politique des autorités nord-coréennes constitue un obstacle sérieux pour l'instauration d'un climat de confiance et de stabilité en Asie ; il est à cet égard significatif que, face aux craintes d'une implication de la Corée du Nord dans la prolifération nucléaire et balistique, plusieurs pays asiatiques songent à se doter de moyens d'observation spatiale autonomes ; la France, pour sa part, ne saurait se désintéresser des tensions qui apparaissent dans une zone où elle dispose d'intérêts importants ;

- après les difficultés engendrées, au cours des quatre premiers mois de l'année, par la réforme de la nomenclature budgétaire et des procédures comptables, le rythme de consommation des crédits d'équipement du ministère de la défense en 1998 s'est notablement amélioré ; au total, sur un montant de crédits disponibles s'élevant au cours de l'année à 81,7 milliards de francs, compte tenu des reports, des fonds de concours et des annulations de crédits, le niveau des crédits effectivement consommés devrait se situer entre 74,5 et 75 milliards de francs ;

- la décision du gouvernement américain d'augmenter le niveau de ses dépenses militaires répond à la fois au souci de préserver la supériorité militaire des Etats-Unis, au moment où ceux-ci veulent pleinement assumer les charges de plus en plus lourdes liées à leur statut de superpuissance, et à celui de renforcer leur suprématie économique, par un haut niveau d'investissements scientifiques et techniques ; quant à la France, son effort d'investissement de défense demeure très supérieur à celui de la plupart de ses partenaires européens.